Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o3 - oct.-nov.-déc. 2001
138
Si la récente disparition du chirurgien sud-africain Christiaan-
Nathaniel Barnard nous fait évoquer le souvenir du 3 décembre
1967, jour où, au Cap, il tenta une greffe de cœur humain sur
un grand malade que seule cette intervention pouvait sauver, il
importe de rappeler que cette transplantation ne fut pas la pre-
mière de l’Histoire. Avant Barnard, un chirurgien américain
l’avait entreprise et si, dans les deux cas, ce fut l’échec, le souci
de la vérité nous impose d’évoquer la soirée du 24 janvier 1964,
où, dans le centre médical de l’université du Mississipi à
Jackson, le Dr James Hardy osa un geste chirurgical qui n’avait
jamais été entrepris avant lui.
James a 46 ans ; il est depuis 1955 chef du département chi-
rurgical du Centre universitaire, et a procédé chez des animaux
à des centaines de transplantations de poumons et de cœurs.
Audacieux, Hardy a réussi, le 11 juin 1963, la greffe d’un pou-
mon humain chez un malade atteint d’un cancer de cet organe
– succès “technique” certes, mais, 17 jours après, une crise
d’urémie emporte le malade.
Cette tentative, qui était aussi la première enregistrée dans
l’histoire de la chirurgie, ne décourage pas le chirurgien de
Jackson. Il attend l’occasion de pouvoir passer à la greffe
cardiaque ; elle lui est offerte le 23 janvier 1964, jour où il reçoit
dans son service un homme de 68 ans, Boyd Rush, amputé ce
jour-là de la jambe gauche pour une gangrène mortelle consé-
cutive à l’obstruction de l’artère fémorale par un caillot.
Parvenu au dernier stade d’une insuffisance cardiaque entraî-
nant des embolies multiples, Boyd respire encore, grâce à un
appareil de “respiration artificielle”...
Que faire ? Hardy connaît la réponse à cette question : puisque
le cœur de Boyd va cesser de battre, la seule façon de sauver le
moribond est d’installer dans sa cage thoracique un cœur qui,
lui, pourra remplir sa fonction.
Où trouver un greffon ?
Le hasard veut que, la veille, ait été amené dans la salle de soins
intensifs de l’hôpital un jeune homme atteint de lésions
mortelles au cerveau. S’il est maintenu artificiellement en vie,
l’issue fatale ne fait pas de doute. Aussi le chirurgien a-t-il
demandé à la famille l’autorisation de prélever son cœur, aus-
sitôt la mort constatée. Accord donné...
Boyd est amené au bloc chirurgical au soir du 24 à 19 heures. L’in-
tervention commence : le cœur est exposé par sternotomie médiane,
la circulation dérivée vers un cœur-poumon artificiel, mis au point
par John Gibbon en 1952, et couramment utilisé en chirurgie car-
diaque. Et le donneur en puissance ? Un assistant de Hardy constate
dans la salle de soins intensifs que son cœur continue de présenter
des contractions régulières. Pour les médecins, il est hors de ques-
tion d’arrêter la respiration afin de prélever l’organe sauveur...
Hardy, qui a prévu cet obstacle de la dernière heure, décide alors
de faire monter de son animalerie un chimpanzé destiné à ses
expériences ; car il se trouve confronté à un choix dramatique :
ou laisser mourir Rush, en arrêtant le cœur-poumon artificiel,
ou tenter chez lui la transplantation du cœur d’un primate. Le
chirurgien demande à ses collaborateurs de... voter ! Quatre oui,
un seul non, celui du Dr William A. Neely, chirurgien assistant.
Le reste appartient à la technique : à 20 h 15, le cœur du chim-
panzé est mis en place dans la poitrine de Boyd, dont le cœur
malade a été enlevé : les vaisseaux du primate sont alors abou-
chés à ceux du malade. En cours de suture, Hardy constate que
l’aorte du malade a un diamètre supérieur à celui de l’aorte du
greffon : il en réduit le calibre aussitôt.
À 21 h 15, la circulation extracorporelle[1] est arrêtée et le gref-
fon réchauffé ; il présente alors une fibrillation ventriculaire,
arrêtée par un seul choc électrique. Le cœur greffé bat réguliè-
rement, à la fréquence de huit contractions par minute.
Mais il apparaît très rapidement que la petite taille du greffon
le rend incapable d’assurer le retour du sang veineux circulant :
le rythme des contractions du greffon est trop lent ! Afin de
l’accélérer, Hardy suture les électrodes d’un pacemaker sur le
ventricule gauche ; grâce à cette stimulation électrique, le
rythme des contractions atteint 100 par minute, la pression arté-
rielle oscillant entre 60 et 90 mmHg de mercure.
Mais malgré des massages cardiaques répétés, il s’avère que le
greffon ne pourra pas faire face longtemps au retour veineux
du greffé. À 23 h 30, Hardy abandonne : après quelques
minutes, le cœur du primate s’arrête définitivement – ce
premier essai se solde par un échec !
Il y en aura d’autres, certes, et il faudra plusieurs années et la
mise au point de médicaments anti-rejet efficaces pour que la
greffe cardiaque devienne une opération relativement “courante”.
Mais il n’est pas inutile de rappeler la première de Hardy en
une période où, par pénurie de greffons humains, on évoque
de plus en plus le recours à la xénogreffe, quand les multiples
problèmes qu’elle pose auront été résolus.
!
"P. Bourget*
Éphéméride
*Chroniqueur médical, ancien chef de la section médicale de la rédaction
de TF1, lauréat de l’Académie de médecine.
[1] Très vite, cette expression (CEC) a remplacé le nom de l’appareil “cœur-
poumon artificiel”.
Photo : © Droits réservés
24 janvier 1964, Jackson (États-Unis) :
la vraie première greffe cardiaque chez l’homme...
1 / 1 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !