Histoire des États germaniques II : D’un empire à l’autre Sixième cours : La politique étrangère des empires centraux, la Grande Guerre et les révolutions de 1918-1919 (1870-1919) Sixième cours : 1 — La politique étrangère du 2e Reich 2 — La politique étrangère de l’Empire austro-hongrois 3 — Les États germaniques en guerre 4 — Les révolutions de 1918-1919 5 — Les traités de 1919 1 — La politique étrangère du 2e Reich 1.1 — Les « systèmes » bismarckiens • On nomme « systèmes bismarckiens » l’enchevêtrement des traités et alliances signés par l’empire allemand pendant le « règne » du chancelier de fer. • Au lendemain de la guerre franco-prussienne, l’objectif de Bismarck est de consolider l’empire, en empêchant le revanchisme français. Il fallait donc isoler la France. C’est l’axe fondamental de sa politique européenne. • Quant à aux affaires mondiales, il demeure conservateur et modeste : plus attaché à la dynastie qu’à la nation allemande, Bismarck croit que les intérêts fondamentaux de l’Allemagne sont en Europe. • Dans les années 1880, la société allemande commence à s’intéresser aux autres continents contre les mises en garde de Bismarck, qui voit dans les prétentions coloniales un jeu dangereux. • Tant qu’il demeurera chancelier, le colonialisme allemand se limitera à des actions initiées par des entreprises privées, parfois suivi par des actions de l’État, comme au Togo, décrété protectorat en 1883. • Le chancelier travaille à son premier système d’alliance dès 1871 : contre Paris, Bismarck se tourne vers les pouvoirs réactionnaires d’Europe, Vienne et la Russie. • Car Vienne n’entend pas se lancer dans une politique revancharde à l’endroit de Berlin, préférant tourner ses ambitions vers la zone balkanique. • Bismarck a favorisé cette évolution en évitant d’humilier Vienne et en l’encourageant dans son activisme balkanique, et les deux capitales se rapprochent dès 1870. • Mais ce rapprochement suscite la méfiance de SaintPéterbourg, qui a aussi des visées sur les Balkans et sur les dépouilles de l’Empire ottoman. • L’alliance russe est plus nécessaire aux yeux de Bismarck car sinon, la Russie pourrait se rapprocher de la France, créant ainsi une menace mortelle pour l’empire. • Pour beaucoup d’observateurs, une franco-russe apparait improbable pour cause d’opposition idéologique, mais Bismarck comprend très bien qu’une telle opposition n’a que peu de valeur devant les réalités politiques. • Convaincu de l’inévitabilité d’une alliance austro-allemande, Alexandre II préfère s’y associer, quitte à mettre un frein à ses ambitions balkaniques. • Malgré son aspect idéologique, c’est le réalisme politique qui est à l’origine de l’entente des Trois-empereurs, une série de traités bilatéraux entre les empires allemand, austro-hongrois et russe, conclus en 1872 et 1873. • Lorsque l’Italie s’y joint en 1874, la France apparait complètement isolée. • L’entente ne résistera pas longtemps, à cause de Paris, qui courtise l’empire russe, mais surtout à cause de l’opposition entre Vienne et Saint-Péterbourg, qui se concrétisera par la crise balkanique de 1875-1878. • Les tensions entre Russie et Empire ottoman provoquent en 1877 une guerre remporté par la Russie et qui par le traité de San Stephane prend un avantage sur ses concurrents dans les Balkans. • Vienne et Londres, appuyés par Berlin, font alors pression pour que Saint-Péterbourg accepte de revoir le traité lors de la conférence de Berlin en 1878. • En soutenant les prétentions de Vienne, Bismarck suscite la colère de Saint-Péterbourg, spolié au bénéfice de Vienne d’une part importante des fruits de sa victoire, et qui déclare alors caduque l’entente des Trois empereurs. • Devant l’impossibilité d’un accord officiel entre Vienne et la Russie, Bismarck élaborera alors son second système d’alliance, basé sur l’alliance avec Vienne, avec qui est formée le 7 octobre 1879 la Duplice. • Berlin promet de venir en aide à Vienne dans le cas d’une attaque russe et feignant de se rapprocher de Londres Bismarck parvient à attirer l’attention d’Alexandre II et à amadouer Vienne. • Une nouvelle entente, basée sur l’admission par l’AutricheHongrie et la Russie du statu quo dans les Balkans, voit le jour en 1881, laquelle se juxtapose à la Duplice, dont la Russie ne fait pas partie. • Grâce au problème tunisien qui l’oppose à la France, l’Italie se tourne vers Berlin et rejoint en 1882 la Duplice, qui devient alors la Triplice, l’accord le plus solide de l’ère bismarckienne, qui survivra plus de 30 ans et contribuera à provoquer la guerre de 1914-1918. • Malgré les assurances de Vienne à Saint-Péterbourg, la première continue d’avancer ses pions dans la zone • Alors que le traité des Trois empereurs arrive à échéance en 1887 et qu’Alexandre III semble intéressé par les offres de Paris, Bismarck parvient à conclure avec la Russie la pièce maitresse de son système. • Par ce traité de contre-assurance, Berlin obtient de SaintPéterbourg sa neutralité dans l’éventualité d’un conflit avec la France et en échange s’engage à appuyer la Russie sur la question des détroits et de la Bulgarie, ce qui contredit des précédents accords avec Vienne et Londres. • C’est pourquoi ce traité doit rester secret, mais tant qu’il le demeure, la politique bismarckienne triomphe, la France se trouvant isolée et l’Allemagne assurée de ne pas avoir à livrer une guerre sur deux fronts. • Le traité de réassurance sera reconduit en 1889, mais il ne survivra pas longtemps au départ de son promoteur. 1.2 — La « weltpolitik » de Guillaume • Caprivi s’occupe peu de politique étrangère et c’est von Holstein qui prend la relève de Bismarck. Mais Guillaume II demeure le maître et c’est lui qui prend la décision de ne pas renouveler le traité de contre-assurance poussant, la Russie à se rapprocher de la France. • Ce n’est pas le seul changement de la politique étrangère, la nouvelle équipe, composée de représentants des milieux libéraux, rejetant la focalisation bismarckienne sur l’Europe et désirant faire de l’Allemagne la grande puissance mondiale qu’elle a le potentiel d’être. • Certes, l’Allemagne est déjà sous Bismarck présente en Afrique (Cameroun, Togo) et dans le Pacifique (îles Marshall et Salomon), mais la chute du chancelier va accélérer le mouvement qu’il s’employait à freiner. Empire colonial allemand • En 1914, l’empire colonial allemand inclut l’essentiel de la Namibie, du Cameroun, du Togo et de la Tanzanie, d’autres territoires dans la région des Grands Lacs africains, des territoires dans le Pacifique et des comptoirs en Chine. • La situation intérieure pousse dans cette direction. L’explosion démographique favorise l’émigration et la structure économique du pays l’oblige à sortir de ses frontières pour trouver de nouveaux débouchés pour ses exportations ou pour assurer ses approvisionnements en matières premières. • Le trop-plein est aussi financier, car les banques allemandes sont riches de surplus qu’elles cherchent à investir en occident, en Extrême-Orient et en Asie, particulièrement en Turquie. • À ces causes issues de l’évolution économique du pays, il faut ajouter la volonté personnelle et affichée de l’empereur de faire de son pays la première puissance mondiale. • Pour ce faire, l’Allemagne doit se tailler un empire colonial, et se doter des instruments nécessaires pour défendre ses intérêts et lutter contre ses compétiteurs. • L’armée sera donc grassement dotée dès les années 1890, grâce au bon état des finances publiques et à la puissance de l’industrie. • Le symbole des nouvelles ambitions de l’Allemagne, c’est la création d’une flotte de guerre, la Kreigsmarine, qui ambitionne de surpasser le niveau du Royaume-Uni. • Les théories pangermanistes ont désormais le vent en poupe. Application des thèses darwinistes aux luttes entre les nations, mâtiné du racialisme de Gobineau et Chamberlain, le pangermanisme soutient que le monde germanique est appelé à soumettre les civilisations inférieures. • Ces idées diffuses et souvent confuses (dont les principaux théoriciens sont Weber, Ranke et Retzel) se diffusent alors dans la société. • Les pangermanistes rêvent de réunifier la grande Allemagne et d’imposer à l’Europe une gouvernance germanique. Le degré de pénétration de ces idées dans la société demeure sujet d’âpres discussions chez les historiens. • Il serait injuste de faire porter la responsabilité de la guerre sur l’Allemagne seule, mais les ambitions allemandes ont dans les deux dernières décennies entraîné un bouleversement de l’ordre européen et mondial. • Avec l’abandon du traité de contre-assurance, la Russie constitue un adversaire potentiel d’autant plus dangereux qu’elle peut compter sur un allié potentiel, la France, faisant peser sur les territoires du Reich la menace d’une guerre sur deux fronts. • Sa politique africaine, qui entre en opposition avec les intérêts français sur ce continent, ne fera que fournir des arguments en France à ceux qui favorisent une alliance avec la très réactionnaire Russie. • Par le traité d’alliance de décembre 1893 entre Paris et SaintPéterbourg, la base du système bismarckien vole en éclat : la France n’est plus isolée. • Si la politique de Berlin à l’endroit de Paris lui permet d’obtenir certains gains (comme une partie du Congo français en 1911), ceux-ci sont de peu de poids face aux conséquences néfastes qu’elle engendre. • D’autant que les prétentions de l’Allemagne suscitent les craintes du Royaume-Uni, qui cherche alors à se rapprocher de Paris, rapprochement concrétisé par la signature de l’entente cordiale entre Londres et Paris en 1904. • Et lorsqu’en 1907 le Royaume-Uni décide de régler ses contentieux avec Saint-Péterbourg et signe une convention anglo-russe, les bases de la Triple entente sont posées et l’Europe est désormais divisée en deux camps antagonistes. La guerre menace désormais le continent. Les alliances en 1914 2 — La politique étrangère de l’Empire austro-hongrois • La politique étrangère de l’empire austro-hongrois est plus simple que celle du Reich allemand, car Vienne n’a ni les ambitions de Berlin, ni ses moyens elle le sait. • Deux axes dominent la politique étrangère de l’Empire austro-hongrois : les relations avec le Reich allemand et l’expansion balkanique, laquelle implique les relations avec la Russie et l’Empire ottoman. • Les relations avec l’Allemagne n’ont pas toujours été simples, malgré que Vienne ait cherché un rapprochement avec l’empire qui l’a vaincu, un simple examen de la situation permettant de comprendre l’absurdité d’une politique revancharde. Cela n’empêche pas que périodiquement, à Vienne, on ait trouvé l’amitié berlinoise un peu lourde. • Mais le seul dérivatif à ses ambitions déçues (l’expansion balkanique) nécessite un appui de Berlin, afin de contenir la puissance russe, de sorte que l’histoire des relations entre Berlin et Bienne se lit comme une complicité de plus en plus étroite au fur et à mesure que les nuages s’amoncellent. • Les relations avec la Russie ont connu une évolution opposée, car malgré leurs intérêts divergents, les deux États ont tenté de délimiter leurs sphères d’intérêts, comme lors de la signature d’un traité en 1876 par lequel Vienne promettait sa neutralité dans le cas d’une guerre russo-turque, en échange de la compréhension de la Russie concernant les intérêts de Vienne en Bosnie-Herzégovine. • Mais l’opposition était trop forte et le droit d’occupation de la Bosnie-Herzégovine donné à l’empire austro-hongrois en 1878 ne sera jamais accepté par la Russie, d’autant que Vienne en profitera pour tenter d’étendre son pouvoir sur ces territoires. • Et il y l’empire ottoman, sur le déclin, mais qui continue de défendre ses positions. Et le réveil national concerne aussi les petites nations balkaniques, dont certaines cherchent à faire revivre leur grandeur passée. • La Serbie est du nombre. Devenue indépendante en 1878, la Serbie cherche à reprendre le contrôle des territoires qui furent les siens avant son absorption dans l’Empire ottoman et son regard se tourne vers la Bosnie-Herzégovine, où vit une importante population serbe. Or, depuis 1878, on l’a vu, ce territoire est sous tutelle autrichienne. • En 1908, prétextant le de la révolution Jeune-turcs, Vienne décide d’annexer la Bosnie-Herzégovine, suscitant l’ire de Belgrade, car toute possibilité de réunir les Serbes de Bosnie à sa couronne se trouve alors exclue. • À Vienne, on espère ainsi donner une base concrète à la transformation du système politique en triple monarchie, pour contrer l’activisme panslaviste serbe et russe. • À noter que l’annexion a été « autorisée » par la Russie (autre exemple de la volonté de Vienne et de SaintPéterbourg de s’entendre) mais demanda l’appui de Vienne sur la question du droit de circulation de la flotte russe dans les détroits. • Comme Vienne ne remplit pas son engagement, la Russie manifesta son désir de se rapprocher de la Serbie. • En Bosnie, l’opinion serbe est partagée et si une partie de l’opinion penche en faveur de Belgrade, une autre préférerait le maintien de la domination autrichienne, assortie d’une modification du système politique. • Belgrade favorise alors le développement de sociétés secrètes qui recourent à l’arme terroriste contre l’administration autrichienne, poussant celle-ci à accroitre la répression et favorisant ainsi un accroissement de la popularité de la solution serbe au sein de l’opinion. • Les relations entre Belgrade et Vienne seront envenimées par les deux guerres balkaniques, qui voient l’Autriche prendre parti pour les adversaires de la Serbie (l’Empire ottoman lors de la première, la Bulgarie lors de la seconde), considérée désormais à Vienne comme l’ennemi à abattre. • Dans le contexte des relations très tendues entre Belgrade et Vienne, l’annonce par cette dernière de la visite officielle de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, qui plus est le 28 juin, jour de la commémoration de la défaite serbe à Kosovo Polje, est vu par les nationalistes serbes comme une provocation et Gavrilo Princip passe alors à l’action. 3 — Les États germaniques en guerre 3.1 — Le déclenchement de la guerre • L’Autriche prend le temps de la réflexion avant de prendre des mesures en réaction à l’assassinat de l’archiduc. À Vienne et à Berlin, qui assure alors Vienne de son appui, on croit possible d’éviter l’embrasement si les opérations sont menées promptement. • Car Vienne entend profiter de l’occasion pour régler son cas à l’insolent Royaume serbe. Un ultimatum en 25 points, volontairement insultant, est élaboré dans le but avoué qu’il soit rejeté par Belgrade, fournissant ainsi le prétexte pour déclencher les hostilités. • Belgrade accepte la majorité des demandes de Vienne mais ne peut laisser la police autrichienne mener l’enquête sur son territoire. Devant le refus, le 28 juillet, François-Ferdinand signe la déclaration de guerre à la Serbie. • La Russie mobilise et Berlin lui adresse un ultimatum lui ordonnant de démobiliser et un autre à la France, lui enjoignant de ne pas aider la Russie. Devant le refus russe, l’Allemagne lui déclare la guerre le 1er août. • Le 2 août, sans déclaration de guerre, l’Allemagne envahit les Pays-Bas et exige de la Belgique un droit de passage. • Bruxelles refusant, Berlin lui déclare la guerre le 3. La France déclare la guerre à l’Allemagne le 4, rejoint par le RoyaumeUni le 6. • Puis le 11, France et Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Autriche-Hongrie. Le Japon se joindra à l’Entente le 23 août, la Turquie à la Triplice le 1er novembre. L’Italie reste alors neutre. • En Allemagne et en Autriche, la population semble faire bloc derrière le gouvernement et même les socio-démocrates appuient la déclaration de guerre et votent les crédits. • Si les gouvernements des deux États espéraient éviter l’embrasement général, une fois le mécanisme enclenché, ils en acceptent les conséquences. • Aux yeux de beaucoup d’Allemands, la responsabilité de la guerre incombe à la Serbie et la Russie.. De sorte que la guerre est acceptée comme une lutte juste de la civilisation contre la barbarie russe. L’Autriche partage ce point de vue. • En outre, les tensions croissaient sans cesse depuis une décennie et nombreux sont ceux à Berlin et dans les autres capitales qui croient qu’un conflit est inévitable. • L’État-major allemand considère que l’Allemagne doit prendre les devants, car le temps joue contre elle : encore une décennie et les réformes en cours en Russie auront fait d’elle un adversaire impossible à terrasser. • Quant à l’Autriche, la guerre pourra lui permettre, croit-on dans les cercles dirigeants, de freiner l’érosion du pouvoir central et de résoudre la question nationale. La guerre est ici vue en 1914 comme la seule façon d’éviter l’éclatement de l’empire 3.2 — Les opérations militaires • Les armées des empires centraux savent qu’elles doivent agir vite, car l’Allemagne, qui dispose de réserves à l’été 1914 et prend les dispositions pour assurer l’acheminement des matières premières qui lui font défaut, sait que son avantage ne durera pas. • Ses adversaires disposent d’une profondeur stratégique plus grande : la victoire doit être rapide, sinon, le temps passant, l’avantage stratégique changera de côté. • D’où le plan Schlieffen exécuté par le général Moltke : en concentrant les forces à l’ouest, il devait être possible d’imposer à la France la reddition avant que la lente, mais potentiellement puissante Russie puisse menacer • Une fois la France vaincue, le Royaume-Uni abandonnera, croit-on, la lutte, et les forces allemandes pourront se concentrer alors sur le front oriental. • Mais les choses ne sont dérouleront pas comme prévu. Les forces russes se porte à l’offensive très tôt en août, et malgré la défaite qu’elles subissent, les combats vont obliger l’Étatmajor allemand à transférer une partie de ses forces vers l’est, réduisant les capacités de l’offensive occidentale. • Culbutées par les armées russes, les forces austrohongroises démontrent leur impréparation et ce sont les Allemands qui parviennent à stopper l’offensive russe et à stabiliser le front. • À l’ouest, le mouvement de contournement des forces françaises se déroule d’abord bien et les Allemands s’enfoncent dans le territoire de l’adversaire, au point de contraindre le gouvernement français à quitter Paris. • Mais une erreur stratégique et un sursaut français vont remettre en question ses gains et par la bataille de la Marne, les armées allemandes sont contraintes de reculer sur l’Aisne où le front se stabilise. • Enfin, au sud, où les forces austro-hongroises se sont portées à l’offensive, elles ne parviennent pas à contrôler la capitale serbe et enregistrent des pertes colossales au cours de six premiers mois du conflit (800 000 morts, prisonniers et blessés). • Le plan initial de l’état-major allemand a échoué, contraignant à repenser les opérations. • Alors que le front occidental s’enterre dans une guerre de tranchées dont l’objectif est d’user l’adversaire. Certaines offensives ont lieu au cours de la période 1915-1918 (comme Verdun, en février 1916), mais aucune ne remet en question la situation sur le terrain. • L’effort sera donc porté sur le front oriental où les forces russes, dont la préparation à la guerre est aussi faible, montrent dès 1915 des signes d’essoufflement qui ne feront que croître. Alors que les soldats russes reculent et désertent, les empires centraux s’enfoncent en Russie. • Le gros de l’effort est fourni par l’Allemagne, car en plus des désertions de nombreuses minorités de son armée, l’Autriche-Hongrie fait face à partir de 1915 à l’offensive de l’Italie, qui rejoint les forces de l’entente. • Après février 1917, une opportunité s’ouvre aux empires centraux et en permettant le retour de Lénine, l’État-major allemand envenime la situation, l’activisme de ce dernier, profitant des défaites répétées et des désertions massives, aboutissant au renversement du gouvernement provisoire et à l’arrivée des bolchéviques. • La nouvelle situation aboutit au traité de Brest-Litovsk de mars 1918 qui permet aux empires centraux de prendre le contrôle de vastes territoires et de soulager leurs difficultés en matière d’approvisionnement. • Mais cette victoire arrive trop tard, la guerre sous-marine de l’Allemagne contre le Royaume-Uni dans l’espoir de couper ses voies d’approvisionnement marquant le pas. • Dès 1915, l’attaque contre le Lusitania braque l’opinion américaine contre les Allemands et l’intensification des opérations sous-marines contre les transports provenant des États-Unis pousse ces derniers dans la guerre : en avril 1917, les États-Unis entrent en guerre. • Charles 1er, qui se méfie des dirigeants du Reich qui ont pris le contrôle des forces communes, cherche à sortir de la guerre, mais ses tentatives dressent contre lui l’opinion, sans parvenir à assouplir les exigences des alliés, qui réclament une reddition sans conditions. • Avec le front oriental stabilisé et l’affaiblissement des réserves dont ils disposent, les chefs militaires allemands décident au début de 1918 de forcer une « paix blanche » à l’ouest en échange d’une reconnaissance des gains à l’est. • Mais pour faire admettre cette possibilité, il faut forcer la main des Occidentaux avant que la toute-puissance américaine ne puisse se déployer. • Ludendorff et Hindenburg élaborent alors une série d’offensives qui surviennent au cours du printemps 1918, mais malgré certains gains, elles ne parviennent pas à percer le front et la situation se détériore au cours de l’été. • Le 8 août, alors que le front est percé par la contre-offensive alliée, les généraux allemands comprennent que la guerre est perdue. • Sur le front sud, en septembre, les armées austro-hongroises et leurs alliés locaux s’effondrent un à un : la Bulgarie en septembre, puis la Turquie en octobre. • La négociation devient alors la seule voie de sortie, mais les alliés refusent de discuter avec les empereurs, favorisant la prise de contrôle politique par divers partis. • Ce sont eux qui signeront la reddition avec les alliés, le 3 novembre pour l’Autriche (car l’empire n’existe déjà plus), le 11 novembre pour l’Allemagne. • La façon dont prendra fin la guerre, alors que les armées alliées viennent d’entrer sur le territoire allemand, dont l’armée est encore en mesure de ses battre, donnera naissance au mythe du « coup de poignard dans le dos » suivant lequel l’Allemagne n’a pas été battue par l’ennemi extérieur, mais a été trahie de l’intérieur. • En admettant la défaite avant que l’armée eût été détruite et l’Allemagne complètement occupée, l’État-major et les partis politiques espéraient éviter un sort trop cruel. • Outre la destruction des deux États germaniques tels qu’ils existaient en juillet 1914, la guerre aura entraîné du côté des peuples germaniques des pertes humaines colossales : 2,5 millions de morts et 4 millions de blessés pour le Reich; 1,1 million de morts et 3,6 millions de blessés pour l’AutricheHongrie. 3.3 — La guerre à l’arrière • L’évolution de la situation politique est liée à celle de la situation économique, même si ce n’est pas le seul facteur, la lassitude de la guerre, la défaite et les morts constituant des causes tout aussi importantes. • Au début de la guerre, à Vienne et à Berlin, l’enthousiasme est réel et fait écho à la quasi-unanimité des élites politiques. • Cet enthousiasme provient aussi de la certitude que la guerre sera courte et couronnée de succès. Le premier mois d’opérations semble donner raison aux optimistes et la stabilisation du front n’inquiète pas trop les populations. • Après le déclenchement des hostilités, le ministre allemand Rathenau met sur pied des commissions gouvernementales pour assurer l’approvisionnement et regroupe les grandes entreprises par secteur, afin de rationaliser et contrôler la production. • Tant que demeure la perspective d’une guerre courte, le blocus des côtes reste théorique et Berlin peut compter sur un approvisionnement de la part des États neutres. • Les choses se gâtent dès la fin de 1914, car les forces de l’Entente durcissent les conditions du blocus, incluant un contrôle des navires sous peine d’attaque et des efforts diplomatiques et économiques visant à convaincre les neutres de cesser d’approvisionner le Reich. • En Autriche-Hongrie, le pays étant moins bien préparé, les conséquences socio-économiques du conflit sont immédiates et les droits des travailleurs sont limités. Mais tant que la perspective d’une guerre courte existe, l’opposition reste limitée, au nom de l’union nationale. • Mais au bout de quelques mois, cette perspective s’éloigne, les premières manifestations des difficultés économiques apparaissent et, s’ajoutant au macabre décompte des morts, favorisent la montée du mécontentement. • Les socialistes sont les premiers à manifester leur mécontentement et fin 1914, le SPD est en proie à une lutte interne qui aboutira en 1917 à l’exclusion du parti des membres qui refusent de voter les crédits pour la poursuite de la guerre et qui forme en autre parti, l’USPD (Parti socialdémocrate indépendant) dont l’aile radicale est animée par Karl Liebknecht. • Mais les socialistes ne sont pas les seuls à critiquer la poursuite de la guerre et en 1917, certains nationaux-libéraux et membre de la gauche du Zentrum font pression pour une paix blanche et le 6 juillet 1917, une motion est votée au Reichstag en ce sens. • Si les militaires, qui contrôlent alors le pays, réagissent rudement à cette motion, obtenant la démission du chancelier et un droit de regard sur la nomination des prochains chanceliers, ils ont l’intelligence de comprendre les racines de ce mécontentement et vont s’employer à accélérer l’issue victorieuse. • Car le mécontentement est aussi palpable dans la population, surtout quand, la guerre s’éternisant, les difficultés économiques liées à l’approvisionnement vont devenir difficilement supportables au cours de l’année 1916, alors que les importations de produits alimentaires essentiels auront pratiquement cessé du fait du blocus. • Comme la récolte de 1916 s’avère mauvaise, il manque à l’Allemagne pour boucler l’année plus de 150 000 tonnes de céréales, sans compter l’insuffisance en ce qui concerne la viande, les produits laitiers et les matières grasses. La seule issue est alors l’établissement d’un rationnement sévère. • À noter que les matières premières industrielles viennent aussi à manquer, les stocks constitués dans les premiers mois de la guerre s’épuisent, obligeant le recours à des produits de remplacement. • En plus des problèmes que cela cause sur le front, la population est ici aussi victime d’une forte hausse des prix. • En Autriche, le rationnement a été introduit et la loi martiale proclamée dès 1915 et si elle ne parvient pas à éliminer les grèves, celles-ci demeurent limités jusqu’en 1917, d’autant que le gouvernement a aussi recours à la carotte, avec la création d’un ministère de l’assistance sociale. • L’opposition structurée à la guerre demeure faible, les socialistes maintenant une politique de main tendue avec le pouvoir, laissant à une aile gauche famélique le soin de s’opposer. • Le fait que Charles, dès 1916, envisage de sortir de la guerre, favorise ici le ralliement de la majeure partie des forces politiques. • Mais en 1917, dans les deux empires, la situation économique et sociale est devenue intenable et les mouvements d’opposition de manifestations et d’occupation vont croissant. • Au printemps 1917, Berlin est touché, puis ce sera le cas des chantiers navals de la Baltique, où les ouvriers se mêlent aux marins et forment la base, sous l’influence du mouvement en cours en Russie, de conseils ouvriers. • En Autriche-Hongrie, on évalue qu’au cours de l’année 1918, plus de 2 millions de personnes sont mortes de faim, s’ajoutant à l’hécatombe provoquée par la grippe espagnole. • Des grèves éclatent au début de janvier 1918, impliquant plus d’un demi-million de travailleurs dans la région de Vienne. Le nombre de déserteurs ne cesse de croître, pour atteindre les 230 000 à la fin de l’été 1918. • Tout cela fait en sorte que si, en effet, les forces armées allemandes n’ont pas encore été détruites à la fin de l’été 1918, le constat de l’état-major et des forces politiques civiles selon lequel la guerre était néanmoins perdue à ce moment peut difficilement être contesté. • Car l’état général de l’économie et de la société ne laissait guère de doute sur les possibilités réelles de remporter finalement le conflit : de ce point de vue aussi, une sortie rapide de la guerre semblait être la seule façon d’éviter l’écroulement des systèmes politiques. 4 — Les révolutions de 19181919 4.1 — L’échec révolutionnaire allemand et la naissance de la république de Weimar • Le changement de garde commence dès 1917, avec la démission de Bethmann-Hollweg, qui laisse la réalité du pouvoir aux chefs de l’armée, Ludendorff et Hindenburg. • Mais en 1918, les échecs militaires poussent ces derniers à laisser plus de place à des civils, mieux à même de négocier. • Le 4 octobre 1918, le prince Max de Bade, membre de la famille royale, mais réputé libéral, devient chancelier et forme un gouvernement favorable à une « paix blanche », composé entre autres de membres du SPD et en mesure de discuter avec Wilson. • Ludendorff abandonne la direction de l’armée et son nouveau chef, Gröner, annonce que l’armée ne prendra aucune part aux négociations. Lorsque Wilson annonce son refus de discuter avec le Kaiser, députés socialistes et catholiques réclament l’abdication de ce dernier. • À Kiel, depuis le 3 novembre, les marins et les ouvriers des chantiers navals ont commencé à s’organiser sur le modèle des soviets, puis le mouvement s’étend à d’autres ports du nord : Lübeck, Brême, Hambourg. • Au fur et à mesure de son extension dans d’autres villes, le mouvement soviétique se politise et le 8 novembre, une République socialiste de Bavière, dirigée par un membre du USPD est proclamée à Munich par le soviet de la ville. • Puis c’est au tour de la Saxe, suivie par Cologne, Hanovre et Hambourg. Comme en 1848, le mouvement est polycentrique et ne dispose pas de chefs, SPD, USPD ou Spartakistes faisant montre d’un activisme plus ou moins grand. • À Berlin, la crise éclate le 9 novembre, provoquée par l’arrestation d’un membre du Comité d’action fondée en 1917 et résolu à fomenter une insurrection. • L’état-major réclamant à son tour son départ, Guillaume II n’a guère le choix et abdique le 9 novembre, alors que Berlin est en état d’insurrection. Réfugié aux Pays-Bas avec sa famille, il y mourra au début de juin 1941. • Dès lors, les ouvriers de la capitale convergent vers le centre et les soldats fraternisent avec les insurgés, ce qui aboutit à une double proclamation de la république : celle de Liebknecht, chef du USPD et celle de Scheidemann, bras droit d’Ebert, chef du SPD. • Max de Bade abandonne la chancellerie au profit d’Ebert, le chef du SPD, seule force, croit-il, capable de contrôler la vague révolutionnaire qui commence à gonfler. Ebert forme alors un gouvernement mixte, comprenant trois SPD et trois USPD. • La république nait dans la confusion et sous la forme d’une dualité des pouvoirs : celui du gouvernement officiel et celui des Soviets qui ont recouvert peu à peu le territoire. • Si les socialistes dominent sans partage, leurs querelles empêcheront d’élaborer une politique cohérente, car à l’intérieur même du USPD s’est formée au cours de la guerre une tendance plus radicale, que l’on nomme spartakiste. • Dirigé par Luxembourg et Liebknecht, ce groupement rejette la mollesse du USDP et le réformisme du SPD, prônant la réorganisation de l’État sur le modèle bolchévique. • En s’associant avec diverses autres forces politiques, les spartakistes fondent en décembre 1918 le parti communiste allemand, mais leur radicalisme fera en sorte de les isoler. • Le SPD à l’intelligence d’élargir sa base en adoptant dès la formation du gouvernement Erbert des mesures très libérales (convocation d’une assemblée constituante, abolition de la censure, suffrage universel). • Le SPD multiplie les assurances auprès des gouvernements occidentaux quant à son refus d’engager l’Allemagne sur la voie du bolchévisme. • C’est aussi par l’intermédiaire du SPD que les dirigeants syndicaux parviennent dès le 15 novembre à conclure avec les grands consortiums une convention garantissant de nombreux droits à ces derniers. • Ratissant largement au centre, le SPD coupe l’herbe sous le pied aux spartakistes, dont l’isolement va croissant et ils sont les seuls à ne pas reconnaitre la légitimité du gouvernement d’Erbert, réclamant « tout le pouvoir aux soviets ». • Le 16 décembre, lorsque se réunit le Conseil national des ouvriers et des soldats et que le Congrès se rallie au point de vue du SPD quant à la convocation d’une constituante, seule structure habileté à décider de la forme et de la structure du pays, les spartakistes sont désavoués. Ne leur reste alors que l’insurrection. • Tout au long du mois, les positions se durcissent, d’autant que, bien que minoritaire, le mouvement spartakiste, devenu parti communiste, peut compter sur l’appui de certaines formations militaires, dont les très actifs marins de Kiel. • À Berlin, après la destitution du chef de la police, réputé proche du USPD, une grève générale éclate dans la ville, rapidement encerclée par les forces loyalistes, nommée Corps francs et formées à partir d’officiers et de soldats en cours de démobilisation. • Le 6 janvier débute la « semaine sanglante », alors que les forces loyalistes reprennent le contrôle de la capitale, faisant plusieurs milliers de morts, parmi lesquels se trouvent Luxembourg et Liebknecht. • En Bavière, la république des conseils sera aussi écrasée par la force en avril 1919 et pendant trois mois, alors même que l’Assemblée constituante commence ses travaux, les forces loyalistes écraseront dans le sang des Conseils révolutionnaires nés un peu partout au pays. • La répression fera au moins 10 000 morts sur l’ensemble du territoire. • La « révolution bourgeoise » triomphe de la « révolution prolétarienne » et ce sont les socialistes qui ont procédé à la mise au pas des forces radicales, gagnant l’estime et la confiance des milieux conservateurs. • À la veille de l’adoption de la constitution, le SPD est devenu un parti de la bourgeoisie, laissant tout au long des années 1920 les milieux populaires orphelins, lesquels accorderont alors leurs appuis à d’autres partis... • Lors des élections à la constituante le 19 janvier, les modérés (Zentrum, SPD et Démocrates) obtiennent 76 % des suffrages et 331 sièges sur 421. • À lui seul, le SPD a obtenu 40 % des voix, ce qui lui permet de s’imposer facilement à la tête du gouvernement. • Ebert devient président de la République et c’est une coalition comprenant des membres du SPD et du Zentrum qui dirigera le gouvernement. • Entre février et juillet 1919, les travaux de la constituante seront essentiellement consacrés à l’élaboration de la constitution, laquelle est adoptée le 31 juillet 1919 Weimar, où siège la Constituante. 4.2 — La « révolution autrichienne » • En Autriche-Hongrie, la situation est en général plus calme, mais elle n’est pas plus simple, car l’éternelle question nationale se pose alors avec acuité. • Le démantèlement de l’empire commence avant la signature de l’Armistice avec la proclamation à Paris le 26 septembre 1918 par le Conseil national tchèque d’un État indépendant. • Quelques jours plus tard, le 5 novembre est formé à Zagreb un conseil national serbe, croate et slovène, dont le but est la constitution d’un état fédéral yougoslave. • Le Monténégro rejoint fin novembre le conseil, qui proclamera à Belgrade la naissance le 1er décembre du royaume des Serbes, Croates et Slovènes. • Au nord, début octobre, un Comité national polonais avait été créé pour assurer la résurrection de l’État polonais. • Le 24 octobre, la Hongrie rappelle ses troupes et proclame l’indépendance du territoire. • Voyant l’empire se disloquer, Charles 1er avait proclamé au milieu d’octobre la transformation de la Cisleithanie en État fédéral, pendant que les germanophones décidaient eux aussi de s’organiser en dehors du cadre impérial • Le 30 octobre, une Assemblée nationale provisoire de l’Autriche allemande se réunit à Vienne, qui laissa cependant de côté la question de la nature, monarchique ou républicaine, du futur État. • Les pertes territoriales seront confirmées lors de la signature de l’armistice à Padoue le 3 novembre, lequel réclame l’évacuation par les forces armées autrichiennes de plusieurs de ces territoires, en plus d’autres, germanophones. • L’empereur s’accroche et ce n’est que le 11 novembre qu’il acceptera la réalité, sans pour autant abdiquer, laissant le pouvoir entre les mains du social démocrate Karl Renner. • À partir de ce moment, la domination politique de l’Autriche par les Habsbourg prend fin. L’empereur quittera le pays en mars 1919 et mourra à Madère le 1er avril 1922. • L’assemblée nationale provisoire de l’Autriche réunit le 12 novembre proclame la naissance de la République d’Autriche allemande et par l’article 2 de cette proclamation, qui déclare que l’Autriche allemande est une partie de la République allemande, annonce son désir de rattachement au reste des terres germaniques. • Les premières bases constitutionnelles sont posées alors, et le 18 décembre, après d’âpres débats, le suffrage universel (incluant donc le vote des femmes) est proclamé comme étant la base de la légitimité politique. • L’historiographie n’utilise pas le terme de révolution pour décrire ces événements lui préférant celui de « bouleversements », car la situation est plus calme qu’ailleurs en Europe centrale. • Comme partout, des soviets ouvriers ont vu le jour au cours de l’année 1918, s’imposant comme force politique. Mais comme en Allemagne, les socialistes modérés parviendront à canaliser le mouvement, isolant les radicaux. • Le parti communiste autrichien, né le 3 novembre 1918, malgré une croissance rapide (de 3 000 à 40 000 membres en quelques mois au début de 1919), demeure tout de même tout marginal. • Cela ne l’empêche pas de fomenter des troubles, mais le gouvernement, appuyé par l’armée, viendra sans grandes difficultés à bout des tentatives peu convaincantes menées par les communistes en avril, puis en juin 1919. • Si la répression provoque des morts, on ne voit ici rien de comparable avec l’hécatombe en Allemagne, mais le principe demeure le même : la paix sociale est assurée par le ralliement des forces libérales et conservatrices aux socialistes modérés pour faire barrage aux radicaux. 5 — Les traités de 1919 5.1 — Détruire le Reich : le traité de Versailles • C’est à la conférence de paix de Paris (janvier 1919-août 1920), que seront élaborés les principaux traités qui règlent l’ordre européen de l’après-guerre, dont ceux qui concernent l’Allemagne et l’Autriche. • La particularité de ces deux traités, c’est qu’ils ne sont pas issus de négociations entre vainqueurs et vaincus, mais pour l’essentiel (à l’exception de l’admission de quelques observations du côté allemand) imposés par les premiers aux seconds. • Les seules négociations du traité de Versailles et de celui de Saint-Germain-en-Laye ont lieu entre les puissances victorieuses, d’où le qualificatif de diktat. • La délégation allemande est contrainte de signer le 28 juin 1919 le traité qui sera promulgué en janvier 1920. • Les « négociateurs » allemands seront conspués au pays pour avoir participé à cette humiliation, au point où l’un d’eux, le ministre des Finances Erzberger, sera assassiné en 1921, même si ce n’est pas la seule motivation de cet assassinat. • Les clauses concernant l’Allemagne peuvent être divisées en trois catégories : clauses territoriales, clauses économiques et clauses limitant la souveraineté de l’Allemagne. • La première catégorie définit les frontières de la nouvelle Allemagne. À l’ouest, si on exclut les cas complexes de la Sarre et de la Rhénanie, dont le statut sera réglé ultérieurement, les frontières sont peu modifiées. • Quelques cantons passent sous contrôle belge et l’AlsaceLorraine retourne à la France. • Au nord, le Schleswig est divisé en deux après un plébiscite en 1920, le nord passant sous contrôle danois. • Les déplacements de frontières à l’est sont douloureux, car ils concernent la reconstitution de la Pologne. La Posnanie retourne entièrement à la Pologne, de même que la Prusse occidentale, à l’exception de Dantzig, proclamée ville libre sous supervision internationale. L’Allemagne se trouve ainsi coupée en deux par le « corridor polonais ». • La haute Silésie est plus complexe, à cause de l’enchevêtrement des districts polonais et allemands et il faudra attendre 1921 pour que la frontière soit fixée. • Avec l’annexion de Memel par la Lituanie en 1923 et le rattachement à la Tchécoslovaquie d’Ulcin et d’une partie des Sudètes, on doit constater que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne concerne pas les Allemands. Les pertes territoriales allemandes en 1919 • Rien d’étonnant à ce que l’Allemagne n’ait pas accepté ces frontières et que leur remise en question ait été à la base du révisionnisme d’Hitler. • L’Allemagne de 1919 se trouve amputée d’environ 11 % de son territoire (67 000 kilomètres carrés) et perd 11 % de sa population (6,5 millions d’habitants), 15 % de ses capacités agricole et 10 % de ses capacités industrielles. De même, ses colonies sont saisies et redistribuées aux vainqueurs. • En vertu de l’article 231, qui impute à l’Allemagne la responsabilité de la guerre, de très lourdes réparations sont imposées à celle-ci. • Le montant des réparations n’est pas fixé par le traité, qui se contente d’en préciser les fondements et les champs d’application, car en plus des dégâts matériels, le traité stipule que les pensions pour invalidités de guerre ou pour compenser les familles seront à la charge de l’Allemagne. • Le montant des réparations et la nature de celles-ci (monétaires ou matérielles) feront l’objet d’âpres discussions tout au long des années 1920. • Une série de clauses variées limite la souveraineté de l’Allemagne dans de multiples domaines. Il y a d’abord des aspects territoriaux à ces limitations (Sarre et Rhénanie, sur lesquelles les Alliés s’octroient des droits particuliers). • Par ailleurs, l’article 80 l’interdit l’union avec l’Autriche, autre violation flagrante de l’esprit des 14 points de Wilson. • Les clauses limitatives concernent aussi les forces armées, alors que l’Allemagne, qui ne peut plus entretenir de flotte de guerre ni d’aviation militaire, voit ses forces terrestres limitées à 100 000 hommes, dont 4 000 officiers et cette Reichswehr ne peut en outre disposer de matériel lourd. • Présentées dans le traité comme le prélude au désarmement de l’Europe, ces limitations ne seront guère suivies de gestes concrets posés par les autres puissances européennes. • Sur le plan administratif, une multitude de commissions de surveillance pour les réparations, la navigation fluviale, le désarmement, etc., vient limiter la souveraineté de l’Allemagne, qui devient alors à plus d’un titre un État sous tutelle. • Tout dans ce traité suscite le rejet et la colère des Allemands, autant son mode d’élaboration que son contenu et son principe, qui fait de l’Allemagne le responsable moral de l’hécatombe. • Il est admis par toute l’historiographie du XXe siècle que, en alourdissant considérablement la difficile situation des populations allemandes, le traité de Versailles a pavé la voie aux succès du NSDAP et constitué l’une des causes importantes de la Seconde Guerre mondiale. 5.2 — Détruire l’empire austro-hongrois : le traité de SaintGermain-en-Laye • Le traité de Saint-Germain-en-Laye, qui règle sort de l’Autriche (pas celui de la Hongrie, qui fera l’objet d’un autre traité, celui de Trianon) est signé le 19 septembre 1919 par Karl Renner, alors chancelier d’Autriche. • Le traité imposait aussi des réparations à l’Autriche, mais elle était si appauvrie au lendemain de la guerre qu’elle ne pouvait pas vraiment en verser. • Mais une commission sera mise en place pour assurer la restitution de biens « spoliés » par les Habsbourg au fil des siècles, de nombreuses œuvres d’art seront alors transférées en Belgique, en Italie et en Pologne, entre autres. • L’essentiel du traité avec l’Autriche concerne les aspects territoriaux, même si pour l’essentiel il s’agit de mettre par écrit la nouvelle situation territoriale de l’Europe orientale. • Le traité entérine la fin de l’empire austro-hongrois et sa dislocation territoriale, la Hongrie devenant indépendante. • Mais la Cisleithanie est pour l’essentiel détruite au bénéfice de multiples États successeurs. • L’Autriche doit restituer à la Pologne la Galicie (Lwow) et la Petite-Pologne (Cracovie), alors que les zones sud des Sudètes sont cédées à la Tchécoslovaquie • Les territoires balkaniques de l’empire de l’empire défunt sont pour leur part rétrocédés soit au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, soit à la Roumanie (Bucovine). • Le traité prévoit la cession à l’Italie de Trieste et de l’Istrie, la question de la cote dalmate étant laissée irrésolue, car revendiquée aussi par le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. • Mince consolation, l’Autriche obtient quatre districts germanophones (Burgenland) de l’ancien royaume de Hongrie. • Interdiction est faite à l’Autriche de porter le nom qu’elle s’est donné au lendemain de la guerre (celui de République d’Autriche allemande), ce nom faisant clairement référence au désir des Autrichiens de rejoindre la nation allemande, possibilité exclue autant par le traité de Versailles que par celui de Saint-Germain-en-Laye. Le pays se nommera donc simplement l’Autriche.