Jus politicum 14 – Juin 2015 Peut-on penser juridiquement l’Empire comme forme politique ?
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La situation est inverse chez Pierre Lampué : il récuse la dualité des
territoires
et décrit de manière systématique les droits politiques dans les
protectorats et territoires sous mandat. Plus que dans le Précis de législation
coloniale qu’il a publié avec Louis Rolland
, plus que dans son article sur
la citoyenneté de l’Union française
, c’est dans son Cours de législation
coloniale professé à la Libération
, véritable bilan théorique du droit de
l’Empire colonial de la IIIe République, que l’on trouvera ses analyses les
plus passionnantes sur la citoyenneté et sur l’Empire.
Ce n’est ni la notion d’Empire colonial, ni celle de citoyenneté qui pose
des problèmes à Pierre Lampué, mais celle de colonisation.
En effet, Lampué donne du premier la définition suivante à partir de
l’étude de l’Empire colonial français :
On peut entendre par Empire l’ensemble des pays dans lesquels les
gouvernements de l’État exercent leurs pouvoirs, et dans lesquels des
règles posées par les organes de l’État peuvent valoir à titre territorial. En
effet, le pouvoir des gouvernants de l’État ne s’exerce pas seulement dans
l’État lui-même, il s’exerce aussi à des titres divers, soit exclusivement,
soit en concours avec celui d’autres gouvernants, dans les pays protégés,
dans les pays sous mandat et dans les pays de condominium. L’Empire
est donc soumis, dans son entier, avec des nuances et des modalités
diverses, à un pouvoir de décision des organes de l’État. C’est cette
existence d’un pouvoir politique commun qui fait son unité.
Cette unité politique de l’Empire se traduit organiquement par la
composition des organes communs de direction car il y a des organes
centraux chargés de la direction de l’Empire en même temps que de
l’État, et qui étendent leur pouvoir à toutes les parties dont il se
compose […] [,]
à savoir les organes constitutionnels de l’État (gouvernement, notamment le
ministère des colonies, assemblées représentatives – chambres –,
assemblées consultatives -conseil supérieur des colonies), les « juridictions
suprêmes, d’ordre administratif et judiciaire
».
Voir sa discussion des thèses d’Hauriou dans Pierre LAMPUÉ, « Le régime constitutionnel
des colonies françaises », Annales du droit et des sciences sociales, 1934, IV, p. 233 sq.,
p. 242-244. Lampué y évoque ce que l’expression courante qualifie d’« Empire », c’est-à-
dire « toute collectivité politique comprenant un métropole et des dépendances coloniales ».
« […] En admettant l’unité du territoire et son identité juridique, rien n’empêcherait la
constitution de l’État d’organiser pour les diverses fractions de ce territoire des régimes
politiques distincts ou de limiter l’application de ses règles essentielles à la fraction
métropolitaine, considérée comme la fraction originaire et la plus importante de l’Empire »
(Ibid., p. 235).
L. ROLLAND & P. LAMPUÉ, Précis de législation coloniale (colonies, Algérie,
protectorats, pays sous mandat), 3e éd., Paris, Dalloz, 1940 [1931].
P. LAMPUÉ, La citoyenneté de l’Union française, Paris, LGDJ, 1950.
P. LAMPUÉ, Législation coloniale, année 1944-1945, valable pour l’année 1946-1947,
3e année de licence, Paris, Les Cours de droit, 1946.
P. LAMPUÉ, Législation coloniale, année 1944-1945, op. cit., p. 205-206.
Ibid.