Le Courrier de la Transplantation - Volume IV - n
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Société
À
l’heure actuelle, les choses sont assez
simples : les associations de patients n’ont
pas vraiment trouvé de place, que cela soit vis-
à-vis du grand public, des familles de patients,
du monde politique, des médecins ou face aux
malades eux-mêmes. Ne pouvant m’exprimer
pour l’ensemble des associations de patients
transplantés, je vais tenter d’expliquer mon
point de vue sur la base de ma propre expé-
rience, en tant que président de l’association
Trans-Forme.
POLITIQUE ET ÉCONOMIE DE SANTÉ :
UNE ABSENCE D’ENGAGEMENT
La fameuse qualité de vie que doit pouvoir
retrouver un transplanté (ou un dialysé) passe
forcément par une approche interdisciplinaire,
par un suivi global. Or, même si certains hôpi-
taux proposent des suivis en dermatologie ou en
diététique, trop souvent, lors d’une consultation,
on ne rencontre que le seul médecin. Si le corps
médical comprend mieux, désormais, cette
nécessité d’un suivi global du patient, les pro-
tocoles ne suivent pas. Et c’est un aspect de la
thérapie qui ne devrait pas laisser insensibles les
politiques de santé. Car, lorsque l’on parle de
qualité de vie, on parle de récupérer plus vite,
de se remettre “debout” plus rapidement… ce
qui implique des économies de santé. Remettre
un patient sur pied, c’est un lit d’hôpital libéré ;
remettre un patient sur pied, c’est lui permettre
de travailler à nouveau… et de payer à nouveau
ses impôts.
Pourtant, cela fait plus de quinze ans que nous
luttons dans ces domaines et que je n’ai pas vu
les choses évoluer réellement. Trop souvent, au
contraire, au nom même de l’économie de santé
(!), le greffé sera laissé à sa propre énergie, à sa
propre initiative pour recouvrer une certaine
qualité de vie. Par exemple, on lui refusera – là
encore de façon inégale – la prescription de
séances de kinésithérapie jusqu’à recouvrement
d’un confort physique. Ou bien, les tests d’ef-
fort ne seront que difficilement prescrits, ou très
difficilement remboursés par la Sécurité sociale.
Pourtant, pour pratiquer une activité physique
intensive en toute sécurité, ces tests d’effort
(datant de moins de 6 mois) sont indispensables
aux assureurs… et aux greffés. Au nom de l’éco-
nomie de santé, on en vient donc paradoxale-
ment à décourager les transplantés de pratiquer
une activité physique aux enjeux médicaux et
sociétaux réputés forts.
Mais l’attitude de l’hôpital n’est que le reflet de
la considération que le pouvoir politique a pour
l’engagement associatif. Aucune subvention
directe n’émane aujourd’hui du ministère de la
Santé pour aider une association de terrain
comme Trans-Forme, intervenant après la greffe
– voire au stade de la dialyse – autour de ces
notions de qualité de vie des patients, et dont
l’utilité est pourtant reconnue par les acteurs
concernés. Même l’Établissement français des
Greffes n’octroie pas de subvention directe aux
associations impliquées quotidiennement auprès
des patients, et pourtant considérées comme cru-
ciales et représentatives. En France, les asso-
ciations de patients ne sont absolument pas
reconnues ; elles réalisent des miracles avec des
bouts de ficelle. Que faut-il donc faire pour être
entendu ? Les associations sont raisonnables et
essaient de faire progresser la situation des gref-
fés de manière “intelligente”. Mais, dans notre
pays, pour que les choses changent, il faut “aller
dans la rue”, manifester, et éveiller la conscience
du pouvoir politique. Le moins que l’on puisse
dire est qu’il faut un grand sens du devoir et de
la solidarité pour s’engager aujourd’hui dans
une telle cause, ingrate, invisible, vaine.
La place des associations de patients
en transplantation
* Président de l’association Trans-Forme, 66, boulevard
Diderot, 75012 Paris.
"O. Coustère*
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ASSOCIATIONS ET MÉDECINS :
L’ALLIANCE IMPOSSIBLE ?
Bien souvent, l’information qui se rapporte à la
qualité de vie n’est pas ou peu dispensée par le
médecin, par manque de temps souvent, et parce
qu’il faut gérer les priorités. Malheureusement,
au-delà du suivi du greffon, qui reste et doit res-
ter évidemment de la seule compétence du
médecin, les associations qui pourraient diffu-
ser cette information ne sont pas placées dans
les conditions adéquates pour pouvoir pallier ce
défaut d’information globale ou “sociétale”, ne
serait-ce qu’en étant présentes dans les couloirs
des services de transplantation pour y afficher
ou distribuer de la documentation. Nous avons,
par exemple, beaucoup de difficultés à réelle-
ment mettre à la disposition des patients nos
livrets concernant l’activité physique, ou encore
l’observance thérapeutique... Il y a souvent un
manque de dialogue des médecins avec les
patients, mais aussi et surtout entre les patients,
alors que l’échange direct entre malades est très
souvent un excellent moyen de dédramatiser ou
de s’informer. À l’heure actuelle, il n’y a aucune
représentation efficace des patients à l’hôpital.
Aucun service d’aide, aucune rencontre patient-
patient facilitée qui puisse combler cette absence
d’information. Les associations pourraient rem-
plir ce rôle, trouver une place à l’hôpital. Elles
devraient en avoir les moyens, ou tout du moins
une légitimité promue par le médecin, être
recommandées comme ressources, conseils, en
particulier parce que les médecins sont de moins
en moins disponibles pour véhiculer des mes-
sages périphériques, paramédicaux, transver-
saux. Par ailleurs, ils ont parfois du mal à délé-
guer une partie de leur relationnel patient. Cela
entraîne un défaut d’information des patients,
en particulier sur tout ce qui dépasse le cadre
strict de leurs traitements. Nous, patients,
devrions être des alliés objectifs des médecins
sur tous les aspects sociétaux de la greffe. Mais
les associations n’ont pas encore conquis cette
légitimité.
Par exemple, en ce qui concerne notre objectif
majeur, qui est d’amener le sport à l’hôpital, le
problème se pose de la même façon. Aujour-
d’hui, le patient qui vient de subir une trans-
plantation n’a pas de statut. Avant la greffe, il
dispose d’un statut : c’est un patient, suivi médi-
calement, car il est malade. Or, après la greffe,
il n’est ni guéri – les banques et les assureurs
savent vous l’expliquer ! – ni malade, ce que les
employeurs peuvent d’ailleurs discuter…
D’ailleurs, le patient greffé va même parfois jus-
qu’à se revendiquer comme “de nouveau capable
de vivre une vie normale, au moins pour un cer-
tain temps”. C’est une sorte de statut intermé-
diaire, de statut sans droit, entre le handicap et
la normalité. Dans le sport, cela se situe entre
l’olympique et le para-olympique. Le greffé est
un sportif qui n’est pas handicapé, mais il n’est
pas non plus “normal”, car il est considéré
comme “dopé” par ses traitements. Face à ces
problématiques de société, le patient est seul. Le
médecin se préoccupe des seuls aspects médi-
caux, à défaut du reste. Quand il prescrit une
molécule à un malade, il n’entre pas souvent dans
les considérations de qualité de vie ou dans les
effets d’interaction des médicaments. Une asso-
ciation, par le vécu qu’elle véhicule, peut être
d’un apport très positif dans ces domaines.
ASSOCIATIONS ET PERSONNELS SOIGNANTS :
LE CŒUR DU DIALOGUE
Savoir réellement “remettre debout” une per-
sonne qui vient d’être greffée devrait pourtant
faire partie du rôle de l’hôpital, du médecin et de
tous les soignants, notamment grâce à l’entretien
gymnique “au plus près du lit d’hôpital”. Le
moindre des efforts serait de faciliter le dialogue
de patient à patient, de proposer une place aux
associations. Il y a là une expertise “gratuite” et
totalement inexploitée. Tout ce qui sort du cadre
strictement médical – et notamment les aspects
de nutrition, réadaptation physique, sexologie,
psychologie, dermatologie, etc., pourtant systé-
matiquement concernés – n’est pas prévu, ou
alors très inégalement, au sein des protocoles de
suivi postgreffe. Chaque patient sait pourtant que
ces problèmes-là se posent après une greffe. Mais
il est parfois difficile d’en parler, car, lorsqu’un
médicament provoque des effets indésirables, il
est difficile pour le patient de faire la part des
choses entre l’action médicamenteuse et la mala-
die elle-même. Par ailleurs, le patient ne sait pas
toujours s’il existe une alternative au dit médica-
ment. Les associations pourraient être à l’écoute
des patients sous un angle différent ; elles pour-
raient alerter ou informer les patients nouvelle-
ment greffés, et apporter des réponses à ces pro-
blèmes sociétaux et non médicaux. Pouvoir
aborder et comprendre tous les aspects non médi-
caux permet à un patient de s’approprier son état
et d’être acteur de sa propre qualité de vie, d’ac-
cepter la greffe et d’apprendre à vivre avec.
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ASSOCIATIONS ET FAMILLES :
MIEUX SOUTENIR
Parler de sa greffe est souvent compliqué. Le
dialogue est pourtant indispensable, et il faudrait
légitimer son rôle, à l’intérieur comme à l’exté-
rieur de l’hôpital. La parole est primordiale pour
les patients comme pour leur entourage. Mais
l’accompagnement psychologique du patient
existe peu. Et cela est encore plus vrai pour son
environnement familial.
Pourtant, l’impact de la dialyse et de la greffe
est dévastateur sur l’environnement proche du
malade. Outre la maladie et la souffrance pure-
ment physique, le malade doit souvent porter le
poids de la culpabilité de ses proches... Personne
n’est préparé. Les familles ne sont pas prêtes à
assumer la maladie de leur proche, et le malade
admet rarement ce qui lui arrive... Ensuite, il
redoute les effets indésirables des traitements,
ainsi que le manque d’information. Les méde-
cins, en effet, ne préviennent pas toujours des
effets indésirables. Il y a un déficit d’informa-
tion flagrant. Les médecins ne peuvent porter
seuls la responsabilité de toute l’information,
mais il faudrait qu’ils admettent la nécessité de
ce renfort associatif, et qu’ils donnent le mini-
mum de renseignements au patient pour l’aider
à s’aider… Soigner ne suffit pas. Il faut orien-
ter les patients, leur donner des adresses, les
envoyer là où ils pourront être aidés et écoutés.
ASSOCIATIONS ET GRAND PUBLIC :
MIEUX SENSIBILISER
Cette prise de conscience ne s’est pas réalisée non
plus auprès du grand public, qui n’est pas du tout
informé de ce qu’est une greffe, ou de ce que repré-
sente le don d’organes. Il n’y a aucun projet d’édu-
cation “grand public”, comme si le don d’organes
– qui sauve pourtant des vies depuis 50 ans – ne
concernait pas la société. Mais les associations
n’ont pas les moyens de faire de grandes cam-
pagnes. Et le sujet n’intéresse pas beaucoup les
grands médias : leur espace caritatif est étroit, et il
est déjà assez largement occupé par des causes plus
“modernes”. De nombreux artistes sollicités
auraient pu nous soutenir grâce à leur nom, et être
des parrains médiatiques de notre action. Mais nous
avons eu très peu de réponses à nos sollicitations.
Sans aucun moyen, il faut beaucoup de temps pour
arriver à gagner un “espace” médiatique. Et, lorsque
nous l’obtiendrons, on nous dira : “C’est formi-
dable ! Mais pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? ”.
Il faut beaucoup de ténacité… Mais pour le
moment, dans ce contexte où tout le monde néglige
la cause “greffe”, comment les associations de
patients pourraient-elles trouver leur place ? Par
ailleurs, les greffés sont très pudiques en ce qui
concerne leur maladie, et lorsqu’on a bénéficié du
don d’un organe, il n’est pas si aisé de se poser en
revendicateur... et en ambassadeur “bruyant”.
ASSOCIATIONS ET LABORATOIRES :
MIEUX COOPÉRER
Un autre aspect de la transplantation concerne
les laboratoires pharmaceutiques. Leur rôle
auprès des patients a beaucoup évolué. J’en veux
pour preuve une initiative récente d’un labora-
toire : il est allé à la rencontre d’une centaine de
“leaders d’opinion” en Europe, incluant des res-
ponsables d’associations, pour connaître le point
de vue des patients sur le rôle perçu et souhaité
des laboratoires... et pour s’en inspirer et orien-
ter son discours, sa façon de s’impliquer en
citoyenneté… Certains laboratoires considèrent
désormais le patient comme un acteur de sa
propre thérapie, comme un prescripteur indirect.
Ces laboratoires ont compris que la notion de
qualité de vie accompagne réellement la guéri-
son d’un greffé. Même si leur action n’est sans
doute pas uniquement philanthropique, ils
accompagnent le mouvement et soutiennent
financièrement toujours plus d’associations de
patients comme la nôtre. Ils ont compris que le
patient intervient de plus en plus au moment de
la consultation, pose de plus en plus de ques-
tions. En effet, le comportement des greffés
change. Et il faut que cela continue. Les patients
doivent devenir acteurs de leur maladie et enta-
mer le dialogue. Les médecins sont d’ailleurs de
plus en plus à l’écoute et dans l’échange. Patients
et médecins doivent aller les uns vers les autres.
SAVOIR SE POSITIONNER
Pour prendre un exemple concret, je vais à pré-
sent vous expliquer la place de notre associa-
tion. Afin de véhiculer de manière efficace notre
conviction – d’ailleurs désormais validée scien-
tifiquement – selon laquelle l’activité physique
et sportive (APS) est une thérapie auxiliaire, il
a fallu réfléchir très sérieusement au position-
nement de l’association, à sa place en tant que
représentante de patients greffés. Et les grands
défis de Trans-Forme dans les dix ans à venir
nous sont apparus au nombre de trois.
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Le premier est l’intégration au monde sportif.
Cela va consister à se mettre en réseau avec les
associations grand public comme l’USEP
(Union sportive de l’enseignement du premier
degré), l’UNSS (Union nationale du sport sco-
laire) ou encore la Fédération française d’édu-
cation physique et de gymnastique volontaire,
et la FSCF (Fédération sportive et culturelle
française), qui comptent plusieurs dizaines de
milliers de membres. Il faut que nous arrivions
à nous intégrer à ces associations afin d’asseoir
notre présence dans les réseaux d’éducation au
sport.
Les deux autres objectifs concernent plus spé-
cifiquement l’hôpital.
D’une part, nous nous devons d’être beaucoup
plus présents au niveau des services de trans-
plantés. En effet, Trans-Forme, en tant qu’asso-
ciation de patients, doit être mieux connue des
greffés (et des dialysés en phase de préparation
à la greffe), au-delà des événements que nous
organisons. D’autre part, l’une des raisons d’être
de notre association est l’introduction de l’APS
à l’hôpital, ce pour quoi elle rencontre les plus
grandes difficultés. Trans-Forme devrait au
moins avoir la possibilité de promouvoir direc-
tement cette activité, ce qui reste difficile. Alors
les associations de patients, pour promouvoir une
information cruciale auprès d’autres patients,
doivent mettre en œuvre des moyens détournés.
À l’hôpital, il n’y a quasiment aucune structure
légitimée de relais de l’information auprès des
patients, et il est même généralement impossible
d’afficher sur les murs d’une salle de consulta-
tion. De toute manière, à quoi sert vraiment un
affichage “passif” ? Les affiches sont souvent
enlevées et il est absolument impossible de
connaître leur impact. Nous n’avons aucun
moyen de communiquer notre action directement
auprès des malades.
Il n’est pas acceptable que des associations
représentatives comme Trans-Forme, sur le ter-
rain depuis 15 ans, qui véhiculent des projets de
thérapie auxiliaire à valeur ajoutée, ne puissent
promouvoir de façon extrêmement fluide et effi-
cace leur message, leurs services, directement
auprès des patients. Le seul droit dont elles dis-
posent est d’envoyer “à l’aveugle”, dans les ser-
vices, une information dont on sait qu’elle est
vouée à la poubelle tôt ou tard. Tout cela nous
pousse à tenter de nous imposer, à imaginer des
stratagèmes parfois un peu subtils ou malins
pour atteindre le patient. Nous avons, par
exemple, développé des partenariats avec des
laboratoires, car ces derniers ont des délégués
médicaux qui trouvent un intérêt à apporter une
valeur ajoutée aux médecins. Donc, au moment
de leur rencontre avec le médecin, ils promeu-
vent certains outils élaborés avec la contribution
active de Trans-Forme. Et nous espérons que ce
médecin va en parler à l’infirmière… qui va en
parler au patient. Il est difficile pour des asso-
ciations d’être présentes d’une manière aussi
active que ces délégués médicaux. Mais mettre
en place un service de type “assistance patient”
est tout à fait envisageable. Les associations ont
les moyens humains et souvent les structures
pour offrir ce type de service. Le minimum serait
peut-être qu’il y ait à l’hôpital un tableau d’in-
formation indiquant à qui s’adresser pour tel ou
tel sujet. Il faut “se battre” pour obtenir et
conserver une petite place au sein des salles de
consultation. Je plaide pour une présence,
directe ou indirecte, des associations de trans-
plantés à l’hôpital, pour permettre le dialogue
de patient à patient. Mais le médecin doit abso-
lument légitimer cette présence, l’institutionna-
liser en quelque sorte.
CONCLUSION
On voit donc, à travers l’exemple de Trans-
Forme, que beaucoup de choses ont été accom-
plies, mais que beaucoup d’autres restent à faire.
Il est clair qu’avec la fin de la période où les pro-
blèmes non directement liés à la greffe étaient
négligés, la place des associations, en particu-
lier pour toute la dimension psychosociale, est
primordiale. Par cette approche vis-à-vis à la
fois de l’hôpital, des médecins, des patients et
des familles, les associations doivent et vont
devenir les interlocuteurs naturels de ces divers
intervenants, en apportant à la démarche de l’hu-
manité et du pragmatisme. $
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