La critique communautarienne du libéralisme politique et ses implications possibles pour l’éducation 115
de la nation tout entière, voire d’une entité plus large ou plus diffuse, comme le
suggère aujourd’hui l’idée d’une « communauté d’apprentissage » ou « commu-
nauté apprenante » virtuelle portée par les nouveaux moyens de communication
à distance (Burbules, 2000). Ce qu’on désigne aujourd’hui spécifiquement, en
Amérique du Nord principalement, sous le nom de philosophie ou de pensée poli-
tique communautarienne correspond certainement à un champ plus restreint (et
qu’on ne saurait confondre non plus avec ce qu’on a pris l’habitude en France de
caractériser sous le nom de « communautarisme », lequel renvoie plus particuliè-
rement à la question de la reconnaissance et de la gestion des différences dans
le contexte des sociétés contemporaines multiethniques ou multiculturelles).
L’émergence de ce champ peut être comprise en grande partie comme un effet
de choc en retour, de contrecoup ou de réaction suite à l’audience nouvelle et au
profond renouvellement conférés à la philosophie politique libérale par la parution
en 1971 de la Théorie de la justice de John Rawls (trad. 1987). Il est significatif
que l’ouvrage souvent considéré comme le plus caractéristique, ou en en tout cas
celui qui se réclame le plus explicitement, de cette nouvelle approche, à savoir le
livre de Michael Sandel Liberalism and the Limits of Justice, paru en 1982 (trad.
1999), se présente essentiellement comme une critique méthodique et systéma-
tique des thèses de John Rawls. Mais, si l’on considère les contributions pro-
duites au cours de la période par chacun des deux « camps », en classant, avec
cependant toutes les précautions et spécifications nécessaires, des auteurs
comme Charles Larmore (1987), Ronald Dworkin (1995 [1977]), Thomas Nagel
(1991), William Galston (1991), Amy Gutman (1980), Bruce Ackerman (1980,
1992), Joseph Raz (1986), Will Kymlicka (1989b) ou Robert Nozick (1988 [1974])
du côté libéral, et des auteurs comme Alasdair MacIntyre (1997a [1981]), Charles
Taylor (1998a [1989]) ou Michael Walzer (1997 [1984]) du côté communautarien,
on se trouve bien évidemment en présence d’un éventail beaucoup plus large et
ouvert d’argumentations, comme le révèle une exploration même sommaire de la
très vaste littérature consacrée depuis une vingtaine d’années à ce débat (San-
del, 1984, Mouffe, 1987, Sosoe, 1988, 1991, Buchanan, 1989, Rasmussen, 1990,
Lenoble, 1991, Van Gerven, 1991, Iroegbu, 1991, Avineri et De Shalit, 1992, Hon-
neth, 1992, Mulhall et Swift, 1992, Bell, 1993, De Benoist, 1994, Friedman, 1994,
Gutman, 1994, Walzer, 1995 [1990], De Lara, 1996, Paul et Miller, 1996, Kymlicka,
1996, 1999 [1990], Berten, Da Silveira et Pourtois, 1997, Olssen, 1998, Mesure et
Renaut, 1999).
LE LIBÉRALISME : UN IDÉAL POLITIQUE ANTI-PATERNALISTE
ET ANTI-PERFECTIONNISTE
La philosophie politique libérale repose sur deux principes qui sont le respect
absolu de l’autonomie de la personne et le caractère imprescriptible et inaliénable
des droits individuels. « Nombre de libéraux, écrit Kymlicka (1999 [1990], p. 218)
estiment que la valeur de l’autodétermination est si évidente qu’elle ne requiert
aucun plaidoyer spécifique. Permettre aux individus de s’autodéterminer est la
seule façon de les respecter en tant que personnes morales à part entière, affir-
ment-ils. Leur refuser ce droit à l’autodétermination revient à les traiter comme
des enfants ou des animaux plutôt que comme des membres à part entière de la
collectivité. » De cette nature autonome découlent des droits qui sont posés,
selon l’expression de Dworkin, comme des « atouts » (trumps), ce qui signifie que
leur prise en compte doit primer sur toute autre considération, y compris la consi-
dération du « bien commun » ou du bien-être général telle qu’elle peut prévaloir