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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIX - n° 4 - juillet-août 2004
M
I S E A U P O I N T
à l’échappement immunitaire. Cela laisse le temps à la DC de
le tra n s p o r ter ve r s les régions T des organes lymphoïdes. Quand
les DC rencontrent une cellule T, VIH-1 retourne à la surface
c e l l u l a i re et DC-SIGN le transmet aux ly m p h o c ytes T, a u g-
mentant ainsi l’infection de ces cellules. De plus, dans les DC
infectées, la protéine Nef de VIH-1 perturbe le parcours intra-
cellulaire de DC-SIGN,ce qui entraîne une forte augmentation
des taux de DC-SIGN à la surface des DC, avec comme consé-
quence une amplification de l’adhésion aux cellules T et de la
transmission du VIH (15). Enfin, DC-SIGN, après avoir per-
mis la cap t u re du virus par les DC, facilite l’infection “en tra n s ”
de cellules permissives à la réplication.
DC-SIGN permet la cap t u re du virus par les DC subépithéliales
des muqueuses et facilite son transport vers les régions T des
organes lymphoïdes secondaires où a lieu l’infection des lym-
p h o cytes T CD4+. Il est important de noter ici que les DC ex p r i-
mant DC-SIGN sont entre autres localisées in vivo près de la
lamina propria des muqueuses du rectum, de l’utérus et du col
u t é r in. Elles peuvent cap t u rer les virions ayant un tropisme pour
les corécepteurs CCR5 et CXCR4 et infecter secondairement
des cellules permissives. Or,in vivo, il existe une transmission
préférentielle des virus ayant un tropisme pour CCR5. L’inter-
action avec un autre type de DC n’exprimant à leur surface que
C C R 5 , et pas DC-SIGN, comme les cellules de Lange r h a n s
(DC des épithéliums malpighiens) ou les monocy t e s / m a c r o-
phages, pourrait expliquer la restriction de la transmission aux
souches R5.
DC-SIGN ET CYTOMÉGALOVIRUS (CMV)
L’ i n fection par le CMV (ou HHV-5) est répandue dans le monde
entier (50-90 % de prévalence). Ce virus peut être mis en évi-
dence dans le sperme, l’urine, la salive, les fèces, les sécrétions
situées au niveau du col de l’utérus (surtout pendant la gros-
sesse), et dans le lait maternel. Le CMV peut devenir un pro-
blème dans trois circonstances principales. Chez la fe m m e
e n c e i n t e, la transmission fœtomat e rn e l l e , avec un cas pour
1 0 0 naissances et des séquelles dans env i ron un cas pour
10 0 0 n a i s s a n c e s , fait du CMV une des pre m i è res causes d’em-
bryo-fœthopathie infectieuse. Chez les malades infectés par le
VIH et au cours d’autres immu n o s u p p re s s i o n s , des at t e i n t e s
viscérales spécifiques (rétiniennes, digestives...) sont décrites.
Chez les greffés, le CMV pourrait être impliqué dans le rejet
ch ron ique de gre ffons solides (16). M a l g ré la somme de
connaissances accumulée au cours des trente dernières années,
depuis sa mise en évidence,le CMV reste mystérieux et fidèle
à sa devise, qu’il partage avec tous les autres herpèsvirus : pour
vivre heureux, vivons cachés !
Comme les virus de l’immu n o d é fici ence humaine, d ’ E b o l a
(17), de l’hépatite C (18) et de la dengue (19), le CMV humain
(HCMV) a également la capacité d’interagir avec les DC via
D C - S I G N,et au-delà, de participer activement aux événements
précoces de la physiopathologie de l’infection à CMV (20). À
l’instar du VIH, le blocage in vitro de DC-SIGN,par des anti-
corps neutralisants, inhibe non seulement la capture du CMV
par les DC, mais aussi la transmission du virus vers d’autres
types cellulaires permissifs (phénomène de “trans-infection”).
La neutra l i s ation de DC-SIGN empêche en outre l’infe c t i o n
des DC par des isolats cliniques de CMV. Des expériences uti-
lisant une lignée cellulaire DC-SIGN positive et fa i blement sus-
c ep t i ble au CMV (i.e. le virus infecte la cellule, mais ne se mu l-
tiplie pas – pas de cy cle ly t i q u e ) , comparée à la lignée pare n t a l e
– DC-SIGN négat ive – ont montré que l’ex p r ession de DC-
SIGN suffisait, dans ce cas, pour rendre la cellule complète-
ment permissive au virus (i.e. le virus rentre et se multiplie –
lyse de la cellule). Les mécanismes exacts de ce phénomène
(“cis-infection”) sont encore inconnus, mais ces données sug-
gèrent déjà que DC-SIGN a un rôle facilitateur de l’infection
CMV. Les résultats que nous avons obtenus apportent un éclai-
rage nouveau sur les mécanismes moléculaires impliqués dans
l’infection des DC par le CMV, surtout lorsque l’on sait que le
CMV a des pro p riétés immu n o s u p p r e s s ives fo rmellement docu-
mentées (21). Brièvement, l’infection d’un hôte par le CMV
est nécessaire au déclenchement d’un programme codé par le
génome viral visant à diminuer les capacités de défense de
l ’ h ô t e. Des travaux récents ont démontrés que les DC pouva i e n t
ê t re infectées in vitro par le CMV, à condition d’utiliser une
souche primaire, non adaptée à la culture in vitro (i.e. isolat cli-
nique) et des DC immatures. Dans ces conditions expérimen-
tales stri c t e s , les auteurs de ces trava u x , e f fectués chez l’homme,
ont démontré que des DC infectées par le CMV voyaient leurs
fo n c t i o n s , p rincipalement de stimu l ation des ly m p h o cytes T,
fo rtement affectées ( 2 2 ) . Les mécanismes conduisant à cette
perte de la fonctionnalité des DC par l’infection CMV reposent
p rincipalement sur la diminution de l’ex p ression des molécules
costimulatrices (i.e. CD80, CD86) et des molécules du CMH
de classe I (rétention dans le réticulum endoplasmique par la
glycoprotéine virale gpUS3, translocation dans le cytoplasme
et dégradation par gpUS2/11 et, enfin, inhibition de TAP et du
chargement des peptides par gpUS6) et II (inactivation virale
du tra n s - a c t ivateur des molécules de classe II, C I I TA) ( 2 3 ) .
DC-SIGN ET INFECTIONS À MYCOBACTÉRIES
Très récemment, deux groupes indépendants ont montré que
les mycobactéries (en particulier Mycobacterium tuberculosis)
utilisaient également DC-SIGN par l’intermédiaire d’un motif
o l i g o-mannosylé de l’extrémité d’un lipog lycane ab o n d a m m e n t
présent dans la paroi cellulaire des mycobactéries virulentes à
croissance lente,le Man-LAM (mannose-capped lipoarabino -
mannan) (24, 25). Man-LAM est reconnu par DC-SIGN, mais
également par d’autres récepteurs tels que CD11b ou CD11c.
Le CD11 fait partie du récepteur au complément de type 3
(CR3) qui fixe les mycobactéries soit directement par un site
de liaison au mannane,soit indirectement en fixant des com-
posants du complément activé présents sur la surface bacté-
rienne. Néanmoins, grâce à des études menées avec des anti-
corps bloquants, il semble que la liaison des mycobactéries aux
DC ne se fasse que par DC-SIGN,et non avec les autres récep-
t e u r s. Man-LAM est un motif absent ou modifié dans les
souches saprophytes ou d’autres souches de mycobactéries à
c roissance lente (comme M y c o b a c t e r ium av i u m). DC-SIGN