GENARD Etres capables et competents

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Etres capables et compétents : lecture anthropologique et pistes
pragmatiques
Jean-Louis Genard, Fabrizio Cantelli
Des êtres « capables » et « compétents ».
Commentant, dans la revue Critique, trois textes centraux de la sociologie pragmatique, De la
justification de L. Boltanski et L. Thévenot, L’amour et la justice comme compétences de L.
Boltanski et L’action qui convient de L. Thévenot, N. Dodier écrit : « les trois ouvrages
débouchent sur un modèle général de compétences des personnes. Chacune d’entre elles est
supposée capable de reconnaître dans une situation, les êtres qui relèvent d’un monde, en
exerçant un jugement qui prend appui sur une exploration de l’environnement… » (Dodier,
2001, p. 433). Revenant, dans une interview, sur ses propres présupposés épistémologiques,
L. Boltanski ajoute : « ce modèle intègre par là l’opposition aristotélicienne, reprise par SaintThomas d’Aquin, entre la puissance et l’acte, qui est une opposition très importante dans la
tradition occidentale, et particulièrement dans la tradition chrétienne, puisque c’est sur elle
que repose notre notion commune de personne. La personne s’y trouve en effet définie par le
fait qu’elle possède des puissances en nombre non limitable, non connaissable a priori. Vous
ne pouvez pas définir a priori de quoi la personne est faite, ce dont elle est composée ni ce
dont elle est capable (c’est la raison pour laquelle j’ai appelé la première partie de mon livre
L’amour et la justice comme compétences, « ce dont les gens sont capables » ; on ne sait
jamais, en quelque sorte par principe, ce dont les gens sont capables » (Blondeau et Sevin,
2004). Dans une tentative de cerner le geste pragmatique de la sociologie française, M.
Breviglieri et J. Stavo-Debauge précisent : « on pourrait répondre qu’une telle sociologie
ouvre… la liste des possibles qui s’offre aux personnes. La sociologie ne clôt pas par avance
les capacités des personnes, et l’on peut même ajouter, selon l’expression de L. Boltanski,
qu’elle accroît et met en valeur « ce dont les gens sont capables ». (Breviglieri et J. StavoDebauge). Récemment, l’ouvrage à visée didactique de M. Nachi (2006) pose précisément cet
horizon des compétences morales et cognitives comme un axe fort au sein de ce style
sociologique, à côté d’autres principes que nous ne ferons qu’approcher superficiellement
dans cette contribution (la symétrie des savoirs, la pluralité des mondes, la grammaire de
l’accord et le système actantiel). Il y a bien là un « quelque chose » qui se joue dans ces
modèles sociologiques et qui mérite d’être questionné.
Au-delà de ces citations que nous aurions pu multiplier, nous souhaiterions nous arrêter sur la
récurrence de ces deux termes, « compétences » et « capacités », qui se sont lentement
imposés dans l’arsenal sémantique de la sociologie, au départ très certainement de la
sociologie pragmatique. Des termes qui trouvent leur place dès lors qu’il s’agit de désigner le
rapport qu’entretient l’acteur aux actes qu’il pose, dessinant de nouveaux contours
anthropologiques pour la sociologie. Qu’apportent ces concepts auxquels la sociologie nous
avait somme toute peu accoutumés ? Pour le saisir, une voie naturelle serait de chercher tout
d’abord à cerner ce à quoi cette anthropologie sociologique cherche à s’opposer.
Dans l’article qui vient d’être évoqué, Nicolas Dodier défend cette anthropologie pragmatique
en l’opposant à deux adversaires principaux. La sociologie de l’habitus tout d’abord pour
laquelle ces compétences sont interprétées comme des dispositions intériorisées qui, en
quelque sorte, figent l’acteur dans des « caractères », agissant en profondeur, et par rapport
auxquels les aléas de l’action au quotidien sont de peu de signification au regard des
mouvements de fond qui accrochent les habitus aux champs à l’intérieur desquels ils se
constituent. Là, très clairement, ce sont donc les sociologies trop lourdement déterministes qui
sont visées, en particulier dans leur incapacité à faire droit aux subtilités du quotidien, au suivi
des « actions en train de se faire » et surtout à la pluralité des façons de juger et de s’engager
dans le monde, à la diversité des argumentaires et des arrangements.
Dans le même texte, Nicolas Dodier montre en quoi cette nouvelle anthropologie entend
également prendre distance par rapport aux sociologies de l’intérêt ou de l’action rationnelle
qui, elles, sans verser dans un déterminisme des causalités inconscientes, préjugent néanmoins
à chaque fois des motivations « véritables » de l’action par rapport auxquelles les
justifications avouées prennent alors le statut de rationalisations. Dans ce cas, l’anthropologie
concède à l’acteur une faculté de délibérer et donc de choisir, mais elle rapporte une fois pour
toutes ce choix à ce qui s’apparente somme toute à un calcul. Ce faisant, elle se refuse a priori
à prendre réellement l’action et le jugement - mais le jugement est aussi action - au sérieux,
soupçonnant à chaque fois que les motivations avouées dissimulent des intentions finalement
toujours identiques.
A lire les justifications épistémologiques des auteurs, cette option anthropologique est très
clairement liée à une lecture ouverte à l’exploration de la dimension morale de l’action ainsi
que du pluralisme de ses horizons. L’appréhension de la dimension morale de l’action n’a
cessé d’être revendiquée comme une des spécificités de l’approche pragmatique là où il est
reproché aux adversaires théoriques de ne pouvoir prendre véritablement au sérieux les
engagements des acteurs. On ne peut donc artificiellement dissocier, comme le rappelle
d’ailleurs le choix du nom du centre créé en 1984 à l’EHESS, le Groupe de Sociologie
Politique et Morale, le geste d’une sociologie politique et le geste d’une sociologie morale 1
aux influences multiples (Pattaroni, 2001). Ainsi, dans un entretien avec F. Dosse, L.
Boltanski souligne comment cette volonté de « prise au sérieux » des acteurs l’a conduit à
retrouver « l’intuition durkheimienne selon laquelle le souci moral est au centre des débats et
des disputes entre les être humains en société »2. Et, bien sûr, cette « prise au sérieux » de la
dimension morale de l’action suppose très directement celle du pluralisme, qui permet
précisément de donner corps à l’idée même d’engagement et de choix. Une des ambitions
théoriques majeures de la sociologie pragmatique française consistera d’ailleurs, en puisant
dans les efforts d’auteurs américains comme M. Walzer et A. Hirschman, à dessiner des
cadres d’appréhension de ce pluralisme, qu’il s’agisse des formes de la critique et de
l’indignation, des trois topiques de la souffrance, sentiment, dénonciation et esthétique
(Boltanski, 1993), des biens en soi travaillés dans une enquête sur les controverses au sujet du
VIH/sida (Dodier, 2005), des cadres de justifications que représentent les cités 3 (Boltanski et
Thévenot, 1991), ou, plus fondamentalement peut-être, des régimes d’action décrits
(Boltanski, 1991) selon la double opposition « paix-dispute » et « équivalence–non
1
Luc Boltanski rappelle à quel point Pierre Bourdieu n’épousait pas ce projet de sociologie morale : « (Ce terme)
a beaucoup énervé Bourdieu. Il n’arrêtait pas de répéter: morale, morale : qui sera un jour ce qu’est cette
morale ! Il ne parvenait vraiment pas à distinguer morale et moralisme » (Vitale, 2006, p. 102).
2
http://www.passerelle.de/Ori-Boltanski_Ricoeur.html (consulté le 31/10/2007) On reviendra à l’influence de
cet auteur plus loin dans la contribution.
3
Ce sont six modèles de justice (civique, industriel, marchand, renom, domestique, inspiré) construits à partir de
textes de philosophie politique (Rousseau (Du contrat social), Saint-Simon, Smith (La richesse des nations),
Hobbes (Léviathan), Bossuet (L’écriture sainte), Saint Augustin (Cité de Dieu).
2
équivalence », ou des régimes d’engagement théorisés (Thévenot, 2006) selon la tripartition
« familiarité – plan – cause publique ».4
A s’en tenir toutefois à une justification du positionnement de la sociologie pragmatique par
son opposition aux sociologies déterministes dont les travaux de Pierre Bourdieu offriraient
l’illustration et aux sociologies du choix rationnel ou de l’acteur stratégique, on ne saisirait
que partiellement le tournant épistémologique qu’elle entend assumer. Au-delà de ces
critiques somme toute classiques d’adversaires théoriques servant traditionnellement de
repoussoir, l’ambition se veut plus vaste. Plusieurs textes des auteurs de référence du courant
pragmatique laissent entendre que c’est en fait avec tout un « arsenal » de concepts hérités de
la grande tradition sociologique qu’il entend rompre, en particulier ces concepts « à prétention
totalisatrice (qu’il s’agisse, par exemple, de croyances, d’intérêts, de rationalité instrumentale
ou de normes sociales… Les agents (individuels ou collectifs), les situations elles-mêmes, y
sont alors envisagés précisément selon une ligne d’intelligibilité définie par avance et fixant
aux agents des compétences génériques pertinentes dans une conception typique du monde
social… à la différence des sociologies auxquelles elle (la sociologie pragmatique) s’oppose
sur le fond, elle n’aborde pas le terrain équipée d’une ontologie et d’une anthropologie
finies » (Breviglieri et Stavo-Debauge, 1999). Au nom de ce refus, ce seront, comme l’affirme
Boltanski dès l’introduction de De la justification, les catégories classiques définissant a priori
les positionnements et statuts des acteurs (groupes, classes sociales, ouvriers, cadres, jeunes,
femmes, électeurs…) qui verront leurs places recadrées. Mais ce seront également les notions
de normes, de rôles… qui se verront soupçonnées d’enfermer l’appréhension de l’acteur dans
des cadres limitant exagérément les espaces de ce dont les gens sont capables.
Ce refus de l’ontologisation apparaîtra même comme une des marques épistémologiques
majeures du courant pragmatique. Dans cette optique, le concept d’épreuve occupera une
place centrale, opérant en quelque sorte comme l’espace au travers duquel ces catégories
ontologisées peuvent se voir « activées » et acquérir alors un statut pragmatique. Pour Nicolas
Dodier, ce sont les épreuves qui permettent de révéler et, surtout, de qualifier les pouvoirs. La
recherche sur le sida illustre cette posture qu’il a qualifiée lui-même d’ « agnostique »5 : les
épreuves ne sont pas en soi censées renforcer les pouvoirs des acteurs les plus faibles. Il
s’agit, selon lui, de dérouler le fil de l’épreuve, de ses mouvements. C’est pour cette raison
que cet auteur ne construit pas une philosophie de l’histoire. La capacité d’invention des
acteurs, sous la plume de N. Dodier (2003), ne correspond pas à un optimisme
méthodologique et épistémologique mais à une hypothèse de recherche laissant ouvert le
déroulement des possibles. Le collectif militant Act-Up a ainsi été renforcé par la réussite
d’une série d’épreuves mais, de même, cela a contribué à écarter une série d’autres acteurs du
paysage associatif. C’est aussi une piste que D. Linhardt, chercheur au Centre de Sociologie
4
Le débat au sujet des abords pragmatiques du pluralisme est particulièrement vif, notamment entre les travaux
de Nicolas Dodier sur les biens en soi, le laboratoire des cités (Luc Boltanski et Laurent Thévenot, la cité par
projet avec Luc Boltanski et Eve Chiapello) et le modèle des régimes d’engagement (Laurent Thévenot). La
notion de « double pluralisme », attentif à la fois aux régimes d’engagement, allant du familier au plan et aux
justifications publiques visant un bien commun a été thématisée dans les travaux de Marc Breviglieri, Luca
Pattaroni et Joan- Stavo-Debauge. Au-delà d’un débat de famille, qu’il ne faudrait pas aplatir pour autant
derrière une sorte « d’effet d’école », la saisie du pluralisme offre un renouvellement de l’enquête sociologique
sur les identités (F. De Singly), les rôles (J-C. Kaufmann), les habitus (P. Bourdieu, puis, plus récemment, B.
Lahire).
5
Il s’agit d’une formule posée par Nicolas Dodier pour qualifier son travail en regard de celui de Jean-Louis
Genard, à l’occasion d’une séance plénière (Danny Trom, discutant ; Fabrizio Cantelli, président) lors du
colloque international « Les approches pragmatiques de l’action publique », organisé à Bruxelles les 15 et 16
novembre 2007 par le Groupe de recherche sur l’Action Publique de l’Université libre de Bruxelles, le Centre de
Recherche en Science Politique des Facultés universitaires Saint-Louis et le Groupe de Sociologie Politique et
Morale de l’EHESS.
3
de l’Innovation, explore à propos du concept d’Etat : plutôt que d’en préjuger a priori les
contours, il cherche à analyser les « épreuves d’Etat », c’est-à-dire ces processus sociaux où, à
l’image du terrorisme, la référence à l’Etat se trouve activée.
A chaque fois, sous des formes variées, se donnent à voir des sociologies qui accueillent une
conception réversible des pouvoirs des êtres et de leur qualification. Mais ce principe
d’indétermination des pouvoirs ne conduit pas à un alignement, malgré des affinités
nombreuses, sur l’option ethno-méthodologique (Garfinkel) qui prône une pragmatique
radicale où l’indexicalité constitue un horizon indépassable pour le chercheur. Parmi les
raisons méthodologiques et épistémologiques qui éclairent un tel écart, il faut insister sur le
fait que les objets et les choses, malgré une gamme large de statuts assignés à l’action, jouent
un rôle de premier plan dans les tableaux sociologiques porteurs d’un prisme pragmatique,
que l’on pourrait qualifier, de « post-ethnométhodologique »6 (Dodier, 2001). On doit ici
honorer la marque, l’empreinte des recherches initiées par Bruno Latour et Michel Callon, qui
ont étendu et élargi les pouvoirs et les capacités à des « actants » divers, des non humains, des
objets. Dans le prolongement, on ne devrait pas oublier non plus qu’en réaction aux critiques
adressées à l’égard de La Justification, Luc Boltanski et Eve Chiapello ont changé de cap
avec l’ouvrage Le nouvel esprit du capitalisme (1999) en considérant tour à tour le
capitalisme et ses critiques (sociale et artiste) comme des actants à part entière, dotés de
capacités et susceptibles d’être suivis au plus près par l’enquête sociologique. Sur un autre
pôle, Laurent Thévenot (1985) avait exploré la notion d’ « investissements de forme » pour
révéler la capacité cognitive des outils matériels et des dispositifs institutionnels. C’est dire à
quel point l’horizon anthropologique singulier que l’on entend ici élucider épouse des
contours, des échelles et des formes variées, où le débat fait rage au sein de la communauté
scientifique.
Comme on le voit, le tournant anthropologique évoqué d’entrée nous mène très naturellement
vers des sensibilités épistémologiques plus larges qui paraissent engager profondément le
rapport de la sociologie pragmatique aux grands concepts hérités de la tradition sociologique,
comme ils semblent annoncer des options méthodologiques qui tranchent fortement avec ce à
quoi nous avait habitué cette même tradition. Indépendamment de l’opposition des modèles
en présence, le travail sur les capacités et les compétences des êtres contribue à vivifier la
méthodologie des chercheurs et à ouvrir la voie à une créativité de l’enquête : photos,
ethnographie, méthodes d’analyse en groupe, textes de philosophie politique, scénarios
imaginaires7, recours à la littérature, référence au cinéma. Ce tournant va au-delà de l’univers
sociologique, et par le subtil métissage des personnes et des affinités 8, il concernera
activement tant l’économie (via principalement le courant de l’économie des conventions) que
l’histoire (Cerutti, 1991) via notamment la microstoria, Giovanni Levi, la revue Annales, les
travaux de Bernard Lepetit et de Jacques Revel. Malgré un certain retard, le paysage de la
6
Pour une discussion d’un autre impensé de l’ethnométhodologie autour des pouvoirs, voir Chateauraynaud
(2006, p.7).
7
Pour « faire voir » et penser l’appréhension des capacités, le recours à de petites histoires dont le statut n’est
pas totalement imaginaire est à relever, que ce soit le dialogue imaginaire concocté par Bruno Latour entre un
doctorant du CSI et un doctorant du GSPM, ou dans son livre (Latour, 2006) entre lui-même et un étudiant, soit
dans le récent livre de L. Thévenot (2006) les vacances de sa fille au ski, la scène où plusieurs voyageurs
s’engagent, un jour de grève, selon des régimes différents dans un compartiment de la SNCF ou celle sur l’apprêt
du bureau (pour soi, pour le lecteur, pour un anonyme), celle où un enquêteur travaillerait sur une entreprise de
fûts métalliques (Dodier, 1991) ou encore l’usage de la littérature (Primo Levi) par F. Chateauraynaud (1999)
pour montrer les capacités d’emprise ou enfin, le cinéma via certaines scènes de The Aviator (Scorsese) pour
montrer les capacités de care (Laugier, 2006).
8
Pour un tableau précis des croisements entre sociologues, philosophes, économistes et historiens, voir le
chapitre « pôle pragmatique » chez Dosse (1997).
4
science politique9 apparaît traversé aujourd’hui par les travaux portant sur les compétences et
habilitations politiques des militants mais aussi, plus radicalement, des citoyens ordinaires
(Joignant, 2007 ; Berger, 2008), ce qui s’accompagne de l’usage de méthodes assez inédites,
comme les focus groups par exemple. Un autre terrain où « l’entrée par la compétence » se
donne à voir se situe dans les enquêtes sur les transformations de l’expertise et les inflexions
vers une démocratie délibérative : le feuilleté des multiples opérations d’apprentissage
cognitif - laissant dans l’ombre les compétences morales – et la présence de la voix des
citoyens ordinaires et usagers profanes sont explorés (Callon, Lascoumes et Barthe, 2003 ;
Cantelli et. ali. 2006). Si ce tournant constitue assurément une belle tendance dans les arts et
méthodes de la recherche, il faudrait que la communauté scientifique prenne le temps d’en
discuter les différents ressorts et d’en pointer les limites, les articulations délicates, parfois
aussi les apories. Aussi semble-t-il intéressant d’approfondir l’éclaircissement de ce tournant
anthropologique dont la portée dépasse sans doute largement l’affirmation selon laquelle il
s’agirait là simplement de restituer aux acteurs leur libre-arbitre, comme le suggèrent certains
propos assez péremptoires dans De la justification (Boltanski et Thévenot, 1991, p. 286).
Similitudes
Que la sociologie en vienne dans les années 90 à définir l’acteur par ses compétences et ses
capacités constitue certes une innovation, mais celle-ci ne doit pas occulter le fait que ce
même vocabulaire était largement présent dans d’autres domaines. Dans l’entretien
précédemment cité avec F. Dosse, L. Boltanski précise à cet égard sa dette à l’égard des
travaux de P. Ricoeur : « on avait bien des outils comme les compétences dispositionnelles
mais évidemment ce n’était pas du tout la compétence telle qu’on pouvait l’envisager depuis
Ricoeur comme capabilité, comme orientation vers la morale, comme faisant face à
l’incertitude qui pour nous est devenue une notion centrale, notamment pour mettre en échec
la toute-puissance du déterminisme »10. On sait qu’à propos de ce concept de capabilité,
Ricoeur a discuté de manière très approfondie les travaux de l’économiste d’origine indienne
A. Sen qui à partir de cette idée de capabilité ou de capacité entend repenser la responsabilité
de l’Etat à l’égard des inégalités. Le concept de capabilité ouvrant chez Sen une réflexion sur
les conditions pour que l’Etat contribue à la constitution chez le citoyen de « dispositions »
subjectives que ne garantit pas forcément l’accès aux ressources offertes par les droits sociaux
tels que les organise traditionnellement l’Etat-Providence.
La transition par les travaux de Sen nous a conduits vers le registre de l’action publique. Et là,
on sait à quel point l’idée de construire des capacités, des ressources, des pouvoirs subjectifs
est au cœur de ce nouvel horizon de l’Etat, plus précisément de ce que nous avons appelé
l’Etat-réseaux ou l’Etat-réflexif, cette nouvelle strate d’Etat qui se superpose aujourd’hui à
celles de l’Etat libéral et de l’Etat social (Cantelli et Genard, 2007). Au cœur de ce climat
singulier, des pratiques nouvelles apparaissent, où il est clairement question d’habilitation, de
capacitation, d’empowerment. L’écriture de cet horizon anthropologique ne concerne donc
pas uniquement les laboratoires des chercheurs, mais il prend forme également au sein de
l’action publique au quotidien ainsi que dans le vocabulaire politique, social, journalistique
d’une société.
En allant plus loin, nous pourrions observer que ce vocabulaire des compétences et des
capacités occupe une place centrale dans la sémantique des pratiques éducatives depuis que
9
Il faudrait rappeler l’influence du tournant interprétatif anglo-saxon dans les sciences sociales et politiques
(Rabinow et Sullivan, 1979 ; Yanow and Schwartz-Shea, 2006 ; Fischer and Forester, 1993).
10
Op.cit. p.5.
5
celles-ci, à partir des années 70, se sont ajustées aux visées de construction de l’autonomie.
Les objectifs éducatifs se disent dans le vocabulaire de la capacité (l’élève sera capable de…)
et des compétences (pensons aux impératifs européens d’ajustement des objectifs éducatifs
sur les « seuils de compétences »).
Si nous abandonnons maintenant le terrain des politiques publiques pour nous tourner vers
celui du travail (Eymard-Duvernay et Marchal, 1997) et du management 11, nous observons
également une présence très forte de cette même sémantique. Dans un article très intéressant,
B. Zimmerman montre ainsi comment se heurtent et s’articulent aujourd’hui, dans le monde
de l’entreprise, la logique traditionnelle du dialogue social et la nouvelle logique des
compétences. Elle insiste sur la tension entre la dimension collective inhérente aux pratiques
du dialogue social et le principe d’individualisation qui s’attache très naturellement à l’idée
même de compétence qui est « en effet attachée à la personne, à ses capacités et à sa
trajectoire professionnelle » (Zimmerman, 2000, p.5).
La notion de compétence a également été explorée subtilement au regard des métiers du
public. Dans cette perspective, les travaux d’Isaac Joseph12 (Joseph et Jeannot, 1995) ont
infléchi le regard vers une analyse microsociologique des compétences « au travail » en se
posant, dans le prolongement séminal d’Erving Goffman (Joseph, 1998), sur la dynamique
des relations de service entre agents et usagers. Autant d’occasions pour ne pas écraser ce que
les agents et les gens font et pour procéder à des ethnographies du politique « en train de se
faire ». C’est aussi en suivant ce fil rouge, centré sur les compétences (d’aide, de service,
relationnelles, morales,…) que l’on resitue un courant de recherches florissant autour de la
figure de l’usager dans la modernisation du service public (Weller, 1998, 1999).
Nous pourrions multiplier les exemples qui confirmeraient bien que l’appréhension de la
personne se trouve aujourd’hui très largement pensée au travers d’un univers sémantique où
les termes compétences, capacités, mais aussi potentialités, ressources… occupent une
position centrale. Ce constat mérite qu’on s’y arrête et surtout que s’opère alors un retour vers
la signification que peut avoir l’irruption dans un courant sociologique aujourd’hui important
d’un univers sémantique que l’on voit par ailleurs essaimer très largement. Cette coïncidence
ouvre alors le soupçon que, peut être, ce courant sociologique assume en réalité une évolution
anthropologique très générale et que les adversaires auxquels il s’oppose (sociologie des
positions et des habitus ; sociologie des rôles, des statuts et des identités ; sociologie des
normes et des idéologies…) révélaient quant à eux un rapport avec des repères
anthropologiques en train de s’estomper. C’est ce que nous voudrions tenter modestement
d’aborder maintenant, et peut-être, avec un contexte social qui n’est plus celui contemporain
des sociétés « connexionnistes ».
Un tournant anthropologique
L’usage du vocabulaire des capacités pour qualifier les êtres est loin d’être une innovation.
Tout au contraire. On se souvient en particulier à quel point le partage des êtres
caractéristique des 18e eu 19e siècles s’appuyait sur la distinction entre individus « capables »
et « incapables », ou encore entre acteurs « actifs » et « passifs ». A cette époque toutefois,
comme l’illustreraient avec évidence des citations de l’époque 13, cette qualification est
11
La revue Sociologie du Travail a consacré à ce thème plusieurs numéros et contributions majeures, dont celles
de C. Paradeise, M. Stroobants, etc.
12
Un ouvrage (Cefaï et Saturno, 2007) en rappelle opportunément la portée heuristique.
13
Pour s’en convaincre, on se reportera par exemple à l’ouvrage que P. Rosanvallon consacre au Sacre du
citoyen.
6
supposée s’appuyer sur des bases objectivantes. Ainsi est-ce le statut des personnes – fous,
femmes, serviteurs, acteurs dépendants, etc. - qui les qualifie de « capables » ou d’
« incapables ». Là, la capacité apparaissait prioritairement comme une qualité liée directement
à l’identité des êtres. La reconnaissance d’une capacité apparaît alors congruente avec
l’exercice de la citoyenneté dans ses aspects politiques et sociaux, limitée voire carrément
niée pour les uns (les femmes) et étendue pour les autres (les électeurs porteurs d’un diplôme
disposent de plusieurs voix conformément au régime électoral capacitaire).
Dans l’ouvrage La grammaire de la responsabilité (Genard, 1999), l’un de nous deux a repris
l’hypothèse selon laquelle l’anthropologie de la deuxième modernité conférait à l’homme le
statut de « doublet empirico-transcendantal », expression de M. Foucault qui, elle-même,
renvoie directement à la philosophie kantienne14. Autrement dit, cette anthropologie situe
fondamentalement l’homme au cœur de la tension entre liberté (transcendantal) et
déterminisme (empirico). L’individu capable ou actif est celui qui assume pleinement cette
liberté, là où les individus incapables ou passifs sont quant à eux hétéronomes, et ne peuvent
donc être considérés comme jouissant pleinement des attributs de la liberté, la raison et la
volonté autonome.
Pour aller plus loin dans la voie ouverte par M. Foucault, on peut se souvenir que, lorsqu’il
considère le statut à conférer aux relations entre liberté et déterminisme et donc à ce « doublet
empirico-transcendantal », Kant lui-même hésite entre deux interprétations. Une interprétation
disjonctive selon laquelle l’homme serait forcément l’un OU l’autre, capable ou incapable,
libre ou déterminé, actif ou passif… et une interprétation conjonctive selon laquelle il serait
au contraire toujours forcément l’un ET l’autre. Il est à notre sens possible d’historiciser ces
deux accentuations possibles du doublet et de supposer que cette anthropologie caractéristique
de la deuxième modernité connaîtrait, dans le temps, des accentuations tantôt disjonctives,
tantôt conjonctives.
Il nous semble en réalité que, comme l’illustrent les significations accordées aux mots
« capable » et « incapable » évoquées précédemment, la configuration disjonctive a très
largement dominé le 19e et la première moitié du 20 e siècle, justifiant par exemple des
traitements sociaux et juridiques très différenciés réservés aux uns et aux autres. En cas de
délinquance, la prison pour ceux qui sont responsables, l’asile ou, plus tard, l’hôpital
psychiatrique pour les autres. C’est cette même configuration anthropologique disjonctive qui
conduira à voir dans les « déviants » des êtres à part, situés, en quelque sorte, hors des
frontières de l’humanité. Ainsi, les criminels y acquièrent volontiers le statut de « monstres »,
ou encore de « criminels-nés », à l’image des travaux de Lombroso qui connurent un succès
énorme à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Et, même, lorsque, les idées évoluant, les
deux faces du normal et du pathologique se retrouvent chez un même individu, les
interprétations qui en seront faites chercheront à restituer la solution de continuité entre les
deux états, à l’image de la fable de Docteur Jeckyl et Mister Hyde : un temps pour la
normalité, un autre pour la folie. La violence de la transition entre les deux états étant somme
toute, dans cette fable, l’équivalent de ce que désignait l’idée de « choc » dans le langage
psycho-thérapeutique du 19e siècle (chez Pinel et Esquirol par exemple), un choc
indispensable pour espérer voir passer le malade mental de l’état pathologique vers une
restauration de la normalité.
14
La relation d’affinité se nouant entre le travail d’anthropologie philosophique d’ I. Kant et les sociologies
pragmatiques a déjà été détaillée amplement (Benatouïl, 1999, p. 293 ; Descombes, 1991).
7
A l’inverse de cette configuration disjonctive, il nous semble que le contexte actuel témoigne
plutôt d’une anthropologie à dominante « conjonctive »15. De telles évolutions
anthropologiques sont évidemment très lentes, mais s’il fallait situer dans le temps cette
transition, nous la situerions à partir des années 50-60 du siècle dernier. Cette période où les
grandes institutions de la disjonction vont se voir critiquer violemment, où on en appellera à
un traitement de la folie sans rupture avec le monde de la normalité (l’anti-psychiatrie, les
pratiques de réseau), où de multiples travaux chercheront à montrer la faiblesse de l’écart
entre le normal et la pathologique, et le caractère socialement institué de cette différence. Ce
qui, bien entendu, n’exclut pas que ces processus aient pu connaître des antécédents dans la
période antérieure.
Ce passage d’une accentuation disjonctive à une accentuation conjonctive constituerait un
véritable retournement anthropologique. Désormais, l’homme se situerait non plus à l’un ou
l’autre des extrêmes, il serait au contraire toujours dans l’entre-deux, autonome ET
hétéronome, responsable ET irresponsable... En témoignent de nombreuses illustrations. Dès
les années 70, Robert Castel signalait aux Etats-Unis, la montée des « thérapies pour
normaux ». C’est à la même époque que l’on assista à la montée des maladies dites
psychosomatiques, relevant donc à la fois de ces deux grands opposés qu’étaient le corps (lieu
du déterminisme) et l’esprit (lieu de la liberté). Les définitions de la santé mentale vont
évoluer parallèlement à ce processus : d’une définition en termes d’état complet de bien-être
(OMS, 1948), on passera à une définition qui voit plutôt la santé mentale comme une capacité
de vivre avec ses difficultés ou avec ses manques. Ou encore, plus récemment, on peut
évoquer le succès du vocabulaire parlant d’individus « border line », de sujets « fragiles »,
« vulnérables », etc. Le champ du pathologique se recomposera également avec l’irruption de
termes euphémisants mais qui auront cette propriété de fonder une extension quasi infinie de
l’intervention psychologique, à l’image de ceux de « trouble » ou de « souffrance », qui
fondent un débordement formidablement extensif du terrain qui était auparavant celui de la
« maladie ». On connaît aussi le succès du concept de « résilience » qui désigne la capacité de
vivre « bien » avec ses traumatismes. Et on pourrait y ajouter qu’il est loin le temps où les
criminels fascinant les foules étaient des « monstres » ou des « criminels-nés ». Nous serions
plutôt aujourd’hui face à des individus « normaux », des gens ordinaires, qui, de manière
imprévisible, loin de la brutalité du passage de Docteur Jeckyl à Mister Hyde, traversent
imperceptiblement une frontière devenue éminemment perméable et poreuse.
Les illustrations possibles de ce passage vers une accentuation conjonctive de l’anthropologie
s’attestent également hors du champ de la santé mentale. Ainsi, sait-on aujourd’hui le succès
des théorisations des neuro-sciences qui visent à rapporter les processus cognitifs à des
processus physico-chimiques, assumant donc une vision continuiste (et parfois radicalement
réductionniste penchant alors du côté d’une nouvelle forme de disjonction) des rapports entre
faits psychiques et processus corporels. On peut évoquer aussi les remises en question des
couples d’opposés qui fondaient la spécificité de l’humain, comme celui opposant nature et
culture, rapporté par de nombreux auteurs (Latour ou Descola) à une institution sociale
participant à et entretenant les illusions de la modernité.
15
Le propos développé ici adopte une voie historicisante qui est, nous semble-t-il, fortement éclairante par
rapport à la question posée. Nous ne la considérons bien sûr pas comme exclusive. Ainsi pourrait-elle
parfaitement se conjuguer avec et s’enrichir d’une approche qui se focaliserait davantage sur les gains
d’intelligibilité ou sur la richesse des ressources herméneutiques offertes par cette anthropologie capacitaire.
Nier cela reviendrait évidemment d’une certaine façon à rabattre le « transcendantal » sur « l’empirique » et à
tomber dans un des pièges tendus par cette tension constitutive de la deuxième modernité. Nous remercions Joan
Stavo-Debauge de nous avoir suggéré cette remarque qui précise la portée de notre contribution.
8
Bref, aujourd’hui, au partage net des êtres caractéristique de la période disjonctive, aurait
succédé une anthropologie à dominante continuiste ou conjonctive. Chacun se situant toujours
dans l’entre-deux, toujours susceptible de lâcher prise, mais aussi possédant toujours quelque
ressource, quelque potentialité mobilisables pour se reprendre, se ressaisir.
Là où l’accentuation objectivante des capacités correspondait à un monde aux identités
stabilisées, cette nouvelle image des capacités correspond quant à elle à un environnement
dont certains traits renvoient, selon plusieurs chercheurs, à des identités mouvantes, flexibles,
liquides… A un monde dans lequel les statuts et les rôles stabilisés que décrivaient les
sociologies de Parsons, Merton ou Goffman ont largement perdu leur rigidité, voire leur
importance. Un monde dans lequel il s’agit moins de « sauver la face » dans un jeu aux rôles
et scénarios bien huilés, que de « pouvoir faire face » dans un univers plus largement
imprévisible, où les aléas, basculements et accidents de la vie ne manquent pas.
Comme nous l’avons déjà évoqué, dans le contexte de repères anthropologiques conjonctifs,
le concept de « capacité » (Genard, 2007) - et ses corollaires, potentialités, ressources,
compétences…- perdent le statut objectivant qu’ils pouvaient avoir en registre disjonctif. Les
capacités apparaissent désormais comme des potentialités à la fois fragiles mais toujours
mobilisables, et par ailleurs toujours diversifiées selon les individus et selon les situations. Sur
le continuum anthropologique qui va de l’hétéronomie à l’autonomie, les capacités sont ce qui
marque les différences entre les êtres, des différences non pas « statutaires », mais toujours
précaires. Ces capacités qui permettront à l’individu de réagir face aux aléas, de se sortir des
situations difficiles, d’assumer le changement, de faire face aux situations, de se prendre ou
reprendre en mains… Elles sont ce qui peut s’affaiblir, se dissoudre, mais aussi ce qui peut
s’enrichir et se développer. Elles deviendront la finalité des processus de formations : doter
l’être de capacités et de compétences, tel deviendra l’objectif central des processus culturels.
Capacités et compétences qualifieront les êtres non plus au sens où elles seraient des
propriétés qui leur seraient données une fois pour toutes, elles se présenteront plutôt dans une
dimension processuelle, comme ce qui peut être augmenté ou, au contraire, s’assécher.
Fondamentalement, elles seront l’enjeu principal du positionnement sur la ligne de ce
continuum qui va de l’hétéronomie à l’autonomie. Il reviendra à l’acteur de les développer et,
à défaut, ce seront elles qu’il s’agira de stimuler au travers des dispositifs sociaux ou
thérapeutiques visant ceux qui décrochent. L’empowerment, terme construit sur la racine
« power », pouvoir, ne dit rien d’autre que cela : donner, redonner des pouvoirs.
Nous nous arrêterons ici dans ce détour à dominante anthropologique pour revenir à ce qui a
constitué notre entrée dans cette contribution, à savoir le tournant épistémologique assumé par
la sociologie pragmatique.
La grammaire des modalités.
Pour aborder plus avant la signification de ce tournant anthropologique, un détour par ce que
les linguistes appellent la grammaire des modalités paraît intéressant.
Nous savons tout d’abord qu’il existe deux modalités principales, celle de la nécessité et celle
de la possibilité. Cette distinction modale permettrait évidemment de distinguer parmi les
épistémologies des sciences sociales et, bien entendu, à cet égard, la sociologie pragmatique
se rangerait du côté de celles qui font droit au possible et prennent leurs distances à l’égard de
9
la nécessité, comme le soulignait d’ailleurs très explicitement L. Boltanski dans un texte
évoqué précédemment.
Ces modalités, nécessité et possibilité, se disent par ailleurs au travers d’auxiliaires que les
linguistes nomment « auxiliaires de modalités ». Il en est deux principaux : devoir (lié à la
nécessité) et pouvoir (lié à la possibilité), auxquels s’ajoutent des auxiliaires secondaires,
principalement vouloir et savoir. En s’inspirant des linguistes, on peut construire le tableau
suivant :
Modalisations
Virtualisantes
Actualisantes
Objectivantes
Devoir
Savoir (avoir la compétence)
Pouvoir (avoir la possibilité)
Subjectivantes
Vouloir
Pouvoir (être capable)
Savoir (être compétent)
En reprenant les considérations anthropologiques antérieures, l’analyse de ce tableau nous
conduirait à penser que ce qui distingue fondamentalement l’anthropologie défendue par la
sociologie pragmatique de celle de ses adversaires c’est en réalité une focalisation sur la
dimension actualisante. L’acteur s’y trouve fondamentalement défini par un ensemble de
compétences (savoir) et de capacités (pouvoir), là où la traduction en termes de modalités des
concepts qui dessinent les traits anthropologiques des sociologies concurrentes renverraient
plutôt vers les modalisations virtualisantes, qu’il s’agisse du devoir (normes, rôles,
ritualisation…) ou du vouloir (intérêt, rationalité instrumentale, garder la face, motivation…).
Des dimensions actualisantes qui ouvrent donc à une anthropologie où l’acteur apparaît sous
une figure « potentialisée » congruente bien entendu à un monde défini par son pluralisme
(dont on a montré l’importance dans la sociologie pragmatique)
Si on se reporte maintenant à l’hypothèse sociologique d’un glissement anthropologique qui
se serait accusé à partir des années 50-60 du siècle dernier, la référence à la grammaire des
modalités suggérerait à la fois un allègement de la pression sociale imprimée sur l’acteur en
dans les termes virtualisants, en particulier le « devoir », mais au contraire une surresponsabilisation de ces mêmes acteurs dans les termes actualisants du savoir et, surtout,
pensons-nous, du « pouvoir ».
Plusieurs illustrations de cela sont possibles. Tout d’abord dans le glissement sémantique qu’a
subi la signification du terme « autonomie ». Celui-ci peut en effet s’entendre selon deux
accentuations. On pourra ainsi dire de quelqu’un qu’il agit de manière autonome s’il s’ajuste
aux exigences normatives qu’on attend de lui. On pourrait appeler cela l’autonomie-devoir.
Le devoir étant ici un devoir faire ceci ou cela. Ce fut très largement la manière dont on a
compris l’autonomie durant le 19e siècle et le début du 20e. C’est par exemple ce qu’illustre la
conception de l’autonomie chez un auteur comme Durkheim 16. Mais on pourrait aussi
concevoir l’autonomie comme la capacité de se sortir des situations dans lesquelles on se
trouve plongé, comme la capacité de mobiliser des ressources personnelles ou
environnementales permettant de ne pas devoir dépendre, et cela somme toute
indépendamment des références normatives auxquelles le comportement adopté va s’ajuster.
C’est ce que nous appellerions l’autonomie-pouvoir ou l’autonomie-capacité. Plusieurs
16
Situant le traitement sociologique de la morale, Luc Boltanski (Vitale, 2006) revendique explicitement un
héritage durkheimien et des influences d’A. Hirschman, en particulier son ouvrage paru en 1984 L’économie
comme science morale et politique. La sociologie d’Emile Durkheim, en particulier ses cours sur le pragmatisme
(1913-1914) à la Sorbonne, mériterait une discussion plus poussée. Voir en particulier plusieurs textes pour
éclairer ce débat (Joas, 1993 ; Karsenti, 2006).
10
indices sociaux laissent aujourd’hui penser à l’existence d’un glissement de la première vers
la seconde.
Ainsi, ce qui est actuellement en jeu dans les dispositifs de l’Etat social, dans les pratiques de
santé mentale ou dans le succès des « psychologies », c’est moins l’inculcation de « devoirs »,
d’exigences de moralisation au sens où il s’agirait de pousser l’individu à faire ceci ou cela,
que l’invocation, la constitution ou la reconstruction de « pouvoirs » ou de « capacités ».
L’objectif des interventions psychologiques ou du travail social n’est plus, comme nous
l’avons déjà signalé, la guérison au sens de la suppression des troubles et de la reconstitution
d’un état de bien-être total, mais elle n’est pas non plus la moralisation au sens du moins que
celle-ci pouvait avoir lorsqu’il s’agissait par exemple de moraliser la classe ouvrière en lui
imposant un style de vie déterminé. Ce serait plutôt dans le vocabulaire de la reconstruction
de capacités, d’une autonomie-capacité que se conçoivent aujourd’hui les finalités de ces
dispositifs. D’autres éléments viennent également plaider en faveur de cette hypothèse d’une
montée en puissance de ce référentiel actualisant. Par exemple, l’extraordinaire ascension de
la sémantique des « potentialités ». Des pans entiers de la psychologie récente –depuis les
années 60- se réfèrent au vocabulaire du « potentiel », dont sont remplies les publications à
vocation psychologique, de la littérature scientifique à celle de vulgarisation destinée au grand
public. Mais, c’est ainsi aussi que les élèves surdoués sont aujourd’hui appelés « élèves à haut
potentiel ». Comme nous l’évoquions, la pédagogie a depuis longtemps emboîté le pas à cette
nouvelle sémantique, définissant ses objectifs en termes de capacités (« l’élève sera capable
de … ») et de compétences (les fameux « seuils de compétences »). Le succès du vocabulaire
de l’empowerment17, comme celui de l’activation confirment clairement cette tendance.
Comme à l’inverse les réticences et les hantises qu’éprouvent ceux qui sont impliqués dans
ces politiques de capacitation à les envisager comme des pratiques de « moralisation »
(Cantelli et Genard, 2007).
Du pouvoir des acteurs aux pouvoirs des êtres : lectures inquiètes, lectures agonistiques
Les sociologies dominantes des années 60-90 s’appuyaient classiquement sur la dénonciation
du pouvoir identifié à la domination. Les études de Pareto, de Mills, de Mosca se sont
concentrées sur les processus de construction élitiste du pouvoir et parvenaient à mettre en
lumière des phénomènes de déni de démocratie ainsi que des processus de confiscation du
pouvoir. La portée sociologique et politique d’un tel tableau est indéniable. La sociologie des
organisations de Michel Crozier et d’Erhard Friedberg a contribué à déplacer le regard vers la
mise en lumière des jeux de pouvoirs et des intérêts au sein des bureaucraties. Elle a aussi
analysé les stratégies des agents intermédiaires. La science politique - les perspectives de
choix rationnel, néo-institutionnalistes, cognitives - malgré les avancées pointées plus haut,
reste encore majoritairement tributaire de ces appréhensions du pouvoir, souvent rabattu vers
l’horizon « naturalisé » des intérêts, de la ruse, du calcul 18 plutôt que vers une compétence et
un art de faire en situation. On a vu, au début de cette contribution, que les modèles
sociologiques de type pragmatique appréhendent le pouvoir non comme topographie (en haut,
en bas de la société) ou comme jeu stratégique (alliances, ressources, forces 19, coalitions).
17
Pour une analyse critique, voir Cruikshank, 1999.
Ce sont certes autant de compétences habilitant les acteurs mais d’un seul type, éclipsant d’autres dimensions,
à l’instar d’un appui moral dans l’action. Inversant le raisonnement, F. Chateauraynaud (1993) considère que les
acteurs mobilisent lors de disputes une série de compétences de dénonciation, d’arrangement, de communication,
de jugement et d’enrôlement que plusieurs théories, formant un « espace herméneutique », parviennent à
théoriser (Bourdieu, Garfinkel, Habermas, Latour et Callon et enfin Boltanski et Thévenot).
19
Karl Marx traite, sur un mode conflictualiste, la question du pouvoir avec un faisceau de notions (domination,
puissances motrices, lutte des classes, pouvoir d’Etat, rapports de forces, etc.), sans oublier les perspectives
18
11
Elles privilégient non pas l’identification du pouvoir des acteurs au singulier mais bien
l’économie de la variété des pouvoirs des êtres engagés au travers de leur capacité à agir.
Mais cette description mérite d’être complétée et étoffée. Il ne s’agit pas d’en rester là. Ce
serait ratifier hâtivement une vision irénique du social et une capture du politique au « ras du
sol », s’empêchant toute perspective critique sur le monde social. Le détour par
l’anthropologie continuiste et par la grammaire des modalités nous inspire quelques
interrogations au sujet des pistes pragmatiques, ce qui prolonge et étaie les réflexions
formulées dans la conclusion de l’ouvrage Action publique et subjectivité (Cantelli et Genard,
2007) sur les possibilités d’un prisme prenant au sérieux les conflits et tensions habitant cette
action publique reconfigurée.
C’est là un enjeu de taille, tant sur un plan politique que proprement sociologique, pour ces
sociologies trop souvent perçues et caricaturées pour leur naïveté et leur faible résonance
critique (et politique), à trop vouloir ne pas suivre la sociologie critique de Pierre Bourdieu
assumant, elle, sans complexe le travail de dénonciation et de levée des illusions. En 2008, on
n’en est plus là. Le passage d’une sociologie critique à une sociologie de la critique, pour
reprendre le titre d’un article important, ne se confond pas avec une distribution fermée et
enfermante des rôles, d’un côté les sociologies qui « ouvrent les yeux » sur les inégalités, de
l’autre une entreprise sophistiquée et désincarnée, en dehors de préoccupations politiques. Le
récent colloque international, organisé à Bruxelles, réunissant plusieurs générations et
sensibilités de chercheurs français, suisses, belges et italiens autour des « approches
pragmatiques de l’action publique » ne peut que nous convaincre du contraire : les sociologies
de la capacité et des compétences s’emparent à souhait d’horizons critiques et de gestes
politiques mais agissent selon un autre profil. Ce serait incorrect tant les voies actuelles font
signe vers un renouvellement, qui se traduit par des recherches sur l’actualité et les conditions
de la critique, les asymétries, les états paranoïaques, les inégales distributions de pouvoirs, le
danger des tyrannies d’un régime par l’autre, l’attention aux troubles et aux doutes habitant
l’action, le souci au sujet des risques d’écrasement pour certains usagers, voire la reprise, par
Luc Boltanski notamment dans son dernier ouvrage La condition fœtale, de certaines notions
de Pierre Bourdieu. Les déplacements opérés s’avèrent parfois déroutants mais montrent au
final, aussi, la nécessaire liberté et l’éthique d’un laboratoire « au travail ».
Nous souhaitons conclure cette contribution sur deux accentuations, différentes, que nous
décelons dans le traitement des pouvoirs. Elles ne balisent certainement pas l’intégralité de
cette question, elle indiquent plutôt comment, au cœur même de la logique pragmatique, se
configure l’appréhension du pouvoir. A leur propos, nous parlerons d’une part d’une lecture
inquiète sur les effets de cette anthropologie capacitaire sur les usagers vulnérables et d’une
lecture agonistique20 sur l’inégale distribution des pouvoirs et sur les « asymétries de prises ».
La première s’origine plutôt (mais pas exclusivement) dans les travaux qui prolongent ceux de
Laurent Thévenot et interroge en fait la portée politique et les impensés de cet horizon
continuiste tandis que la seconde est mobilisée par les travaux, certes différents mais que nous
avons joints ici, de Nicolas Dodier et de Francis Chateauraynaud et questionne cette fois la
possibilité d’un traitement pragmatique non réductionniste des « forces » et des pouvoirs
inégaux. C’est aussi une autre manière de dire au lecteur la variété des saisies des pouvoirs à
l’intérieur d’une même « famille » sociologique.
néomarxistes d’Antonio Gramsci, Ralph Miliband et Nicos Poulantzas (Balibar, 1999).
20
Nous nous inspirons ici du pluralisme agonistique de Chantal Mouffe et de sa critique adressée aux modèles
de J. Rawls et de J. Habermas.
12
Si l’on devait systématiser le positionnement théorique de ces deux voies, sans doute faudraitil en revenir au tableau des modalités dessiné précédemment. A s’en tenir aux modalisations
actualisantes qui constituent le pivot de l’anthropologie capacitaire, on se rappellera que la
distinction principale était alors celle entre modalisations objectivantes (avoir compétence à,
avoir la possibilité de) et subjectivantes (être capable de, être compétent pour). Pour rapporter
cela à notre propos actuel, nous ajouterons cette fois au tableau la référence à la dimension
négative que nos tableaux occultent. C’est qu’il est toujours évidemment possible de ne pas
avoir compétence à, ou de ne pas avoir la possibilité de (dans la dimension objectivante) ou
encore de ne pas être capable de, ou de ne pas être compétent pour… C’est évidemment sous
cet horizon que s’ouvre le regard que nous portons sur l’autre en régime d’anthropologie
continuiste.
En réalité, la prise en compte de cette éventualité négative –celle de la fragilité ou de la
faiblesse…- pose en tant que telle question à la sociologie pragmatique. Si elle ne cesse,
comme nous le disions d’entrée, d’affirmer que les gens sont capables et compétents, elle ne
peut non plus ignorer que, mises à l’épreuve, ces capacités et compétences peuvent bien sûr
échouer.
Lecture inquiète
Pour aborder la première des deux accentuations, nous nous pencherons d’abord sur l’axe
subjectivant, et plus précisément sur l’éventualité du « ne pas être capable ». L’accentuation
actuelle vers ce que nous avons nommé un cadre anthropologique continuiste ou conjonctif,
où la personne est à la fois capable mais aussi potentiellement incapable, pose en effet
plusieurs questions épistémologiques et politiques. Notre intuition est tout d’abord que les
sociologies pragmatiques paraissent équipées – c’est là leur force- pour montrer le
déroulement minutieux de cette ambivalence au travers de l’action. Elles rendent compte des
tensions et des chocs suscités par un travail sensible sur les capacités et les limites rencontrées
quand ce travail échoue et télescope une personne épuisée ou mutique (Breviglieri, 2006), un
jeune démotivé (Stavo-Debauge, 2007) et ne ménage plus une personne prostituée, un migrant
ou un usager de drogues (Cantelli, 2007). Bref, elles éclairent minutieusement par exemple ce
qu’une anthropologie continuiste, hantant une politique publique, fait quand elle « se heurte »
à un être, un citoyen, un usager se vivant dans la disconintuité. Au croisement de la nouvelle
question sociale, les politiques sociales et de santé (Périlleux et Cultiaux, 2007) en Europe
mais aussi aux Etats-Unis ne sont pas en reste : plusieurs enquêtes ont montré combien
l’anthropologie capacitaire définit et informe nombre de dispositifs destinés à épauler les
usagers précaires et vulnérables, considérés comme capables malgré le peu d’appui dont ils
peuvent disposer, voire en dépit des appuis que prétendent leur offrir ces politiques publiques.
Mais comment une sociologie qui entend prendre les acteurs au sérieux, qui entend restituer
aux acteurs leur dimension de sujets moraux s’y prend-elle face à ces situations qui révèlent la
fragilité sur lesquels elle porte son attention ? Là, pensons-nous, se dessine l’horizon d’une
lecture inquiète qui se dépose sur le social et, plus spécifiquement sans doute, sur le politique.
Cette inquiétude n’est pas à comprendre particulièrement comme un état psychologique du
chercheur, en proie à une angoisse. Il s’agit davantage d’une appréhension singulière, mais
aussi chargée éthiquement, de l’action et de la coordination, soucieuse, suivant la formule de
L. Thévenot, « non pas d’un ordre établi ou reproduit, mais d’une mise en ordre restant
douteuse et problématique. (…) Plutôt que la coordination aboutie, notre objet est l’inquiétude
de coordination. » (Thévenot, 2006, p. 12) Cette inquiétude procède par une exploration
13
interne des engagements des êtres et par le suivi des déplacements, des basculements, des
mouvements désignant autant de capacités des êtres à agir dans la société contemporaine. En
outre, il semble que la métaphore de la « construction » du social ne suffise plus, comme
d’ailleurs l’atteste le changement de sous-titre d’un ouvrage censé faire le tour de ces
nouvelles sociologies (Corcuff, 2007). Peut-être aurions-nous envie d’y voir une congruence
entre une anthropologie de la fragilité et de la vulnérabilité des êtres et des choses et d’autre
part la multiplication de sensibilités pragmatistes - plus que celle d’un style - pour lesquelles
on passerait des thématiques bien connues de l’incertitude, du bricolage, de l’expérimentation
à une invitation à travailler sur les ressorts et sur les lisières de l’action délicate qui cherche à
se frayer un passage, qui passe les frontières (et donc les espaces) en même temps qui les
éprouve21. Cette action délicate ne se cantonne pas à une perspective ou à un seul régime,
celui du familier, mais apparaît, selon nous, comme une voie qui se retrouve, à des degrés
divers et sur des terrains différents22, dans plusieurs enquêtes sur les politiques publiques.
L’attention inquiète aux « écrasements », aux « empiètements » et aux « tyrannies » prolonge
cette inquiétude sociologique et renoue simultanément avec un arrière-plan pluraliste, comme
l’atteste la conclusion issue d’une recherche sur le travail social en Suisse : « En fin de
compte, c’est la possibilité même de composer une société véritablement plurielle qui est en
jeu, une société dont les sujets seraient eux-mêmes multiples, pouvant accéder à leur rythme
au spectre le plus large des modalités d’engagement dans le monde. Il semble qu’il y ait là
une tâche pour les politiques publiques qui doivent être à même d’offrir cette diversité et ne
pas l’écraser dans le dessin d’une figure unique de la bonne subjectivité. » (Pattaroni, 2007, p.
218).
Mais cette inquiétude qui se révèle dans l’appréhension de l’action en vient, nous semble-t-il,
aussi à imprégner la manière dont les auteurs se rapportent aux processus qu’ils analysent. Il
n’est somme toute pas étonnant que les nouvelles coordonnées anthropologiques que nous
avons qualifiées de « continuistes » génèrent des effets en retour sur l’épistémologie ou les
méthodologies de ceux qui en font une présupposition théorique. On sait à quel point la
question et, surtout la problématisation de la notion de catégorisation, avec tout ce qu’elle
porte d’objectivation des êtres, a été au cœur de la constitution du paradigme pragmatique 23. A
bien des égards, un des leitmotivs centraux de la sociologie pragmatique dans son « rapport à
l’objet » se situe dans le « soupçon » à l’égard des catégorisations arrêtées (rôles, statuts,
normes…) qui empêchent de voir l’action en train de se faire, ou qui ferment d’emblée les
possibles qui en sont constitutifs. En reconnaissant aux acteurs une dimension morale, en ne
cessant de les voir comme sujets moraux, les auteurs pragmatiques se trouvent, nous semble-til, en retour conduits à honorer dans leurs relations aux processus sociaux qu’ils étudient cette
même présupposition. A observer les tonalités empruntées par la sociologie pragmatique,
nous avancerions volontiers l’hypothèse que dans le geste consistant à abandonner la
sociologie critique pour construire une sociologie de la critique, et cela en s’appuyant sur les
présupposés anthropologiques que nous avons cherché à expliciter, la sociologie pragmatique
s’est vouée à construire une sociologie de la morale qui ne puisse se départir d’être aussi une
21
Une belle piste sociologique allant vers cette allure inquiète mobilise les notions d’« espace intercalaire » et de
« geste cheminatoire » pour saisir les activités des adolescents oscillant entre le familier et le domaine public
(Breviglieri, 2007, p. 41-55).
22
Plusieurs travaux sur le droit, les abus ou l’insupportable notamment rappellent à quel point l’inquiétude
devrait être pluralisée, donnant lieu aussi à une inquiétude politique qui renoue également avec une sociologie
riche d’une visée politique. Notre propos n’est donc pas de sous-entendre que cette appréhension inquiète se
révèlerait finalement davantage morale que politique et que l’appréhension agonistique serait, elle, réellement
équipée pour découvrir le politique. Nous remercions Joan Stavo-Debauge de nous avoir poussé à clarifier ce
point de notre argument.
23
Depuis d’ailleurs l’ouvrage « pré-pragmatique » de L. Boltanski sur Les cadres.
14
sociologie morale, c’est-à-dire qui, très naturellement, tende à s’imprégner d’une éthique de la
sollicitude ou de l’attention à mille lieues de ce qu’opère, à l’égard de ce qu’elles analysent, le
regard objectivant des « sociologies bulldozers ». Une éthique de la sollicitude qui entend par
exemple faire droit aux milles difficultés que rencontrent les acteurs pour se montrer
« capables » dans ces processus qu’entendent « suivre » les sociologies pragmatistes. Une
éthique qui, analysant les épreuves, y voit avant tout des « mises à l’épreuve » de ces
capacités subjectives marquées du sceau de la fragilité constitutive du sujet. Et qui, lorsqu’il
s’agit de penser les politiques publiques attire l’attention sur l’obligation qui leur échoit, face
à des sujets fragiles et vulnérables, d’imprégner leurs interventions de cette même sollicitude
(Pattaroni, 2006). Cette impression d’un rapprochement entre sociologie et morale se
confirmerait d’ailleurs si on portait l’attention aux concepts innovants ayant fait incursion au
sein de la sociologie pragmatique. On y verrait notamment à quel point le processus de
« fabrication » des concepts s’y est ouvert à des termes à forte connotation morale 24, comme
ceux d’aise, de félicité ou d’hospitalité par exemple.
Le rapprochement de la sociologie par rapport à la morale qu’opère et que revendique la
sociologie pragmatique en dotant les acteurs des qualités qui en font des sujets moraux ne
pouvait pas en réalité ne pas entraîner d’effets en retour, c’est-à-dire d’un retour de la morale
au sein de la sociologie. Faisant le choix de s’appuyer sur la prise au sérieux des engagements
normatifs des acteurs, de se référer à un acteur « potentialisé », prenant pour acquis un
pluralisme qui se décline de multiples façons (cités, régimes…), refusant de se rapporter à une
image stabilisée du social… la sociologie pragmatique se vouait à se confronter, sur les bases
qu’elle a elle-même dessinées, à certaines des grandes questions épistémologiques qui ont
balisé l’histoire de la discipline dans ses relations à la morale, notamment celle de la
neutralisation axiologique. Et là, sans doute pourrait-on saisir au sein même de la sociologie
pragmatique un axe où dominerait une vocation descriptive, quasi naturaliste (qu’atteste par
exemple la référence à une méthodologie du « rapport », du « compte-rendu »…) et un axe
qui s’ouvrirait alors plus largement à l’incursion, dans l’écriture sociologique, de cette éthique
de la sollicitude et de l’attention dont nous évoquions la présence. Une tensions qui, bien que
largement encore impensée, révèle comment la sociologie pragmatique redécouvre un des
enjeux qui furent constitutifs de la création de la discipline sociologique (Genard, 199225).
Lecture agonistique.
Passons maintenant à l’axe objectivant, celui investiguant plutôt l’éventualité du « ne pas
avoir la possibilité ». Là se fait jour, au sein de la sociologie pragmatique une seconde voie,
que nous qualifierons d’ « agonistique » dans la mesure où elle formule un projet sociologique
sensible à une appréhension renouvelée des pouvoirs et des forces. Cette voie partage, suivant
notre lecture, une critique du traitement de la force dans Le nouvel esprit du capitalisme
(Boltanski et Chiapello, 1999, p. 73-76) et, plus particulièrement, la distinction qui y est
opérée entre « épreuves de force » et « épreuves de légitimité ». Tout en admettant un
continuum entre forces et légitimité, les auteurs de cet ouvrage tendent à dissocier ces deux
types d’épreuves. C’est précisément cet écart, considéré comme non réaliste, qui sera le point
de départ de réflexions pointant là un « angle mort » qui, somme toute, est celui au travers
duquel la sociologie pragmatique se confronte à une autre grande tradition de questionnement,
constitutive de la tradition sociologique, celle de la domination, qui était au centre de la
sociologie critique par rapport à laquelle la sociologie pragmatique a cherché dès le départ à
prendre expressément ses distances.
24
Notre contribution n’a pas assez exploré les sociologies inquiètes qui se déploient davantage à partir d’une
portée politique et qui assument nourrir une indignation contre, voire une « bataille ».
25
Voir la première partie de l’ouvrage intitulée explicitement « la sociologie contre la morale ».
15
Au-delà de la question de la domination, se pose d’ailleurs aussi celle de la « stabilisation du
social » pour une sociologie à laquelle on a quelquefois reproché de donner du social une
image exagérément ouverte, alors que « tout n’y est pas possible ». Pour éclairer cette
question, il conviendrait assurément de s’interroger plus systématiquement sur les concepts
qui, comme ceux de convention ou d’appui, entendent occuper cet espace. Nous nous
contenterons toutefois ici d’évoquer brièvement le terrain que la sociologie classique balisait
au travers de la question de la domination.
Comme nous l’avons vu, en prenant comme repère anthropologique les capacités et les
compétences, la sociologie pragmatique ne pouvait échapper à un affrontement à la question
du « ne pas pouvoir » au sens, non pas seulement de na pas être capable, mais au sens,
objectivant, de « ne pas avoir la possibilité ». Cette question a fait l’objet de critiques externes
au courant pragmatique, mais également de questionnement internes. C’est essentiellement
ceux-ci que nous évoquerons.
Ainsi, Francis Chateauraynaud part-il d’abord d’un diagnostic, sévère, au sujet des approches
pragmatiques développées en France, principalement à partir des travaux de Luc Boltanski et
Laurent Thévenot. Ces nouvelles sociologies ont délaissé, selon lui, la figure du méchant, du
paranoïaque, du pervers (Chateauraynaud, 1999, p. 15) et, par là, de tous ceux capables du
« pire ». La notion de relation d’emprise est construite pour s’atteler à travailler sur des
pouvoirs radicalement asymétriques. Une pluralité de figures de prise et d’emprise est
suggérée dans ces travaux, dont le ressort principal est de traiter sociologiquement les abus de
pouvoir, les inégalités de pouvoirs, les pouvoirs d’emprise, tout en refusant fermement d’en
revenir à un arrière-plan réductionniste, où les forces et les pouvoirs seraient à rabattre sur les
positions dans un espace social. Dans un texte de 2006 26 qui affine un projet antérieur, F.
Chateauraynaud rappelle son intention : « L’objet des enquêtes menées sur les asymétries de
prise consiste donc à armer la sociologie pragmatique, assez démunie sur ces thèmes centraux
pour les acteurs : le pouvoir et la violence, mais aussi la culpabilité, la colère, le ressentiment
ou la haine, émotions qui peuvent couver à bas bruit et qui, lorsqu’elles sont rendues
perceptibles, signalent les tensions inhérentes à l’expérience morale. La référence aux jeux de
pouvoirs dans les échanges ordinaires ne peut se réduire à l’expression d’une forme de
cynisme inspirée par une philosophie du soupçon. On doit sortir d’une conception du
« pouvoir » comme un objet de dénonciation pour le concevoir comme une activité ordinaire,
qui crée des émotions et des argumentations particulières (…) » (Chateauraynaud, 2006, p. 8).
Nous pourrions en fait nous inspirer de cette piste pour dire à quel point elle interroge
certaines dérives portées par cette anthropologie continuiste, en particulier l’évacuation de
toute possibilité de fixation dans un état et plus encore, la relativisation des relations de
pouvoirs, des différentiels et des tensions que suscite un tel projet.
Nicolas Dodier27 pose le même constat : « On a souvent reproché à la sociologie
interactionniste, à l’ethnométhodologie, ou à la sociologie pragmatique, de travailler avec des
modèles d’acteurs et de société qui rendaient mal compte de ce que l’ordre social doit à
l’exercice de la force et du pouvoir. (…) L’un des enjeux qui se présentent aujourd’hui aux
sciences sociales est de réintroduire ces forces et ces pouvoirs au cœur d’une théorie non
26
Ce texte parvient à éclairer le précieux travail élaboré par M. Foucault sur les relations de pouvoir et les
stratégies d’affrontement.
27
La sociologie des régimes d’engagement parvient difficilement, selon lui, à échapper à une politique de
prudence, donnant peu de prise sur le collectif et offrant peu de possibilités au chercheur pour intervenir sur les
enjeux de société. Il a adressé cette analyse à Marc Breviglieri, Luca Pattaroni et Joan Stavo-Debauge après leur
exposé portant sur le « double pluralisme » lors du colloque international « Les approches pragmatiques de
l’action publique » (Bruxelles, 15-16 novembre 2007).
16
réductionniste des sociétés pluralistes » (Dodier, 2005, p. 27). Après avoir discuté du modèle
des Cités et de celui des régimes d’engagement, il en conclut que ces deux orientations ne
parviennent pas à répondre à trois critiques. Nous allons dans cet article nous attarder sur une
d’elles en particulier : la transversalité des compétences. Peut-on continuer à travailler avec
un modèle de compétences partagé par tous ? Dodier pointe un « impensé » au niveau de la
distribution des compétences à s’engager dans une opération critique. Plus qu’un impensé, il y
voit là un « interdit » : ne pas aller du côté des propriétés des agents pour expliquer les formes
stables de la critique. On touche ici à la question du traitement des différences entre les
acteurs. Sa réponse, non réductionniste, consiste à observer que des épreuves mettent à
l’œuvre des générations politiques différentes, elles-mêmes capables de fixer divers biens en
soi. Pour clarifier sa réponse, il pose un « enchâssement réciproque des épreuves et des
pouvoirs ». Parmi les notions-clefs (biens en soi, arène, option politique, génération, etc.), la
reconstruction, sur un mode plus réaliste, de l’épreuve comme reposant sur deux pivots (les
pouvoirs légitimes et le caractère incomplet de certains de ses appuis) nous semble témoigner
d’une réorientation agonistique visant à prendre au sérieux ce qui est considéré comme
« infiltrant » la justification. Au final, notre parcours montre que, loin de suivre une posture
candide, les sociologies pragmatiques, porteuses elles aussi de modèles - variés - d’acteurs
compétents, disposent d’une boîte à outils, en chantier, qui s’avère utile pour élucider
empiriquement et critiquer subtilement les soubassements et les tensions de cette
anthropologie continuiste se logeant dans les politiques publiques des sociétés modernes.
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