Kition-Larnaca, et le programme scientifique actuel s’intéresse, à travers l’étude de ces deux sites, à l’histoire
de toute la partie orientale de l’île au cours de l’Antiquité historique.
Pour avoir travaillé dans l’île pendant plus de 40 ans, j’ai eu l’occasion de m’interroger plus largement
sur sa longue histoire sous toutes sortes d’aspects, depuis que, il y a plus de 8 millénaires, se sont organisées
au Néolithique de véritables agglomérations protégées par leur rempart, jusqu’à l’époque moderne et aux
années difficiles de la fin du XXe siècle.
L’identité chypriote, liée aux impératifs de sa situation géographique et aux aléas de l’histoire, est
indissociable de son caractère insulaire – qui d’une certaine manière la protège et permet une identification
plus claire –, et de l’imbrication des cultures différentes qui, aux diverses périodes, ont cohabité sur son sol.
Pour les historiens et les observateurs d’aujourd’hui, la complexité de la question identitaire se pose
dans toutes sortes de contextes historiques, dans lesquels les situations politiques des pays qui l’entourent
jouent leur rôle. Mais ce qui subsiste du fonds chypriote original aux périodes historiques n’est pas toujours
suffisamment pris en compte, même si l’usage d’une langue dite « étéo-chypriote » s’est maintenu pendant
longtemps, ainsi que les solides traditions religieuses anciennes. Je ne prendrai que quelques exemples.
Une figure remarquable est celle de la déesse Aphrodite Paphienne, dont l’archéologie fait tous les jours
surgir de nouveaux témoignages. On pourrait suivre au cours des siècles la filiation qui relie la Grande
Déesse païenne de Chypre aux Vierges de l’époque chrétienne. L’antique déesse de la fécondité est
représentée au moins depuis les figurines du Chalcolithique de la région de Paphos, ou plus tard par les ex-
voto de terre cuite de l’époque archaïque figurant des déesses-mères qui allaitent ; à l’époque chrétienne, les
représentations, rares dans l’art byzantin, de la Panayia allaitant l’enfant Jésus (comme en témoigne une
fresque de Kakopétria), ou le nom d’églises dédiées à la Panayia Galariotissa à Paphos, Galaktousa à
Larnaca, ou même Galaktisti à Pano-Pyrgos (gr. gala : « lait »), évoquent à travers toute l’île une dévotion
populaire millénaire envers une mère nourricière.
J’évoquerai rapidement les bouleversements de l’Âge du Bronze Récent, période qui, à la fin du
2e millénaire avant J.-C., voit naître réellement l’histoire, avec l’apparition de l’écriture transformant de façon
fondamentale les conditions de la mémoire humaine. Pour beaucoup de chercheurs, la tradition historique et
archéologique donne une place de premier plan à un événement considéré comme majeur, et qui est
fréquemment désigné comme la « colonisation mycénienne » (c’est-à-dire « grecque ») de l’île, au XIIIe ou au
XIIe s. av. J.-C. Ce point de vue renvoie à une suite d’événements historiques et de migrations que l’on
connaît mal, mais qui ont sûrement joué un rôle essentiel dans l’évolution historique de cette période : ils ont
laissé des signes archéologiques visibles (par exemple de nouvelles techniques de l’architecture ou un
renouveau complet des traditions céramiques), et surtout l’implantation durable dans l’île de la langue
grecque.
Mais je ne m’y attarde pas car nous allons avoir l’occasion de reparler de l’Âge du Bronze et de la
déesse de Paphos grâce aux collègues qui vont lancer la discussion sur ces sujets. J’insisterai plus sur deux
exemples de la période qui va du Ve au IIIe siècle avant notre ère, avec l’image de deux Chypriotes
emblématiques : l’un est le roi philhellène Évagoras Ier de Salamine, qui fut fortement impliqué dans la
politique internationale de son temps, l’autre est le philosophe Zénon de Kition, fondateur du Stoïcisme.
Il faut, en préliminaire, rappeler un événement historique avéré. C’est la « colonisation phénicienne »
qui voit, au IXe siècle av. notre ère, une population venue de Tyr s’établir à Kition-Larnaca, au point d’y
pérenniser pour plusieurs siècles non seulement son pouvoir politique et économique, mais son idéologie
religieuse, ses pratiques funéraires, ses traditions, et surtout sa langue, jusqu’à la fin du IVe s. Or cette entité
phénicienne, attestée indiscutablement par les témoignages de l’épigraphie et de l’archéologie, est souvent
considérée par la tradition classique – je veux dire les auteurs grecs relayés par les auteurs latins – comme
une enclave dans une réalité chypriote considérée comme uniformément grecque.
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