La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005
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par un mécanisme de bascule de l’implant glénoïdien (figure 4).
Dans cette situation, mieux vaut proposer une prothèse inversée.
La prothèse totale inversée
À la suite du modèle proposé par Grammont dès 1987, plusieurs
prothèses sont actuellement disponibles, fondées sur le même
concept de prothèse inversée peu contrainte.
Le principe de cette prothèse est de fixer un implant en cupule
du côté de l’humérus et un implant hémisphérique du côté de
l’omoplate. Ainsi, le centre de rotation des mouvements de
l’épaule est beaucoup plus en dedans que le centre de rotation
d’une épaule normale ou que celui d’une prothèse anatomique.
On dit que le centre de rotation est médialisé, ce qui augmente
par voie de conséquence le bras de levier du deltoïde (figure 5).
Celui-ci est donc plus efficace pour l’élévation active du bras,
qu’il peut alors assurer à lui seul. C’est tout l’intérêt de ce modèle
de prothèse lorsque la coiffe est détruite.
La prothèse inversée s’adresse donc à tous les cas présentant une alté-
ration des deux surfaces articulaires et une coiffe non fonctionnelle
(soit par faillite tendinomusculaire, soit par faillite des tubérosités) :
"Les omarthroses excentrées,caractérisées par l’association
d’un pincement gléno-huméral et d’un pincement sous-acromial
(figure 6).
"Les arthroses sur cal vicieux majeur de l’extrémité supé-
rieure de l’humérus. Dans ce type de pathologie, la mise en
place d’une prothèse anatomique nécessite une ostéotomie des
tubérosités pour les replacer en position correcte ; les résultats
se sont avérés insuffisants. Il vaut mieux opter dans ces cas pour
une prothèse inversée.
"Les reprises de prothèse :il y a généralement dans ces situations
une altération importante de la coiffe et/ou des tubérosités, faisant
opter dans bien des cas pour une prothèse inversée.
On serait tenté de considérer cet implant comme une solution univer-
selle dans les arthropathies d’épaule. Il faut néanmoins tempérer cet
optimisme du fait du caractère massif de la prothèse et d’un recul encore
insuffisant, les cas revus après dix ans étant peu nombreux.
Enfin, certaines situations font partie des problèmes non résolus :
"Les arthropathies inflammatoires excentrées.Deux points sont
difficilement compatibles avec la prothèse inversée : d’une part, la
fragilité de l’acromion, qui peut se fracturer sous l’effet de la force
de traction du deltoïde, et, d’autre part, la perte de stock osseux glé-
noïdien, notamment dans sa partie supérieure, qui complique beau-
coup la fixation de l’implant glénoïdien.
"Les omarthroses subluxantes postérieures évoluées. Dans cette
situation, c’est la perte de stock osseux glénoïdien en arrière qui pose
un problème technique pour la fixation d’un implant glénoïdien.
Dans ces deux situations, une simple prothèse céphalique à titre
purement antalgique peut être discutée.
L’INTERVENTION ET SES SUITES
L’hospitalisation est généralement d’une semaine. L’intervention se
déroule soit sous anesthésie générale, soit sous anesthésie locorégio-
nale (bloc interscalénique). Il faut compter en moyenne deux heures
d’intervention pour une prothèse totale, une heure pour une prothèse
céphalique. Une transfusion sanguine est très rarement nécessaire.
La rééducation est immédiate pour éviter un enraidissement, mais
elle doit rester exclusivement passive pendant six semaines pour évi-
ter de fragiliser la cicatrisation des tissus (notamment du tendon sous-
scapulaire, qui est coupé en début d’intervention pour accéder à
l’articulation et suturé en fin d’intervention). Pendant ces semaines,
le bras est au repos en écharpe en dehors des séances de rééducation.
Le délai de retour à une vie quotidienne normale est de l’ordre de
trois mois.
Le résultat n’est définitivement stabilisé qu’au bout d’un an, notam-
ment pour la mobilité.
CONCLUSION
En définitive, après 50 ans de propositions et de modifications, la
prothèse d’épaule offre en 2004 un choix éclectique, avec trois
modèles adaptés aux différentes présentations des arthropathies. Le
recul des modèles actuels atteint maintenant une dizaine d’années,
ce qui nous rend confiants pour l’avenir. Parmi les améliorations à
attendre, celle de la pérennité de la fixation glénoïdienne occupe la
plupart des équipes de recherche.
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Bibliographie
1. Neer CS, Brown TH, Mc Laughlin HL. Fracture of the neck of the humerus
with dislocation of the head fragment. Am J Surg 1953;85:252-8.
2. Boileau P, Walch G. Adaptabilité et modularité au cours des prothèses d’épaule.
Acta Orthopedica Belgica 1995;61(suppl. 1):49-61.
3. Grammont PM, Trouilloud P, Laffay JP, Deries X. Étude et réalisation d’une
nouvelle prothèse d’épaule. Rhumatologie 1987;39:407-18.
Figure 6.
Exemple
de prothèse
inversée
pour un cas
d’omarthrose
excentrée.
Figure 5. Dessin de la prothèse
inversée peu contrainte.
Le centre de rotation
de l’épaule est médialisé,
ce qui augmente le bras de levier
du deltoïde.