Éditorial © Le Courrier de l’éthique médicale (2), n°3; juillet-août-septembre 2002. Ch. Hervé* L a récente loi, dite de “Démocratie sanitaire”, adoptée par le Parlement français en mars 2002, introduit dans le domaine de la santé et des soins des mesures et règlements qui, les unes ajoutées aux autres, en arrivent, de fait, à modifier radicalement les bases de la médecine et de la santé publique. La question de la légitimité d’un recours au droit et, qui plus est, à la loi est un sujet récurrent. Bien entendu, on peut s’interroger sur la concordance de vues existant entre un choix politique, expression d’une idéologie, et des représentations sociales (de la santé, du progrès, du sens donné à la vie, des missions des institutions…), ainsi qu’avec les nécessités de la réalité quotidienne, qui fondent la faisabilité de l’action sur le terrain. Les tensions découlant de cette confrontation sont évidemment éthiques. L’hôpital ou le cabinet médical peuvent-ils être le lieu d’avancées sociales, fût-ce aux dépens des missions de soins et d’accueil des malades ? Et comment, alors, appliquer une loi qui n’est que l’expression légitime d’une idéologie : celle de la “démocratie sanitaire” ? Mais qui, par ailleurs, pourrait s’opposer à de si louables intentions, nonobstant leur déphasage avec une quelconque faisabilité ? Le risque n’est-il pas de déboucher sur des procédures complexes qui, loin de favoriser une meilleure insertion du patient au sein du dialogue médical, ne peuvent que favoriser l’extension d’un principe de précaution, antinomique avec une action médicale, imprévisible, toujours incertaine, touchant au sacré de la personne et remettant constamment en cause les limites que bâtit le sens commun ? Peut-on continuer à entretenir un cli- * Laboratoire d’éthique médicale, faculté de médecine Necker, Paris. mat de défiance qui, à coups de lois mal comprises, ne peut que dériver vers un souci de protection, non des patients mais des intérêts des médecins et des institutions de soins ? Pourquoi ne pas promouvoir de manière responsable une saine confiance fondée sur des évaluations qui indiqueraient sur le terrain les excellences, mais aussi les insuffisances, des praticiens et des administrations de santé publique ? Pourquoi ne pas jouer la responsabilisation des professionnels et promouvoir les métiers, d’autant plus qu’ils sont naturellement et par essence à risques ? Tout cela demande du temps et de l’éducation. Vouloir “rééquilibrer l’inégalité entre médecin et malade”, ce qui est le sens donné à la loi du 4 mars, mais en instituant la méfiance, est anachronique dans une société de progrès. Au contraire, il s’agit d’aider les professionnels dans les perpétuels choix qu’ils ont à faire, leur demandant leurs arguments, leurs réflexions et leurs bases de réflexion. Ce qui est le rôle du milieu universitaire… et celui du juge, lorsqu’il y a plainte! La République doit avoir une politique de santé fondée sur un projet de société, par-delà la pratique des lobbies qui règnent sur le communautarisme anglo-saxon. Elle ne saurait se satisfaire d’actions qui ne contribueraient pas à la promotion du lien social, à l’entente entre les individus, qui, au travers de leurs responsabilités de citoyens, adhéreraient au bien commun ainsi défini. Ce dont il est alors question, ce ne peut être de satisfaire les revendications spécifiques de tel ou tel groupe mais de bâtir un projet de société, au sein de laquelle l’homme soit respecté et responsable, contribuant à l’évolution vers une société plus juste et meilleure pour le plus grand nombre, voire pour tous, compte tenu des différences de cultures et de besoins de chacun. ■ Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 9, novembre 2002 Éditorial Vouloir “rééquilibrer l’inégalité entre médecin et malade”, en instituant la méfiance, est anachronique dans une société de progrès 167