D O U L E U R ACR 1999 La douleur et sa prise en charge en rhumatologie : traitements spécifiques des maladies ou approche globale ? L es années 2000-2010 ont été désignées par l’ILAR comme la décennie des os et des articulations (the bone and joint decade). La prise en charge de la douleur liée aux atteintes ostéo-articulaires est un objectif majeur de ce programme. Le congrès de l’ACR 1999 a fait la preuve d’avancées importantes dans l’application de thérapeutiques basées sur la compréhension des mécanismes des maladies, en particulier de la polyarthrite rhumatoïde. En revanche, dans le domaine de la prise en charge de la douleur, les données présentées étaient modestes, privilégiant les approches globales et éducatives. Les thérapeutiques médicamenteuses antalgiques présentées se cantonnaient aux nouveaux antiinflammatoires (anti-COX-2) et aux thérapeutiques alternatives, largement utilisées outre-Atlantique. Nous résumerons ici ce qui était particulièrement dévolu à la prise en charge de la douleur dans ce congrès de l’ACR qui se déroulait cette année à Boston. La douleur dans la polyarthrite rhumatoïde La douleur est bien la plainte principale dans la polyarthrite Heiberg et Kvien (Oslo, Norvège) ont réalisé une enquête chez 1 552 patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. Les questionnaires AIMS2, SF-36 et MHAQ ainsi que l’échelle visuelle analogique (EVA) pour la douleur et la fatigue étaient adressés aux patients par courrier. La douleur est l’objectif principal à traiter pour 68,6 % des patients, suivie de la mobilité articulaire pour 23,9 % des patients. Par contre, chez les patients ayant un seuil de douleur modéré, c’est la mobilité articulaire qui devient l’élément principal à rétablir. 40 La douleur de la polyarthrite rhumatoïde n’est pas corrélée à l’activité clinique ou biologique de la maladie Carr et coll. (Chertsey, Grande-Bretagne) ont étudié les facteurs influençant la perception de la douleur chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. Ils ont réalisé cinq mesures de la douleur par échelle visuelle analogique : douleur globale, douleur maximale, douleur au mouvement, au repos et douleur localisée aux articulations atteintes. Chez 100 patients interrogés atteints de polyarthrite rhumatoïde, aucune des variables objectives de la polyarthrite (critères biologiques, nombre de synovites, indice d’activité...) ne permet de prédire la douleur. Seuls le handicap, la gêne fonctionnelle et le coping (stratégie pour faire face) sont des éléments prédictifs de la douleur au mouvement et de la douleur globale. Ces données suggèrent, d’une part, que les facteurs psychologiques et sociaux sont des éléments prédictifs très importants de la mesure de l’intensité de la douleur et, d’autre part, que les facteurs prédictifs de la douleur sont différents pour la douleur au repos et la douleur au mouvement, même dans la polyarthrite rhumatoïde. L’exercice physique n’entraîne pas de poussée inflammatoire de la polyarthrite rhumatoïde Bearne et coll. (Londres, Grande-Bretagne) ont étudié l’effet de l’exercice sur la douleur (mesurée par EVA), sur la production de cytokines pro-inflammatoires (IL1ß, IL6, TNFα) et sur les synovites chez 88 patients atteints de polyarthrite rhumatoïde comparés à 46 patients avec activités quotidiennes habituelles. L’étude montre que l’exercice physique est bien toléré, qu’il n’augmente pas la production de cytokines ni le niveau de douleur et ne doit donc pas être contre-indiqué chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. La douleur dans l’arthrose : une prise en charge globale et physique Le “coping” ou faire face à l’arthrose Burks et Conn (Columbia, États-Unis) ont étudié les stratégies adaptées à l’arthrose chez 93 patients, ce que l’on appelle le coping, surtout étudié dans les maladies chroniques et les rhumatismes inflammatoires. Le coping est la stratégie mise en place pour faire face à une maladie : un patient n’ayant pas une stratégie adaptée La Lettre du Rhumatologue - n° 259 - février 2000 D aura une évolution plus défavorable qu’un patient sachant faire face aux complications de la maladie. Les campagnes d’information des patients sont très importantes pour le coping. L’étude montre que, chez les patients arthrosiques, le coping est également un élément prédictif important de la douleur et du handicap. Les interventions qui visent à modifier le coping, approches globales ou éducatives, auront donc un retentissement sur la douleur et le handicap de ces patients et doivent être mises en place dans l’arthrose. L’exercice physique : même à la maison ! L’exercice physique confirme son efficacité dans la diminution des douleurs de la gonarthrose, mais ne doit pas forcément être pratiqué dans des structures spécialisées. O’Reilly et coll. (Nottingham, Royaume-Uni) ont montré que, même réalisé à domicile, un programme d’exercices contrôlé régulièrement par téléphone pouvait réduire significativement la douleur et améliorer la fonction dans la gonarthrose symptomatique. L’exercice physique préconisé pour les gonarthroses consistait en plusieurs séries de flexions et de contractions isométriques du quadriceps. Anti-inflammatoires non stéroïdiens ou paracétamol ? Si le paracétamol présente des effets secondaires nettement moins fréquents et importants que les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), son efficacité semble moins marquée. Wolfe et coll. (San Francisco, États-Unis) ont étudié par questionnaire la préférence pour les AINS ou le paracétamol de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, arthrose ou fibromyalgie. Seuls deux tiers des 1 799 patients interrogés ont déjà utilisé du paracétamol, sur lequel l’étude a porté. Si l’on analyse uniquement l’efficacité, 25 % de ces patients trouvent que le paracétamol et les AINS sont équivalents, 60 % préfèrent les AINS et 12 % le paracétamol, la préférence pour les AINS se retrouvant dans les trois groupes de patients (PR, fibromyalgie et arthrose), moins forte pour les patients arthrosiques. Si l’on associe efficacité, risque et coût, le paracétamol est considéré comme supérieur ou égal aux AINS par 38,9 % des patients. La Lettre du Rhumatologue - n° 259 - février 2000 Pincus et coll. (étude multicentrique aux États-Unis) ont démontré une efficacité supérieure sur la douleur et la fonction (appréciés par le WOMAC) de l’association diclofénacmisoprostol par rapport au paracétamol seul dans l’arthrose du genou et de la hanche. Les attitudes des médecins face aux médecines alternatives Callahan et coll. (Atlanta, États-Unis) ont étudié un échantillon de 20 000 médecins lecteurs du Bulletin of Rheumatic Diseases. Le taux des réponses était de 15 %, dont 27 % provenant de rhumatologues, 66 % de médecins généralistes et 7 % d’autres spécialistes. Parmi ces médecins, 47 % pensent que ces thérapeutiques non conventionnelles sont efficaces et les recommandent, 37 % pensent que quelques-unes sont efficaces, mais ne les recommandent pas, et 4 % mettent leurs patients en garde contre elles. Lors des consultations, 12 % des médecins introduisent d’eux-mêmes ces thérapeutiques, 27 % lancent une discussion sur le sujet sans intention de les prescrire, 59 % en parlent seulement si le patient décide d’en parler, et seuls 2 % ne veulent pas en discuter ! Parmi les 64 thérapeutiques citées, les suivantes sont recommandées par plus du tiers des médecins : acide gras oméga 3, glucosamine sulfate, chondroïtine, massage suédois (?), yoga, tai-chi, spiritualité, biofeedback, méditation, relaxation, tenue d’un journal, musicothérapie, massages profonds, ostéopathie, chiropraxie, acupuncture, capsaïcine, crème à l’aspirine. Manek et coll. (Palo Alto, États-Unis) ont étudié 502 patients atteints d’arthrose de hanche ou de genou et n’ont pu trouver de facteurs prédictifs de l’utilisation de thérapeutiques alternatives chez ces patients, qui prenaient des AINS dans 81 % des cas et des AINS associés à des thérapeutiques alternatives dans 23 % des cas (glucosamine sulfate et chondroïtine sulfate essentiellement). La fibromyalgie : des programmes multidisciplinaires et éducatifs Cette année, on trouvait nettement moins de posters dévolus à la fibromyalgie et peu O U L E U R de nouveautés, même si les deux puissantes associations de patients sont toujours présentes et actives. Les études insistent actuellement sur la prise en charge globale et la réactivation physique. Sport ou fibromyalgie, il faut choisir ! Clauw et coll. (Washington DC, ÉtatsUnis) ont montré que l’arrêt de l’activité physique chez des patients ayant une activité physique régulière (4 heures par semaine) entraînait des symptômes proches de ceux de la fibromyalgie au bout d’une semaine. Cela est, bien sûr, à replacer dans un contexte américain, où le culte du corps et de l’activité physique (sportaddicts) est bien connu. Douleur en ligne : méfiance ! Goldenberg et Miller (Newton, États-Unis) ont étudié le contenu de 120 sites Internet consacrés à la fibromyalgie. Cinquantecinq pour cent des sites étaient réalisés par des patients, 14 % par des associations de fibromyalgiques, 9 % par des universités, 9 % par des sociétés commerciales. Par contre, 45 % proposaient à la vente des produits, livres, vitamines ou thérapeutiques alternatives et 9 % diffusaient un contenu religieux. La qualité des informations a été étudiée ; il s’avère que, sur ces sites, plus de 50 % de l’information sur la fibromyalgie, sa pathogénie ou son traitement sont faux. Les sites Internet sont notamment faussés par les nombreux liens commerciaux sans aucun contrôle : ce fait n’est pas spécifique des sites consacrés à la fibromyalgie, mais il est ici particulièrement criant. De la douleur, pas de plaisir Yunus et coll. (Knosha, États-Unis) ont étudié, à l’aide d’un questionnaire, la satisfaction sexuelle de 36 patientes fibromyalgiques comparées à des patientes contrôles. Dans le groupe des fibromyalgiques, la satisfaction sexuelle est significativement inférieure à celle rapportée dans le groupe contrôle, alors que le pourcentage de femmes mariées est supérieur chez les fibromyalgiques (78 %) comparativement au groupe contrôle (60 %). De là à tirer des conclusions... S. Perrot, service de rhumatologie A et Centre de la douleur, hôpital Cochin, Paris 41