douleur occupe une place particuliè- rement importante dans la relation éta-

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É d i t o r i a l
Voulez-vous souffrir avec moi ?
● L.
L
A douleur occupe une place particulièrement importante dans la relation établie entre les soignants et les malades. Elle
traîne avec elle sa charge d’angoisse et de culpabilité. Angoisse et appréhension de la personne qui souffre. Angoisse des soignants également de “mal faire” et de “faire mal”,
culpabilité de ne pas reconnaître, de provoquer et de mal soulager la douleur. Dans le
cas particulier des affections proctologiques,
la douleur prend une dimension encore plus
grande par la prévalence élevée des plaintes
douloureuses, l’intensité des manifestations
algiques de certains gestes de chirurgie proctologique et les incertitudes diagnostiques
regroupées pudiquement sous le terme d’algies pelvi-périnéales essentielles.
Les Français souffrent souvent de la région
anale. C’est, en matière de prévalence, une
plainte proctologique fréquente. Dans une
enquête par questionnaire auto-administré
auprès d’un échantillon représentatif de la
population française, près d’un Français sur
quatre de plus de 15 ans a souffert de douleurs anales durant la dernière année (1). Il
peut s’agir d’une douleur survenant principalement au moment de la défécation (une
personne sur cinq) ou indépendante des épisodes défécatoires (une personne sur dix).
Parmi les personnes qui ont ressenti un ou
plusieurs problèmes proctologiques au cours
de la dernière année, une sur dix considère
qu’il s’agit du problème proctologique le plus
gênant. La douleur existe depuis moins de 6
mois chez seulement une personne qui souffre
sur deux. La douleur anale motive, en définitive, une prise en charge médicalisée
(consultation au moins) dans plus de 60 %
des cas.
* Rennes, [email protected].
Siproudhis*
Vincent de Parades et ses collaborateurs ont
construit un dossier dont l’objectif principal
est l’identification de cadres étiologiques particuliers à certaines douleurs que nous qualifiions autrefois d’essentielles. Il offre la
richesse sémiologique que peut attendre tout
clinicien avide de connaître ou de rebaptiser
de nouvelles maladies et de poser un nom sur
un cadre syndromique. Malgré la concision et
la clarté du document, on ne peut qu’avancer
avec prudence dans ce dédale de contextes
algiques. Encore trop souvent la pathogénie
n’est “qu’hypothèse”, le diagnostic n’est “que
clinique” et la démarche thérapeutique assez
fréquemment empirique. Il existe de nombreux
essais contrôlés et randomisés évaluant tout
ou partie de la prise en charge thérapeutique
des douleurs pelviennes (128 essais parmi les
1 549 publications ayant pour principal objectif diagnostique ou thérapeutique les douleurs
pelviennes). Dans le cas particulier des proctalgies fugaces, syndromes des releveurs et
autres coccygodynies, les articles sont sept fois
moins nombreux et on ne recense que deux
essais contrôlés et randomisés. C’est dire si le
chemin est encore long avant que ces cadres
syndromiques soient référencés au même titre
que la fissure anale chronique, par exemple.
Réduire le concept des algies “essentielles”
ou “non habituelles” de l’anus à ces seuls
cadres syndromiques serait méconnaître les
syndromes douloureux pelviens complexes
(terme cher à Jean-Jacques Labat) qui ont pu
débuter sous l’aspect sémiologique d’un syndrome du canal d’Alcock avant de diffuser aux
structures musculaires profondes et les rendre
atypiques tant dans leur présentation que dans
leur prise en charge. Ce serait aussi méconnaître les algies profondes observées chez les
malades souffrant de syndromes fibromyalgiques plus généraux. Ce serait enfin négliger
les douleurs pelviennes chez les malades souffrant de troubles de la statique pelvi-rectale
tant les données scientifiques manquent : la
pratique clinique sait pourtant nous le rappeler quotidiennement. Chez respectivement 42,
40 et 56 % des malades (2) ayant une recto-
Le Courrier de colo-proctologie (IV) - n° 3 - juill - août - sept 2003
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cèle significative, une
procidence
rectale de
haut grade
ou une entérocèle, des
algies pelviennes sont
rapportées :
c’est le motif
principal de
la consultation et des explorations complémentaires chez 10, 11 et 12 % respectivement
des malades présentant le trouble de la statique considéré. Quelle explication donner aux
personnes ayant un prolapsus rectal vis-à-vis
de douleurs hypogastriques ou pelviennes profondes à irradiation crurale qu’ils ressentent
au cours et au décours d’un épisode défécatoire ? Faut-il proposer une cure chirurgicale
de rectocèle parce que celle-ci est profonde et
parce que sa palpation reproduit la douleur
mécanique de cette patiente ? Faut-il ne pas
le lui proposer, parce que les douleurs ne sont
pas un élément sémiologique classiquement
rapporté dans les études qui évaluent le résultat du traitement chirurgical des rectocèles ?
Les questions sont nombreuses : ce numéro,
attaché par bien des aspects à la prise en
charge de la douleur (dossier thématique,
fiche technique, fenêtre sur… florinet), n’y
répondra que bien partiellement. Qu’importe
aujourd’hui, l’essentiel est, pour nous cliniciens, de ne pas y être indifférents.
■
R
É F É R E N C E S
1. Enquête SNFCP-Beaufour Ipsen Pharma-
SOFRES 2003 (7 196 questionnaires exploitables).
2. Base prospective de données 1997-2001, n = 811,
rectocèle significative (n = 223), procidence rectale
de haut grade (n = 185) entérocèle (n = 114).
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