RUMEURS
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La Lettre du Sénologue - n° 8 - mai 2000
“Le citoyen soviétique possède à mon avis une entière liberté de
critique. (...) Vers 1960, avant 1965,
si la France continue à stagner, le niveau de vie moyen
en URSS sera de 30 à 40 % supérieur au nôtre.”
J.P. Sartre. Libération, juillet 1954
(coreligionnaire d’Elizabeth Teyssier)
À part ceux de Sartre, que nous disaient nos parents, déjà, en
même temps qu’une bonne torgnole sur l’occiput ? Ah oui :
“Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler, ça
t’évitera de dire des âneries”. S’il est une question pour laquelle
cette acrobatie linguale est malheureusement tombée en désué-
tude, c’est bien celle des traitements hormonaux substitutifs ! On
nage ici dans le domaine du passionnel, de l’exaltation et du fana-
tisme, avec, d’un côté, l’étendard mortifère du cancer et, de
l’autre, le “jeunisme” dictatorial. Et cela d’autant plus facilement
que la plupart des études sont contradictoires ou, du moins, ne
peuvent jamais certifier l’impossible “risque zéro”. Sans compter
que cela concerne dix millions de femmes en France et 400 000
supplémentaires chaque année. Et leur vie de ressembler à une
grande vallée de larmes : prenant “J’ai la mémoire qui flanche,
j’me souviens plus très bien” pour l’hymne national, elles obser-
vent, atterrées, le collagène qui se défile, l’infiltration adipeuse
qui se profile, associés à des fluctuations caractérielles sismiques,
le tout couronné de slogans publicitaires pour des crèmes “anti-
âge” vantées par des nymphettes prépubères !
On conçoit aisément que toutes ces femmes se prennent à rêver
d’un fantasmatique élixir de jouvence. Aucun doute : quel prodi-
gieux marché ! De quoi rendre fou de bonheur le CAC 40 !
Il y a donc les prosélytes (en gros, les allopathes) :
“Ne souffrez plus de la ménopause” (Tribune et Santé), “Rester
jeune : les molécules de l’avenir” (Questions de femmes), “Quand
la femme est l’avenir de l’homme” (Réponses santé), “Méno-
pause, un cap à passer” (Bien-être et Santé), “Comment aider la
nature” (Univers santé), “La ménopause : les femmes mal infor-
mées des possibilités de traitement” (La Presse de la Manche, La
Nouvelle République des Pyrénées), etc., où sont clairement expli-
qués les troubles physiologiques et psychologiques inhérents à la
ménopause et les possibilités de contourner ces effets par un trai-
tement adapté et modulé. Mais c’est surtout l’intérêt des ces théra-
peutiques pour l’ostéoporose qui est mis en exergue : “L’ostéopo-
rose, la maladie chronique la plus fréquente au monde” (Le
Monde), “L’ostéoporose, maladie silencieuse” (La République du
Centre), “L’ostéoporose en Europe : deux fractures par minute”
(La Voix du Nord), où il est précisé qu’avec un coût de 23 mil-
liards de francs (impliquant les consolidations orthopédiques), la
déminéralisation osseuse est plus fréquente que les cancers du
sein, de l’utérus et des ovaires réunis ! Alors quoi ! Encore un
choix cornélien pour nos mamies : Amazone ou Robocop ? Mais
la sagesse est peut-être apportée par Le Monde : “Il est conseillé
de faire de la gymnastique toute sa vie… et de limiter les chutes”.
(Quand est-ce qu’on supprime enfin les escaliers, les trottoirs, les
chiens, les tapis, les bananes et les mauvaises nouvelles ?)
De plus, on voit fleurir, dans ces documentaires (Le Nouvel Éco-
nomiste, L’Est républicain, Pour la science…), la notion de nou-
velles molécules “anticancer” révolutionnaires, dont l’équation est
aussi simple qu’OGM = JBFF (José Bové from France), à savoir
SERM = THSF ou traitement hormonal substitutif du futur ! (Il y
a peu, une patiente m’a négligemment demandé si elle ne pouvait
pas prendre du raloxifène plutôt que des estrogènes… ça devait
être une MGEN…)
Car il y a quand même une constante dans tous ces articles
s’appuyant sur les résultats bénéfiques de ces traitements du can-
cer du sein : ce sont les explications des effets délétères incontour-
nables, même faibles (tout étant relatif – cf. le risque zéro). Et,
justement, à l’AFP, le 25 janvier 2000 à 21 h GMT, Enola Gay
reprenait du service et lâchait un autre Little Boy : “L’association
estrogènes-progestérone accroît le risque de cancer du sein”. On
obtenait alors des gros titres tels : “Les traitements hormonaux de
la ménopause augmentent le risque de cancer du sein” (L’Indé-
pendant), “Gare aux estrogènes” (Le Courrier picard), “Faut-il
avoir peur des traitements de la ménopause” (Le Monde). Mais
aussi des articles, version intellectuelle : “Des études imparfaites,
des conclusions fragiles” (Le Monde), où sont expliqués les
risques de biais de sélection, de prescription, de non-prescription,
de randomisation quasi impossible, rendant les résultats peu
fiables, avec des dangers de surestimation des effets protecteurs ;
ou version pragmatique : “Hormones antiménopause : pas de
panique” (Elle), où l’on explique que “nihil nove sub sole”, que
ces résultats ne sont en aucun cas un scoop, que l’on attend ceux
d’un essai européen (d’autant plus que les filles de l’Oncle Sam
n’utilisent pas les mêmes molécules que celles du Vieux Conti-
nent) et que, de toute façon, l’avenir est aux… OGM, SERM,
JBFF (rayez la mention inutile, et si vous avez répondu SERM,
bravo, vous avez bien suivi !). Quant à nous, dans notre quotidien,
après cette bombe étasunienne, ivres de fatigue, les parotides et
les sous-maxillaires agonisants, nous avons fini par distribuer, à la
cadence des usines japonaises, l’article photocopié de Claude
Jamin paru dans le Quotidien du médecin en réponse au JAMA.
Et puis il y a, bien sûr, les contempteurs (à peu près les oh !
mais oh ! pathes, ou ceux qui ne sont pas d’accord).
À quoi les reconnaît-on ? Ils ont abandonné le tonneau, peu ren-
table, pour les allocutions médiatiques, beaucoup plus lucratives,
mais conservent leurs anathèmes terroristes, une lueur mercantile
dans leur rétine étrangement tapissée de portraits d’Abraham Lin-
coln. Parfois, certains (pour enfumer l’ennemi ?) portent même une
blouse blanche ! Et leurs harangues donnent à peu près ceci :
“Ménopause, les plantes s’imposent” (Alternative santé et L’Impa-
tient), “Le soja contre le cancer” (Objectif et Actions mutualistes),
* Clinique Sainte-Catherine, Avignon.
Revue de presse grand public
M. Escoute*
“Les hormones végétales : une autre approche de la ménopause”
(Réponses santé), “Les aliments qui remplacent les hormones”
(Médecine douce), “Femmes, on vous ment depuis 40 ans ! Ce que
les laboratoires et médecins vous cachent à propos de la méno-
pause” (La vie naturelle), où l’on retrouve des camouflets du
style : “Les médecins : une sclérose invraisemblable face aux
avancées de la recherche. (…) Des millions de femmes vic-
times d’une information mensongère de la part de ceux à qui
elles confient leur santé. Les laboratoires : le triomphe de la
publicité sur la science”. Article où il est rapporté que “les
symptômes de la ménopause, hormis bouffées de chaleur et
sécheresse vaginale, ne cèdent pas aux estrogènes mais, pire,
s’aggravent” et que “seule la progestérone naturelle est efficace
(sic)” ! Quand on voit poindre, au vu de quelques études, les
effets précurseurs cancéreux de certaines progestérones, on
peut suggérer au grand Dr Lee (maître ès progestérones)
d’acheter vite fait un lopin de terre en Argentine : la junte mili-
taire, comme chacun sait, y étant beaucoup plus clémente avec
certains…
De toute façon, après Suzuki, Sony, Nissan, Kawasaki, Honda,
Toyota, voilà le soja, en grains, en pousses, en lait, en purée, en
tofu, à ingurgiter, à mâcher, à cuisiner, à fumer (?)... Car, sociolo-
giquement parlant, il est intéressant de constater que, si certaines
Françaises ne savent pas combien de brosses à dents se vendent
par an en France, elles sont en revanche incollables sur les mœurs
culinaires du pays des geishas ! Vous me direz, c’est normal, car,
comme le souligne Jean Yanne : “Il est impossible de comparer le
QI des femmes et leurs seins, car il se vend plus de soutiens-gorge
que de biographies du père Teilhard de Chardin”.
Le “hic”, c’est que, pour l’instant, malgré une inflation galo-
pante d’articles sur le sujet, toutes ces plantes miraculeuses
n’ont fait leurs preuves qu’in vitro ou chez l’animal. Et, en
plus, hormis l’équation inconnue du dosage efficient, semble
pointer la notion de longévité thérapeutique efficace. Car on se
pose la question de savoir si les Japonaises ne développent pas
moins de cancers du sein en raison d’une imprégnation génis-
téique in utero ! Ce qui rendrait l’intérêt du soja caduc après
50 ans ! À suivre…
Un très bel article, dans La Recherche (octobre 1999), qui
lapide quelques idées reçues et risque fort de contrarier
Mme Voynet : “Neuf idées reçues passées au crible de la
science”, et ces quelques contrevérités :
Les taux de cancers sont en plein essor : si l’on élimine les
cancers du poumon dus pour 90 % au tabagisme, le taux global
de mortalité par cancer a décru de 18 % depuis 1950 (cancer
du sein compris).
Les produits chimiques synthétiques sont les principaux
responsables de l’exposition humaine aux cancérigènes :
dans l’alimentation humaine, 99,99 % des pesticides absorbés
sont d’origine naturelle : chaque plante produit son propre
arsenal chimique pour se défendre et, ainsi, un Américain
absorbe, par jour, en pesticides naturels, 10 000 fois son quota
de résidus de pesticides synthétiques !
Le régime des chasseurs-cueilleurs : notre régime alimen-
taire ayant évolué très rapidement, nous ne consommons pas
les mêmes produits que les chasseurs-cueilleurs, et la sélection
naturelle étant très lente, notre organisme n’a pas eu le temps de
développer des résistances spécifiques aux toxines contenues dans
ces plantes.
À propos du DDT : un rapport de l’Académie des sciences amé-
ricaine concluait, en 1970 : “En un peu plus de deux décennies, le
DDT a permis de prévenir 500 millions de décès”. En effet, celui-
ci a permis d’éradiquer la malaria et certains vecteurs de maladies
tels les moustiques, les mouches tsé-tsé, les puces, les poux et les
tiques. Sans compter la protection des cultures et, par là-même,
leur moindre coût, et ainsi leur accessibilité pour les populations
défavorisées.
Que vous ignoriez qu’il existe un nouveau ministère de… l’Éco-
nomie solidaire, passe encore, mais la déclaration de guerre au
cancer du 1er février 2000… Pas moins de 92 quotidiens ou hebdo-
madaires en ont parlé, annonçant une mobilisation quasi générale
des forces vives de la Nation dans un vaste programme s’étendant
sur cinq ans ou “plan quinquennal” (avis : tout parallèle douteux et
spécieux avec une quelconque planification soviétique ne pourra
être le fruit que d’esprits malveillants et béotiens !). On pourra
constater que tous les points forts de ce projet, rapportés par Domi-
nique Gillot – lutte contre le tabagisme et l’alcool, dépistage systé-
matique des cancers sein-col-côlon, amélioration de la qualité de la
prise en charge, des soins et des besoins psychosociaux et coordi-
nation des efforts de recherche –, avaient été élaborés, souhaités et
énoncés par Le Cercle (groupe de réflexion de cancérologues fran-
çais ayant fédéré public, privé, CAC et universitaires, soutenu par
Joël Ménard, ancien directeur général de la Santé). Dans le même
temps se réunissaient, sous le titre de “Charte mondiale contre le
cancer”, 160 représentants de gouvernements, cancérologues,
malades et personnalités, pour une ratification, le 4 février 2000,
par Jacques Chirac et Koichiro Matsuura.
Et enfin les scoops :
Dans Côté Femme, sous le titre “Cancer du sein : il faut que ça
bouge”, un encadré surprenant intitulé “Quand faire une mammo-
graphie ?”. Il y est écrit : “À partir de 45 ans, une mammographie
tous les deux ans, voire plus souvent…” Qui a soufflé ça, hein ?
Quand la presse se veut rassurante… Dans Réponses santé, à
propos du gène du cancer du sein : “... heureusement, la présence
du gène atteint ne signifie pas automatiquement la survenue du
cancer.” Vrai, mais avec 80 % de risques à 70 ans, et vu l’espé-
rance de vie, deux possibilités : la réalité des anges gardiens, ou la
traversée subite du macadam par les platanes.
Dans Sciences et Avenir, après les essais oncocapillaires austra-
liens, des études dermatoglyphes (empreintes digitales) améri-
caines pour prédire un avenir schizophrénique, crétinique ou can-
céreux mammaire ! Selon le Dr Seltzer (Newark, New Jersey), “la
VPP de ces anomalies est comparable à celle des mammographies
et des biopsies” ! Vraisemblablement, cet éminent docteur n’a
jamais voulu écouter son grand-père – Alka de son prénom –,
génial inventeur de la potion miracle contre les excès éthyliques
qui porte son nom.
Retrouvé dans le Wall Street Journal, Nord Éclair, Les Échos,
L’Indépendant : “Erreurs médicales aux États-Unis : 44 000 à
98 000 morts par an”, où il est rapporté que ces décès sont plus
nombreux que ceux par accident de la route, cancer du sein ou
sida ! Dans Le Parisien : “Quelque trois cents Allemandes ont été
amputées de leur sein, alors qu’elles ne souffraient d’aucun can-
cer” ; dans Le Figaro et Le Monde : “le scandale d’un essai sud-
africain truqué” et, dans Viva Magazine et L’Alsace : “Cancer : le
retard britannique”… L’Ordre mondial des avocats aurait-il lancé
une fatwa ?
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