D O S S I E R La grossesse à 40 ans " S. Loizeau*, B. Desprez*, V. Gilly* D epuis ces deux dernières décennies, la proportion de parturientes de plus de 40 ans a doublé. Selon les données du National Statistics Report de 2002, les États-Unis comptent 90 013 naissances chez des mères âgées de 40 à 44 ans, correspondant à une incidence de 8 % (contre 4 % en 1980) (1). Parmi ces femmes de plus de 40 ans, il est primordial de distinguer les nullipares des multipares. Dans sa grande série de 24 032 expectantes âgées, Gilbert, en 2000 (2), a retrouvé 20 % de primigestes. Il y a quelques années, le terme de “parturiente âgée” désignait des femmes de 35 ans et plus, repoussant de plus en plus leur maternité pour des raisons sociales. Ce terme s’adresse actuellement aux femmes de plus de 40 ans. Néanmoins, avoir un enfant après 40 ans n’est pas dénué de risque et peut s’accompagner de complications telles que : ! l’augmentation de la morbidité maternelle liée aux pathologies chroniques ; ! l’augmentation des aberrations chromosomiques et des malformations congénitales ; ! l’augmentation de fausses couches spontanées et de grossesses extra-utérines ; ! l’augmentation de complications obstétricales pendant la grossesse. LES ABERRATIONS CHROMOSOMIQUES Après 40 ans, le risque d’avoir un enfant porteur d’une anomalie chromosomique est accru, même s’il reste relativement bas (2 à 3 %) (6, 7). Après 35 ans, ce risque n’augmente pas linéairement, mais de façon exponentielle (figure 1). Vingt et un pour cent des anomalies chromosomiques correspondent à des anomalies de structure, tandis que près de la moitié correspondent à une trisomie 21 (7), avec un risque d’aneuploïdie de 1,24 %. Risque relatif (IC95) 100 10 6,3 1 0,1 < 15 16-19 20-24 25-29 30-34 35-39 > 40 Âge maternel Figure 1. Risque relatif et représentation semi-logarithmique des intervalles de confiance des anomalies chromosomiques en fonction de l’âge. LES PATHOLOGIES CHRONIQUES ASSOCIÉES Les séries retrouvées dans la littérature (3-5) étudient les différentes complications maternelles liées à l’âge. Elles démontrent que ces grossesses tardives sont associées à une morbidité maternelle accrue. On constate en effet une augmentation des dysfonctionnements thyroïdiens (3 % versus 1,5 % chez les 25-29 ans), des pathologies cardiaques (4 % versus 2 %), de l’hypertension artérielle (2,7 %), de l’asthme (1,3 % versus 0,5 %) et des myomes utérins (jusqu’à 10 % versus 1 % dans la série de Bianco). Vingt-trois pour cent des patientes de plus de 44 ans étudiées par Dildy sont suivies dans le cadre d’une pathologie chronique ; les maladies les plus fréquentes sont les hypothyroïdies, l’asthme et les syndromes dépressifs. Le mécanisme de ces anomalies chromosomiques fait encore l’objet de différentes études ; la non-disjonction méiotique reste la plus probable, mais l’hypothèse de la disomie uniparentale chez la femme âgée n’est pas à exclure (8). Depuis les années 1970, les femmes de plus de 38 ans ont la possibilité d’avoir recours à l’amniocentèse dans le dépistage de ces anomalies chromosomiques. La mesure échographique de la clarté nucale au premier trimestre de grossesse et le dosage des marqueurs sériques du deuxième trimestre permettent cependant la réalisation d’un calcul combiné du risque de trisomie 21. Cette stratégie de dépistage dans la population générale, mais également chez les parturientes âgées, semble diminuer considérablement le taux de faux positifs, et donc, par là-même, les fausses couches iatrogènes dues à l’amniocentèse, tout en gardant la même sensibilité (9). MALFORMATIONS CONGÉNITALES * Service de gynécologie obstétrique-reproduction et de médecine fœtale, CHU de Nice, hôpital l’Archet 2, BP 3079, 06202 Nice Cedex 3. 12 Si le risque d’anomalies du caryotype est étroitement corrélé à l’âge maternel, l’influence de la grossesse tardive sur les malformations congénitales est, en revanche, moins claire. .../... La Lettre du Gynécologue - n° 279 - février 2003 D .../... Dans sa série réalisée à partir de 101 198 naissances et fausses couches, Lisa (10) reporte une incidence globale de 3 % de malformations congénitales à caryotype normal. Il constate cependant que l’incidence augmente de façon progressive et significative dès l’âge de 25 ans (tableau I). Tableau I. Incidence de malformations congénitales selon l’âge. Incidence de malformations congénitales p O S S I E R de la mortalité périnatale. Pourtant, le taux de mort in utero est encore élevé, particulièrement lors de grossesses tardives. Fretts (12) étudie le taux de mortalité périnatale depuis les années 1960 et montre dans les dix dernières années une incidence accrue de MFIU chez la parturiente âgée : les patientes de 40 ans ont deux fois plus de risques, sans que la parité soit mise en cause (incidence de 0,7 % à 40 ans). Âge maternel (ans) 25-29 30-34 35-39 > 40 16-19 20-24 3,5 % 3,5 % 3,9 % 3,9 % 4,4 % 5% NS NS 0,01 0,03 0,01 0,03 Le National Vital Statistics Report publie chaque année ses résultats concernant le nombre de malformations congénitales (1). Même si le caryotype fœtal n’est pas pris en compte dans les chiffres du National Report, les malformations congénitales les plus fréquemment retrouvées après 40 ans demeurent les anomalies cardiaques et les hernies diaphragmatiques. Il en est de même dans la série de Hollier, qui met en évidence quatre fois plus de malformations cardiaques après 40 ans, ainsi qu’une nette augmentation du taux de hernies diaphragmatiques. Il est toutefois nécessaire de pondérer ces chiffres, dans la mesure où, dans l’étude de Hollier, les patientes de plus de 35 ans bénéficient d’un conseil génétique et d’une surveillance échographique plus approfondie que la population générale. FAUSSES COUCHES SPONTANÉES ET GROSSESSES EXTRA-UTÉRINES On a souvent considéré que les grossesses tardives étaient liées soit à une grande multiparité, soit à une longue histoire d’infertilité. Il semblerait cependant que l’âge maternel soit un facteur de risque majeur, et surtout indépendant (11). La plus grande série publiée dans la littérature sur le sujet est l’étude danoise de Nybo Andersen, qui a suivi un total de 1 221 546 grossesses. Dans cette série, 54 % des grossesses après 42 ans se soldent par une fausse couche spontanée, alors vque le risque global est de 8 % à 22 ans. La parité n’influence pas le taux de fausses couches. En revanche, les antécédents d’une ou de plusieurs fausses couches multiplient par deux le risque de récurrence (figure 2). Dans cette même série, le risque global de grossesse extrautérine (GEU) est estimé à 2,3 %. Cependant, une femme de 44 ans a 7 % de risques de développer une GEU, contre 1,4 % à 21 ans (figure 3). Les antécédents d’infertilité, de maladies inflammatoires ou infectieuses du pelvis peuvent en partie expliquer ces chiffres. Figure 2. Risques de fausses couches en fonction de l’âge et de la parité. MORTS FŒTALES IN UTERO (MFIU) L’amélioration de la prise en charge obstétricale et néonatale depuis ces vingt dernières années a permis une nette réduction La Lettre du Gynécologue - n° 279 - février 2003 Figure 3. Risques de grossesse extra-utérine en fonction de l’âge. 15 D O S S I E R Fretts explique ces données par l’association, non négligeable, des pathologies telles que l’hypertension, le diabète ou les hémorragies. Les anomalies chromosomiques létales ou les syndromes malformatifs semblent être moins mis en cause par le fait que les parturientes âgées bénéficient d’un screening caryotypique et échographique plus approfondi. LES COMPLICATIONS DE LA GROSSESSE Le diabète gestationnel Après 35 ans, la patiente présente trois fois plus de risques de développer un diabète gestationnel au cours de sa grossesse. Différents auteurs tels que Bianco (3), Jolly (13) ou encore Gilbert (2) confortent ces données avec des chiffres quasi similaires. Jolly, en 2000, retrouve parmi 7 331 patientes de plus de 40 ans un odds-ratio ajusté de 2,63 (CI99 : 2,40-2,89). Gilbert, en 1999, stratifie sa population d’étude et met en évidence le même taux de diabète gestationnel chez la nullipare que chez la multipare, soit 7 %. Un taux de 12% est retrouvé dans la série de Dildy (5) qui étudie les patientes considérées comme très âgées (very advanced age). La prééclampsie Aux complications rencontrées au cours des grossesses tardives s’ajoutent les troubles liés à l’hypertension. La quasi-totalité des études s’accordent pour affirmer que la prééclampsie est deux fois plus fréquente après 35ans (3-5, 14-17). L’âge maternel n’est cependant pas le seul facteur de risque ; les études les plus récentes retrouvent des chiffres très différents en fonction de la parité, avec une nette augmentation de la toxémie chez la nullipare âgée. L’incidence de la prééclampsie chez la nullipare varie entre 13 et 17 % selon les études (4, 14, 16), tandis qu’elle avoisine les 5 % chez la multipare âgée (3, 14). Le placenta praevia Les données de la littérature concernant le placenta praevia montrent que le risque est étroitement corrélé à l’âge maternel, quelle que soit la parité de la patiente (3, 13, 15). Ananth (15) montre qu’il existe 2,6 fois plus de risques au-delà de 40 ans. L’incidence de placenta praevia chez la femme de 40 ans est de 2 % dans l’étude de Bianco (3). Les décollements placentaires Inversement, les résultats concernant les décollements placentaires sont beaucoup plus divergents. Les analyses d’Ananth indiquent que le taux de décollement placentaire augmente avec l’âge, et surtout avec la parité (15). Il observe deux fois plus d’hématomes rétroplacentaires (HRP) chez les multipares, avec un odds-ratio de 1,4 chez les plus de 40 ans. Inversement, les chiffres de Bianco concluent à l’absence d’influence de l’âge ou de la parité sur la survenue d’HRP ( 3). 16 Néanmoins, l’incidence de ces HRP est si faible (entre 0 et 1 % selon les séries) qu’il est difficile d’établir une réelle conclusion. Le taux de saignements du troisième trimestre, de cause inexpliquée, est également très différent selon les études. Il est difficile selon ces résultats de mettre en cause l’âge maternel ou la parité, puisque Prysak (4) retrouve 2,8 % de saignements chez la nullipare de 35 ans (soit deux fois plus que chez la nullipare de 25 ans), alors qu’Ananth n’établit aucune corrélation entre les saignements et l’âge ou la parité (15). CONCLUSION Les grossesses tardives s’accompagnent d’une incidence accrue de complications à la fois maternelles (HTA, myomes, asthme, dysthyroïdie) et obstétricales (deux fois plus de diabète gestionnel, de prééclampsie et de placenta praevia). Les patientes doivent pouvoir bénéficier d’une surveillance obstétricale adaptée ainsi que d’un conseil anténatal, en raison du risque important d’aneuploïdie et de malformations congénitales. # R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. National Vital Statistics Report 2002 ; 50, 5 : 12. 2. Gilbert WM, Nesbitt TS, Danielsen B. Childbearing beyond age 40 : pregnancy outcome in 24 032 cases. Obstet Gynecol 1999 ; 93 : 9-14. 3. Bianco A, Stone J, Lynch L et al. Pregnancy outcome at age 40 and older. Obstet Gynecol 1996 ; 87 : 917-22. 4. Prysak M, Lorentz RP, Kisly A. Pregnancy outcome in nulliparous women 35 years and older. Obstet Gynecol 1995 ; 85 : 65-70. 5. Dildy GA, Jackson GM, Favers GK et al. Very advanced maternal age : pregnancy after age 45. Am J Obstet Gynecol 1996 ; 175 : 668-74. 6. Caron L, Tihy F, Dallaire L. Frequencies of chromosomal abnormalities at amniocentesis : over 20 years of cytogenetic analysis in one laboratory. Am J Med Genet 1999 ;15, 82 : 149-54. 7. Yaegashi N, Seneo M, Uehara S et al. Age-specific incidences of chromosome abnormalities at the second trimester amniocentesis for Japanese mothers aged 35 and older : collaborative study of 5 485 cases. J Hum Genet 1998 ; 43 : 85-90. 8. Ginsburg C, Fokstuen S, Schinzel A. The contribution of uniparental disomy to congenital development defects in children born to mothers at advanced childbearing age. Am J Med Genet 2000 ; 95 : 454-60. 9. Audibert F, Mairovitz V, Frydman R. Alternatives to amniocentesis for maternal age. Gynecol Obstet Fertil 2002 ; 30 : 562-6. 10. Lisa M , Hollier LM, Leveno KJ et al. Maternal age and malformations in singleton births. Obstet Gynecol 2000 ; 96 : 701-6. 11. Nybo Andersen AM, Wohlfahrt J, Christens P et al. Maternal age and fetal loss : population based register linkage study. Br Med J 2000 ; 320 : 1708-12. 12. Fretts RC, Scmittdiel J, Mc Lean FH. Increased maternal age and the risk of fetal death. N Engl J Med 1995 ; 333 : 953-7. 13. Jolly M, Sebire N, Harris J et al. The risks associated with pregnancy in women aged 35 years or older. Hum Reprod 2000 ; 15 : 2433-7. 14. Chan BC, Lao TT. Influence of parity on the obstetric performance of mother aged 40 years and above. Hum Reprod 1999 ; 14 : 833-7. 15. Ananth CV, Wilcox AJ, Avitz DA et al. Effect of maternal age and parity on the risk of uteroplacental bleeding disorders pregnancy . 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