L'AGENT DELTA, VIRUS DE L'HEPATITE D Propriétés physico-chimiques, structure, pouvoir pathogène Données pathogéniques et épidémiologiques N. KODJOH*, C. BUFFET** RESUME Les auteurs, à partir de la revue de la littérature, font le point sur nos connaissances actuelles en ce qui concerne les propriétés physico-chimiques, la structure, le pouvoir pathogène, et l'épidémiologie de l'agent delta, troisième virus des hépatites identifié en 1977 par RIZZETTO et coll. Les mécanismes pathogéniques sont discutés. Du fait que l'infection par l'agent delta exige une atteinte préalable ou concomitante par le virus de l'hépatite B (VHB), sa prévention passe obligatoirement par la vaccination contre le VHB. L'agent delta, troisième virus des hépatites, n'a été identifié qu'en 1977. Depuis, il a fait l'objet de nombreux travaux qui ont permis d'en préciser la nature, le pouvoir pathogène, l'épidémiologie et le mécanisme des lésions qu'il détermine. Ce travail se propose de faire le point sur nos connaissances actuelles en ce qui concerne ce nouveauvenu dans le monde des virus hépatotropes. 1 - HISTORIQUE En 1977, RI ZETTO et Coll. (61) étudient, par la technique de l'immunofluorescence directe, des biopsies de foie de patients séropositifs pour l'antigène HBs (HBs Ag). Ils remarquent qu'un anti-sérum anti-HBc colore les fragments de foie dans lesquels les particules antigéniques HBc peuvent être mises en évidence. Le même anti-sérum réagit avec des fragments de biopsie dépourvus de particules antigéniques HBc. Ceci suggère qu'il y a deux spécificités antigéniques, et que l'anti-sérum utilisé contenait deux anticorps : l'un, I'anti-HBc ; l'autre, Jusque là inconnu, qui réagit avec un antigène nouveau que les auteurs se proposent d'appeler delta. * Hépatogastroentérologue, Chef de clinique, Assistant à la Faculté, CNHU, BP 386, Cotonou (République du Bénin). ** Professeur d'hépato-gastroentérologie, Service des Maladies du Foie et de l'Appareil digestif, Centre Hospitalier de Bicetre, 78 rue du Général Leclerc, 94275 Le Kremlin Bicetre Cédex. Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (4) Après avoir montré que ce nouveau système antigèneanticorps est bien distinct des trois systèmes connus associés aux infections par le virus de l'hépatite B (VHB) : HBs Ag - anti HBs, HBc Ag - anti -HBc, HBe Ag - anti HBe, les auteurs le dénomment système antigène - anticorps delta. La preuve du caractère pathogène d\e l'agent delta, et de la nécessité pour lui de ne pouvoir se répliquer qu'en présence d'une infection par le VHB est fournie par les expériences de transmission expérimentale au chimpanzé (63). Dans ces expériences(63),on injecte à des chimpanzés ayant différents statuts pour le VHB, un inoculum composé par le sérum de deux patients ayant une hépatite chronique B et de grandes quantités d'antigène delta (HDAg) dans le foie. On obtient les résultats suivants : - Tous les animaux susceptibles (c'est-à-dire n'ayant pas de marqueurs sérologiques pour VHB avant l'inoculation) font une infection au VHB et au VHD. - Les animaux immuns (porteurs de l'anti-HBS avant l'inoculation) demeurent asymptomatiques et ne développent pas d'infection delta. - Les animaux porteurs chroniques de l'Ag HBs avant l'inoculation développent une hépatite delta qui peut devenir chronique. Ces expériences mettent en évidence deux faits d'une importance capitale : - l'infection par le VHD nécessite une infection concomitante ou antérieure par le VHB pour se développer. - le pouvoir pathogène du VHD est distinct de celui du VHB, mais dépend de l'expression du VHB. En effet, l'inoculation d'un sérum infectant mais très dilué (dilution 10-8) aboutit à une perte du pouvoir infectant de l'agent delta chez les animaux susceptibles, alors que celui du VHB est conservé. Ces notions sont corroborées par des enquêtes sérologiques menées à grande échelle (58) grâce a la mise au point d'un test radioimmunologique (65) pour l'anticorps anti delta (anti-HD). Elles révèlent une corrélation étroite entre la détection des anti-HD et certains foyers géographiques ou L'AGENT DELTA, VIRUS DE L'HEPATITE D certains groupes de malades (poly-transfusés, toxicomanes) connus pour leur forte prévalence pour le portage du VHB. Les travaux ultérieurs aboutiront à l'isolement et à la purification de l'agent delta, d'abord dans le foie humain obtenu à l'autopsie de sujets décédés porteurs de l'HDAg (65), puis dans le sérum de chimpanzé'(64) et d'humains (5). C'est ainsi qu'ont pu être établies les propriétés physicochimiques de l'agent delta. Durant ces dernières années, des études décisives achèvent de caractériser l'agent delta ; BONINO et Coll. (4) découvrent la composition chimique de l'antigène delta et de son enveloppe, tandis que WANG et Coll. (82) effectuent le clonage et établissent la séquence des nucléotides constitutifs du génome du VHD. Quelle est donc la structure de ce nouveau virus hépatotrope et que savons-nous de son pouvoir pathogène, de son épidémiologie et du mécanisme des lésions qu'il détermine ? 2 - STRUCTURE DE L'AGENT DELTA L'agent delta a été initialement extrait de noyaux d'hépatocytes humains (65). Le composé obtenu est stable à la chaleur, à l'acide, et n'est pas altéré par les traitements par l'EDTA, les détergents ou l'éther. Il est inactivé par les alcalins et les protéases, mais non par les nucléases et les glycosidases, ce qui suggère que sa nature est protéique. Il est stable à pH 2,4 pendant 30 mn, mais est inactivé à pH 10,6. Sa densité de flottaison en chlorure de césium est de 1,28 g/cm3. Dans les expériences de centrifugation en gradient de sucrose en présence de guanidine hydrochloride, l'agent delta se comporte comme nue protéine soluble. Son poids moléculaire est de 68.000 daltons en présence de guanidine hydrochloride 1,5 M. ; aux concentrations moindres, l'antigène delta montre une nette tendance à s'aggréger, ce qui suppose qu'à ces concentrations, le composé existe sous forme polymérique. La mise en évidence de l'agent delta à partir du sérum humain (5) ou de chimpanzé (6,64) nécessite un traitement préalable par des détergents non ioniques (Nonidet P - 40 à la concentration de 0,05 % à 0,3 %). La centrifugation en gradient de densité montre que l'agent delta migre comme une sous-population de particules HBs Ag, avec un coefficient de sédimentation intermédiaire entre les formes HBs Ag de 22 nm et les particules de Dane de 42 nm,. En microscopie électronique, l'agent delta purifié par ultra centrifugation isopicnique zonale apparaît 293 composé de particules de 35 à 37 nm au sein desquelles aucune structure organisée analogue à la capside du VHB ne peut être mise en évidence après action de détergents. Les particules delta contiennent l'HBs Ag à leur périphérie, puisque elles peuvent être agglutinées par un sérum antiHBs, mais non par un sérum anti-HD, anti HBc ou antiHBe. Ces observations indiquent que l'antigène delta est un composant interne d'une sous-population de particules HBs AG. En définitive : le virus de l'hépatite D est une particule de 36 nm (4) : - dont le constituant externe est une enveloppe dérivée de l'enveloppe du VHB coinfectant. On retrouve dans cette enveloppe les 6 protéines constitutives de HBs Ag (4) mais leur composition se rapproche plus de celle des particules HBs Ag de 22 nm que de celle de VHB complet, puisque les polypeptides de petite taille (P 24 et GP 27 ) représentent la grande majorité (95 %) des protéines (4), - dont le constituant interne est l'antigène delta proprement dit, qui tient lieu de nucléo-capside mais qui n'a pas d'organisation ultrastructurale particulière. Il est associé à deux protéines de 27 et 29 kilodaltons qui précipitent spécifiquement les anticorps anti-HD, mais non les anticorps spécifiques du VHB. Parce que ces protéines sont les composants structuraux de l'HDAg et qu'elles sont très probablement codées par VHD, elles sont désignées P 27d et p 29d (4). Enfin un autre constituant est identifié à l'intérieur des particules delta de 36 nm il s'agit d'un ARN de faible poids moléculaire 500.000 (64) qui a été cloné et séquencé (82). C'est un ARN monocaténaire circulaire (43, 82) à un seul brin d'environ 1678 nucléotides. L'observation selon laquelle un Fragment d'ADN complémentaire cloné à partir de l'ARN du VHD code pour un antigène qui agglutine spécifiquement l'antisérum de patients atteints d'hépatite chronique D confirme bien sa qualité de génome (82). Plusieurs particularités font du VHD une particule unique parmi tous les virus du monde animal : - C'est le premier virus animal identifié dont le génome contient un ARN circulaire (43), de tels virus sont jusqu'alors uniquement rencontrés chez les plantes. - Bien que la taille du VHD dépasse de 3 à 7 fois celle des viroïdes, elle ne représente que le quart de la taille des plus petits virus rencontrés chez l'homme (43). - Enfin le génome présente des homologies de structure avec les viroïdes, notamment par sa richesse en liaisons guanidine-cytosine et par les séquences d'appariement de Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (4) N. KODJOH, C. BUFFET 294 ses nucléotides (82). Toutes ces constatations apparentent plutôt le VHD aux virus des plantes, ce qui pose le problème de son origine (43). Des études ultérieures doivent chercher à élucider la question de l'origine de l'agent delta qui apparaît hautement pathogène pour l'homme et de nombreux animaux. 3 - POUVOIR PATHOGENE DE L'AGENT DELTA 3.1 - Pouvoir pathogène expérimental Le pouvoir pathogène de l'agent delta a été démontré par de nombreuses études effectuées chez le chimpanzé (63). L'administration d'un inoculum infectant à des animaux susceptibles entraîne une hépatite aiguë limitée caractérisée par une antigénémie HBs Ag et la présence transitoire de l'HD Ag dans le sérum, suivie de la seroconversion en antiHBs, antiHBc et anti-HD. La transmission de l'agent delta à des chimpanzés porteurs chroniques de HBs Ag engendre une hépatite delta chronique (26) Outre le chimpanzé, il est raisonnable de penser que le VHD peut se développer chez toutes les espèces animales appartenant à l'ordre des primates et capable de contracter le VHB : orangs-outans, gorilles et gibbons (62). La gamme des animaux susceptibles de contracter l'infection delta peut s'étendre aux espèces réceptives aux hépadnavirus, nouvelle famille de virus qui ont les mêmes caractéristiques et le même tropisme tissulaire que le VHB (80). La démonstration en a été faite chez la Marmotte d'Amérique qui a été infectée expérimentalement par un agent delta prélevé chez un chimpanzé (52), dans ce cas l'enveloppe de surface est celle du virus de la Marmotte et la particule delta est identique à celle isolée chez l'homme et le chimpanzé. L'atteinte delta chez l'homme ou l'animal se traduit par l'apparition d'antigènes et d'anticorps que différentes méthodes se proposent de mettre en évidence dans le foie ou le sérum. 3.2 - Méthodes de détection de l'infection delta 3.2.1 - Détection de l'antigène delta dans le foie L'antigène delta se détecte dans le foie par des méthodes immunocytochimiques utilisant la technique d'immunofluorescence (I. F.) (61, 79) ou d'immunopéroxydase (57). Il se localise surtout dans le noyau des hépatocytes, et accessoirement dans le cytoplasme. Il donne une fluorescence granulaire, globulaire ou diffuse. L'antigène delta Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (4) peut être coloré sur les biopsies congelées ou fixées. Les biopsies congelées contenant l'antigène delta réagissent avec l'anti-sérum marqué à la fluorescéine et fixent le C' chez l'homme et chez l'animal in vitro (61). Ce phénomène est dû à la formation de complexes immuns entre l'HD Ag et son anti-HD (66), phénomène qui empêche la recherche de l'HD Ag par la technique d'immunofluorescence indirecte sur tissu congelé. Au contraire, sur tissu fixé, du fait que la fixation dénature l'immunoglobuline, on peut le rechercher tant par la technique d'I.F. directe qu'indirecte. Détection de l'HD Ag et de l'anti-HD dans le sérum L'HD Ag et l'anti-HD peuvent être mis en évidence dans le sérum par des méthodes radio-immunologiques (65) ou immuno-enzymatiques dites ELISA (14). Ces réactions peuvent utiliser l'antigène delta d'origine hépatique (65) ou sérique (69). Les méthodes utilisant l'antigène sérique sont plus sensibles. Enfin on dispose d'un test spécifique pour la détection de l'anti-HD de classe Ig M (77). 3.2.3 - Mise en évidence du R N A viral On peut détecter le R N A de VHD dans le foie et dans le sérum de patients atteints d'hépatite D aiguë ou chronique par la technique de l'hybridation moléculaire grâce à une sonde d'ADN complémentaire cloné (cDNA) (9, 75). Cet examen peut être positif même si la recherche de l'HD Ag dans le sérum est négatif. C'est la technique de détection la plus sensible d'une virémie delta. Ces différentes méthodes permettent le diagnostic des infections delta aiguës ou chroniques chez l'homme. Comment se manifeste l'atteinte delta en pathologie humaine ? 3.3 - L'infection delta en clinique humaine Comme il a été démontré chez l'homme et chez l'animal, l'infection par l'agent delta ne peut se produire qu'en cas d'une infection préalable ou concomitante par le VHB, le virus B jouant alors un rôle facilitateur (helper virus). Deux situations sont donc à considérer : - soit infection simultanée par le virus B et l'agent delta (coinfection), - soit infection par l'agent delta chez un porteur chronique du VHB (super-infection). 3.3.1 - Coinfection par VHB et VHD Incubation La période d'incubation n'est pas connue chez l'homme. Elle a pu être établie dans les expérimentations animales L'AGENT DELTA, VIRUS DE L'HEPATITE D (63). La durée d'incubation, c'est-à-dire le délai écoulé entre l'inoculation et l'apparition de l'HD Ag dépend de la virulence de l'inoculum. Un sérum hautement infectieux induit une antigénémie HBs Ag presque immédiatement et une hépatite avec apparition de HD Ag dans le foie en 5 semaines. L'inoculation d'un sérum moins virulent entraîne une antigénémie HBs Ag seulement après 9 semaines suivie de l'antigénémie delta, ou de la séroconversion anti-HD. Manifestations cliniques de la coinfection L'infection simultanée aiguë par le VHB et le VHD se présente habituellement comme une infection aiguë par le VHB seul (11, 62). Parfois (25 % des cas), deux pics de transaminases sont observés (10, 11, 31, 41, 72) mais ne semblent pas toujours en rapport avec une replication séquentielle des 2 virus (31). Dans les cas habituels, l'infection par le VHB guérit normalement, et l'agent disparaît obligatoirement puisque ce dernier ne peut se repliquer sans l'aide du VHB. Dans ces conditions, la réplication du virus s'éteint avec la disparition du virus B (11, 16). Ainsi l'infection simultanée par le VHB et le VHD ne semble pas augmenter le risque de passage à la chronicité. En revanche, si l'hépatite B devient chronique, l'infection par l'agent delta peut durer tant que persiste le virus B. Enfin la coinfection augmente le risque d'hépatite fulminante (10, 32, 72, 74) dont la prévalence peut atteindre 21 à 50 % (62). On explique ce phénomène par l'effet cumulatif des lésions hépatiques provoquées par les 2 virus (62, 72). Le diagnostic de l'infection simultanée par le VHB et le VHD est assuré d'une part par la présence de l'HBs Ag et/ou de l'anti-HBc de type IgM (40, 51) d'autre part par la présence de l'HD Ag le sérum (8, 20, 31, 35). L'apparition de ce dernier est fugace car il disparaît habituellement en quelques jours, (l à 4 semaines) et n'est pas décelé dans les prélèvements tardifs (8, 11, 31). Il est alors remplacé par les anti-HD. Ceux-ci apparaissent après 2 à 5 semaines d'évolution (8,11). Les anti-HD de classe IgM prédominent pendant une à deux semaines puis sont remplacés par les anti-HD de classe Ig G. Ces derniers persistent en cas de guérison, mais à des titres faibles (1, 8, 11). La disparition des antiHD de classe Ig M au cours de l'évolution d'une hépatite aiguë delta est un élément de bon pronostic et d'évolution favorable (24, 77). Du fait du caractère transitoire des Ig M et du faible titre 297 des Ig G que l'on observe une fois que l'HBs Ag disparaît, le diagnostic rétrospectif d ' une coinfection est difficile (41). Enfin l'apparition des anti-HD ne suit pas la cinétique classique dans certains cas : dans le premier cas, l'HD Ag apparaît, mais les Ig G ne suivent pas l'apparition des Ig M (20, 77) ; dans le second cas, l'infection delta se traduit uniquement par l'apparition transitoire d'Ig M anti-HD (23, 31). 3.3.2 - Superinfection aiguë delta chez un porteur chronique de VHB Incubation Elle est seulement connue en expérimentation animale. Après inoculation de l'agent delta à des chimpanzés porteurs chroniques de HBs Ag, l'antigène delta est détecté dans le foie 3 semaines après l'inoculation, et est suivi par une poussée d'hépatite avec apparition transitoire de l'HD Ag à de hautes concentrations dans le sang (63). La superinfection en clinique humaine L'infection aiguë delta chez un porteur chronique de VHB détermine : - soit une rechute au cours de l'évolution d'une hépatite aiguë virale B (31) - soit un épisode d'hépatite virale aiguë chez un porteur chronique d'HBs Ag asymptômatique jusque là méconnu (23). - soit une poussée aiguë - sur une hépatite chronique connue dûe au VHB et stabilisée (12). - soit une hépatite fulminante (16, 36, 45, 74) - soit, et c'est l'éventualité la plus fréquente (90 % des cas), une hépatite delta chronique qui vient compliquer l'hépatite chronique B (9, 16, 23, 59). Le pronostic de cette hépatite chronique est particulièrement redoutable, avec évolution rapide vers l'hépatite chronique active et/ou la cirrhose (25, 39). Le diagnostic d'une superinfection delta est assuré par la présence de l'HBs Ag, l'absence de l'anti-HBc de type IgM et la présence de l'HD Ag dans le sérum (1). Ce dernier est détecté dans le sérum de façon plus inconstante et plus transitoire que dans la coinfection (1, 8, 20), sa disparition rapide est suivie de la séroconversion anti-HD, d'abord de classe Ig M, puis de classe Ig G (1, 11, 20). Après une superinfection delta, la persistance des anti-HD de classe Ig M est un signe de mauvais pronostic (24, 77) et Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (4) 298 témoigne du passage à la chronicité. Dans ce cas, les antiHD de classe Ig G sont également présents à des titres élevés. Mais l'antigène delta ne peut pas être détecté dans le sérum par les techniques usuelles radioimmunologiques ou immunoenzymatiques, il peut l'être uniquement dans le foie par les techniques immunocytochimiques (57, 61, 79). Enfin, dans tous les cas d'infection delta, le RNA viral peut être détecté dans le foie et dans le sérum grâce à l'utilisation des techniques d'hybridation moléculaire grâce à une sonde d'ADN complémentaire cloné (19, 75). Il faut savoir qu'il n'est pas toujours possible de mettre en évidence l'HBs Ag dans la phase aiguë aussi bien dans la coinfection (18) que dans la superinfection (29). Ce phénomène s'explique par l'inhibition de la replication du VHB par le VHD. Dans ces cas, l'infection B est affirmée par la présence des anti-HBc de classe Ig M dans la coinfection (18), des anti-HBc de classe Ig G dans la superinfection, et ceci de façon inconstante. Enfin et pour la même raison évoquée précédemment, il faut souligner qu'en cas de surinfection delta, les marqueurs de replication virale B, en particulier le DNA viral sérique, les titres d'HBs Ag et les quantités d'HBC Ag dans le foie sont moins souvent présents qu'en l'absence de surinfection delta (37). L'infection par l'agent delta s'accompagne toujours de lésions hépatiques. Quelle est l'histopathologie de ces lésions et quels sont les mécanismes qui les déterminent ? 4 - HISTOPATHOLOGIE ET PATHOGENIE DES LESIONS INDUITES PAR L'AGENT DELTA En microscopie optique, la coinfection se traduit par des aspects d'hépatite virale aiguë sévère avec nécrose hépatocytaire massive ; la superinfection objective plus souvent des aspects d'hépatite chronique active ou de cirrhose (16) Chez les porteurs chroniques de l'antigène delta atteints d'hépatite chronique active avec présence d'antigène delta dans le foie, on note plus souvent une importante inflammation portale et périportale, des lésions parenchymateuses à type de nécrose hépatocytaire, des altérations nucléaires avec aspects polypoïdes et dysplasiques (42). La superinfection delta chez un porteur chronique du VHB précipite l'évolution vers l'aggravation. Des biopsies répétées montrent que la superinfection aiguë engendre une nécrose hépatocytaire sévère et des signes inflammatoires durables (15 mois) qui conduisent à la fibrose ou à la Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (4) N. KODJOH, C. BUFFET cirrhose en très peu de temps (24 mois) chez la grande majorité des patients (33). En ce qui concerne l'ultrastructure, il existe très peu d'informations mais l'infection à virus delta chez l'homme serait associée à des particules intranucléaires qui ressemblent à celles qui ont été décrites dans les infections à virus NONA NON-B. Chez le chimpanzé (34), l'ultramicroscope objective une infiltration cellulaire dense à prédominance macrophagique et lymphocytaire, des anomalies hépatocytaires avec vacuolisation, prolifération du réticulum endoplasmique et de microtubules semblables à ceux que l'on observe dans les hépatites post transfusionnelles NON-A NON B. Les mécanisme des lésions induites par l'agent delta est encore très discuté. PURCELL et Coll. (53) dans leur travail expérimental chez le chimpanzé observent le développement d'une maladie biphasique lors d'une coinfection, le second pic de transaminases coincidant avec l'antigénémie delta. Ils concluent que le premier pic de transaminases est en rapport avec la nécrose hépatocytaire causée par le VHB et que le second pic est à rattacher à l'effet cytopathogène de l'agent delta provoquant la nécrose. Dans le travail de GOVINDARAJAN et Coll. (31) le premier pic de transaminases correspond au contraire à la phase d'antigénémie delta. Si l'on accepte que cette première cytolyse est en rapport avec l'antigène delta, il faut alors admettre que la nécrose hépatique responsable du second pic de transaminases est en rapport avec l'effet pathogène à médiation immunitaire du virus B. Mais l'apparition de l'anti-HD coïncidant également avec le second pic de transaminases chez 14 des 18 malades étudiés par cet auteur, on peut supposer que cet anticorps est à la base de la deuxième lésion de nécrose par un relais immunitaire. Pourtant, l'observation selon laquelle l'infection delta chez les porteurs chroniques sains d'HBs Ag entraîne toujours des lésions d'hépatite (23) contrairement à la seule infection par le VHB, suggère un rôle cytopathogène direct. En définitive, pour SMEDILE et Coll. (74), les lésions hépatocytaires provoquées par le VHB sont sous la dépendance d'une réponse immunitaire de l'hôte comme le prouvent les travaux de BIANCHI et GUDAT (3), tandis que les lésions delta résultent d'une action cytopathogène directe sur les hépatocytes comme le suggèrent les travaux de GERIN et Coll. (30). Connaissant la gravité et les risques de l'infection par l'agent delta, il reste à déterminer sa distribution géogra- L'AGENT DELTA, VIRUS DE L'HEPATITE D phique et quelles sont les circonstances qui favorisent la contraction d'une infection delta. 5 - EPIDEMIOLOGIE DES AFFECTIONS A VIRUS DELTA 5.1 - Distribution géographique Du fait que l'infection par l'agent delta ne peut se développer qu'en présence d'une infection préalable ou simultanée par le VHB, la distribution géographique de l'infection par le VHD est superposable à celle du VHB avec quelques exceptions que nous verrons. On distingue les zones de forte endémie delta et les zones de faible endémie. 5.1.1 - Zones de forte endémie delta L'agent delta est endémique en Europe du Sud, au proche et moyen orient, en Amérique du Sud, dans certains pays d'Europe de l'Est, dans certaines Iles du Pacifique, en Afrique et dans certains pays d'Asie. 5.1.1.1 Europe du Sud L'agent delta est répandu dans toute l'Italie (76). La prévalence de l'anti-HD chez les porteurs chroniques de l'HBs Ag (58) est respectivement de 59 % à Naples (Sud de l'Italie) et de 29,2 % à Turin (Nord de l'Italie). Il semble que le foyer initial soit localisé au Sud alors qu'au Nord l'infection prédomine parmi les toxicomanes et les migrants provenant du Sud. Dans cette dernière partie de l'Italie, la prévalence atteint respectivement 59 % et 91 % chez les patients atteints d'hépatite chronique ou aiguë (58). Le Portugal est aussi touché (55) puisque la prévalence de l'anti-HD chez les porteurs chroniques de l'HBs Ag est de 17,3 %, tandis que la Grèce à un taux de prévalence moindre de 9,2 % (59). 5.1.1.2 - Le Proche et le Moyen Orient constituent le second foyer d'endémie notamment en Arabie Saoudite (70), en Turquie (28) et au Koweit (49) où la prévalence de l'anti-HD chez les porteurs chroniques de l'HBs Ag est respectivement de 20 %, 17 % et 40 %. Il semble que tous les pays de la Péninsule Arabique soient d'importants réservoirs de virus (49). 5.1.1.3 - L'Amérique du Sud, notamment le bassin de l'Amazonie, paie un lourd tribut à la maladie. Une épidé- 299 mie de mortalité gravissime a été observée au Vénézuela (36) et d'autres foyers d'hépatite delta ont été décrits au Brésil (15) et en Colombie. 5.1.1.4 - L'Afrique est aussi gravement touchée. A Bangui (45), une flambée d'épidémie a entraîné 88 % de décès ; une enquête sur l'environnement familial des personnes décédées retrouve un taux de portage de l'anti HD variant de 40 % à 90 % selon les familles. La prévalence de l'infection delta chez les porteurs chroniques de l'HBs Ag est respectivement de 12,8 % au KENYA (17) et de 29 % au NIGER (78). Enfin l'agent delta a été détecté au Sénégal, au Gabon et au Bénin. Des études sont actuellement en cours dans ce dernier pays pour en déterminer la prévalence au sein des populations. 5.1.1.5 - Dans le pacifique Ouest (21), la maladie est cantonnée dans les populations isolées des Iles SAMOA, NIUE et NAURU où la prévalence atteint respectivement 25, 28 et 31,4 % des porteurs chroniques d'HBs Ag. 5.1.1.6 - Enfin peu d'informations concernent l'Asie Centrale. Les travaux de BANKER et Coll. (2) semblent indiquer que l'Inde est très touchée puisque l'anti-HD a été détecté chez 13 personnes sur 48 porteurs chroniques de l'HBs Ag. 5.1.2 - Zones de faible endémie L'agent delta est beaucoup moins répandu en Europe Occidentale (39, 58) en Europe du Nord (38, 71), aux Etats-Unis (48) et au Canada (50). Dans tous ces pays, la prévalence de l'anti-HD chez les porteurs chroniques de l'HBs Ag est de O à 4 %. En dehors des cas sporadiques, l'affection est cantonnée dans les populations à risques très infectées par le VHB comme nous le verrons. 5.1.3 - Zones d'endémicité intermédiaire Il semble que l'Europe de l'Est constitue une zone d'endémicité intermédiaire, la prévalence de l'anti-HD se situant entre 5 et 10 % des porteurs chroniques de l'HBs Ag (7, 27). Cependant une forte prévalence d'anti-HD (72,70 %) a été notée dans une étude effectuée en Roumanie (81). La distribution géographique de l'infection delta ne correspond pas exactement à celle du VHB. L'affection est rare en Asie du Sud-Est (58, 67) et dans les villes des états situés dans le pacifique Ouest (21) en dépit de la très forte prévalence de l'infection VHB notée dans ces régions. On Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (4) N. KODJOH, C. BUFFET 300 ne connaît pas l'explication de cette discordance ; une résistance génétiquement déterminée des populations pourrait en être la cause (62). L'inégalité de répartition peut s'observer aussi dans un même pays. Ainsi, au KENYA (35), la prévalence de l'antiHD est quasi nulle (inférieure à 1 %) dans le Sud alors qu'elle atteint 31 % des porteurs chroniques asymptomatiques de HBs Ag dans le Nord. 5. 2 - Modes de contamination Que ce soit en zone de forte ou de faible endémie, l'agent delta se transmet selon les mêmes voies que le VHB (44, 62, 76) en raison de son association obligatoire avec ce dernier. La transmission par inoculation parentérale directe implique un risque d'infection delta post-transfusionnelle. Ce risque est actuellement négligeable avec les méthodes sensibles de détection de l'HBs Ag utilisées chez les donneurs de sang. En Europe Occidentale, en Europe du Nord, aux Etats-Unis et au Canada, l'infection delta est cantonnée dans les populations à risque très infectées par le VHB : les hémophiles (60), les toxicomanes utilisant les drogues par voie parentérale (54) et dans une moindre mesure les homosexuels. L'agent delta une fois introduit dans ces groupes à risque s'y propage rapidement, atteignant en quelques années 40 % (70) à 72 % (38) de la population. Dans les pays à forte endémie delta, la transmission non parentérale par contacts corporels étroits et intimes joue un rôle prépondérant. Cela explique l'éclosion de cas familiaux d'infection delta (45, 76), en relation avec une transmission horizontale entre les enfants de mêmes parents ou entre époux. Dans l'épidémie survenue dans la tribu indienne des Yucpa (36), l'extension rapide de l'infection est attribuée aux mauvaises conditions d'hygiène, à la promiscuité qui favorise l'inoculation des sérosités infectantes issues de lésions cutanées ou muqueuses. Ainsi la propagation de l'infection est maximale dans les villages où les conditions sanitaires sont les plus défavorables, et est plus limitée dans les villages où les conditions sanitaires sont meilleures (36). Deux autres modes de transmission jouent un rôle important dans les régions de grande endémie les rapports sexuels et la pratique d'acupuncture. Enfin la transmission verticale périnatale mère-enfant de l'agent delta a été démontrée (83), de même qu'une contamination nosocomiale survenue dans un service d'hémodialyse (46). CONCLUSION L'agent delta, troisième virus identifié des hépatites , est un germe hautement pathogène responsable d'une grande proportion d'hépatites fulminantes et souvent associé à des hépatites chroniques sévères d'évolution rapide. Pour des raisons épidémiologiques, ce virus trouve dans les zones d'endémie en particulier en Amérique du Sud et en Afrique, un terrain de prédilection pour sa propagation. C'est pourquoi le contrôle de l'infection delta doit être une priorité en matière de santé publique dans ces régions. Du fait que cette infection ne peut se développer qu'en présence d'une atteinte préalable ou concomitante par le VHB, sa prévention passe obligatoirement par la vaccination contre le VHB. Cette vaccination a fait ses preuves dans les zones d'endémie (47). BIBLIOGRAPHIE 1. ARICO S., ARAGONA M., RIZZETTO M. and all. Clinical significance of antibody to the hepatitis delta virus in symp tomless HBs Ag carriers CANCER, 1985, 2 : 256 358. 2. BANKER D.D., DESAI P. R., MEHTO J.M. and all. Hepatitis delta virus in Bombay PROG. CLIN. BIOL. RES., 1987, 234 : 477. 3. BIANCHI L., GUDAT F Immunopathology of hepatitis B In : POPPER H., SHAFFNER F. Eds. Progress in liver diseases, vol VI, New-York. Grune and stratton, 1979 : 371 - 392. 4. BONINO F., HEERMANN K. H., RIZZETTO M. and all Hepatitis delta virus : protein composition of delta antigen and its hepatitis B virus derived enveloppe. J. VIROL., 1986, 58, (3) : 945 - 950. 5. BONINO F., HOYER B., FORD E. and all. 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