dysphagie 20/04/04 D Y 12:56 S Page 16 P H A G I E S H A U T E S Dysphagies d’origine buccale ● O. Esnault*, J.P. Monteil* L es structures de la cavité buccale (lèvres, dents, palais dur et mou, mandibule, plancher et langue) ont une fonction dans la mastication et dans la réalisation du bol alimentaire avant son transfert dans le pharynx. Les dysphagies d’origine buccale sont ressenties par les patients comme une sensation de gêne, douloureuse ou non, au passage des aliments à travers la bouche. DYSPHAGIES PAR DIFFICULTÉ À AMORCER LA DÉGLUTITION Dysphagies médicamenteuses (tableau I) L’atteinte muqueuse peut être liée à plusieurs mécanismes : contact direct corrosif, mécanismes toxiques, allergiques ou immunologiques. Des atteintes muqueuses ont ainsi été observées après contact prolongé avec un comprimé d’aspirine ou de vitamine C. Les substances basiques, surtout rencontrées lors de tentatives d’autolyse, sont agressives avec des lésions retardées. Des stomatites exfoliatives avec érosions, ulcérations disséminées et glossodynies ont été décrites après la prise de médicaments. C’est la phase volontaire initiale de la déglutition qui est altérée. Une fois initiée, la déglutition s’achève normalement. Tableau I. Médicaments responsables d’ulcérations buccales. Dysphagie douloureuse ou odynophagie Lésions inflammatoires et infectieuses (1) Irritations chroniques douloureuses Il s’agit souvent d’une irritation mécanique d’un bord de langue ou de la muqueuse jugale par une arête dentaire tranchante, une prothèse ou du matériel orthodontique. L’ulcération est banale, non indurée, mais peut revêtir l’aspect d’un aphte ou même prendre un aspect tumoral par hyperplasie fibreuse inflammatoire. La guérison doit être rapidement obtenue par la suppression du facteur causal. Une biopsie est effectuée au moindre doute. Agressions physiques aiguës Si les agressions intra-buccales par la chaleur (ingestion de liquide brûlant) ou (contact avec un instrument non refroidi au cours de soins dentaires sous anesthésie locale) ou le froid sont rares, le clinicien peut rencontrer plus fréquemment des agressions par brûlures électriques, radiations ionisantes, agents chimiques ou médicamenteux. Les brûlures électriques surviennent plus particulièrement chez le jeune enfant portant à la bouche un fil électrique dénudé. L’œdème et la nécrose sont spectaculaires, touchant plus fréquemment les lèvres et la pointe de langue. Une hémorragie lors de la chute d’escarres n’est pas exceptionnelle. Les radiations ionisantes entraînent parfois une mucite érythémateuse et œdémateuse dysphagiante, majorée par la diminution du flux salivaire. *Hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris. 16 Familles DCI AINS Anticoagulants Anticonvulsivants Anti-inflammatoires coliques Antituberculeux Chrysothérapie Alkylants Antimétabolites Tonicardiaques Inhibiteurs enzyme de conversion Phénylbutazone Phénindione Carbamazépine Acide aminosalicylique Isoniazide, streptomycine Sels d’or Chlorméthine, platine, actinomycine D Méthotrexate, antipuriques Isuprel Captopril Aphtes Très fréquents, les aphtes banals apparaissent isolément ou en groupe et forment de petites ulcérations arrondies à fond “beurre frais”, cernées par un liseré rouge. Ils siègent préférentiellement à la face muqueuse des lèvres, sous la langue et sur la face interne des joues. Ces ulcérations n’excèdent généralement pas 2 à 3 mm de diamètre mais des aphtes géants peuvent dépasser le centimètre en particulier au cours de maladies générales (syndrome de Behçet). Le traitement est décevant. Les thérapeutiques locales (bains de bouche à l’aspirine, au sucralfate, aux antiseptiques) et les anesthésiques sont éventuellement associés à des cautérisations chimiques. Les traitements par voie générale sont réservés aux aphtoses sévères et récidivantes dans le cadre de maladies de système (colchicine, thalidomide). Lésions d’origine virale Dans l’herpès buccal, les lésions de primo-infection herpé- La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 231 - mars 1998 dysphagie 20/04/04 12:56 Page 17 tique réalisent une stomatite bulleuse qui peut toucher la muqueuse buccale, respectant généralement la gencive. On observe de grosses vésicules ou des érosions en bouquet, et des bulles très douloureuses responsables d’une aphagie totale. Le syndrome général infectieux fébrile est marqué et l’évolution se fait vers la guérison sans séquelle en dix jours. Les résurgences de l’herpès simplex ne sont généralement pas responsables de dysphagie sauf en cas d’atteinte gingivale ou palatine chez le sujet immunodéprimé. Au cours de la varicelle, l’éruption intra-buccale vésiculeuse est fugace laissant place à des ulcérations aphtoïdes. L’association aux vésicules cutanées de la notion de contage fait suspecter le diagnostic. Le zona d’un nerf maxillaire provoque des lésions buccales de topographie variable. La partie antérieure de l’hémilangue est atteinte en cas d’atteinte du nerf lingual et l’association à une paralysie faciale est possible. Des érosions du tiers postérolatéral de la langue et de l’oropharynx font évoquer un zona du ganglion géniculé. La symptomatologie peut être fruste, limitée à des douleurs dentaires. Les extractions malencontreuses se compliquent alors souvent d’alvéolite et de nécrose osseuse. Ces troubles trophiques du zona prédominent chez le sujet âgé. Lésions fongiques Le Candida albicans, saprophyte normal de la cavité buccale, devient pathogène à l’occasion de lésions locales ou de maladies générales (sida, antibiothérapie, corticothérapie, immunosuppresseurs mais aussi psycholeptiques). Les lésions peuvent être aiguës, subaiguës ou chroniques. L’aspect clinique typique est le muguet rencontré surtout chez le nouveau-né et le vieillard. On observe une rougeur diffuse prédominant sur la face dorsale de la langue qui peut être dépapillée, sur la voûte du palais et à la face interne des joues. La sécheresse buccale est associée à une douleur de type cuisson intense gênant la déglutition. Après quelques jours, les zones érythémateuses se recouvrent de granulations blanchâtres isolées puis confluantes, facilement détachables. La candidose peut revêtir d’autres aspects : érythromatose pure (fréquente chez l’adulte), pseudomembraneuse, ou chronique avec sa glossite typique (langue dépapillée latéralement et le long du sillon médian avec couche parakératosique blanchâtre qui recouvre les papilles). Le prélèvement local au porte-coton suffit au diagnostic mycologique. La culture doit montrer d’abondantes colonies de Candida albicans pour incriminer sa pathogénie. Le traitement repose sur les antifongiques, en bains de bouche, éventuellement dilués dans une solution bicarbonatée. Les formes à délivrance progressive (ovules gynécologiques) sont également très efficaces. Le traitement général est le plus souvent inutile dans les formes orales pures. La reconstitution d’un flux salivaire de bonne qualité constitue un élément important du traitement préventif. La paracoccidioïdomycose réalise des ulcérations douloureuses profondes des muqueuses buccales et de la langue. L’aspergillose disséminée à Aspergillus fumigatus peut affecter le dos de la langue sous forme d’ulcérations hémorragiques. La mucormycose survient sur un terrain immunodé- primé et est responsable de manifestations nerveuses, pulmonaires et digestives. Les lésions sont classiquement palatines et réalisent des ulcérations avec nécrose et dénudation osseuse douloureuse. L’histoplasmose à Histoplasma capsulum est surtout retrouvée en Afrique et en Amérique du Sud. Des lésions buccales (formations granulomateuses plus ou moins végétantes sur le palais, les gencives, la langue et les lèvres) existent dans un tiers des cas. Lésions d’origine bactérienne Les atteintes bactériennes de la cavité buccale sont extrêmement variées. L’aspect clinique permet le plus souvent de guider le traitement probabiliste ou guidé par un prélèvement. La scarlatine, provoquée par des streptocoques du groupe A producteur de toxines, réalise un énanthème caractéristique avec aspect framboisé de la langue. L’érysipèle, due également à un streptocoque hémolytique du groupe A, peut s’étendre à la cavité buccale. Elle réalise alors des lésions érythémateuses et œdémateuses avec des petites érosions hémorragiques sur le bord de la langue. Le staphylocoque doré est responsable de stomatites et de lésions bulleuses extensives. L’incidence de la diphtérie pharyngée augmente depuis quelques années avec le flux de sujets non vaccinés en provenance d’Europe de l’Est. Elle peut réaliser des ulcérations à pseudomembranes dysphagiantes. La tularémie (Francicella tularantis) réalise un infiltrat inflammatoire notamment lingual qui s’ulcère rapidement en donnant des pseudomembranes et des nécroses profondes. Au cours de la coqueluche, l’ulcération du frein lingual est très fréquente par traumatisme dentaire après les quintes de toux. Des stomatites avec glossite érosive et ulcérée ont été observées dans le cadre d’infections gonococciques. Les abcès et cellulites d’origine dentaire peuvent, en fonction de leur localisation, entraîner une dysphagie par diffusion dans le plancher buccal vers la loge sous-maxillaire. Plus rarement, il a été décrit des suppurations des espaces rétro-pharyngés ou pharyngés latéraux. Les germes rencontrés sont surtout des streptocoques et des anaérobies (Peptostreptococcus, bactéroïdes et Fusobacterium). Ces infections touchent préférentiellement le sujet diabétique et sont cliniquement bruyantes avec sialorrhée, odynophagie et dysphagie, voire détresse respiratoire. Le traitement repose sur l’antibiothérapie intraveineuse et le drainage de la collection après avoir assuré la liberté des voies aériennes (2). L’herpangine et le syndrome pied-main-bouche sont dus à des coxsackies du groupe A et réalisent une stomatite douloureuse et vésiculeuse. L’atteinte buccale est généralement plus postérieure dans le cadre de l’herpangine. Le syndrome pied-mainbouche touche les jeunes enfants : la stomatite s’associe à une éruption vésiculeuse grisâtre de la plante des mains et des pieds. La sensation de brûlure est intense avec sialorrhée et refus d’alimentation. L’haleine est fétide avec une fièvre à 39° C et des adénopathies sous-maxillaires. Le diagnostic est clinique et le traitement symptomatique avec des bains de bouche antiseptiques. L’évolution est bénigne en une dizaine de jours. La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 231 - mars 1998 17 dysphagie 20/04/04 D Y 12:56 S Page 18 P H A G I E S Lésions parasitaires Elles sont rarement retrouvées en Europe. La leishmaniose sud-américaine entraîne dans ses formes étendues des ulcères profonds et mutilants de la langue. Une macroglossie prurigineuse a été décrite dans la trichinose. Les kystes d’origine parasitaire (kyste hydatique de l’échinococcose) peuvent avoir un développement intra-lingual. H A U T E S Certaines règles hygiéno-diététiques apportent une amélioration (arrêt du tabac, soins dentaires, suppression des thérapeutiques psychotropes, etc.). La corticothérapie par voie locale (glossettes ou injections sous-lésionnelles), parfois par voie générale, améliore les formes douloureuses. Le lichen doit être surveillé attentivement et tout élément suspect doit faire préférer son ablation chirurgicale. Lésions hyperkératosiques Lichen plan Cette maladie est surtout fréquente à partir de la troisième décennie. Elle n’a pas de cause évidente, en dehors de l’association fréquente à des phénomènes psychosomatiques. Nous nous intéresserons uniquement à la forme du lichen plan érosif (figures 1, 2, 3) qui est douloureux et susceptible de dégénérer plus fréquemment. Il est retrouvé le plus souvent à la face interne des joues, dans les replis vestibulaires, sur les bords de langue, plus rarement sur les gencives, le palais et les lèvres. La lésion est blanchâtre, sans relief dans sa forme typique, et forme un réseau enserrant des îlots de muqueuse saine. Elle peut revêtir d’autres aspects : atrophiques ou dépapillants au niveau de la langue, voire bulleux, qui font place à des érosions douloureuses. Les formes atrophiques et érosives sont particulièrement exposées à la cancérisation. L’histologie peut aider au diagnostic positif quand l’aspect clinique est atypique. Figure 2. Lichen érosif. Figure 1. Lichen érosif. 18 Figure 3. Lichen érosif. La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 231 - mars 1998 dysphagie 20/04/04 12:56 Page 19 Des lichens plans atypiques des muqueuses buccales, réversibles, ont été décrits après administration de certains médicaments et toxiques (tableau II). Tableau II. Médicaments responsables de réaction lichénoïde. Familles DCI Antibiotiques, antiparasitaires et anti-lépreux Anti-inflammatoires Diurétiques Anti-arythmiques Bêtabloquants Sulfamides hypoglycémiants Hypnotiques et neuroleptiques Cuivre des alliages dentaires Tétracyclines, chloroquine, hydroxychloroquine, dapsone Acide aminosalicylique, sels d’or Furosémide, chlorothiazide Quinidine Practolol Chlorpropamide, tolbutamide Phénothiazines Les dermatoses bulleuses auto-immunes sous-épidermiques (maladie de Duhring-Brocq) sont des maladies de bon pronostic, aux manifestations buccales moins fréquentes (20 % des cas) et rarement isolées (6). Nous décrirons 5 formes. — L’épidermolyse bulleuse acquise (figure 4) de l’adulte associe des lésions cutanées (bulles en peau saine après traumatisme minime), muqueuses et phanériennes. L’atteinte des muqueuses (bouche, œil, œsophage, trachée) peut entraîner des sténoses. L’évolution est chronique conduisant à des cicatrices dystrophiques. La forme inflammatoire, proche cliniquement de la pemphigoïde bulleuse, est beaucoup plus fréquente (20 % des maladies bulleuses sous-épidermiques). Psoriasis Bien que très controversées, les formes de psoriasis avec atteinte muqueuse ont été décrites, dans le cadre d’érythrodermies psoriasiques où la dysphagie à la phase aiguë est majeure, liée à des lésions hémorragiques et érosives de la cavité buccale, de l’oropharynx et de l’œsophage (3, 4). Dermatoses bulleuses Toxidermies Dans la nécrolyse épidermique toxique ou syndrome de Lyell, après un rash morbilliforme confluent, des vésicules puis des bulles apparaissent et s’ulcèrent rapidement, touchant plus de 30 % de la surface corporelle. Les érosions labiales sont sévères avec glossite douloureuse et hypersialorrhée. L’origine du Lyell et du syndrome de Stevens Johnson est médicamenteuse : antibiotiques (pénicilline, vancomycine, sulfamides, fluconazole), barbituriques, sulfonamide, pyrasolone, AINS, anti-émétiques (5). Figure 4. Épidermolyse bulleuse acquise. Maladies bulleuses à caractère dysimmunitaire Ces pathologies peuvent toucher la muqueuse buccale et entraîner des ulcérations douloureuses. Leur diagnostic positif est clinique et fondé sur les résultats fournis par la cytologie (Nikolsky), l’anatomopathologie et surtout l’immunologie (présence d’auto-anticorps dans le sérum et dans la peau, de localisation spécifique pour chaque maladie). Le pemphigus buccal est une affection grave localisée préférentiellement à la muqueuse buccale au début de l’évolution. Toute érosion post-bulleuse tenace doit faire évoquer ce diagnostic. On observe de grandes bulles intra-épithéliales fragiles vite remplacées par des érosions superficielles saignantes, recouvertes de fausses membranes blanchâtres. Les surinfections fréquentes gênent l’alimentation. Les localisations préférentielles sont la face interne des joues et la voûte du palais. Au cours de l’évolution, d’autres muqueuses sont atteintes (nasales, génitales et oculaires) et des lésions cutanées apparaissent. Le traitement repose sur les corticoïdes par voie générale à doses dégressives et parfois sur les immunosuppresseurs. — La dermatose bulleuse à IgA linéaire est une pathologie rare à mi-chemin entre la pemphigoïde bulleuse et la dermatite herpétiforme. — La pemphigoïde cicatricielle (pemphigoïde bénigne des muqueuses ou dermatite bulleuse et atrophiante de LortatJacob) touche le sujet âgé (figures 5, 6, page 20) (7). Elle affecte les muqueuses buccale et ophtalmique, évolue par poussées entraînant cicatrices et synéchies. Les bulles sont de petite taille (tête d’épingle) reposant sur une base érythémateuse. Elles restent intactes assez longtemps avant de se rompre et de laisser des ulcérations douloureuses, gênant l’alimentation. Une gingivite desquamative isolée est également possible. Le traitement est décevant. Si le pronostic vital n’est pas en jeu, l’évolution vers la cicatrisation atrophique et rétractile pose le problème des séquelles ORL et ophtalmologiques (brides muqueuses, ankyloglossie, baisse de l’acuité visuelle, cécité). — La dermatite herpétiforme touche le sujet jeune (20-50 ans), plutôt masculin. Ses manifestations buccales sont plus fréquentes dans les zones exposées aux traumatismes, en particulier les bords de langue (figure 7, page 20). La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 231 - mars 1998 19 dysphagie 20/04/04 D Y 12:56 S Page 20 P H A G I E S H A U T E S Les épidermolyses bulleuses congénitales sont responsables de l’apparition de vésicules cutanéo-muqueuses après traumatismes mineurs. La bouche, l’œsophage et l’anus sont préférentiellement touchés. Les formes dystrophiques récessives sont plus sévères que les formes à transmission dominante : la dysphagie est plus fréquente et les lésions buccales sont plus graves. Elles peuvent aboutir à de véritables mutilations buccales avec ankyloglossie et sténose ostiale des canaux excréteurs des glandes salivaires. Le brossage des dents étant impossible, cela entraîne des caries. Le malaxage des aliments devient médiocre et les traumatismes œsophagiens répétés aboutissent à une sténose œsophagienne. Le diagnostic est clinique (dystrophies unguéales associées) et immunologique (recherche d’anticorps monoclonal en immunofluorescence) (8). Le traitement de la dysphagie aiguë repose sur de fortes doses de corticoïdes. Des inhibiteurs calciques ont également été utilisés pour lever des spasmes œsophagiens concomitants. Les sténoses œsophagiennes nécessitent des dilatations itératives. Figure 5. Pemphigoïde cicatricielle. Stevens-Johnson (érythème polymorphe bulleux ou syndrome oro-oculo-génito-cutané ou ectodermose pluri-orificielle) (figure 8). Figure 6. Pemphigoïde cicatricielle. Figure 8. Érythème polymorphe bulleux et érosif. Figure 7. Maladie cœliaque. — La pemphigoïde bulleuse est une maladie fréquente (200 à 300 nouveaux cas par an en France). Les manifestations buccales sont rares. Une gingivite desquamative douloureuse a été décrite. Des bulles muqueuses claires ou hémorragiques, peu nombreuses, de 1 à 3 cm de diamètre, laissant place à des érosions rapidement surinfectées ont également été observées. Le traitement fait appel à la corticothérapie. Il existe des formes para-néoplasiques dans le cadre de cancers digestifs. 20 Cette pathologie est de meilleur pronostic. L’origine est le plus souvent médicamenteuse ou postinfectieuse (mycoplasme, herpès). L’érythème polymorphe affecte la cavité buccale, sous forme de vésicules et de bulles rapidement érosives. Des lésions hémorragiques très douloureuses et des croûtes adhérentes touchant les lèvres, la face interne des joues et parfois la langue sont observées. La phase d’inflammation aiguë (érosion des muqueuses buccales avec dysphagie sévère) dure habituellement une quinzaine de jours, mais il a été décrit des ulcérations prolongées (9). Elle peut s’accompagner de signes généraux, avec hyperthermie, arthralgies, asthénie intense et lésions cutanées en cocardes des extrémités. La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 231 - mars 1998 dysphagie 20/04/04 12:56 Page 21 Maladie de Behçet Cette pathologie est évoquée devant des ulcérations récurrentes aphtoïdes, touchant la cavité buccale, les organes génitaux et les yeux. D’autres manifestations comme des arthrites, des thrombophlébites, des lésions cutanées et des anomalies neurologiques ont été décrites. Les ulcérations sont douloureuses, font de 2 à 10 mm de diamètre et constituent souvent la première manifestation de la maladie, touchant préférentiellement l’oropharynx et le palais mou (10). Syndrome de Reiter Ce syndrome reste d’étiologie imprécise et semble dû à une réponse immunologique anormale à certaines infections à Chlamydiae ou à germes digestifs (shigelle, salmonelle, yersinia). Il réalise une stomatite avec des placards érythémateux centrés par une vésicule qui laissent place à des érosions. Glossodynies Les glossodynies (douleurs linguales non spécifiques) sont généralement à type de brûlures ou de paresthésies. L’étiologie est souvent plurifactorielle avec une composante psychique majeure. Il est exceptionnel que ces glossodynies altèrent la déglutition, puisque le plus souvent elles sont améliorées par les repas. Le terme de glossodynie essentielle doit rester un diagnostic d’élimination. Sécheresse buccale (en dehors du syndrome de Sjögren) La diminution de la sécrétion salivaire est particulièrement sensible au niveau buccal. La fonction de lubrification indispensable au temps initial de la déglutition est altérée. L’évacuation des bactéries vers le tube digestif et la neutralisation de l’acidité produite par la pullulation microbienne buccale ne se font plus. La fonction de digestion primaire par l’amylase et la reminéralisation des dents, par le calcium et le phosphore contenus dans la salive, disparaissent. La xérostomie peut être induite par des médicaments : anticholinergiques (atropine, scopolamine), antihistaminiques, certains diurétiques, opiacés, neuroleptiques, certains antiarythmiques et anti-hypertenseurs (11), et les thérapeutiques anticancéreuses (cytotoxiques). Des sensations de salive épaisse avec dysphagie, due à l’utilisation de poudre de fixation de prothèse adjointe, ont été décrites (12). Le remplacement de la poudre par un produit liquide permet la disparition immédiate de la dysphagie. Dysphagies buccales d’origine neurogène Névralgies trigéminales et glossopharyngiennes Les accès douloureux sont précipités par la stimulation d’une zone gachette dont les stimuli peuvent être phonatoires ou masticatoires. Paralysie linguale Certaines affections neurologiques entraînent des troubles de la mobilité linguale gênant l’initiation de la déglutition. DYSPHAGIES MÉCANIQUES Le bol alimentaire devient trop volumineux pour la lumière disponible. Ce sont les séquelles de brûlures physiques ou caustiques avec brides, sténoses et ankyloglossie et les séquelles de la chirurgie buccale (reconstruction, lambeaux, etc.). Les réactions allergiques avec œdème aigu intra-buccal gênent la déglutition. Elles peuvent être de type anaphylactique (urticaire d’origine essentiellement médicamenteuse, œdème de Quincke, choc anaphylactique) ou de type retardé comme les allergies de contact, de nature médicamenteuse ou infectieuse (tableau III). Certaines infections focales (amygdalite, cholécystite, granulome dentaire) produisent des toxines bactériennes qui sont incriminées dans l’urticaire chronique. L’angio-œdème ou œdème angioneurotique non héréditaire peut réaliser une tuméfaction brusque et spectaculaire touchant l’ensemble de la muqueuse buccale et pharyngolaryngée, réalisant un tableau parfois impressionnant d’œdème de Quincke. Certains médicaments (barbituriques, tétracyclines, sulfamides, phénacétine, etc.) sont responsables d’hypersensibilité de type III et réalisent des lésions récidivantes, érythémateuses et vésiculobulleuses évoluant en ulcérations buccales douloureuses. Tableau III. Agents responsables d’urticaire de la cavité buccale. Urticaires médicamenteux Urticaires alimentaires Pénicilline, céphalosporine Sulfonamide Phénothiazine Aspirine, amidopyrine Quinine Barbituriques Iodure et bromures Protéines de poissons et de crustacés Fruits (fraises, orange, citron) Légumes (tomates, artichaut) Épices Anomalies congénitales Macroglossies congénitales Les macroglossies sont responsables d’un certain nombre de symptômes : bavage, dysphonie, difficultés de mastication et de déglutition, voire obstruction respiratoire. L’implication sur la croissance mandibulaire et les relations dentaires est importante avec risque de béance antérieure et de prognathie mandibulaire. Elles sont habituellement dues à un lymphangiome ou un hémangiome et peuvent s’inscrire dans le cadre d’une neurofibromatose congénitale. Très rarement, elles sont secondaires à des hypertrophies musculaires congénitales ou à des troubles métaboliques (maladie de Hurler). Thyroïde linguale ectopique Souvent associée à un tableau myxœdémateux, elle peut réaliser un véritable “goitre lingual” dysphagiant. Le diagnostic repose sur le scanner et l’anatomopathologie. Une opothérapie est fréquemment nécessaire après exérèse. Le kyste du tractus thyréoglosse est rarement lingual. Il est alors situé sous le foramen cæcum entraînant dysphagie et dysphonie. La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 231 - mars 1998 21 dysphagie 20/04/04 D Y 12:56 S Page 22 P H A G I E S DYSPHAGIES ET APPAREIL MANDUCATEUR Atteintes de l’innervation des muscles nécessaires à la déglutition (voir le chapitre “Dysphagies par troubles moteurs”) Constriction permanente des mâchoires La constriction permanente des mâchoires n’est pas vraiment à l’origine de dysphagie mais plutôt d’une difficulté à s’alimenter. Dysphagies et chirurgie maxillo-faciale Il a été décrit de rares cas de dysphagie totale de durées variables, allant jusqu’à plusieurs mois après chirurgie bimaxillaire. Ces dysphagies sont dues à un spasme du cricopharyngien qui, dans certains cas, nécessite une myotomie. L’hypothèse étiologique repose sur la modification de la position relative des muscles sus-hyoïdiens, intervenant dans l’ouverture du sphincter supérieur de l’œsophage (13, 14). DYSPHAGIE ET MALADIES DE SYSTEME Lupus érythémateux disséminé Les lésions de la muqueuse buccale surviennent dans 10 à 15 % des cas lors de poussées aiguës de LED. Elles touchent généralement le palais, les gencives et la face interne des joues. Ces lésions d’abord érythémateuses et purpuriques évoluent vers une ulcération peu profonde et parfois douloureuse rendant la déglutition pénible. L’association de lésions cutanées, d’atteintes labiales, d’une perforation de la cloison nasale antérieure et d’un éventuel syndrome de Raynaud fait suspecter le diagnostic. Le diagnostic positif est assuré par le bilan immunologique. Le traitement est fondé sur la corticothérapie et les immunosuppresseurs. Syndrome de Gougerot-Sjögren Maladie auto-immune qui touche la femme de plus de 40 ans et associe une sécheresse oculaire et buccale à des lésions de polyarthrite rhumatoïde. La langue montre des modifications caractéristiques : d’abord un érythème marginal avec dépapillation dorsale qui fait place à une atrophie papillaire avec aspect lisse puis lobulé du dos de la langue. Des troubles du goût sont associés. Les caries sont plus fréquentes et nécessitent des soins dentaires parfaitement exécutés et la prescription de fluor. L’atteinte de la maladie de Sjögren dépasse la cavité buccale avec des lésions œsophagiennes, une atrophie gastrique, une hépatomégalie par cirrhose biliaire primitive, et des pancréatites chroniques. La xérostomie, retrouvée dans plus de 80 % des cas, entraîne une gêne fonctionnelle majeure avec troubles de la mastication et d’initialisation de la déglutition. Le diagnostic repose sur l’anatomopathologie des glandes salivaires accessoires qui montre une involution des glandes par infiltration lymphoïde avec atrophie des acini et hypertrophie des canaux excréteurs. Le traitement emploie la salive artificielle, des sialagogues et l’utilisation d’antagonistes cholinergiques (pilocarpine). 22 H A U T E S Polyarthrite rhumatoïde La dysphagie peut être consécutive à plusieurs phénomènes : une hyposialie, une atteinte de l’articulation temporo-mandibulaire et, plus rarement, une atteinte de la moelle cervicale avec dysfonction des muscles de la déglutition. Les articulations crico-aryténoïdienne et crico-thyroïdienne entraînent plutôt une dysphonie et une dyspnée (15). L’hypothyroïdie majeure La macroglossie régulière, par infiltration mucoprotéique, entraîne rarement une dysphagie sauf en cas d’ulcération. Sarcoïdose Elle provoque des dysphagies d’origine œsophagienne par compression, mais peut réaliser une sécheresse muqueuse ou des infiltrations diffuses sous-muqueuses. Maladie de Crohn Des lésions ulcérées peuvent être observées sur la muqueuse buccale. Ces ulcérations ressemblent cliniquement et histologiquement aux ulcérations gastro-intestinales. Maladie de Horton Il a été décrit des nécroses focales plus ou moins étendues et douloureuses de la langue qui peuvent être révélatrices de la maladie. Sclérodermie systémique Elle touche plutôt la musculature lisse œsophagienne, avec apéristaltisme et sténoses peptiques, par béance du sphincter inférieur de l’œsophage. Les lésions des lèvres avec sécheresse et rétraction cutanée n’entraînent pas, à proprement parler, de dysphagie (16). Dermatomyosite - polymyosite Cette pathologie touche les muscles striés, la peau et le tissu conjonctif. Là aussi, les lésions touchent préférentiellement l’oropharynx et l’œsophage, entraînant une involution des muscles de la déglutition. L’association entre dermatomyosite et haut risque de cancer (carcinome, lymphome, voire sarcome) nécessite de surveiller ces patients. Il est décrit des nécroses extensives pharyngées et des obstructions aiguës de la bouche œsophagienne (3). MALADIES DYSMÉTABOLIQUES ET SYNDROMES CARENTIELS Diabète Les stomatites et les périodontites constituent souvent un de ses premiers symptômes chez l’enfant. Le pharynx et l’œsophage sont également touchés par une atteinte de l’innervation autonome avec reflux gastro-œsophagien par atonie du sphincter inférieur de l’œsophage. Anémies Les anémies, en particulier hypochromes, peuvent entrer dans La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 231 - mars 1998 dysphagie 20/04/04 12:56 Page 23 le cadre du rare syndrome de Plummer-Vinson ou syndrome de Kelly Paterson, associant sécheresse muqueuse, stomatite, atrophie papillaire linguale douloureuse avec aspect leucoplasique précancéreux. La complication redoutable reste la cancérisation de l’œsophage. Le traitement repose sur la supplémentation ferrique à fortes doses. L’anémie de Fanconi peut entraîner une dégénérescence de la muqueuse buccale en particulier linguale. L’aplasie avec anémie à granulocytes entraîne des lésions ulcérantes et nécrosantes profondes à l’emporte-pièce, associées à une brutale altération de l’état général. Les carences vitaminiques Les carences en vitamine C peuvent conduire au maximum au tableau de scorbut avec stomatite hémorragique et gingivite avec pyorrhée alvéolodentaire. Dans sa forme mineure, on peut retrouver une glossite dépapillante. L’association à un purpura, des douleurs dans les membres inférieurs et une altération de l’état général dans un contexte de carence en vitamine C fait évoquer le diagnostic. Les carences en vitamine A entraînent une kératinisation des muqueuses buccales, alors que le surdosage en vitamine A est responsable d’une atrophie muqueuse avec glossodynie. Les carences en thiamine (vitamine B1) provoquent le béribéri responsable de vésicules buccales douloureuses. La carence en riboflavine (vitamine B2) entraîne une glossite avec atrophie papillaire. Les lésions de la carence en niacine (vitamine B3) sont plus sévères avec stomatite érythématoulcéreuse et glossite douloureuse. Le manque de vitamines B6 et B12 (dans l’anémie de Biermer) est responsable de stomatite érosive et de glossite dépapillante. La carence en acide folique réalise des lésions similaires avec lésions aphtoïdes récidivantes. sillons. La préparation du bol alimentaire est fortement perturbée et des obstructions du pharynx ont été décrites (18). L’infiltration amyloïdienne ne se limite pas à la langue : toute la musculature pharyngée et laryngée est atteinte avec perturbation de tous les temps de la déglutition et fausses routes. L’amyloïdose des glandes salivaires peut entraîner un syndrome de Sjögren, avec la xérostomie déjà évoquée (19). ■ RÉ F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Piette et Reychler De Boeck Université. Traité de pathologies buccales et maxillo-faciale. 2. Peterson L.J. Contemporary management of deep infections of the neck. J Oral Maxillofac Surg 1993 ; 51 (3) : 226-31. 3. Deron P. Dysphagia with systemic diseases. Acta Otorhinolaryngol Belg 1994 ; 48 (2) : 191-200. 4. Harty R., Boharski M.G., Harned R.K., Agha F.P. Psoriasis, dysphagia and esophageal webs or rings. Dysphagia 1988 ; 2 : 136-9. 5. Azon-Masoliver A., Vilaplana J. 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Leucémies et greffes de moelle Ces pathologies sont à même d’entraîner des lésions de l’ensemble du tube digestif par le biais d’infections opportunistes, d’infiltrations leucémiques, ou dans le cadre de pancytopénies spontanées ou induites par la chimiothérapie avec hémorragie. On retrouve, au cours d’une étude réalisée sur le sujet, entre 10 et 20 % de dysphagies chez ces patients (3). On observe ainsi des infections candidosiques buccales et des lésions hémorragiques dysphagiantes, mais c’est l’œsophage qui reste le plus souvent touché, en particulier dans les réactions du greffon contre l’hôte (17). 13. Gaukroger M.C. Dysphagia following bimaxillary osteotomy. Br J Oral Maxillofac Surg 1993 ; 31 (3) : 189-90. L’amyloïdose Due à un dépôt extracellulaire de protéine amyloïde, la dysphagie est surtout retrouvée dans les infiltrations de la langue, entraînant immobilité et macroglossie. La langue est rouge, violacée, ferme, voire indurée et bosselée avec de profonds Parasher V.K. Dental adhesive-induced dysphagia : an uncommon presentation [letter]. Am J Gastroenterol 1994 ; 89 (3) : 460-1. 14. Nagler R.M., Peled M., Laufer D. Prolonged dysphagia after orthognathic surgery : report of a case and review of the literature. J Oral Maxillofac Surg 1996 ; 54 (4) : 523-5. 15. Ekberg O., Redlund-Johnell L., Sjoblom K.G. Pharyngeal function in patients with rheumatoid arthritis of the cervical spine and temporomandibular joint. Acta Radiologica 1987 ; 28 : 3539. 16. Montesi A., Pesaresi A., Cavalli M.L., Ripa G., Candela M., Gabrielli A. Oropharyngeal and esophageal function in Scleroderma. Dysphagia 1991 ; 6 : 219-23. 17. Mc Donald G.B., Sullivan K.M., Schuffler M.D., Schulman H.M., Thomas E.D. Esophageal abnormalities in chronic graft-versus-host disease in Humans. Gastroenterology 1981 ; 80 : 914-21. 18. Rizer F., Schechter G.L., Richardson M.A. Macroglossia : etilogic considerations and management techniques. Int J Ped Otorhinol 1985 ; 8 : 225-36. 19. 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