PRÉDISPOSITIONS GÉNÉTIQUES
Les études de liaison génétique entreprises dans des familles
présentant de multiples cas de cancers du sein ou l’association
dans des familles, de cancers du sein et de l’ovaire, ont permis
de localiser deux gènes majeurs de prédisposition, BRCA1 et
BRCA2. Cette prédisposition au cancer répond à une hérédité de
transmission autosomique dominante à pénétrance forte mais
variable. La fréquence de mutations germinales délétères de l’un
ou l’autre gène est de 1/800 dans la population caucasienne, 2 %
environ dans les populations juives ashkénazes pour trois muta-
tions fondatrices. Les femmes présentant une mutation germi-
nale de l’un de ces deux gènes présentent un risque très élevé de
cancer du sein, évalué entre 50 et 80 % au cours de la vie.
Contrairement aux cancers liés à BRCA2, les cancers liés à
BRCA1 présentent un phénotype particulier, fait de croissance
rapide, haut grade, fréquence de l’histologie médullaire, récep-
teurs hormonaux très fréquemment négatifs, indices de prolifé-
ration élevés, rareté de la surexpression du gène Her2/neu.
Enfin, en contexte BRCA1 comme BRCA2, on retrouve une fré-
quence élevée de cancers bilatéraux et surtout un âge de surve-
nue beaucoup plus jeune que dans la population générale : 42 à
45 ans en médiane.
De nombreux auteurs ont donc pensé expliciter une bonne par-
tie des cancers du sein de la femme jeune par le contexte héré-
ditaire. Le tableau II résume les études publiées ayant estimé la
prévalence de mutations délétères (excluant donc les nombreux
variants de signification indéterminée n’aboutissant pas à une
protéine tronquée) de l’un ou l’autre gène chez des femmes
jeunes ayant développé un cancer du sein. Un certain nombre
d’entre elles ne concernent que les femmes juives ashkénazes et
présentent donc des chiffres beaucoup plus élevés de préva-
lence, ce qui est en rapport avec la fréquence très élevée d’ano-
malies constitutionnelles de BRCA1 et BRCA2 dans cette popu-
lation, comme on l’a vu (2 %). Comme attendu, la prévalence
de mutations est nettement inférieure dans les études de popu-
lation par rapport à celle obtenue dans les séries hospitalières,
sujettes à des biais. Globalement, la prévalence de mutations
germinales du gène BRCA1 est autour de 5-6 % avant 35-40 ans,
elle s’élève à 12-13 % à moins de 30 ans. La prévalence de
mutations de BRCA2 est moindre, autour de 2-3 % avant 35 ou
40 ans, en dehors de la série espagnole (17) qui trouve un rap-
port BRCA1/2 inversé.
Cependant, la prévalence de mutations des gènes BRCA1/2 chez
les femmes jeunes, quoique plus basse qu’attendue initialement
(elle n’explique qu’une faible proportion des cancers des
femmes jeunes), augmente beaucoup avec la présence d’anté-
cédents familiaux, comme souligné dans la plupart des séries (4,
18-21). Dans l’étude de Malone et al., la prévalence de muta-
tions de l’un ou l’autre gène augmente à 12 % chez des femmes
de moins de 45 ans en cas de présence d’au moins un antécédent
familial. C’est également le cas dans l’étude, bien documentée,
de Loman et al., dans laquelle la prévalence augmente réguliè-
rement avec le nombre d’antécédents familiaux.
Enfin, dans une étude de population publiée récemment dans le
Lancet, Laloo et al. décrivent une prévalence de mutations de
BRCA1 ou BRCA2 de 36 % chez des femmes de 30 ans ou
moins au diagnostic de cancer du sein et présentant une histoire
familiale quelle qu’elle soit, alors que cette prévalence n’est que
de 4 % en l’absence de tels antécédents (22). Dans cette série ont
également été recherchées des mutations germinales du gène
p53, retrouvées chez 5,5 % des femmes présentant une histoire
familiale de cancer, histoire alors compatible avec le diagnostic
de syndrome de Li et Fraumeni. Un cas de mutation de novo du
gène p53 a également été retrouvé chez une jeune femme sans
antécédents familiaux (1,5 %).
La prévalence de mutations des gènes BRCA1 ou BRCA2 aug-
mente également de façon majeure avec la bilatéralité du cancer
(20, 23). Dans la série de Berthorsson et al., chez des femmes
de 46 ans ou moins, elle est de 22 % en cas de cancer bilatéral
et de 18 % en cas de cancer multifocal, ce qui est une notion
intéressante et nouvelle.
DOSSIER
12
La Lettre du Sénologue - n° 22 - octobre/novembre/décembre 2003
Âge du cancer chez l’apparentée au 1er degré (ans)
Âge 20-29 30-39 40-49 50-59 60-69 70-79
0-29 0,7 % 0,5 % 0,3 % 0,2 % 0,2 % 0,1 %
30-39 2,5 % 1,7 % 1,2 % 0,8 % 0,6 % 0,5 %
40-49 6,2 % 4,4 % 3,2 % 2,3 % 1,8 % 1,5 %
50-59 11,6 % 8,6 % 6,4 % 4,9 % 4 % 3,5 %
60-69 17,1 % 13 % 10,1 % 8,2 % 7 % 6,2 %
70-79 21,1 % 16,5 % 13,2 % 11 % 9,6 % 8,8 %
Tableau I. Probabilité cumulative estimée de cancer du sein chez une
femme qui a un antécédent familial de cancer du sein au premier degré,
selon l’âge de survenue de ce cancer (d’après 16).
Étude Type, lieu Âge (ans) N BRCA1BRCA2 Total
Femmes non ashkénazes
Fitzgerald Pop, États-Unis < 30 30 13 % – –
Ansquer Série, France < 36 123 12 % – –
Krainer (24) Série, États-Unis ≤32 73 – 2,7 % –
Peto (4) Pop*, Royaume-Uni < 36 254 3,5 % 2,4 % 5,9 %
36-45 363 1,9 % 2,2 % 4,1 %
Malone (20) Pop*, États-Unis < 35 203 5,9 % 3,4 % 9,4 %
Yazici (21) Série, Turquie < 50 52 3,9 % 1,9 % 5,8 %
Papelard Série, Dutch < 40 – 9,5 % – –
Loman (18) Pop*, Suède < 41 262 6,8 % 2,1 % 8,9 %
Tonin (19) Série, Québec ≤40 61 6,5 % 6,5 % 13 %
De Sanjose (17) Pop*, Espagne < 46 136 0,8 % 5,8 % 6,6 %
Femmes ashkénazes
Fitzgerald Pop, États-Unis < 40 39 21 %** – –
Offit Série, États-Unis < 42 80 16 %** – –
Robson (25) Série, États-Unis < 43 91 25,3 % 7,7 % 33 %***
Tableau II. Prévalence de mutations délétères des gènes BRCA1 et
BRCA2 chez les femmes d’âge jeune au diagnostic de cancer du sein
sans considération de l’histoire familiale.
* Étude de population ;
** Mutation de BRCA1 185delAG ;
*** Trois mutations ashkénazes + étude complète des deux gènes.