Histoire des États germaniques II : D`un empire à l`autre

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Histoire des États germaniques II :
D’un empire à l’autre
Sixième cours :
La politique étrangère des empires centraux, la Grande
Guerre et les révolutions de 1918-1919
(1870-1919)
1 — La politique étrangère du 2e Reich
1.1 — Les « systèmes » bismarckiens
— On nomme « systèmes bismarckiens » l’enchevêtrement des traités et alliances signés par l’empire
allemand pendant les deux décennies, ou presque, ou le chancelier de fer présida aux destinées du Reich.
— Au lendemain de la guerre franco-prussienne, l’objectif de Bismarck est de consolider un empire qu’il sait
fragile, en empêchant le revanchisme français de se manifester. Pour ce faire, il fallait impérativement isoler
la France. C’est l’axe fondamental de sa politique européenne.
— Quant à sa vision du Reich dans les affaires mondiales, il demeure à la fois conservateur et modeste.
Homme du XIXe siècle, plus attaché à la dynastie qu’à la nation allemande, notion dont il se méfie, Bismarck
croit que les intérêts fondamentaux de l’Allemagne sont en Europe.
— Si à partir des années 1880, la société allemande commence à s’intéresser aux autres continents, elle le fait
en dépit des mises en garde de Bismarck, qui voit dans les prétentions coloniales un jeu dangereux. Tant qu’il
demeurera chancelier, le colonialisme allemand se limitera généralement à des actions initiées par des
entreprises privées, parfois suivi par des actions de l’État, comme au Togo, décrété protectorat en 1883.
Comme il le disait, « le marchand doit précéder le soldat ».
— Le chancelier travaille à ce qui deviendra son premier système d’alliance dès la fin de la guerre avec la
France. Contre Paris, son revanchisme et son républicanisme, Bismarck se tourne vers les pouvoirs
réactionnaires d’Europe. Vienne, bien sûr, mais surtout la Russie.
— Car malgré Sadowa, Vienne n’entend pas se lancer dans une politique revancharde à l’endroit de Berlin,
préférant tourner ses ambitions vers la zone balkanique. Bismarck a lui-même favorisé cette évolution en
évitant d’humilier l’ancien centre du monde germanique et en encourageant discrètement Vienne dans son
activisme balkanique. C’est donc assez naturellement que les deux capitales se rapprochent dès le début des
années 1870.
— Le problème de ce rapprochement, c’est justement qu’il suscite la méfiance de l‘autre partenaire
incontournable d’une alliance des puissances réactionnaires, Saint-Péterbourg, car celle-ci a aussi des visées
sur les Balkans et sur les dépouilles de l’Empire ottoman, territoires majoritairement slaves et orthodoxes.
— L’alliance russe est d’autant plus nécessaire aux yeux de Bismarck que dans le cas opposé, la Russie
pourrait chercher à se rapprocher de la France, créant ainsi une menace mortelle pour l’empire. Si pour
beaucoup d’observateurs de l’époque, une alliance entre la France et la Russie apparait improbable pour
cause d’opposition idéologique, Bismarck comprend très bien qu’une telle opposition n’a que peu de valeur
devant les réalités politiques. L’avenir devait lui donner raison.
— Convaincu de l’inévitabilité d’une alliance austro-allemande, Alexandre II préfère s’y associer, quitte à
mettre un frein à ses ambitions balkaniques. De sorte que malgré son aspect idéologique, c’est bien le
réalisme politique qui est à l’origine de l’entente des Trois-empereurs, une série de traités bilatéraux entre les
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empires allemand, austro-hongrois et russe, conclus en 1872 et 1873. Lorsque l’Italie s’y joint en 1874, la
France apparait complètement isolée.
— Mais l’entente ne résistera pas longtemps. D’abord à cause de l’activisme de Paris, qui fait les yeux doux à
l’empire russe, mais surtout à cause de l’opposition d’intérêts entre Vienne et Saint-Péterbourg, qui se
concrétisera par la crise balkanique de 1875-1878.
— Car les tensions entre la Russie et l’Empire ottoman provoquent en 1877 une guerre entre les deux pays,
qui voit la Russie s’imposer facilement et par le traité de San Stephano, prendre un avantage considérable sur
ses concurrents dans les Balkans. Vienne et Londres, appuyés par Berlin, font alors pression pour que SaintPéterbourg accepte de revoir le traité lors de la conférence de Berlin en 1878.
— En soutenant les prétentions de Vienne, Bismarck, qui qualifiera par la suite ce soutien de pire erreur de sa
carrière, suscite la colère de Saint-Péterbourg, spolié au bénéfice de Vienne d’une part importante des fruits
de sa victoire, et qui déclare alors caduque l’entente des Trois empereurs.
— Devant l’impossibilité d’un accord officiel entre l’empire austro-hongrois et la Russie, Bismarck élaborera
alors son second système d’alliance. Celui-ci demeure basé sur l’alliance avec Vienne, avec qui est formée le
7 octobre 1879 la Duplice.
— Par le traité de 1879, Berlin promet de venir en aide à Vienne dans le cas d’une attaque menée contre elle
par la Russie. Feignant de se rapprocher de Londres, en lutte avec la Russie en Asie centrale, Bismarck
parvient à attirer l’attention d’Alexandre II et à amadouer Vienne.
— Entre les trois empereurs, une nouvelle entente, basée sur l’admission par l’Autriche-Hongrie et la Russie
du statu quo dans les Balkans, voit ainsi le jour en 1881, laquelle se juxtapose à la Duplice, dont la Russie ne
fait pas partie.
— Grâce au problème tunisien qui l’oppose à la France, l’Italie se tourne vers Berlin et rejoint en 1882 la
Duplice, qui devient alors la Triplice, l’accord le plus solide de l’ère bismarckienne, qui survivra plus de 30
ans et contribuera à provoquer la guerre de 1914-1918.
— Malgré les assurances données par Vienne à Saint-Péterbourg, la première continue d’avancer ses pions
dans la zone, favorisant le rattachement éventuel de la Bosnie-Herzégovine directement à sa couronne. Alors
que le traité des Trois empereurs arrive à échéance en 1887 et qu’Alexandre III semble intéressé par les offres
de Paris, Bismarck parvient à conclure avec la Russie la pièce maitresse de son système, illustration
remarquable de son machiavélisme.
— Par le traité de contre-assurance, Berlin obtient de Saint-Péterbourg sa neutralité dans l’éventualité d’un
conflit avec la France, en échange de quoi Bismarck s’engage à appuyer la Russie diplomatiquement sur la
question des détroits et de la Bulgarie, ce qui contredit les accords précédents conclus entre Vienne et Berlin,
de même que les dispositions d’un traité précédent entre Londres et Berlin.
— C’est pourquoi ce traité de contre-assurance doit rester rigoureusement secret. Mais tant qu’il le demeure,
la politique bismarckienne triomphe, la France se trouvant complètement isolée et l’Allemagne assurée de ne
pas avoir à livrer une guerre sur deux fronts. Le traité de réassurance sera reconduit en 1889, mais il ne
survivra pas longtemps au départ de son promoteur.
1.2 — La « weltpolitik » de Guillaume
— Le successeur de Bismarck, Caprivi, s’occupe peu de la politique étrangère et c’est l’un de ses
collaborateurs, von Holstein, qui prend la relève du chancelier de fer. Cela étant, Guillaume II demeure le
véritable maître et c’est lui qui prend la décision de ne pas renouveler le traité de contre-assurance, contraire à
son sens de l’honneur, poussant éventuellement la Russie à se rapprocher de la France.
— Ce n’est pas le seul changement important de la politique étrangère, car la nouvelle équipe dirigeante,
composée entre autres de représentants des milieux libéraux, rejette la focalisation bismarckienne sur
l’Europe et désire, soutenue en cela par l’empereur, faire de l’Allemagne la grande puissance mondiale
qu’elle a le potentiel d’être.
— Certes, l’Allemagne est déjà sous Bismarck présente en Afrique (Cameroun, Togo) et dans le Pacifique
(îles Marshall et Salomon), mais la chute du chancelier va accélérer le mouvement qu’il s’employait à freiner.
De sorte qu’à l’aube de la Grande Guerre, l’empire colonial allemand inclut en gros l’essentiel des territoires
actuels de la Namibie, du Cameroun, du Togo et de la Tanzanie, d’autres territoires dans la région des Grands
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Lacs africains (République du Congo actuel), de nombreux territoires dans le Pacifique et des comptoirs en
Chine.
— C’est que la situation intérieure pousse dans cette direction. Il y a d’abord l’explosion démographique, qui
créé une surpopulation et favorise l’émigration, mais surtout, la structure économique de l’Allemagne
l’oblige à sortir de ses frontières, que ce soit pour trouver de nouveaux débouchés pour ses exportations
(30 % de la production industrielle) ou pour assurer ses approvisionnements en matières premières dont elle
manque cruellement (pétrole, fibres textiles).
— Le trop-plein est aussi financier, car les banques allemandes fortement intégrées à la structure industrielle
sont riches de surplus qu’elles cherchent à investir en occident, mais aussi en Extrême-Orient et en Asie,
particulièrement en Turquie.
— À ces causes naturelles issues de l’évolution économique du pays, il faut ajouter la volonté personnelle et
affichée de l’empereur de faire de son pays la première puissance mondiale. Pour ce faire, l’Allemagne doit
se tailler un empire colonial, mais aussi se doter des instruments nécessaires pour défendre ses intérêts et
lutter contre ses compétiteurs.
— L’armée sera donc grassement dotée dès les années 1890, grâce au bon état des finances publiques et à la
puissance de l’industrie. Mais le symbole par excellence des nouvelles ambitions mondiales de l’Allemagne,
c’est la création d’une véritable flotte de guerre, la Kreigsmarine, qui ambitionne de s’élever puis de
surpasser le niveau de la première puissance marine du monde, celle du Royaume-Uni.
— Dans le contexte de cette réorientation, les théories pangermanistes ont désormais le vent en poupe.
Application des thèses darwinistes aux luttes entre les nations et les États, mâtiné du racialisme de Gobineau
et Chamberlain, le pangermanisme soutient que, autant par sa civilisation que par sa puissance militaire, le
monde germanique est appelé à soumettre à son pouvoir les civilisations inférieures.
— Ces idées diffuses et souvent confuses (dont les principaux théoriciens sont Weber, Ranke et Retzel) se
diffusent alors dans la société, particulièrement dans les cercles dirigeants, lesquels rêvent non seulement de
réunifier la grande Allemagne (incluant l’Autriche, les Pays-Bas, la Suisse), mais d’imposer à l’Europe une
gouvernance germanique. Le degré de pénétration de ces idées mégalomanes dans la société demeure sujet
d’âpres discussions chez les historiens.
— Il serait bien sûr injuste de faire porter, comme le fit le traité de Versailles, la responsabilité de la guerre à
venir sur l’Allemagne seule, mais il n’en demeure pas moins que les ambitions allemandes, qu’elles eussent
été justifiées ou non, ont dans les deux dernières décennies entraîné un bouleversement général de l’ordre
européen et mondial.
— Déjà avec l’abandon en 1890 du traité de contre-assurance, la Russie constitue clairement un adversaire
potentiel d’autant plus dangereux pour l’Allemagne qu’elle peut compter sur un allié potentiel qui la courtise
depuis longtemps, la France, faisant peser sur les territoires du Reich la menace d’une guerre sur deux fronts.
— Déjà en délicatesse avec Paris, l’Allemagne, avec sa politique africaine qui entre en opposition avec les
intérêts français sur ce continent, ne fera bien sûr que fournir des arguments en France à ceux qui favorisent
une alliance avec la très réactionnaire Russie. Par le traité d’alliance de décembre 1893 entre Paris et SaintPéterbourg, la base fondamentale du système bismarckien vole en éclat : la France n’est plus isolée.
— Si la politique agressive et menaçante de Berlin à l’endroit de Paris lui permet d’obtenir certains gains
(comme une partie du Congo français en 1911), ceux-ci sont de peu de poids face aux conséquences néfastes
qu’elle engendre. D’autant que les prétentions maritimes de l’Allemagne suscitent les craintes du RoyaumeUni, qui cherche alors à se rapprocher de Paris, rapprochement concrétisé par la signature de l’entente
cordiale entre Londres et Paris en 1904.
— Et lorsqu’en 1907, poussé par Paris, le Royaume-Uni décide de régler ses contentieux avec SaintPéterbourg et signe avec celle-ci une convention anglo-russe, les bases de la Triple entente sont posées et
l’Europe est désormais divisée en deux camps antagonistes. La guerre menace désormais le continent.
2 — La politique étrangère de l’Empire austro-hongrois
— La politique étrangère de l’empire austro-hongrois est beaucoup plus simple que celle du Reich allemand,
car aux prises avec de grandes difficultés intérieures, Vienne n’a pas les ambitions de Berlin, car elle n’en a
pas les moyens. Elle le sait par ailleurs.
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— Deux axes dominent la politique étrangère du demi-siècle d’existence de l’Empire austro-hongrois : les
relations avec le Reich allemand et surtout l’expansion balkanique, laquelle implique évidemment les
relations avec la Russie et l’Empire ottoman.
— Les relations avec l’Allemagne n’ont pas toujours été simples, malgré le fait que, rapidement, Vienne ait
cherché un rapprochement avec l’empire qui l’a vaincu, un simple examen de la situation permettant de
comprendre l’absurdité d’une politique revancharde. Cela n’empêche pas que périodiquement, à Vienne, on
ait trouvé l’amitié berlinoise un peu lourde.
— Mais comme le seul dérivatif aux ambitions déçues de Vienne, l’expansion de sa puissance dans les
Balkans, nécessite un appui de Berlin, afin de désamorcer, ou au mieux, de contenir la puissance russe dans
cette zone, l’histoire des relations des deux centres du monde germanique au cours de la période se lit comme
une complicité de plus en plus étroite au fur et à mesure que les nuages s’amoncellent.
— Les relations avec la Russie, quant à elles, ont connu une évolution diamétralement opposée, car malgré
leurs intérêts divergents dans les Balkans, les deux États ont tenté à plusieurs reprises de délimiter leurs
sphères d’intérêts respectives, comme lors de la signature d’un traité en 1876 par lequel Vienne promettait sa
neutralité dans le cas d’une guerre russo-turque, en échange de la compréhension de la Russie concernant les
intérêts de Vienne en Bosnie-Herzégovine.
— Mais l’opposition était trop forte et le droit d’occupation de la Bosnie-Herzégovine donné à l’empire
austro-hongrois au congrès de Berlin en 1878 ne sera jamais vraiment accepté par la Russie, d’autant que
Vienne en profitera pour tenter (et éventuellement réussir) d’étendre son pouvoir sur ces territoires.
— On aurait cependant tort de voir les tensions balkaniques sous l’angle exclusif de l’opposition d’intérêt
entre la Russie et l’empire austro-hongrois, car l’empire ottoman, certes sur le déclin, continue de défendre
ardemment ses positions. Et surtout, le réveil national qui agite l’Europe à l’époque concerne aussi les petites
nations balkaniques, dont certaines cherchent à faire revivre leur grandeur passée.
— La Serbie est bien sûr du nombre. Devenue indépendante par le traité de Berlin de 1878, la Serbie cherche
à reprendre le contrôle des territoires qui furent les siens avant son absorption dans l’Empire ottoman et
forcément, son regard se tourne vers la Bosnie-Herzégovine, où vit une importante population serbe. Or,
depuis 1878, on l’a vu, ce territoire est sous tutelle autrichienne.
— En 1908, prétextant le danger que la révolution Jeune-turcs remette en question le statu quo balkanique,
Vienne décide unilatéralement d’annexer la Bosnie-Herzégovine, suscitant l’ire de Belgrade, car toute
possibilité de réunir les Serbes de Bosnie à sa couronne se trouve alors exclue.
— Certains cercles à Vienne espèrent ainsi donner une base concrète à la transformation du système politique
en triple monarchie, pour contrer l’activisme panslaviste serbe et russe dans les Balkans.
— À noter que l’annexion a été « autorisée » par la Russie (autre exemple, avec le traité de non-agression de
1904 de la volonté de Vienne et de Saint-Péterbourg de s’entendre malgré tout), laquelle demanda en retour
l’appui de Vienne sur la question du droit de circulation de la flotte russe dans les détroits. Comme Vienne ne
remplit pas son engagement à ce titre, la Russie manifesta alors son désir de se rapprocher de la Serbie.
— En Bosnie même, l’opinion serbe est partagée et si une partie de l’opinion penche en faveur de Belgrade,
une autre préférerait le maintien de la domination autrichienne, assortie d’une modification du système
politique. Belgrade favorise alors le développement de sociétés secrètes (la Main noire, le mouvement Jeune
Bosnie), qui recourent à l’arme terroriste contre l’administration autrichienne, poussant celle-ci à accroitre la
répression et favorisant un accroissement de la popularité de la solution serbe au sein de l’opinion.
— Les relations entre Belgrade et Vienne seront envenimées par les deux guerres balkaniques, qui voient
l’Autriche prendre systématiquement parti pour les adversaires de la Serbie (l’Empire ottoman lors de la
première, la Bulgarie lors de la seconde), considérée désormais à Vienne comme l’ennemi à abattre.
— Dans le contexte des relations très tendues entre Belgrade et Vienne, l’annonce par cette dernière de la
visite officielle de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, qui plus est le 28 juin, jour de la
commémoration de la défaite serbe à Kosovo Polje, est vu par les nationalistes serbes comme une
provocation et Gavrilo Princip passe alors à l’action.
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3 — Les États germaniques en guerre
3.1 — Le déclenchement de la guerre
— L’Autriche prend le temps de la réflexion avant de prendre des mesures concrètes en réaction à
l’assassinat de l’archiduc. À Vienne et à Berlin, qui assure alors Vienne de son appui, on croit possible
d’éviter l’embrasement si les opérations sont menées promptement.
— Car Vienne entend bien réagir et profiter de l’occasion pour régler son cas à l’insolent Royaume serbe. Un
ultimatum en 25 points, volontairement insultant, est alors élaboré par les fonctionnaires de Vienne, dans le
but clairement avoué qu’il soit rejeté par Belgrade, fournissant ainsi le prétexte nécessaire pour déclencher les
hostilités.
— Si Belgrade accepte la majorité des demandes de Vienne, elle ne peut évidemment se soumettre à
l’exigence de laisser la police autrichienne mener l’enquête sur le territoire serbe. Devant le refus de se plier
aux exigences, le 28 juillet, François-Ferdinand signe la déclaration de guerre à la Serbie.
— Tout n’était pas joué à ce moment et dépendait des réactions des autres capitales. À Saint-Péterbourg, on
réagit, sans consulter les alliés de l’entente, par la mobilisation partielle, puis totale de l’armée. En réaction,
Berlin adresse un ultimatum à la Russie, lui ordonnant de démobiliser et un autre à la France, lui enjoignant
de ne pas venir en aide à la Russie. Devant le refus russe, l’Allemagne lui déclare la guerre le 1 er août.
— Le 2 août, sans déclaration de guerre, l’Allemagne envahit les Pays-Bas et exige de la Belgique un passage
pour ses armées. Bruxelles refusant, Berlin lui déclare la guerre le 3. La France, qui a mobilisé ses forces le
1er août, déclare la guerre à l’Allemagne le 4, rejoint par le Royaume-Uni le 6. Enfin, le 11, France et
Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Autriche-Hongrie. Le Japon se joindra à l’Entente le 23 août, la Turquie
à la Triplice le 1 er novembre. L’Italie reste alors neutre.
— En Allemagne et en Autriche, la population semble faire bloc derrière le gouvernement, alors que même
les socio-démocrates appuient sans réserve la déclaration de guerre et votent les crédits. Si les gouvernements
des deux États espéraient éviter l’embrasement général, une fois le mécanisme enclenché, ils en acceptent les
conséquences.
— Aux yeux de beaucoup d’Allemands, dont les socio-démocrates, la responsabilité de la guerre incombe
d’abord à la Serbie, puis à la Russie, dont la mobilisation a contraint Berlin à réagir. De sorte que la guerre est
acceptée comme une lutte juste de la civilisation contre la barbarie russe. L’Autriche, évidemment, partage ce
point de vue.
— En outre, les tensions croissaient sans cesse depuis une décennie sur le continent et nombreux sont ceux
qui à Berlin et dans les autres capitales croient alors qu’un conflit est inévitable. L’État-major allemand pour
sa part en est convaincu et considère que l’Allemagne doit prendre les devants maintenant, car le temps joue
contre elle : encore une décennie et les réformes en cours en Russie auront fait d’elle un adversaire
impossible à terrasser, surtout avec l’appui de la France.
— Quant à l’Autriche, la guerre pourra lui permettre, croit-on dans les cercles dirigeants, de freiner l’érosion
du pouvoir central et de résoudre la question nationale. La guerre est ici vue en 1914 comme la seule façon
d’éviter l’éclatement de l’empire.
3.2 — Les opérations militaires
— Les armées des empires centraux le savent : elles doivent agir vite. Car l’Allemagne, qui dispose de
réserves importantes à l’été 1914 et qui prend rapidement les dispositions pour assurer l’acheminement des
matières premières qui lui font tant défaut, sait que son avantage ne durera pas. Ses adversaires disposent
d’une profondeur stratégique plus grande qu’elle : la victoire doit être rapide, sinon, le temps passant,
l’avantage stratégique changera de côté.
— D’où la mise en application du plan Schlieffen, élaboré dès 1905 et exécuté alors par le général Moltke :
en concentrant les forces disponibles sur le front occidental, il devait être possible d’imposer à la France,
principal adversaire au début de la guerre, une reddition rapide avant que la lente, mais potentiellement
puissante Russie puisse être menaçante. Une fois la France vaincue, le Royaume-Uni abandonnera, croit-on,
la lutte, et les forces allemandes pourront se concentrer alors sur le front oriental.
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— Les choses ne sont dérouleront pas tout à fait comme prévu. D’une part, les forces russes parviennent à se
porter à l’offensive très tôt au mois d’août, et malgré la défaite qu’elles subissent, les combats vont obliger
l’État-major allemand à transférer une partie de ses forces vers l’est, réduisant les capacités de l’offensive
occidentale.
— Dès ce moment, culbutées par les armées russes, les forces austro-hongroises démontrent leur
impréparation et malgré certains succès locaux importants, ce sont les forces allemandes qui parviennent à
stopper l’offensive russe et à stabiliser le front.
— À l’ouest, le mouvement de contournement des forces françaises se déroule d’abord très bien et les armées
allemandes s’enfoncent alors profondément dans le territoire de l’adversaire, au point de contraindre le
gouvernement français à quitter Paris, menacé par la fulgurante avancée allemande.
— La conjonction d’une erreur stratégique du général von Klück et d’un sursaut français va cependant
remettre en question ses gains rapides et par la célèbre bataille de la Marne (septembre), les armées
allemandes sont contraintes de reculer sur l’Aisne où, malgré des tentatives violentes des deux côtés, le front
se stabilise.
— Enfin, au sud, où les forces austro-hongroises se sont portées à l’offensive dès le début du conflit, celles-ci
ne parviennent pas à contrôler durablement la capitale serbe et enregistrent, malgré l’appui allemand, des
pertes colossales au cours de six premiers mois du conflit (800 000 morts, prisonniers et blessés), dont elles
ne pourront pas se relever.
— De sorte que dès les premiers mois, le plan initial de l’état-major allemand a échoué, contraignant à
repenser complètement les opérations. Alors que le front occidental s’enterre dans une guerre de tranchées
hideuses dont l’objectif n’est pas de s’emparer du territoire de l’adversaire, mais plutôt de l’user en lui
causant plus de pertes possibles. Certaines offensives majeures ont cependant lieu au cours de la
période 1915-1918 (comme Verdun, en février 1916), mais aucune ne remet en question la situation sur le
terrain.
— Dans ce contexte, l’effort sera dorénavant porté sur le front oriental où rapidement les forces russes, dont
la préparation à la guerre n’était pas supérieure à celle de l’Autriche-Hongrie, montrent dès 1915 des signes
d’essoufflement qui ne feront que croître. Alors que les soldats russes reculent et désertent, les empires
centraux s’enfoncent dans le territoire russe.
— Mais le gros de l’effort est fourni par l’Allemagne, car en plus des désertions massives de nombreuses
minorités de son armée, l’Autriche-Hongrie fait face à partir de 1915 à l’offensive de l’Italie, qui rejoint alors
les forces de l’entente, qu’elle parvient cependant à contenir.
— Après la chute du régime tsariste en Russie en février 1917, une opportunité stratégique s’ouvre aux
empires centraux. En permettant le retour de Lénine en Russie, l’État-major allemand envenime la situation,
l’activisme de ce dernier, profitant des défaites répétées et des désertions massives, aboutissant au
renversement du gouvernement provisoire (qui désirait poursuivre la guerre) et à l’arrivée des bolchéviques
qui annoncent leur désir de conclure rapidement le conflit.
— La nouvelle situation à l’est aboutit au traité de Brest-Litovsk signé en mars 1918 qui permet aux empires
centraux de prendre le contrôle de très vastes territoires de l’empire russe et de soulager leurs difficultés en
matière d’approvisionnement.
— Cette victoire importante arrive cependant trop tard, car la guerre sous-marine lancée par l’Allemagne
contre le Royaume-Uni dans l’espoir de couper ses voies d’approvisionnement, après un début prometteur,
marque le pas.
— Dès 1915, l’attaque contre le paquebot de passagers (qui transportait aussi des munitions) Lusitania braque
l’opinion américaine contre les Allemands et l’intensification des opérations sous-marines contre les
transports provenant des États-Unis va finir par pousser ces derniers dans la guerre, de sorte qu’en avril 1917,
la puissance industrielle américaine se joint aux efforts des puissances de l’entente.
— Par ailleurs, l’Autriche-Hongrie, dirigée depuis la mort de François-Joseph en novembre 1916 par son
petit-neveu Charles 1 er d’Autriche, qui se méfie d’autant plus des dirigeants du Reich que ceux-ci ont
pratiquement pris le contrôle du commandement des forces communes, cherche à sortir de la guerre, mais les
tentatives maladroites et hypocrites de Charles dressent contre lui une bonne part de l’opinion et des forces
armées, sans parvenir à assouplir les exigences des alliés, qui réclament une reddition sans conditions.
— Avec le front oriental stabilisé (même si les heurts dans les Balkans se poursuivent) et l’affaiblissement
graduel des réserves dont ils disposent, les chefs militaires allemands décident au début de 1918 de forcer une
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« paix blanche » (sans annexions) à l’ouest en échange d’une reconnaissance des gains colossaux réalisés à
l’est. Mais pour faire admettre cette possibilité, contraire aux 14 points du président Wilson, il faut forcer la
main des Occidentaux avant que la toute-puissance américaine ne puisse se déployer.
— Ludendorff et Hindenburg élaborent alors une série d’offensives qui surviennent au cours du
printemps 1918, mais malgré certains gains locaux importants, elles ne parviennent pas à percer le front
durablement et la situation allemande se détériore au cours de l’été. Le 8 août, alors que le front est percé par
la contre-offensive alliée, les généraux allemands comprennent que la guerre est perdue.
— Sur le front sud, en septembre 1918, les armées austro-hongroises et leurs alliés locaux s’effondrent un à
un : la Bulgarie en septembre, puis la Turquie en octobre. La négociation devient alors la seule voie de sortie,
mais les alliés refusent de discuter avec les empereurs, favorisant la prise de contrôle politique par divers
partis. Ce sont eux qui signeront la reddition avec les alliés, le 3 novembre pour l’Autriche (car l’empire
n’existe déjà plus), le 11 novembre pour l’Allemagne.
— La façon dont prendra fin la guerre, alors que les armées alliées viennent d’entrer sur le territoire
allemand, dont l’armée est encore en mesure de ses battre, donnera naissance au mythe du « coup de poignard
dans le dos » suivant lequel l’Allemagne n’a pas été battue par l’ennemi extérieur, mais a été trahie de
l’intérieur par les hommes politiques, les socialistes au premier chef.
— Cependant, et malgré que l’armée n’est en effet pas encore défaite, ses chefs avaient compris dès la fin de
l’été que la guerre était perdue et qu’elle le serait de toute façon. En admettant la défaite avant que l’armée
eût été détruite et l’Allemagne complètement occupée, l’État-major et les partis politiques espéraient éviter
un sort trop cruel.
— Outre la destruction des deux États germaniques tels qu’ils existaient en juillet 1914, la guerre aura
entraîné du côté des peuples germaniques des pertes humaines colossales : 2,5 millions de morts et 4 millions
de blessés pour le Reich; 1,1 million de morts et 3,6 millions de blessés pour l’Autriche-Hongrie.
3.3 — La guerre à l’arrière
— L’évolution de la situation politique à l’arrière est étroitement liée à l’évolution de la situation
économique, même si ce n’est évidemment pas le seul facteur, la lassitude de la guerre, la défaite et les morts
s’additionnant au fil des mois et des années constituant des causes tout aussi importantes.
— Au début de la guerre, que ce soit à Vienne ou à Berlin, l’enthousiasme populaire est réel et fait écho à la
quasi-unanimité des élites politiques, car même le SPD, en dépit des réticences de son aile gauche, a voté en
faveur d’une guerre que les Allemands, on l’a vu, croient juste et morale.
— Cet enthousiasme provient aussi de la certitude qu’à l’image de la guerre franco-prussienne de 1870-1871,
elle sera courte et évidemment couronnée de succès. Le premier mois d’opérations semble d’ailleurs donner
raison aux optimistes et la stabilisation du front n’inquiète pas trop les populations dans les derniers mois de
l’année 1914.
— En Allemagne, rapidement après le déclenchement des hostilités, le ministre Walter Rathenau met sur pied
une série de commissions gouvernementales pour assurer l’approvisionnement et créé des unions de guerre
regroupant les grandes entreprises du pays par secteur, afin de rationaliser et de contrôler la production.
— En outre, tant que demeure la perspective d’une guerre courte, le blocus franco-britannique des côtes
allemandes reste théorique et Berlin peut compter sur un approvisionnement à prix d’or de la part des États
neutres, principalement les territoires scandinaves.
— Mais les choses se gâtent dès la fin de 1914, car les forces de l’Entente, voyant que la guerre s’éternise,
vont alors durcir les conditions du blocus, incluant un contrôle des navires sous peine d’attaque et des efforts
diplomatiques et économiques visant à convaincre les neutres de cesser d’approvisionner le Reich.
— En Autriche-Hongrie, les socialistes n’ont pas non plus manifesté d’opposition politique à la déclaration
de guerre, mais le pays étant moins bien préparé à celle-ci que le Reich, les conséquences socio-économiques
du conflit sont presque immédiates, alors que les droits des travailleurs sont rapidement limités et le seront de
plus en plus tout au long du conflit. Mais ici aussi, tant que la perspective d’une guerre courte existe,
l’opposition reste limitée, au nom de l’union nationale.
— Mais au bout de quelques mois, cette perspective s’éloigne et alors que les combats s’enlisent dans les
tranchées, les premières manifestations des difficultés économiques apparaissent et, s’ajoutant au macabre
décompte des morts, favorisent la montée du mécontentement.
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— Ce sont sans surprise les socialistes qui sont les premiers à manifester leur mécontentement et dès la fin de
l’automne 1914, le SPD est en proie à une lutte interne qui aboutira au cours de l’année 1917 à l’exclusion du
parti des membres qui refusent alors de voter les crédits pour la poursuite de la guerre et qui forme en autre
parti, l’USPD (Parti social-démocrate indépendant) dont l’aile radicale est animée par Karl Liebknecht.
— Mais les socialistes ne sont pas les seuls à critiquer la poursuite de la guerre et toujours en 1917, certains
nationaux-libéraux et membre de la gauche du Zentrum, sans doute influencés par le nouvel empereur
Charles 1er, qui désire dès son avènement mettre fin à un conflit dont il craint l’issue, font pression pour une
paix blanche et le 6 juillet 1917, une motion est votée au Reichstag en ce sens.
— Si les militaires, qui contrôlent alors véritablement le pays, réagissent assez rudement à cette motion qu’ils
considèrent comme un acte de trahison, obtenant la démission du chancelier Bethmann-Hollweg, jugé
responsable de la fronde, de même qu’un droit de regard sur la nomination des prochains chanceliers, ils ont
cependant l’intelligence de comprendre les racines de ce mécontentement et vont s’employer à accélérer
l’issue victorieuse.
— Car le mécontentement est aussi palpable dans la population, surtout quand, la guerre s’éternisant, les
difficultés économiques liées à l’approvisionnement vont devenir difficilement supportables au cours de
l’année 1916, alors que les importations de produits alimentaires essentiels auront pratiquement cessé du fait
du blocus.
— Comme en plus la récolte de 1916 s’avère très mauvaise (aux conditions climatiques difficiles s’ajoute le
manque de main-d’œuvre dans les champs), il manque alors à l’Allemagne pour boucler l’année plus de
150 000 tonnes de céréales, sans compter l’insuffisance devenue chronique en ce qui concerne la viande, les
produits laitiers et les matières grasses. La seule issue est alors l’établissement d’un rationnement sévère.
— À noter aussi que les matières premières industrielles viennent aussi à manquer, car les stocks constitués
dans les premiers mois de la guerre s’épuisent, obligeant le recours à des produits de remplacement (dont le
bois pour les semelles de chaussures). En plus des problèmes que cela cause sur le front, la population est ici
aussi victime d’une très forte hausse des prix.
— En Autriche, où le rationnement a été introduit dès 1915, la situation est encore plus difficile. La loi
martiale est proclamée dès 1915 et même si elle ne parvient pas à éliminer les mouvements de grèves, alors
interdits, ceux-ci demeurent limités jusqu’en 1917, d’autant que le gouvernement a aussi recours à la carotte,
avec la création d’un ministère de l’assistance sociale, chargé d’entendre les plaintes des travailleurs des
ouvriers et ouvrières dont les conditions de travail et de vie sont devenues très difficiles.
— Mais l’opposition structurée à la guerre demeure faible, les socialistes maintenant comme en Allemagne
une politique de main tendue avec le pouvoir, laissant à une aile gauche famélique le soin de s’opposer
ouvertement, mais sans grande conséquence. Le fait que Charles, dès 1916, envisage de sortir de la guerre,
favorise ici sans doute le ralliement de la majeure partie des forces politiques.
— Quoi qu’il en soit, en 1917, dans les deux empires, la situation économique et sociale est devenue
intenable et les mouvements de grèves, d’opposition de manifestations et d’occupation vont alors croissant et
il en sera ainsi jusqu’à la fin de la guerre, touchant les usines, comme à Berlin au printemps 1917, ou encore
les chantiers navals de la Baltique, où les ouvriers se mêlent aux marins et forment la base, sous l’influence
du mouvement en cours en Russie, de conseils ouvriers.
— En Autriche-Hongrie, on évalue qu’au cours de l’année 1918, plus de 2 millions de personnes sont mortes
de faim, s’ajoutant à l’hécatombe provoquée par la grippe espagnole (800 morts par semaine à Vienne
seulement au printemps 1918). Des grèves éclatent au début de janvier 1918, impliquant plus d’un demimillion de travailleurs dans la région de Vienne et le nombre de déserteurs ne cesse de croître, pour atteindre
les 230 000 à la fin de l’été 1918.
— Tout cela fait en sorte que si, en effet, les forces armées allemandes n’ont pas encore été détruites à la fin
de l’été 1918 (affirmation qui doit être nuancée en ce qui concerne les forces de l’Empire austro-hongrois), le
constat de l’état-major et des forces politiques civiles selon lequel la guerre était néanmoins perdue à ce
moment peut difficilement être contesté.
— Car l’état général de l’économie et de la société ne laissait guère de doute sur les possibilités réelles de
remporter finalement le conflit : de ce point de vue aussi, une sortie rapide de la guerre semblait être la seule
façon d’éviter l’écroulement des systèmes politiques.
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4 — Les révolutions de 1918-1919
4.1 — L’échec révolutionnaire allemand et la naissance de la république de Weimar
— On peut considérer que le changement de garde commence dès 1917, avec la démission du chancelier
Bethmann-Hollweg qui laisse la réalité du pouvoir aux chefs de l’armée, Ludendorff et Hindenburg. Mais en
1918, les échecs militaires répétés poussent ces derniers à laisser plus de place à des civils, mieux à même de
négocier avec les alliés.
— Le 4 octobre 1918, le prince Max de Bade, membre de la famille royale, mais réputé libéral, devient
chancelier et forme un gouvernement favorable à une « paix blanche », composé entre autres de membres du
SPD, conséquemment en mesure de discuter avec Wilson.
— Par couardise ou calcul, Ludendorff abandonne alors la direction de l’armée et le nouveau chef de celle-ci,
le général Gröner annonce que l’armée ne prendra aucune part aux négociations. Lorsque Wilson annonce
son refus de discuter avec le Kaiser, députés socialistes et catholiques réclament l’abdication de ce dernier.
— À Kiel, depuis le 3 novembre, les marins et les ouvriers des chantiers navals ont commencé à s’organiser
sur le modèle des soviets russes, puis le mouvement s’étend à d’autres ports du nord : Lübeck, Brême,
Hambourg.
— Peu à peu, au fur et à mesure de son extension dans d’autres villes, le mouvement soviétique se politise et
le 8 novembre, une République socialiste de Bavière, dirigée par un membre du USPD est proclamée à
Munich par le soviet de la ville. Puis c’est au tour de la Saxe de s’enflammer, suivie par Cologne, Hanovre et
Hambourg. Comme en 1848, le mouvement est polycentrique et ne dispose pas vraiment de chefs, SPD,
USPD ou Spartakistes faisant montre d’un activisme plus ou moins grand selon les régions.
— L’état-major réclamant alors à son tour son départ, Guillaume II n’a plus guère le choix et abdique le 9
novembre, alors que Berlin est en état d’insurrection. Réfugié aux Pays-Bas avec sa famille, il y mourra au
début de juin 1941.
— À Berlin, où des soviets apparaissent aussi, la crise éclate le 9 novembre, provoquée par l’arrestation d’un
membre du Comité d’action fondée en 1917 et résolu à fomenter une insurrection. Dès lors, les ouvriers de la
capitale convergent vers le centre où, loin de s’opposer à eux, les soldats fraternisent avec les insurgés, ce qui
aboutit, après l’abdication du Kaiser, à une double proclamation de la république : celle de Liebknecht, chef
du USPD et celle de Scheidemann, bras droit d’Ebert, chef du SPD.
— Max de Bade abandonne la chancellerie au profit d’Ebert, le chef du SPD, seule force, croit-il, capable de
contrôler la vague révolutionnaire qui commence à gonfler. Ebert forme alors un gouvernement mixte,
comprenant trois SPD et trois USPD.
— La république nait donc dans la confusion et sous la forme d’une dualité des pouvoirs, un peu comme à
Saint-Péterbourg en février 1917, celui du gouvernement officiel et celui des Soviets qui ont recouvert peu à
peu le territoire.
— Si les socialistes dominent sans partage, leurs querelles empêcheront d’élaborer une politique cohérente,
car à l’intérieur même du USPD s’est formée au cours de la guerre une tendance plus radicale, que l’on
nomme spartakiste, en référence aux « Lettres politiques » qu’elles publient à compter de 1916 et qui sont
signées « Spartacus » (le meneur d’une révolution d’esclaves du dernier siècle avant notre ère).
— Dirigé par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, ce groupement rejette la mollesse du USDP et à plus
forte raison le réformisme du SPD, prônant la réorganisation de l’État sur le modèle bolchévique de la
première heure. En s’associant avec diverses autres forces politiques, les spartakistes fondent en décembre
1918 le parti communiste allemand, mais leur radicalisme fera en sorte de les isoler politiquement, car dans
sa grande majorité, la population allemande préfère la voie modérée proposée par le SPD.
— Celui-ci a d’ailleurs l’intelligence d’élargir sa base en adoptant dès la formation du gouvernement Erbert
des mesures très libérales (convocation d’une assemblée constituante, abolition de la censure, proclamation
du suffrage universel partout sur le territoire), en plus de multiplier les assurances auprès des gouvernements
occidentaux quant à son refus d’engager l’Allemagne sur la voie du bolchévisme.
— C’est aussi par l’intermédiaire du SPD que les dirigeants syndicaux parviennent dès le 15 novembre à
conclure avec les grands consortiums industriels une convention garantissant de nombreux droits à ces
derniers, dont celui de libre association et la limitation de la journée de travail à huit heures.
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— Ratissant largement au centre droit et au centre gauche, le SPD coupe ainsi l’herbe sous le pied aux
spartakistes, dont l’isolement va croissant et ils sont d’ailleurs les seuls à ne pas reconnaitre la légitimité du
gouvernement d’Erbert, réclamant « tout le pouvoir aux soviets », pouvoir dont ceux-ci ne veulent pas.
— De sorte que le 16 décembre, lorsque se réunit le Conseil national des ouvriers et des soldats, dominé par
le SPD, et que le Congrès se rallie au point de vue de ce dernier quant à la convocation d’une constituante,
seule structure habileté à décider de la forme et de la structure du pays, les spartakistes sont désavoués. Ne
leur reste plus alors que l’insurrection armée.
— Tout au long du mois, les positions des forces antagonistes se durcissent, d’autant que, bien que
minoritaire, le mouvement spartakiste, devenu alors le parti communiste, peut compter sur l’appui de
certaines formations militaires, dont les très actifs marins de Kiel.
— À Berlin, après la destitution par le gouvernement du chef de la police, réputé proche du USPD, une grève
générale éclate dans la ville, rapidement encerclée par les forces loyalistes, nommée Corps francs et formées
à partir d’officiers et de soldats en cours de démobilisation. Le 6 janvier débute la « semaine sanglante »,
alors que les forces loyalistes reprennent graduellement le contrôle de la capitale, faisant plusieurs milliers de
morts, parmi lesquels se trouvent Luxembourg et Liebknecht.
— En Bavière, la république des conseils sera elle aussi écrasée par la force en avril 1919 et pendant trois
mois, alors même que l’Assemblée constituante commence ses travaux, les forces loyalistes écraseront dans
le sang des Conseils révolutionnaires nés un peu partout au pays. La répression fera au moins 10 000 morts
sur l’ensemble du territoire.
— La « révolution bourgeoise » triomphe donc de la « révolution prolétarienne » et ce sont les socialistes
eux-mêmes qui ont procédé à la mise au pas des forces radicales, gagnant ainsi l’estime et la confiance des
milieux conservateurs, qui deviennent alors partiellement leurs clients.
— De sorte qu’à la veille de l’adoption de la constitution, le SPD est véritablement devenu un parti de la
bourgeoisie, laissant tout au long des années 1920 les milieux populaires orphelins, lesquels accorderont alors
leurs appuis à d’autres partis...
— Lors des élections à la constituante le 19 janvier, les modérés (Zentrum, SPD et Démocrates) obtiennent
76 % des suffrages et 331 sièges sur 421. À lui seul, le SPD a obtenu 40 % des voix, ce qui lui permet de
s’imposer facilement à la tête du gouvernement.
— Ebert devient sans surprise président de la République et c’est une coalition comprenant des membres du
SPD et du Zentrum qui dirigera le gouvernement. Entre février et juillet 1919, les travaux de la constituante
seront essentiellement consacrés à l’élaboration de la constitution, laquelle est adoptée le 31 juillet 1919
Weimar, où siège la Constituante.
4.2 — La « révolution autrichienne »
— En Autriche-Hongrie, la situation est différente et en général plus calme, mais elle n’est pas pour autant
plus simple, car l’éternelle question nationale se pose alors avec acuité.
— Le démantèlement de l’empire commence dès avant la signature de l’Armistice, avec la proclamation à
Paris le 26 septembre 1918, en accord avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, proclamé dans les
14 points de Wilson, par le Conseil national tchèque, d’un État indépendant.
— Quelques jours plus tard, le 5 novembre est formé à Zagreb un conseil national serbe, croate et slovène,
dont le but est la constitution d’un état fédéral yougoslave. Le Monténégro rejoint fin novembre le conseil,
qui proclamera à Belgrade la naissance le 1er décembre du royaume des Serbes, Croates et Slovènes.
— Plus au nord, dès le début octobre, un Comité national polonais avait été créé pour assurer la résurrection
de l’État polonais, puis le 24 octobre, la Hongrie rappelle ses troupes et proclame l’indépendance du
territoire.
— Voyant lui-même l’empire se disloquer peu à peu, Charles 1er avait proclamé au milieu d’octobre la
transformation de la Cisleithanie en État fédéral, pendant que les germanophones décidaient eux aussi de
s’organiser en dehors du cadre impérial et le 30 octobre une Assemblée nationale provisoire de l’Autriche
allemande se réunit à Vienne, qui laissa cependant de côté la question de la nature, monarchique ou
républicaine, du futur État.
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— Les pertes territoriales seront rapidement confirmées lors de la signature de l’armistice à Padoue le 3
novembre, lequel réclame l’évacuation immédiate par les forces armées autrichiennes de plusieurs de ces
territoires, en plus d’autres majoritairement germanophones, comme le Tyrol du Sud.
— L’empire n’est alors plus qu’un souvenir, mais l’empereur s’accroche encore et ce n’est que le 11
novembre qu’il acceptera la nouvelle réalité, sans pour autant abdiquer formellement, laissant la réalité du
pouvoir entre les mains de Karl Renner, député social-démocrate.
— On peut donc considérer qu’à partir de ce moment, la domination politique de l’Autriche par les
Habsbourg, qui aura duré plus de six cents ans, prend fin. Quant à l’empereur, il quittera le pays avec sa
famille en mars 1919 et mourra à Madère le 1 er avril 1922.
— L’assemblée nationale provisoire de l’Autriche réunit le 12 novembre proclame alors la naissance de la
République d’Autriche allemande et par l’article 2 de cette proclamation, qui déclare que l’Autriche
allemande est une partie de la République allemande, annonce son désir de rattachement au reste des terres
germaniques.
— Les premières bases constitutionnelles sont posées alors, et le 18 décembre, après d’âpres débats, le
suffrage universel (incluant donc le vote des femmes) est proclamé comme étant la base de la légitimité
politique. Huit femmes feront d’ailleurs leur entrée à l’Assemblée nationale constituante.
— L’historiographie autrichienne n’utilise généralement pas le terme de révolution pour décrire ces
événements et les troubles sociaux qui les accompagnent, lui préférant celui de « bouleversements », car la
situation est en effet beaucoup plus calme qu’ailleurs en Europe centrale.
— Comme partout cependant, des soviets ouvriers ont vu le jour au cours de l’année 1918, s’imposant
comme force politique importante au début de l’automne. Mais comme en Allemagne, les socialistes modérés
parviendront dans l’ensemble à canaliser le mouvement, isolant les éléments les plus radicaux.
— Le parti communiste autrichien, né le 3 novembre 1918, malgré une croissance rapide par laquelle il voit
le nombre de ses membres passer de 3 000 à 40 000 membres en quelques mois au début de 1919, demeure
tout de même tout marginal.
— Cela ne l’empêche pas de fomenter des troubles divers, mais le gouvernement, solidement appuyé par
l’armée, viendra sans grandes difficultés à bout des tentatives peu convaincantes menées par les communistes
en avril, puis en juin 1919.
— Si la répression provoque des morts, on ne voit ici rien de comparable avec l’hécatombe observée en
Allemagne, mais le principe demeure le même : la paix sociale est assurée par le ralliement des forces
libérales et conservatrices aux socialistes modérés pour faire barrage aux radicaux.
5 — Les traités de 1919
5.1 — Détruire le Reich : le traité de Versailles
— C’est à la conférence de paix de Paris, dont les travaux commencent en janvier 1919 pour se terminer en
août 1920, que seront élaborés les principaux traités qui règlent l’ordre européen de l’après-guerre, dont ceux
qui concernent l’Allemagne et l’Autriche.
— La particularité de ces deux traités, c’est qu’ils ne sont pas issus de négociations entre vainqueurs et
vaincus, mais sont pour l’essentiel (à l’exception de l’admission de quelques observations du côté allemand)
imposés par les premiers aux seconds. Les seules négociations du traité de Versailles et de celui de SaintGermain-en-Laye ont lieu entre les puissances victorieuses, d’où le qualificatif de diktat par lequel ils seront
accueillis en Allemagne et en Autriche.
— Aux termes de ces négociations, la délégation allemande est contrainte de signer (sous peine de reprise des
opérations militaires) le 28 juin 1919 le traité qui sera promulgué en janvier 1920. Même s’ils n’ont guère le
choix, les « négociateurs » allemands seront conspués au pays pour avoir participé à cette humiliation, au
point où l’un d’eux, le ministre des Finances Erzberger, sera assassiné en 1921, même si ce n’est
certainement pas la seule motivation de cet assassinat.
— Parmi les 440 articles de cet imposant document, les clauses concernant l’Allemagne peuvent être divisées
en trois catégories : clauses territoriales, clauses économiques et clauses limitant la souveraineté de
l’Allemagne.
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— La première catégorie définit les frontières de la nouvelle Allemagne. À l’ouest, si on exclut les cas
complexes de la Sarre et de la Rhénanie, dont le statut sera réglé ultérieurement, les frontières sont peu
modifiées : quelques cantons qui passent sous contrôle belge et bien sûr l’Alsace-Lorraine qui retourne à la
France. Au nord, le Schleswig est divisé en deux après un plébiscite en 1920, le nord passant sous contrôle
danois.
— Mais ce sont surtout les déplacements de frontières à l’est qui sont douloureux, car ils concernent la
reconstitution de la Pologne. La Posnanie, annexée en 1772, retourne entièrement à la Pologne, de même que
la Prusse occidentale, annexée entre 1792 et 1795, à l’exception de Dantzig, proclamée ville libre sous
supervision internationale. Le territoire de l’Allemagne se trouve ainsi coupé en deux par le « corridor
polonais ».
— La haute Silésie est le cas le plus complexe, à cause de l’enchevêtrement des districts polonais et
allemands et il faudra attendre 1921 pour que la frontière soit fixée. Avec l’annexion de Memel par la
Lituanie en 1923 et le rattachement à la Tchécoslovaquie d’Ulcin, territoires allemands, de même que celui
d’une partie des Sudètes, on doit constater que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes proclamé par
Wilson ne concerne pas les Allemands.
— Rien d’étonnant alors à ce que l’Allemagne de l’entre-deux guerre n’ait jamais accepté ces frontières et
que leur remise en question ait été à la base du programme révisionniste d’Hitler.
— De sorte que l’Allemagne de 1919 se trouve amputée d’environ 11 % de son territoire (67 000 kilomètres
carrés), perdant du même souffle 11 % de sa population (6,5 millions d’habitants), 15 % de ses capacités de
production agricole et 10 % de ses capacités industrielles. De même, ses colonies sont saisies et redistribuées
aux vainqueurs.
— En vertu de l’article 231, par lequel la responsabilité de la guerre est imputée à l’Allemagne, de très
lourdes réparations sont imposées à celle-ci. Le montant des réparations n’est pas clairement fixé par le traité,
qui se contente d’en préciser les fondements et les champs d’application, car en plus des dégâts matériels, le
traité stipule que les pensions pour invalidités de guerre ou pour compenser les familles seront à la charge de
l’Allemagne.
— Le montant exact des réparations ainsi que la nature de celles-ci (monétaires ou matérielles) feront l’objet
d’âpres discussions tout au long des années 1920.
— Enfin, une série de clauses variées limite la souveraineté de l’Allemagne dans de multiples domaines. Il y
a d’abord des aspects territoriaux à ces limitations (Sarre et Rhénanie, sur lesquelles les Alliés s’octroient des
droits particuliers). Par ailleurs, l’article 80 l’interdit expressément l’union avec l’Autriche, autre violation
flagrante de l’esprit des 14 points de Wilson.
— Les clauses limitatives concernent aussi bien sûr les forces armées, alors que l’Allemagne, qui ne peut plus
entretenir de flotte de guerre ni d’aviation militaire, voit ses forces terrestres limitées à 100 000 hommes, dont
4 000 officiers et cette Reichswehr ne peut en outre disposer de matériel lourd. Présentées dans le traité
comme le prélude au désarmement de l’Europe, ces limitations ne seront guère suivies de gestes concrets
posés par les autres puissances européennes.
— Sur le plan administratif, une multitude de commissions de surveillance pour les réparations, la navigation
fluviale, le désarmement, etc., vient limiter considérablement la souveraineté de l’Allemagne, qui devient
alors à plus d’un titre un État sous tutelle.
— Tout dans ce traité suscite le rejet et la colère des Allemands, autant son mode d’élaboration que son
contenu et son principe, qui fait de l’Allemagne le responsable moral de l’hécatombe. Il est admis par toute
l’historiographie du XXe siècle que, en alourdissant considérablement la difficile situation des populations
allemandes, le traité de Versailles a pavé la voie aux succès du NSDAP et constitué l’une des causes
importantes de la Seconde Guerre mondiale.
5.2 — Détruire l’empire austro-hongrois : le traité de Saint-Germain-en-Laye
— Le traité de Saint-Germain-en-Laye, qui règle sort de l’Autriche (pas celui de la Hongrie, qui fera l’objet
d’un autre traité, celui de Trianon) est signé le 19 septembre 1919 par Karl Renner, alors chancelier
d’Autriche.
— À noter que si le traité imposait aussi des réparations à l’Autriche, celle-ci était si appauvrie au lendemain
de la guerre qu’elle ne pouvait pas vraiment en verser. À noter cependant qu’une commission de restitution
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des biens sera mise en place pour assurer la restitution de biens « spoliés » par les Habsbourg au fil des
siècles et de nombreuses œuvres d’art seront alors transférées en Belgique, en Italie et en Pologne, entre
autres.
— Si certaines dispositions du traité reprennent les principes du traité de Versailles, comme celle touchant
les forces armées, l’essentiel du traité avec l’Autriche concerne les aspects territoriaux, même si pour
l’essentiel il s’agit de mettre par écrit la nouvelle situation territoriale de l’Europe orientale.
— Il va sans dire que le traité entérine la fin de l’empire austro-hongrois et la dislocation territoriale de celuici, la Hongrie devenant totalement indépendante. Mais la Cisleithanie elle-même est pour l’essentiel détruite
au bénéfice de multiples États successeurs.
— Ainsi, l’Autriche doit restituer à la Pologne renaissante la Galicie (Lwow) et la Petite-Pologne (Cracovie),
alors que les zones sud des Sudètes sont cédées à la Tchécoslovaquie nouvellement formée.
— Les territoires balkaniques de l’empire de l’empire défunt sont pour leur part rétrocédés soit au Royaume
des Serbes, Croates et Slovènes, soit à la Roumanie (Bucovine).
— Le traité prévoit de même la cession à l’Italie de Trieste et de l’Istrie, la question de la cote dalmate étant
laissée irrésolue, car revendiquée aussi par le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes.
— Mince consolation, l’Autriche obtient quatre districts germanophones (Burgenland) de l’ancien royaume
de Hongrie.
— Enfin, interdiction est faite à l’Autriche de porter le nom qu’elle s’est donné au lendemain de la guerre
(celui de République d’Autriche allemande), ce nom faisant clairement référence au désir des Autrichiens de
rejoindre la nation allemande, possibilité exclue autant par le traité de Versailles que par celui de SaintGermain-en-Laye. Le pays se nommera donc simplement l’Autriche.
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