S ociété " O. Coustère* La place des associations de patients en transplantation l’heure actuelle, les choses sont assez simples : les associations de patients n’ont À pas vraiment trouvé de place, que cela soit visà-vis du grand public, des familles de patients, du monde politique, des médecins ou face aux malades eux-mêmes. Ne pouvant m’exprimer pour l’ensemble des associations de patients transplantés, je vais tenter d’expliquer mon point de vue sur la base de ma propre expérience, en tant que président de l’association Trans-Forme. POLITIQUE ET ÉCONOMIE DE SANTÉ : UNE ABSENCE D’ENGAGEMENT La fameuse qualité de vie que doit pouvoir retrouver un transplanté (ou un dialysé) passe forcément par une approche interdisciplinaire, par un suivi global. Or, même si certains hôpitaux proposent des suivis en dermatologie ou en diététique, trop souvent, lors d’une consultation, on ne rencontre que le seul médecin. Si le corps médical comprend mieux, désormais, cette nécessité d’un suivi global du patient, les protocoles ne suivent pas. Et c’est un aspect de la thérapie qui ne devrait pas laisser insensibles les politiques de santé. Car, lorsque l’on parle de qualité de vie, on parle de récupérer plus vite, de se remettre “debout” plus rapidement… ce qui implique des économies de santé. Remettre un patient sur pied, c’est un lit d’hôpital libéré ; remettre un patient sur pied, c’est lui permettre de travailler à nouveau… et de payer à nouveau ses impôts. Pourtant, cela fait plus de quinze ans que nous luttons dans ces domaines et que je n’ai pas vu les choses évoluer réellement. Trop souvent, au contraire, au nom même de l’économie de santé * Président de l’association Trans-Forme, 66, boulevard Diderot, 75012 Paris. 223 (!), le greffé sera laissé à sa propre énergie, à sa propre initiative pour recouvrer une certaine qualité de vie. Par exemple, on lui refusera – là encore de façon inégale – la prescription de séances de kinésithérapie jusqu’à recouvrement d’un confort physique. Ou bien, les tests d’effort ne seront que difficilement prescrits, ou très difficilement remboursés par la Sécurité sociale. Pourtant, pour pratiquer une activité physique intensive en toute sécurité, ces tests d’effort (datant de moins de 6 mois) sont indispensables aux assureurs… et aux greffés. Au nom de l’économie de santé, on en vient donc paradoxalement à décourager les transplantés de pratiquer une activité physique aux enjeux médicaux et sociétaux réputés forts. Mais l’attitude de l’hôpital n’est que le reflet de la considération que le pouvoir politique a pour l’engagement associatif. Aucune subvention directe n’émane aujourd’hui du ministère de la Santé pour aider une association de terrain comme Trans-Forme, intervenant après la greffe – voire au stade de la dialyse – autour de ces notions de qualité de vie des patients, et dont l’utilité est pourtant reconnue par les acteurs concernés. Même l’Établissement français des Greffes n’octroie pas de subvention directe aux associations impliquées quotidiennement auprès des patients, et pourtant considérées comme cruciales et représentatives. En France, les associations de patients ne sont absolument pas reconnues ; elles réalisent des miracles avec des bouts de ficelle. Que faut-il donc faire pour être entendu ? Les associations sont raisonnables et essaient de faire progresser la situation des greffés de manière “intelligente”. Mais, dans notre pays, pour que les choses changent, il faut “aller dans la rue”, manifester, et éveiller la conscience du pouvoir politique. Le moins que l’on puisse dire est qu’il faut un grand sens du devoir et de la solidarité pour s’engager aujourd’hui dans une telle cause, ingrate, invisible, vaine. Le Courrier de la Transplantation - Volume IV - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2004 S ociété ASSOCIATIONS ET MÉDECINS : L’ALLIANCE IMPOSSIBLE ? Bien souvent, l’information qui se rapporte à la qualité de vie n’est pas ou peu dispensée par le médecin, par manque de temps souvent, et parce qu’il faut gérer les priorités. Malheureusement, au-delà du suivi du greffon, qui reste et doit rester évidemment de la seule compétence du médecin, les associations qui pourraient diffuser cette information ne sont pas placées dans les conditions adéquates pour pouvoir pallier ce défaut d’information globale ou “sociétale”, ne serait-ce qu’en étant présentes dans les couloirs des services de transplantation pour y afficher ou distribuer de la documentation. Nous avons, par exemple, beaucoup de difficultés à réellement mettre à la disposition des patients nos livrets concernant l’activité physique, ou encore l’observance thérapeutique... Il y a souvent un manque de dialogue des médecins avec les patients, mais aussi et surtout entre les patients, alors que l’échange direct entre malades est très souvent un excellent moyen de dédramatiser ou de s’informer. À l’heure actuelle, il n’y a aucune représentation efficace des patients à l’hôpital. Aucun service d’aide, aucune rencontre patientpatient facilitée qui puisse combler cette absence d’information. Les associations pourraient remplir ce rôle, trouver une place à l’hôpital. Elles devraient en avoir les moyens, ou tout du moins une légitimité promue par le médecin, être recommandées comme ressources, conseils, en particulier parce que les médecins sont de moins en moins disponibles pour véhiculer des messages périphériques, paramédicaux, transversaux. Par ailleurs, ils ont parfois du mal à déléguer une partie de leur relationnel patient. Cela entraîne un défaut d’information des patients, en particulier sur tout ce qui dépasse le cadre strict de leurs traitements. Nous, patients, devrions être des alliés objectifs des médecins sur tous les aspects sociétaux de la greffe. Mais les associations n’ont pas encore conquis cette légitimité. Par exemple, en ce qui concerne notre objectif majeur, qui est d’amener le sport à l’hôpital, le problème se pose de la même façon. Aujourd’hui, le patient qui vient de subir une transplantation n’a pas de statut. Avant la greffe, il dispose d’un statut : c’est un patient, suivi médicalement, car il est malade. Or, après la greffe, il n’est ni guéri – les banques et les assureurs savent vous l’expliquer ! – ni malade, ce que les 224 employeurs peuvent d’ailleurs discuter… D’ailleurs, le patient greffé va même parfois jusqu’à se revendiquer comme “de nouveau capable de vivre une vie normale, au moins pour un certain temps”. C’est une sorte de statut intermédiaire, de statut sans droit, entre le handicap et la normalité. Dans le sport, cela se situe entre l’olympique et le para-olympique. Le greffé est un sportif qui n’est pas handicapé, mais il n’est pas non plus “normal”, car il est considéré comme “dopé” par ses traitements. Face à ces problématiques de société, le patient est seul. Le médecin se préoccupe des seuls aspects médicaux, à défaut du reste. Quand il prescrit une molécule à un malade, il n’entre pas souvent dans les considérations de qualité de vie ou dans les effets d’interaction des médicaments. Une association, par le vécu qu’elle véhicule, peut être d’un apport très positif dans ces domaines. ASSOCIATIONS ET PERSONNELS SOIGNANTS : LE CŒUR DU DIALOGUE Savoir réellement “remettre debout” une personne qui vient d’être greffée devrait pourtant faire partie du rôle de l’hôpital, du médecin et de tous les soignants, notamment grâce à l’entretien gymnique “au plus près du lit d’hôpital”. Le moindre des efforts serait de faciliter le dialogue de patient à patient, de proposer une place aux associations. Il y a là une expertise “gratuite” et totalement inexploitée. Tout ce qui sort du cadre strictement médical – et notamment les aspects de nutrition, réadaptation physique, sexologie, psychologie, dermatologie, etc., pourtant systématiquement concernés – n’est pas prévu, ou alors très inégalement, au sein des protocoles de suivi postgreffe. Chaque patient sait pourtant que ces problèmes-là se posent après une greffe. Mais il est parfois difficile d’en parler, car, lorsqu’un médicament provoque des effets indésirables, il est difficile pour le patient de faire la part des choses entre l’action médicamenteuse et la maladie elle-même. Par ailleurs, le patient ne sait pas toujours s’il existe une alternative au dit médicament. Les associations pourraient être à l’écoute des patients sous un angle différent ; elles pourraient alerter ou informer les patients nouvellement greffés, et apporter des réponses à ces problèmes sociétaux et non médicaux. Pouvoir aborder et comprendre tous les aspects non médicaux permet à un patient de s’approprier son état et d’être acteur de sa propre qualité de vie, d’accepter la greffe et d’apprendre à vivre avec. Le Courrier de la Transplantation - Volume IV - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2004 S ociété ASSOCIATIONS ET FAMILLES : MIEUX SOUTENIR Parler de sa greffe est souvent compliqué. Le dialogue est pourtant indispensable, et il faudrait légitimer son rôle, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’hôpital. La parole est primordiale pour les patients comme pour leur entourage. Mais l’accompagnement psychologique du patient existe peu. Et cela est encore plus vrai pour son environnement familial. Pourtant, l’impact de la dialyse et de la greffe est dévastateur sur l’environnement proche du malade. Outre la maladie et la souffrance purement physique, le malade doit souvent porter le poids de la culpabilité de ses proches... Personne n’est préparé. Les familles ne sont pas prêtes à assumer la maladie de leur proche, et le malade admet rarement ce qui lui arrive... Ensuite, il redoute les effets indésirables des traitements, ainsi que le manque d’information. Les médecins, en effet, ne préviennent pas toujours des effets indésirables. Il y a un déficit d’information flagrant. Les médecins ne peuvent porter seuls la responsabilité de toute l’information, mais il faudrait qu’ils admettent la nécessité de ce renfort associatif, et qu’ils donnent le minimum de renseignements au patient pour l’aider à s’aider… Soigner ne suffit pas. Il faut orienter les patients, leur donner des adresses, les envoyer là où ils pourront être aidés et écoutés. ASSOCIATIONS ET GRAND PUBLIC : MIEUX SENSIBILISER Cette prise de conscience ne s’est pas réalisée non plus auprès du grand public, qui n’est pas du tout informé de ce qu’est une greffe, ou de ce que représente le don d’organes. Il n’y a aucun projet d’éducation “grand public”, comme si le don d’organes – qui sauve pourtant des vies depuis 50 ans – ne concernait pas la société. Mais les associations n’ont pas les moyens de faire de grandes campagnes. Et le sujet n’intéresse pas beaucoup les grands médias : leur espace caritatif est étroit, et il est déjà assez largement occupé par des causes plus “modernes”. De nombreux artistes sollicités auraient pu nous soutenir grâce à leur nom, et être des parrains médiatiques de notre action. Mais nous avons eu très peu de réponses à nos sollicitations. Sans aucun moyen, il faut beaucoup de temps pour arriver à gagner un “espace” médiatique. Et, lorsque nous l’obtiendrons, on nous dira : “C’est formidable ! Mais pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? ”. 225 Il faut beaucoup de ténacité… Mais pour le moment, dans ce contexte où tout le monde néglige la cause “greffe”, comment les associations de patients pourraient-elles trouver leur place ? Par ailleurs, les greffés sont très pudiques en ce qui concerne leur maladie, et lorsqu’on a bénéficié du don d’un organe, il n’est pas si aisé de se poser en revendicateur... et en ambassadeur “bruyant”. ASSOCIATIONS ET LABORATOIRES : MIEUX COOPÉRER Un autre aspect de la transplantation concerne les laboratoires pharmaceutiques. Leur rôle auprès des patients a beaucoup évolué. J’en veux pour preuve une initiative récente d’un laboratoire : il est allé à la rencontre d’une centaine de “leaders d’opinion” en Europe, incluant des responsables d’associations, pour connaître le point de vue des patients sur le rôle perçu et souhaité des laboratoires... et pour s’en inspirer et orienter son discours, sa façon de s’impliquer en citoyenneté… Certains laboratoires considèrent désormais le patient comme un acteur de sa propre thérapie, comme un prescripteur indirect. Ces laboratoires ont compris que la notion de qualité de vie accompagne réellement la guérison d’un greffé. Même si leur action n’est sans doute pas uniquement philanthropique, ils accompagnent le mouvement et soutiennent financièrement toujours plus d’associations de patients comme la nôtre. Ils ont compris que le patient intervient de plus en plus au moment de la consultation, pose de plus en plus de questions. En effet, le comportement des greffés change. Et il faut que cela continue. Les patients doivent devenir acteurs de leur maladie et entamer le dialogue. Les médecins sont d’ailleurs de plus en plus à l’écoute et dans l’échange. Patients et médecins doivent aller les uns vers les autres. SAVOIR SE POSITIONNER Pour prendre un exemple concret, je vais à présent vous expliquer la place de notre association. Afin de véhiculer de manière efficace notre conviction – d’ailleurs désormais validée scientifiquement – selon laquelle l’activité physique et sportive (APS) est une thérapie auxiliaire, il a fallu réfléchir très sérieusement au positionnement de l’association, à sa place en tant que représentante de patients greffés. Et les grands défis de Trans-Forme dans les dix ans à venir nous sont apparus au nombre de trois. Le Courrier de la Transplantation - Volume IV - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2004 S ociété Le premier est l’intégration au monde sportif. Cela va consister à se mettre en réseau avec les associations grand public comme l’USEP (Union sportive de l’enseignement du premier degré), l’UNSS (Union nationale du sport scolaire) ou encore la Fédération française d’éducation physique et de gymnastique volontaire, et la FSCF (Fédération sportive et culturelle française), qui comptent plusieurs dizaines de milliers de membres. Il faut que nous arrivions à nous intégrer à ces associations afin d’asseoir notre présence dans les réseaux d’éducation au sport. Les deux autres objectifs concernent plus spécifiquement l’hôpital. D’une part, nous nous devons d’être beaucoup plus présents au niveau des services de transplantés. En effet, Trans-Forme, en tant qu’association de patients, doit être mieux connue des greffés (et des dialysés en phase de préparation à la greffe), au-delà des événements que nous organisons. D’autre part, l’une des raisons d’être de notre association est l’introduction de l’APS à l’hôpital, ce pour quoi elle rencontre les plus grandes difficultés. Trans-Forme devrait au moins avoir la possibilité de promouvoir directement cette activité, ce qui reste difficile. Alors les associations de patients, pour promouvoir une information cruciale auprès d’autres patients, doivent mettre en œuvre des moyens détournés. À l’hôpital, il n’y a quasiment aucune structure légitimée de relais de l’information auprès des patients, et il est même généralement impossible d’afficher sur les murs d’une salle de consultation. De toute manière, à quoi sert vraiment un affichage “passif” ? Les affiches sont souvent enlevées et il est absolument impossible de connaître leur impact. Nous n’avons aucun moyen de communiquer notre action directement auprès des malades. Il n’est pas acceptable que des associations représentatives comme Trans-Forme, sur le terrain depuis 15 ans, qui véhiculent des projets de thérapie auxiliaire à valeur ajoutée, ne puissent promouvoir de façon extrêmement fluide et efficace leur message, leurs services, directement 226 auprès des patients. Le seul droit dont elles disposent est d’envoyer “à l’aveugle”, dans les services, une information dont on sait qu’elle est vouée à la poubelle tôt ou tard. Tout cela nous pousse à tenter de nous imposer, à imaginer des stratagèmes parfois un peu subtils ou malins pour atteindre le patient. Nous avons, par exemple, développé des partenariats avec des laboratoires, car ces derniers ont des délégués médicaux qui trouvent un intérêt à apporter une valeur ajoutée aux médecins. Donc, au moment de leur rencontre avec le médecin, ils promeuvent certains outils élaborés avec la contribution active de Trans-Forme. Et nous espérons que ce médecin va en parler à l’infirmière… qui va en parler au patient. Il est difficile pour des associations d’être présentes d’une manière aussi active que ces délégués médicaux. Mais mettre en place un service de type “assistance patient” est tout à fait envisageable. Les associations ont les moyens humains et souvent les structures pour offrir ce type de service. Le minimum serait peut-être qu’il y ait à l’hôpital un tableau d’information indiquant à qui s’adresser pour tel ou tel sujet. Il faut “se battre” pour obtenir et conserver une petite place au sein des salles de consultation. Je plaide pour une présence, directe ou indirecte, des associations de transplantés à l’hôpital, pour permettre le dialogue de patient à patient. Mais le médecin doit absolument légitimer cette présence, l’institutionnaliser en quelque sorte. CONCLUSION On voit donc, à travers l’exemple de TransForme, que beaucoup de choses ont été accomplies, mais que beaucoup d’autres restent à faire. Il est clair qu’avec la fin de la période où les problèmes non directement liés à la greffe étaient négligés, la place des associations, en particulier pour toute la dimension psychosociale, est primordiale. Par cette approche vis-à-vis à la fois de l’hôpital, des médecins, des patients et des familles, les associations doivent et vont devenir les interlocuteurs naturels de ces divers intervenants, en apportant à la démarche de l’humanité et du pragmatisme. $ Le Courrier de la Transplantation - Volume IV - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2004