* Chef de service de neurologie, CHU Pellegrin, Bordeaux et INSERM U330, neuro-épidémiologie, université de Bordeaux 2. é d i t o r i a l Que va changer l’AMM pour le rt-PA ? ■ J.-M. Orgogozo* Enfin, l’activateur tissulaire du plasminogène recombinant (rt-PA, altéplase, Actilyse®) va être autorisé en Europe pour le traitement de l’infarctus cérébral. Après des mois de discussions et de négociations, le Committee for Proprietary Medicinal Products (CPMP) de l’European Medicine Evaluation Agency (EMEA) a décidé d’encadrer l’utilisation de ce traitement par voie intraveineuse à la phase aiguë des infarctus cérébraux. De nombreuses péripéties ont émaillé cette autorisation historique. Autorisation initiale par l’Allemagne dans le cadre d’une procédure décentralisée il y a plus de deux ans, conditionnelle à la réalisation d’un nouvel essai de phase III. Seule la France a suivi l’Allemagne dans son avis favorable, tout en constatant l’impossibilité pratique de faire une étude de phase III avec un produit déjà autorisé. Recommandation par la France de restrictions et d’une procédure d’encadrement très strictes. Opposition ou abstention des treize autres pays membres de l’Union européenne, beaucoup par crainte de ne pouvoir faire face aux contraintes. Recours à l’EMEA, qui oblige à la resoumission du dossier suivant la procédure centralisée, commune à tous les pays membres. Le produit est pendant ce temps autorisé seulement en Allemagne ! In fine, l’autorisation a été accordée par une très large majorité des votes, en grande partie grâce à l’excellent travail de l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), corapporteur de ce dossier. Une objection de fond était l’absence de données de sécurité suffisamment rassurantes dans des études européennes, puisque l’absence de risque accru d’hémorragie cérébrale symptomatique n’a été démontrée que dans l’étude américaine du NIH. Malgré l’absence de risque accru dans les données cumulées des études européennes, sur des métaanalyses indépendantes des données dans les 3 heures après l’AVC après ajustement pour les facteurs pronostiques, la question a été considérée comme non entièrement résolue. Pour répondre à cette question sans retarder la mise à disposition du traitement, il a été convenu avec Boehringer Ingelheim, qui produit et distribue le médicament en Europe, de procéder à un nouvel essai prospectif randomisé contre placebo dans une tranche horaire de 3 à 4 heures après le début clinique d’un infarctus cérébral. Pour les patients admis et pouvant être traités dans les 3 heures suivant l’infarctus cérébral, le traitement par le rt-PA i.v. est donc désormais autorisé pour l’infarctus cérébral aigu dans les conditions suivantes : – la dose recommandée d’Actilyse® est de 0,9 mg/kg (maximum 90 mg) par perfusion intraveineuse sur 60 minutes avec 10 % de la dose totale administrée sous forme de bolus intraveineux dès le début de la perfusion ; – le traitement doit être administré dans les 3 heures après le début des symptômes d’AVC ; – la sécurité et l’efficacité de ce traitement en cas d’administration concomitante d’héparine, d’antivitamine K ou d’aspirine au cours des premières 24 heures 148 Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002 après le début des symptômes n’ont pas fait l’objet d’investigations suffisantes, aussi l’administration de ces médicaments doit donc être évité pendant les premières 24 heures après le traitement par Actilyse®. En plus des contre-indications déjà listées pour l’autorisation de l’Actilyse® dans l’infarctus du myocarde et dans l’embolie pulmonaire, les contre-indications spécifiques dans l’ischémie cérébrale aiguë seront les suivantes : – symptôme d’ischémie ayant commencé plus de 3 heures auparavant ; – horaire du début des symptômes inconnu ; – crise épileptique au début de l’AVC ; – plaquettes sanguines < à 100 000 par mm 3 ; – signe d’hémorragie intracrânienne au scanner cérébral, en particulier. Le plus important est que ce traitement ne pourra être administré que par un médecin ayant de l’expérience dans la prise en charge des urgences neurologiques, dans une structure équipée de façon adéquate. Le traitement doit être initié moins de 3 heures après le début des symptômes et seulement après l’exclusion formelle d’une hémorragie intracrânienne par une technique d’imagerie appropriée (CT scan ou IRM), ce qui pose d’importants problèmes d’organisation. Qu’est-ce qui va changer dans la prise en charge des AVC aigus ? La première et la plus importante conséquence de la mise à disposition du tPA pour le traitement de l’infarctus cérébral aigu est qu’il existe désormais une raison impérative d’adresser les patients suspects d’infarctus cérébral au centre spécialisé le plus proche, moins de 3 heures après le début de l’AVC. Bien qu’il soit démontré depuis des années que la prise en charge des AVC aigus dans des centres spécialisés améliore notablement le pronostic fonctionnel et vital, il n’était pas établi de façon certaine qu’une admission précoce soit préférable à une admission différée, soit carrément retardée (12 à 24 heures). La possibilité d’administrer l’Actilyse® pour un infarctus cérébral à des patients sélectionnés, en même temps qu’elle justifie leur admission précoce, nécessite la mise en place d’un système de dépistage, de transport et d’accueil qui permette l’administration de ce traitement dans les conditions fixées par le résumé des caractéristiques du produit (RCP). Sur le modèle des unités de soins intensifs de cardiologie, où sont traités la majorité des infarctus du myocarde, des structures d’urgences neurovasculaires doivent être mises en place, suivant d’ailleurs la recommandation du gouvernement précédent au début de l’année 2002. Cela suppose notamment : – d’informer le public des signes révélateurs d’un ACVC afin que les patients atteints ou leurs proches puissent s’adresser directement au service de soins et de transport d’urgence (SOS médecins, SAMU, pompiers) ; – d’informer les médecins traitants de la nécessité d’envoyer les patients dans une structure spécialisée moins de 3 heures après le début de l’AVC, au besoin en transférant l’appel directement au SAMU ou aux pompiers ; – la mise en place de structures d’accueil avec une présence permanente de praticiens formés aux urgences neurovasculaires et d’une équipe paraclinique spécialisée dans la prise en charge de ces patients, de praticiens formés à la lecture de l’imagerie cérébrale avec possibilités d’imagerie cérébrale d’urgence 24heures sur 24. À l’heure actuelle, de telles structures n’existent que dans une minorité de centres hospitaliers français, au contraire de l’Allemagne où elles ont été mises en place Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002 149 é d i t o r i a l sur la base d’environ une par million d’habitants. Très vraisemblablement, l’autorisation de l’Actilyse® i.v. pour le traitement de l’infarctus cérébral aigu contribuera à accélérer la mise en place indispensable de ces structures. Dans les premiers temps, en attendant les résultats de l’étude 3-4 heures, tous les malades recevant l’Actilyse® dans les 3 heures après un infarctus cérébral devront être évalués et suivis dans le cadre d’un registre européen d’inspiration suédoise, le Safe Implementation of Thrombolysis in Stroke Monitoring Study (SITSMOST). De ces données initiales de sécurité, qui proviendront, pour beaucoup, de centres n’ayant pas encore d’expérience de l’utilisation de la thrombolyse, dépendra l’avenir de ce traitement en Europe. L’enjeu est de taille pour nos patients : il faut commencer dès maintenant à s’organiser. …Nous faisons de vos Claudie Damour -Terrasson et son équipe vous remercient de votre fidélité et vous souhaitent Meilleurs voeux 2003 spécialités notre Groupe de presse et d’édition santé spécialité Les Lettres . Les Actualités . Les Correspondances . Les Courriers . Professions Santé . Les pages de la pratique médicale 150 Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002