Dossier thématique
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La Lettre du Psychiatre - Vol. III - n° 1-2 - janvier-février 2007
démographiques (sexe, âge, religion, statut matrimonial, etc.)
(4). Cependant, bien que le clinicien et le chercheur disposent
de toute une série d’instruments d’évaluation (échelle d’idéation
de Beck [8], échelle d’intentionnalité de Beck [9], Risk Rescue
Rating Scale [10], échelle d’impulsivité de Barratt, etc.), il n’existe
à ce jour aucune nomenclature valide qui tienne compte d’un
quelconque modèle intégratif.
Bien que certains auteurs aient comparé la “suicidologie” à une
véritable tour de Babel (11), les CS ont pourtant fait l’objet de
nombreuses études qui, pour certaines, ont contribué à prouver
la validité d’une telle entité selon les critères méthodologiques
proposés en 1970 par Robins et Guze (12) : 1) description
clinique fine mettant en évidence des profils de symptômes
permettant la distinction d’avec d’autres entités syndromiques,
des caractéristiques démographiques spécifiques, des facteurs
de risque, 2) des études de laboratoire incluant des études post-
mortem, 3) des études d’agrégation familiale et de génétique.
Une telle approche nosologique des conduites suicidaires (“le
trouble suicidaire”), au-delà de son intérêt scientifique, aurait
l’avantage d’aider à l’élaboration de stratégies d’évaluation plus
pertinentes et permettrait l’émergence de recommandations
thérapeutiques spécifiques.
DESCRIPTION CLINIQUE
Les CS font le plus souvent référence à la survenue de tentatives
de suicide définies comme un geste auto-agressif intentionnel
dans le but de mourir. Bien que 90 % des personnes ayant commis
un suicide aient présenté un diagnostic psychiatrique au moment
de leur geste fatal, il n’en demeure pas moins que la plupart de nos
patients ne se suicideront jamais ou ne feront jamais de tentative
de suicide (4). Même parmi les patients bipolaires, connus pour
être atteints du trouble psychiatrique le plus “suicidogène”, la
prévalence sur la vie entière des tentatives de suicide n’excède
pas 50 % (13). De ce fait, il convient alors d’essayer de distinguer
les caractéristiques qui différencient les patients bipolaires ayant
des antécédents personnels de tentatives de suicide des patients
bipolaires n’en ayant jamais réalisé. Dans le cas du trouble bipo-
laire, on pourra ensuite classer ces caractéristiques en facteurs
de risque spécifiques de la maladie bipolaire (on définira alors
un sous-groupe à risque de patients bipolaires) ou bien alors en
facteurs de “risque suicidaire”, de manière moins spécifique. Nous
avons montré dans une étude récente, au sein d’un échantillon
de 307 patients souffrant de trouble bipolaire de types I et II,
que les patients qui avaient réalisé au moins une tentative de
suicide présentaient un âge plus précoce d’apparition de leur
maladie bipolaire, avaient souffert de nombreuses récurrences
dépressives, avaient plus volontiers viré d’humeur sous antidé-
presseurs et présentaient plus fréquemment un abus d’alcool (14).
Par ailleurs, ces patients se distinguaient par des antécédents
familiaux de CS plus fréquents alors qu’ils présentaient autant
d’antécédents familiaux de troubles bipolaires que les patients
bipolaires n’ayant jamais réalisé de tentative de suicide. Cela
montre donc que non seulement des caractéristiques spécifiques
liées à une certaine instabilité du trouble bipolaire, mais aussi
des caractéristiques moins spécifiques (telles que l’abus d’alcool
et les antécédents familiaux de tentative de suicide) permettent
de définir un profil à risque de CS.
Il a également été montré, au sein d’autres populations cliniques,
que certaines caractéristiques étaient associées à un risque
accru de développer des CS, quel que soit le diagnostic psychia-
trique associé. Il s’agit de l’importance de l’idéation suicidaire,
d’un sentiment de désespoir, de la présence d’une agressivité
et d’une impulsivité, des antécédents de traumatisme crânien,
de troubles neurologiques, d’abus de toxiques, du tabagisme,
des antécédents personnels d’abus (physiques ou sexuels) ainsi
que des antécédents personnels de tentative de suicide. Ont
également été associés à un risque élevé de CS certains para-
mètres sociodémographiques tels que le chômage, la ruralité,
la pauvreté, l’isolement social, encore une fois, quel que soit le
diagnostic psychiatrique associé (4, 15).
ÉTUDES DE LABORATOIRES :
CORRÉLATS NEUROBIOLOGIQUES
Le tissu cérébral post mortem de patients suicidés a longtemps
été étudié ; il a ainsi été montré une baisse du nombre des
récepteurs présynaptiques du transporteur de la sérotonine
dans la région du cortex préfrontal ventromédian, et ce indé-
pendamment de la présence de trouble dépressif majeur dans
les antécédents des patients (16, 17). Parallèlement, les auteurs
ont rapporté une “upregulation” des récepteurs post synaptiques
5-HT1A et 5-HT2A de la sérotonine dans cette même partie
du cerveau, région impliquée dans la régulation de l’inhibition
comportementale et cognitive. On peut ainsi penser que des
anomalies dans cette région du cerveau faciliteraient les compor-
tements de désinhibition et d’agressivité (18).
Par ailleurs, des taux bas de sérotonine et de son principal
métabolite, l’acide 5-hydroxy-indol-acétique (5-HIAA), ont
régulièrement été mesurés dans le liquide céphalo-rachidien des
victimes de suicide, indépendamment des éventuels diagnostics
psychiatriques associés (19). Par ailleurs, il a été montré une
corrélation significative entre des taux bas de prolactine en
réponse à la fenfluramine, un agent sérotoninergique bloqueur
de la recapture, et des antécédents personnels de tentatives
de suicide, encore une fois, indépendamment du diagnostic
psychiatrique associé (20). Des taux bas de 5-HIAA dans le
LCR seraient même prédictifs de l’apparition de CS (suicide et
tentatives de suicide) [21].
ÉTUDES D’AGRÉGATION FAMILIALE ET DE GÉNÉTIQUE
De nombreuses études d’agrégation familiale, de jumeaux et
d’adoption ont constamment démontré le caractère familial
de la transmission des CS (suicide ou tentatives de suicide)
[22]. Les auteurs ont rapporté un risque relatif de présenter
une CS oscillant entre 4 et 6 chez les apparentés de patients