L`utilisation des psychotropes chez le sujet âgé : trop ou trop peu ?

1 7 9 4 La Presse Médicale 23 octobre 1999 / 28 / n° 32
D O SS I E R
L
a prescription des psychotropes chez le
sujet âgé pose des questions très diff é-
rentes suivant l’angle choisi pour aborder le
p r o blème. Cette classe de médicaments est en
e f fet située de manière floue : médicaments
de confort, médicaments symptomatiques ou
thérapeutiques d’une pathologie précise.
Il est une affi r mation largement ré-
p a n d u e : « tout le monde sait que lon
consomme trop de psychotropes, surtout en
France ». Cette prise de position quant à une
s u rutilisation a eu lieu dans tous les pay s
économiquement développés, la motiva t i o n
en est à la fois d’ordre économique et sani-
taire, la dépendance à ces traitements étant
le plus souvent mise en avant. Le message
associé à cette prise de position tend à don-
ner de ces médicaments l’image de médica-
ments de confort, traitant plus des questions
existentielles que deritables maladies. Les
benzodiazepines ont é les premiers pro-
duits concers, actuellement ce sont les
antidépresseurs [1]. Le grand public ne fa i-
sant en général pas de distinction entre les
d i fférentes classes thérapeutiques, ce qui ne
facilite pas la compliance qui est difficile à
obtenir chez les sujets âgés (il existe un
consensus [2] pour estimer que 70% des
patients âgés négligent de prendre de 25 à
50% de leur prescription).
Cette image des psychotropes amène les
prescripteurs et les consommateurs à
prendre des positions idéologiques quant à
leur prescription. On se définit ainsi « e n
p o u r » ou « en contre » ce qui est très irr a-
tionnel pour des traitements. Ces positions
i d é o l ogiques sont bien spécifiques à cette
Médicaments et sujets âgés
Lutilisation des psychotropes
chez le sujet âgé : trop ou trop peu ?
P. Fr é m o n t
Service de psychiatrie, Centre Hospitalier de Lagny
sur Marne, F 77405 Lagny Cedex.
l. : 01 64 30 76 69 – Fax: 01 64 30 72 28 .
email: fremontpmv @ aol.com
Reçu le 31 mai 19 9 9; accepté le 4 octobre 19 9 9 .
L’ E SS E N T I E L
Une utilisation mal définie: Le premier
des 3 problèmes de l’utilisation des psychtropes
c h e z le sujet âgé est lié au cadre général de leur
utilisation. Ces médicaments amènent en effet
bien souvent à des prises de positions idéolo-
giques. Les prescripteurs se situant ainsi«en pour »
ou «en contre», justifient souvent leur prescription
par la cesside tenir compte de l’entourage
plutôt que par des arguments cliniques. On pres-
crit ainsi parfois pour la famille ou pour l’institution.
La finition même du sujet âest trop floue.
Nécessid’une bonne analyse
c l i n i q u e : Le deuxième type de problèmes est
celui posé par la clinique des troubles psychia-
triques chez les sujets âgés. Elle est réduite trop
souvent au classique: dépression, démence,
confusion. Alors qu’il est indispensable avant de
prescrire de procéder à une analyse rigoureuse,
chaque cadre pathologique devant avoir une
réponse thérapeutique adaptée. Par ailleurs une
bonne analyse clinique devrait permettre de
mieux diagnostiquer la dépression qui est
encore à l’heure actuelle largement sous esti-
mée et sous traitée.
Selon la classe thérapeutique utilisée: I l
est en effet maintenant classique de dénoncer
l’utilisation inadaptée des neuroleptiques et de
remettre en cause leur efficacinotamment dans
les troubles du comportement des patients
déments. Cette dénonciation repose sur l’impor-
tance des effets secondaires qu’ils entraînent. A
p a r tir de ce constat, différents auteurs soulignent
l’intérêt des nouveaux antipsychotiques mais les
études contrôlées les concernant sont trop peu
nombreuses. En ce qui concerne les antidépres-
seurs, le consensus semble établi sur leur sous
utilisation notamment dans la dépression et sur le
fait quen général lorsqu’ils sont prescrits, ils le
sont à dose insuffisante et surtout pour des
durées insuffisantes. Enfin s’il est largement admis
que l’utilisation des benzodiazépines devrait être
limitée en quantiet dans le temps, les études
de consommation prouvent qu’il n’en est rien et
que les habitudes sont difficiles à changer. De
nouvelles molécules comme les thymogula-
teurs voient leur utilisation augmenter chez le
sujet â mais encore, comme pour les anti-
psychotiques, les études sont peu nombreuses.
Presse Med 19 9 9 ; 28 : 179 4 - 9
© 1999, Masson, Pa r i s
M A I N POIN T S
Poorly defined use: The first of three lea-
ding problems in the use of psychotropic
drugs in elderly subjects is related to the ove-
rall situation of their use, often tainted by an
ì i d e o l o g icalî point of view. Prescribers are ìfo
or ìagainspsychotropes and justify their
prescription by the need to take into account
the general situation rather than strictly clini-
cal arguments. Some prescriptions are written
for the family or institutions. Even the defini-
tion of the elderly subject is extremely vague
and is generally taken to include subjects
over 65, a very heterogeneous group. To o
few studies have been devoted to subjects
over 80.
Need for good clinical analysis: Th e
second type of problem is raised by the clini-
cal expression of psychotic disorders in the
e l d e r l y, too often considered to be limited to
the classical signs of depression, dementia,
and confusion. A careful clinical analysis is
essential before prescription, with an adapted
therapeutic response to each pathologi c a l
situation. In addition, good clinical analysis
would allow better diagnosis of depression,
a condition largely underestimated and
u n d e rt r e a t e d .
By therapeutic class:It is now classical to
denounce inappropriate use of neuroeptics
and question their efficacy in controlling beha-
vioral disorders in dementia. This attitude
results from the impact of the adverse effects.
Several authors have emphasized the contri-
bution of new antipsychotic drugs but very
few controlled studies have been report e d .
For antidepressors, the current consensus
would suggest that prescription doses are
generally insufficient and treatment durations
too short. Finally, though it is widely accepted
that use of benzodiazepines should be limited
in dose and duration, data on drug use howe-
ver show the contrary, emphasizing the diffi-
culty in changing habits. New compounds
including thymoregulators are increasingly
used for elderly subjects but here again, like
for antipsychotic drugs, too few studies have
been published and many points remain to
be elucidated.
P. Fr é m o n t
Psychotropic drugs in the elderly:
overuse or underuse?
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classe thérapeutique. Une anthropologue [3]
a pu ainsi évoquer la prescription de psycho-
tropes en term e «d’instrument de pouvoir » .
En ce qui concerne les personnes âgées
Les études qui mettent en avant une prescrip-
tion ex c e s s ive et inadéquate [4] arg u m e n t e n t
s u rtout sur les effets indésirables des molé-
cules, ainsi que sur les modifications phy s i o-
l o giques dues au vieillissement. C’est la to-
rance et le risque d’apparition d’une patholo-
gie iatrogène [4-6] qui est le fil conducteur
pour duire leur prescription. Cependant, en
dehors du cadre de la dépression, il y a très
peu détudes sur les effets positifs de leur uti-
lisation en terme de diminution des troubl e s ,
baisse de la souffrance, maintien d’une inser-
tion sociale ou tout simplement de qualité de
vie, comme cela existe pour les mêmes
classes trapeutiques chez le sujet plus jeune.
Un autre point qui est plus particulier au
sujet âgé, concerne linfluence importante de
l ’entourage du patient dans les cisions des
prescripteurs. En effet, la plupart des de-
cins ont tendance à indiquer que ce qui
m o t ive leur prescription dépend autant des
conditions de vie du sujet que de la patholog i e
elle-me. On prescrit ainsi « à la demande
de l’institution», «pour soulager la famille» ,
«p a rce que l’entourage est défaillant », vo i r e
parfois « par manque de pers o n n e l» .
Les institutions pour personnes âgées se
situent aussi dans ces prises de positions [3].
C e rtaines revendiquant même le fait de peu
ou de ne pas prescrire de psychotropes. Il est
aussi intéressant de rappeler que dans les cri-
tères de qualité et d’évaluation des établ i s s e-
ment accueillant les personnes âgées il a pu
être proposé d’intégrer la consommation de
médicaments psychotropes. Devant ces
questions il est bien difficile aux prescrip-
teurs parfois de se situer.
La définition même du sujet âgé est imp-
cise, les plus de 60 ans ou de 65 ans, comme
on le retrouve dans la plus part des études, for-
ment un groupe inhomone. Il existe encore
trop peu détudes sur les plus de 80 ans [7, 8],
or c’est justement chez le sujet très âgé que
l’on se retrouve le plus confron à des points
de vue très projectifs, où les motivations du
prescripteur sont souvent plus liées à des posi-
tions idéologiques ou existentielles qu’à des
a rguments cliniques. La notion de patholog i e
y est bien souvent oubliée pour faire place à
celle plus nérale de vieillissement.
Le vieillissement est étroitement associé à
l’apparition de poly p a t h o l o gies, donc à la poly-
médication. Cela pose d’emblée la question
des interactions médicamenteuses et du risque
que font courir les psychotropes d’aggr ava t i o n
des pathologies assoces. Le vieillissement est
aussi directement assocà la question de la
détérioration des fonctions cog n i t ives. L’ i n-
fluence néga t ive des psychotropes sur la
mémoire chez le sujet â est maintenant bien
connue. Avant de prescrire un traitement, il est
donc indispensable d’en appcier le bénéfi c e
par rapport au risque encouru. Les médica-
ments les plus fquemment cités comme
ayant un effet délétère sur les fonctions cog n i -
t ives sont les benzodiapines, puis les traite-
ments ayant une action anticholinergique: les
antidépresseurs tricycliques, certains neurolep-
tiques (notamment les pnothiazines), la liste
étant loin d’être ex h a u s t i ve …
Troubles psychiatriques du sujet
âgé et principales indications
des psychotropes
Une analyse précise de la clinique doit bien
entendu guider les choix thérapeutiques.
Les pathologies psychiatriques se rencon-
trent chez le sujet âgé dans deux situations cli-
niques très différentes et qui posent chacune
des problèmes particuliers pour le traitement.
La première situation est celle du vieillis-
sement des patients présentant des patholo-
gies psychiatriques chroniques. On retrouve
les grands cadres de la nosographie clas-
s i q u e : les psychoses chroniques avec le pro-
blème posé par le vieillissement des patients
schizophrènes, les troubles de l’humeur,
t r o u bles bipolaires et pression récurr e n t e ,
et les pathologies anxieuses. Le traitement
de ces patients amène à se poser la question
de la modification de la clinique des patho-
l ogies avec l’âge et du maintien du traite-
ment antérieur ou de son adaptation face aux
n o u veaux problèmes posés par l’apparition
de pathologies organiques, par les eff e t s
secondaires des produits classiques, leur
e fficacité, etc. En ce qui concerne les schi-
zophrènes vieillissants, la réflexion port e
actuellement sur 3 types de probl é m a t i q u e s :
leur santé physique qui est souve n t
médiocre, en effet il existe chez ces patients
une surm o rtalité, par rapport à la population
générale, le à des pathologies somatique ;
leur devenir sur le plan cognitif, le vieillis-
sement de la schizophrénie n’étant pas sys-
tématiquement synonyme de térioration
intellectuelle comme cela était classique-
ment avane. Il existe une térioration
c og n i t ive chez un certain nombre d’entre
eux mais qui n’est pas liée à une plus gr a n d e
fréquence de mences dégénératives que
dans la population générale [9] ;
lévolution avec l’âge de leur sympto-
m a t o l og i e .
La évaluation de leur traitement dev r a i t
donc être systématique et régulière ce qui est
loin d’être actuellement le cas.
La deuxième situation est liée à l’appari-
tion de troubles psychiatriques chez un sujet
âgé jusque là sans antécédent psychiatrique.
La première difficulté est d’ordre diagnos-
tique, la pathologie ne se limitant pas uni-
quement au trop classique trio pression,
confusion, démence. Les problèmes cli-
niques sont aussi très souvent liés à l’intri-
cation de différentes pathologies orga n i q u e s
et psychiatriques entre elles.
Beaucoup d’études se limitent à la ques-
tion de la dépression et à celle des troubles du
c o m p o rtement dans le cadre des syndromes
mentiels . Cette vision très ductrice de la
p a t h o l ogie psychiatrique du sujet âgé amène
les cliniciens à ne pas faire d’eff o rts d’analy s e
et à se contenter d’une approche purement
symptomatique de la prescription qui consiste
à traiter un trouble sans l’intégrer dans une
dimension nosogr a p h i q u e .
Au premier plan, la dépression
Il existe un consensus pour dire que la pres-
sion du sujet âgé est sous diagnostiquée et mal
traitée [10, 11]. Or, son pronostic est plus
sombre que chez l’adulte jeune. En dehors du
risque suicidaire, certaines études font état
d’une surm o rtalité de 10 % à un an. Pa r
ailleurs, les risques de récidives et de chroni-
cisation sont très importants. Il faut aussi
mettre en parallèle à cette méconnaissance, le
poids économique du syndrome dépressif et
ses conséquences [13]. Les patientsprimés
sont en effet plus souvent hospitalisés et utili-
sent plus souvent les service médicaux
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P. Fr é m o n t
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que les autres, mais ils ne sont pas mieux trai-
s pour leur pression pour cela [14].
Actuellement, une controverse existe autour
de la clinique de la dépression du sujet âgé : sa
méconnaissance par les médecins est-elle le à
une scificité de la sémiologie où à d’autres
facteurs [6, 12]? me si on peut reconnaître
une part de spécificité à la clinique, il y a aussi
l’attitude les médecins face au vieillissement
qui ont tendance à assimiler tristesse à
vieillesse, surtout aps 80 ans. En effet, si la
douleur morale est moins souvent exprie sur
le mode de la culpabilité, les signes import a n t s
de la dépression que sont le ralentissement, le
repli, l’apragmatisme sont trop souvent et à tort
mis sur le compte du grand âge. Même les
idées suicidaires après 80 ans ont elles aussi
tendance à être considées comme banales,
alors que le taux de suicide dans cette tranche
d’âge est le plus élevé. Une étude [15] a eu le
rite de montrer qu’après 85 ans les idées
suicidaires ne sont pas banales et qu’elles sont
f o rtement cores avec l’existence d’un syn-
drome dépressif. Enfin, la question des
t r o u b les cognitifs et leur importance dans le
syndrome pressif ne doit pas faire oubl i e r
l’association fréquente de ce trouble avec les
syndromes de « d é t é r i o r a t i o n».
Les autres pathologies
psychiatriques du sujet âgé
Les troubles bipolaires de l’humeur ne sont
pas rares chez les sujets âgés, et ils sont par-
fois dapparition tardive [16]. Dans ce cadre
il faut aussi noter la fréquence des états
maniaques [17], qu’ils soient symptoma-
tiques d’une affection organique ou qu’ils
s’y intègrent. Leur traitement est spécifi q u e ,
le risque étant le passage à la chroniciou
l ’ é v olution vers des cycles rapides.
Il y a peu d’études portant sur les troubl e s
anxieux, mais on retrouve un consensus [18]
pour dire qu’ils sont moins fréquents que
chez le sujet jeune, avec une plus grande pré-
valence chez la femme et quil s’agit en
général d’anxiété généralisée. Les troubl e s
anxieux plus organisés, troubles obsession-
nels compulsifs (TOC), phobies, apparaissent
rarement de manière primaire chez les sujets
âs. Par contre, on retrouve une comorbidité
i m p o rtante des troubles anxieux avec le syn-
drome dépressif. Face à ce constat, on ne
peut qu’être songeur devant l’importance de
la prescription des benzodiazepines et la sous
utilisation des antidépresseurs.
Le délire représente un motif important de
prescription des psychotropes et notamment
des neuroleptiques ; cependant, lelire doit
faire lobjet dune analyse clinique soi-
gneuse. En effet, l’apparition d’un délire
chez le sujet âgé, en dehors des syndromes
démentiels, peut entrer dans des cadres
p a t h o l o giques ts différents [19]. Il peut être
associé à une pathologie somatique, à un
syndrome dépressif ou constituer un ri-
t a ble délire tardif. La stratégie thérapeutique
sera bien sur différente suivant les cas et si
les neuroleptiques ont une place, il faut aussi
s avoir utiliser les antidépresseurs ou parfois
s’abstenir de prescrire des psychotropes.
L’ a n a lyse est la même en ce qui concern e
les hallucinations, le syndrome de Charles
Bonnet est un exemple de pathologie bien
i d e n t i fe il est totalement inutile de pres-
crire des neuroleptiques, inefficaces pour
traiter ce type d’hallucinations [20].
Les troubles non cognitifs
dans la démence
Les troubles non cognitifs dans la mence
recouvrent l’ensemble des troubles du com-
p o rtements rencontrés chez les patients
d é m e n t s ; avec une certaine ambiguïté
puisque l’on retrouve dans ce cadre aussi bien
des symptômes comme l’agitation, le repli,
que des syndromes comme la dépression.
Il existe de nombreuses études à leur
sujet, surtout dans la maladie d’Alzheimer.
Un consensus émanant de lAmerican A s s o-
ciation for Geriatric Psychiatry, de l’A l z h e i -
m e r ’s Association, et de l’American Geria-
trics Society, a été publié en 1997 quant à
leur prise en charge [21] et une partie de ses
conclusions a été reprise par un groupe d’ex-
p e rts français en 1998 [22]. Les ex p e rts ont
souligné l’importance de ces troubles dans
l ’ é v olution de la pathologie. En effet, ils sont
une cause importante de souffrance chez les
patients et d’une baisse importante de leur
qualide vie. Ils augmentent de manière
i m p o rtante le risque d’entrée en institution
et le coût de la prise en charge. Ils sont la
principale cause de l’épuisement, du stress
et de l’apparition de syndromes dépressifs
chez les aidants familiaux du patient dément.
Leur apparition et leur symptomatologie au
cours de l’évolution de la pathologie est très
va r i a ble d’un patient à l’autre. Ils nécessitent
aussi dans leur évaluation un abord conjoint
du patient et de son entourage, leur
approches et leur prise en charge étant diff é-
rentes à domicile ou dans les institutions.
Le fait que la plupart de ces symptômes
soit réve r s i bles doit amener à être attentif à
leur traitement. Ils cessitent une approche
p h a rm a c o l o gique et une approche non médi-
camenteuse associée. On doit traiter le syn-
drome dépressif avec des antipresseurs, par
contre en ce qui concerne les autres troubl e s
les avis sont plus nuancés. L’utilisation larg e
des neuroleptiques est maintenant larg e m e n t
discutée et remise en cause, leur effi c a c i t é
s e m b lant limitée. Dans les études cente por-
tant sur leur utilisation chez le sujet âgé dété-
rioré [8, 21-23], les sultats sont modestes,
60% environ des patients sont amélios,
contre 35 à 40% dans le groupe placebo.
L’amélioration porte surtout sur l’anxiété,
l ’ excitation et l’opposition alors que sur l’hos-
tilité et les idées de préjudice l’action n’est
pas statistiquement difrente de celle du pla-
cebo. Par contre, les effets secondaires sont
très importants, notamment pour l’halopéri-
dol qui reste la molécule la plus employ é e .
D’autre stratégies [8, 21, 22, 24] sont pos-
s i bles dans l’agitation du sujet âgé souff r a n t
de démence. Une étude récente [25] port a n t
sur les agressions physiques de la part des
patients déments a montré une relation fort e
avec la dépression. Les auteurs en concluent
de l’intérêt du traitement antidépresseur dans
ce cadre à visée préve n t ive. Par ailleurs, plu-
sieurs études, en ouve rts et critiquables sur le
plan méthodologique, ont suggéré l’intérêt
des antidépresseurs sérotoninergiques chez
les patients déments agités [26].
La clinique des troubles non cog n i t i f s
chez le sujet dément doit encore faire l’objet
d’études plus rigoureuses, notamment pour
d i fférencier derrre la notion trop va g u e
d’agitation l’importance respective du syn-
dromepressif, de la symptomatologie psy-
chotique et maniaque.
On est donc encore loin dune recette, la
prescription doit se faire au cas par cas en
tenant compte d’une bonne analyse clinique
et en y intégrant une évaluation de l’entou-
rage et des autres approches non médica-
m e n t e u s e s .
D O SS IE R Médicaments et sujet âgés
23 octobre 1999 / 28 / n° 32 La Presse Médicale 1 7 9 7
Les troubles du sommeil
La dernière situation clinique où la demande
de prescription est très importante est consti-
tuée par les troubles du sommeil. Il est utile
de rappeler que tout trouble du sommeil chez
le sujet âgé doit faire lui aussi l’objet d’ u n e
a n a lyse clinique soigneuse : s’agit-il d’un
t r o u ble du rythme nycthéméral (avance ou
retard de phase) ? Le trouble a t-il une étiolo-
gie orga n i q u e ? Est-ce le symptôme d’une
dépression, notamment en cas de veil pré-
c o c e ? etc. Le recours à la prescription d’hy p-
notique doit être loin être sysmatique.
Maniements des psychotropes
chez les sujets âgés
Avant d’envisager chaque classe thérapeu-
tique utilisée, il faut rappeler que la pres-
cription des psychotropes chez le sujet âgé
doit tenir compte des modifications pharm a-
cocinétiques chez ces patients. L’ a b s o rp t i o n ,
le transport, la biodisponibilité, le méta-
bolisme et l’élimination des médicaments,
sont en effet modifiés par le vieillissement.
De manière générale, la demie vie tend à
augmenter avec l’âge ainsi que les concen-
trations sanguines pour une dose donnée par
r a p p o rt au sujet jeune. Les traitements doi-
vent être donc prescrits avec prudence en
commençant par de petites doses [4]. Il
s’agit par ailleurs en général de patients
p o lymédiqués avec le risque important d’in-
teractions médicamenteuses que cela sup-
pose. Enfin, certains auteurs vont jusqu’à
mettre en avant l’intérêt quil y aurait à
prendre en compte les différences génétiques
au niveau des enzymes du métabolisme
hépatique pour prévoir les risques d’eff e t s
secondaires chez les sujets âgés [27].
Les antidépresseurs
Il s’agit probablement de la classe la plus
sous utilisée et la plus mal utilisée. De nom-
breux auteurs [7] soulignent le paradoxe
entre une consommation importante de psy-
chotropes chez le sujet âgé, voire très â
(43% chez les plus de 85 ans dans une popu-
lation urbaine prennent au moins un psycho-
trope [28]) et le fait que seulement 20% des
sujets déprimés ont un traitement anti-
dépresseur adap[28]. Un certain nombre
de gles simples peuvent cependant être
proposées pour leur utilisation.
Conduite du traitement
d’un épisode dépressif
Le traitement d’un épisode dépressif com-
p o rte 2 phases [29] :
un traitement d’attaque dont l’objectif est
l’amélioration des symptômes pressifs, et
dont la durée est de deux à quatre mois. Il est
i m p o rtant d’insister sur le fait que chez le sujet
â l’apparition dun but d’efficaci du trai-
tement peut prendre de quatre à huit semaines,
alors que chez le sujet jeune le lais d’action
est en général de deux à trois semaines.
un traitement de consolidation , dont l’ob-
jectif est à la fois de consolider l’effet obtenu
et de prévenir les rechutes. Il existe un consen-
sus pour évaluer sa duré de six à huit mois
[17]. Le traitement antidépresseur devant être
p o u r s u ivi aux mêmes doses [18, 30] que celles
utilisées pour le traitement d’attaque.
Se pose ensuite la question de la pré-
vention des récidives. Il est important de
noter que jusqu’à présent aucun traitement
antidépresseur n’ a obtenu une AMM dans
la prévention des récidives. La plupart des
auteurs [18, 29, 30] s’accordent cependant
sur intérêt à poursuivre le traitement anti-
presseur au mêmes doses pendant une
durée supplémentaire de un à cinq ans lors-
quun risque existe, notamment en cas
d ’ e xistence d’épisodes dépressifs antérieurs.
Bien traitée la dépression du sujet âgé
répond de manière aussi efficace au traite-
ment antidépresseur que celle du sujet jeune
contrairement aux idées reçues [2], les patho-
l o gies somatiques assoces n’affectant pas la
réponse au traitement. Pour obtenir une
ponse thérapeutique, il faut utiliser des
doses suffisantes permettant d’obtenir une
concentration sanguine efficace. Pour la nor-
t ryptiline, qui est une molécule trés utilisée
aux USA, on a démontré que cette concen-
tration sanguine efficace était identique à celle
du sujet jeune [30]. Or, plusieurs enqtes ont
montré que bien souvent le traitement anti-
dépresseur était prescrit à dose insuffi s a n t e
chez le sujet âgé pri [8, 18, 30].
Le choix des antidépresseurs
Le choix des antidépresseurs repose essen-
tiellement sur leur profil de tolérance qui elle
est influencée par l’âge. Il existe un larg e
consensus pour situer les tricycliques comme
étant les antipresseurs de rérence en
t e rme d’efficaciet pour mettre en même
temps en avant l’importance de leurs eff e t s
secondaires chez les sujets âgés [2, 8, 10, 30-
32]. Les effets le plus souvent cités sont les
e f fets anticholinergiques avec le risque d’ag-
gr a vation des troubles cognitifs, le risque de
chute, de confusion et les risques liés à la
t o xici cardiaque de certains produits.
L’ e n s e m b le des auteurs citent ensuite
l’intérêt des inhibiteurs de la recapture de
la sérotonine (IRS) : la fluoxetine, la paro-
xetine, la sertraline et le citalopram [33].
Lintét de ces produits réside dans leur
bonne tolérance [34] (même s’il ne sont pas
totalement sans risque notamment d’hypo-
natremie), et leur maniabilité.
Les IRS sont aussi proposés dans le traite-
ment des troubles du comportement dans les
syndromes démentiels [21, 23-25, 33, 35].
Cependant, la plus part du temps à quelques
exceptions près [33] les études sont ouve rt e s
et critiquables sur le planthodolog i q u e .
Les autres types d’antidépresseurs sont
aussi régulièrement cité : les IMAO, et les
n o u velles molécules mais pour souligner
pour ces dernières l’absence d’études per-
mettant de les éva l u e r.
La simplicité dutilisation des anti-
dépresseur est aussi un critère important car
elle facilite la compliance.
Les neuroleptiques classiques
Pour les neuroleptiques classiques les gles
de prescription sont assez claires [21, 36] : ils
d o i vent être réservé au cadre de la patholog i e
psychotique, leur utilisation large chez le sujet
â pour traiter l’agitation devant être recon-
sidérée. Malgré cela on est parfois surpris de
l ’ extension de leur utilisation, ainsi dans une
étude récente [37], 9 % des patients âs pre-
nant ce type de produit ne présentaient ni
t r o u b le psychotique ni agitation !
Les arguments qui plaident en faveur de la
limitation de leur utilisation sont surtout ls à
l ’ i m p o rtance de leurs effets secondaires. Ces
e ffets sont à la fois cognitifs, notamment pour
les neuroleptiques ayant une action anticholi-
n e rgique comme les pnotiazines, et surt o u t
n e u r o l ogiques: syndrome parkinsonien et
dyskisies tardives [37, 38]. Plusieurs
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études ont montré l’importance de ces eff e t s
secondaires même avec de fa i b les doses [39].
Le neuroleptique le plus incrimi (parce que
le plus prescrit) étant l’haloridol.
Dans les troubles du comportement des
patients ments il existe une controverse sur
l’intérêt et surtout sur l’efficaci des neuro-
leptiques [8, 21, 23]. Une étude contrôlée
récente [40] est intéressante à rapporter et
ajoute un nouvel élément à la discussion. Elle
montre en effet clairement l’absence d’ef-
fet des fa i bles doses d’halopéridol (moins de
1 mg) dans cette indication. Par contre elle
note une efficacité nettement supérieure au
placebo pour des doses supérieures (3 mg en
m oyenne), efficacité qui s’accompagne d’une
apparition importante des effets secondaires.
La durée de ces traitements est aussi inté-
ressante à préciser. En dehors du traitement
des pathologies psychotiques leur utilisation
d evrait être constamment évaluée, notam-
ment dans les troubles tels que l’agitation, afi n
d’en réduire la durée au minimum [21, 22]. Or
les études montrent, quune fois le traitement
prescrit 71 % des patients sont encore trais
de manière continue à la fin du premier mois,
42 % après 6 mois, et 34 % à 1 an [37] !
Les nouveaux antipsychotiques
L’ a rr ie des nouveaux antipsychotiques
[41], renouvelle l’intérêt de cette classe dans
l’agitation et les troubles psychotiques du
sujet âgé. Il n’existe cependant que très peu
d’études à leur sujet. Elles portent essentiel-
lement sur la clozapine et sur la risperidone
[42], on retrouve aussi quelques publ i c a t i o n s
sur l’olanzapine [43], mais pour ce dern i e r
produit il s’agit essentiellement de cas rap-
p o rtés plus que de véritables études.
Les différences entre neuroleptiques clas-
siques et antipsychotiques portent surtout sur
la duction des effets secondaires de type neu-
r o l ogique. Chez les patients psychotiques ces
médicaments auraient aussi une action tendant
à améliorer la symptomatologie dite néga t ive
(anhédonie, aboulie, apragmatisme...). A part i r
de ces constatations, un article cent essaie de
faire le point sur leur utilisation chez les sujets
âgés [44]. Il propose surtout l’utilisation de la
risperidone à des doses moyennes de 0,5 à 1mg
par jour. L’utilisation de la clozapine deva n t
être réseraux troubles retrouvés dans la
maladie de Parkinson (compte tenu du risque
i m p o rtant d’agr a n u l o cytose dont l’incidence
s e m b le augmenter avec l’âge).
Les benzodiazépines
Les benzodiazépines sont les psychotropes
dont la surutilisation est la plus décriée. L’ a f-
fi rm a t i o n : « on consomme trop de benzo-
d i a z é p i n e s » fait l’objet dun large consen-
sus sur le plan intern a t i o n a l .
Un article récent du British Journal of
P s y ch i a t r y [45] a lerite de faire un point
précis sur la question. Il compare la
consommation de benzodiazépines au cours
de deux périodes : 1982 - 83 et 1989 - 91.
Le pourcentage d’utilisateurs de plus de 65
ans est pratiquement le même (12,8 %) dans
la première période que dans la deuxième
( 1 1 , 3 6 %), et cela malgré l’information des
prescripteurs et les recommandations éta-
blies en 1988 visant à réduire leur prescrip-
tion! Plus intéressant encore parmi les
consommateurs de benzodiazépines, les uti-
lisateurs au long cours restent aussi nom-
breux (61 et 70 %). Dans une autre étude,
les mêmes auteurs montrent que chez les
sujets de plus de 80 ans la consommation de
benzodiazépines est plus importante que
chez les sujets moins âgés, alors que leur
consommation dantidépresseurs est au
contraire moins forte suggérant que les
benzodiapines sont souvent prescrites à la
place des antipresseurs. L’intérêt de ce
type de travail montre combien il est diffi-
cile de faire changer les habitudes des pres-
cripteurs et des consommateurs, cert a i n s
auteurs remettant même en doute ce type de
démarche [46].
Le consensus [21] quant à l’ u t i l i s a t i o n
des benzodiazépines reste pourtant le
m ê m e : leur prescription doit être limitée
dans le temps ; soulignant l’importance des
e ffets secondaires chez les patients âgés :
dation, ataxie, amnésie, confusion, désin-
hibition. Quant au choix des molécules, si
les auteurs s’accordent à recommander les
produits à demie vie courte [4, 21], il fa u t
noter que cela repose sur des arg u m e n t s
théoriques et non sur des études contrôlées.
D’autres molécules anxiolytiques sont
aussi parfois cités chez le sujet âgé, comme
par exemple la buspirone [21], à partir d’ob-
s e rvations rapportées et non pas sur la base
d’études contrôlées.
Les thymorégulateurs
D e r nre classe de psychotropes utilisés
chez le sujet âgé, ils bénéficient à l’heure
actuelle dun intét notamment dans le
cadre des troubles du comportement chez les
patients déments.
Il est important de rappeler que leur pre-
mière indication reste le traitement des
t r o u b les de lhumeur, soit à titre préventif soit
à titre curatif pour les états maniaques notam-
ment. Ces troubles n’étant pas rares chez les
patients âgés [16]. Dans ce cadre, il a été
démontré l’utili de poursuivre le lithium
chez les patients traités, si le traitement est
ancien. On doit cependant adapter les posolo-
gies, il existe un consensus [17] sur la néces-
sité dobtenir une concentration sanguine plus
basse que chez le sujet jeune mais pas détude
pour pciser cette concentration optimale.
Pour les autres traitements: valpromide, va l -
proate ou carbamazepine, il n’existe pas
détudes contlées dans cette indication chez le
sujet â, mais un consensus formulé à partir d
études ouve rtes. Ils psentent un inrêt dans le
traitement de la manie aiguë et sont une bonne
a l t e rn a t ive pour le traitement prophylactique des
t r o u bles de lhumeur du sujet âgé [16, 47].
La bonne torance de ces molécules, sur-
tout pour le valproate [47-49], les a faits pro-
poser comme altern a t ive aux neuroleptiques
dans le traitement des troubles du compor-
tement chez les patients déments [21]. Il
existe peut d’études contrôlées [50] la plu-
p a rt sont ouve rtes [49], mais elle soulignent
toutes l’intérêt de la démarche.
Conclusions et perspectives
Répondre à la question : « l’utilisation des
psychotropes chez le sujet âgé : trop ou trop
p e u ? » pourrait se faire de manière carica-
turale. En effet, il est tentant de dire : trop de
benzodiazépines, trop de neuroleptiques, pas
assez d’antidépresseurs et un peu plus de
t h ymogulateurs.
Il faut se fier de ce type de propo-
s i t i o n . Il est beaucoup plus intéressant de
d i r e : plus d’analyse clinique, moins de
prises de positions iologiques surtout chez
les sujets très âgés. Pour permettre cela il est
i n d i s p e n s a ble d’insister sur l’intérêt d’une
meilleure information des premiers concer-
D O SS IE R Médicaments et sujet âgés
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