L Approche psychopathologique des patients allogreffés des mains

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MISE AU POINT
Approche psychopathologique
des patients allogreffés
des mains
Psychopathology of double hand transplantated patients
C. Seulin*
L
es considérations psychopathologiques avancées dans cet article reposent sur l’expérience
acquise au cours de l’évaluation de candidats
à l’allogreffe bilatérale des mains et d’une cohorte
de 5 greffés ­bilatéraux dont le suivi va de 1 à 10 ans.
La population des candidats comme des greffés
des mains présente 2 particularités, en regard des
autres bénéficiaires de transplantations. D’une
part, les organes greffés sont externes, visibles,
sensibles et obéissent à la motricité volontaire
intervenant de façon majeure dans la vie de relation ; d’autre part, les motifs de l’amputation, accidentels, soulèvent parfois la question de la prise de
risque, voire celle de la participation inconsciente
des sujets à leur accident.
Question de l’indication
© Le Courrier de la Transplantation
- Vol. XI - n° 2 - avril-mai-juin 2011.
* Psychiatre, psychanalyste, mem­bre
titulaire formateur de la Société psychanalytique de Paris, Lyon.
La nouveauté de cette méthode de traitement
des amputations bilatérales de mains, la particularité des organes greffés mais aussi la lourdeur
du traitement médico-chirurgical en cas de transplantation nécessitent de peser soigneusement le
pour et le contre l’indication d’une allogreffe des
mains du point de vue psychologique.
L’attente concernant les bénéfices de la greffe
combine 2 aspects : les retrouvailles avec une intégrité corporelle et la récupération fonctionnelle.
Loin de s’­opposer, ces 2 aspects rencontrés chez les
patients potentialisent les bénéfices de la greffe.
Il convient de sélectionner des patients capables
de comprendre les enjeux du traitement, motivés,
courageux, acceptant les risques, et qui puissent
envisager la transgression et le défi que représente
cette avancée de la médecine. Il doit en même temps
s’agir de patients suffisamment matures, observants
170 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 6 - novembre-décembre 2012
dans le cadre d’un suivi et d’un traitement très astreignants.
Les patients immatures, incapables d’assumer la
responsabilité de leurs soins, mais aussi les patients
souffrant de graves troubles de la personnalité
(troubles identitaires, psychopathie, pathologies
limites), de psychose ou de troubles chroniques de
l’humeur (antécédents maniaques ou dépressifs
avérés) seront exclus.
D’autres dimensions plus subtiles interviennent dans
la contre-indication d’une greffe des mains et doivent
être prises en compte. L’idéalisation conduit certains
patients à attendre “tout” de l’équipe médico-chirurgicale, ce qui ne manquera pas de conduire à une
dévalorisation dangereuse de l’équipe par le patient.
D’autres patients, face à une méthode novatrice
et spectaculaire veulent surtout “faire la une des
médias” et passeront parfois du rêve de grandeur
à la persécution.
Enfin, notons le rôle important et favorable joué
par une bonne insertion sociale antérieure et un
entourage de qualité soutenant le futur greffé.
Évolution psychopathologique
des greffés des mains
Le suivi des allogreffés des mains met en évidence
4 dimensions caractéristiques de leur évolution
psycho­pathologique.
L’appropriation subjective
des membres greffés
Les mains greffées, organes visibles et relationnels,
s’intègrent de façon progressive à la représentation du
Résumé
L’auteur aborde la question des facteurs psychologiques d’indication de greffes bilatérales des mains
puis met en lumière l’importance de l’appropriation subjective des membres greffés et de l’identification à l’équipe soignante. Les risques de dépression réactionnelle et de régression sont évoqués.
L’incidence psychologique de la greffe est le plus souvent très positive.
moi corporel, ce qui suppose un déni de leur origine
étrangère. Ce déni, salutaire, s’installe à la faveur
de la double récupération fonctionnelle, motrice
et ­sensible. La motricité volontaire, effectrice de la
volonté du moi, confirme, au fur et à mesure qu’elle est
récupérée, l’appartenance subjective des membres. On
constate un parallélisme temporel entre récupération
et appropriation.
L’identification aux soignants
de l’équipe médico-chirurgicale
L’investissement majeur des équipes de soins,
l’importance du suivi et des soins justifiés par la
technique favorisent d’intenses liens affectifs avec le
patient. Ce dernier s’appuiera sur une identification
aux soignants pour assumer la responsabilité de son
traitement et progresser, malgré les efforts coûteux
du traitement. Cette identification peut se teinter
d’ambivalence.
Les soignants veilleront à éviter d’éventuelles réactions de rejet de la part du patient, préjudiciables
au suivi mais surtout une idéalisation trop massive
qui favoriserait une fuite de la réalité.
La dépression
Elle est fréquente, d’intensité variable, survenant
dans les mois qui suivent la greffe. Elle est en général
bien surmontée grâce à l’aide psychothérapique et,
si besoin, à un traitement psychotrope adapté. On
peut la comprendre, lorsqu’elle suit la greffe, comme
en lien avec le réveil du traumatisme de l’accident
responsable de l’amputation, mais aussi comme liée
à l’écart entre l’­attente idéale de retrouver des mains
esthétiquement et fonctionnellement parfaites et
la réalité d’une dure rééducation en vue d’une lente
récupération. Elle s’amende, le plus souvent, après
la première année.
La régression
L’allogreffe des mains impose des durées d’hospitalisation très longues, du fait de l’intervention
chirurgicale et de la rééducation intensive mais
aussi du fait du traitement antirejet et d’éventuelles complications. Cela favorise les risques de
régression à une dépendance profonde, entravant le
retour à une vie sociale normale. Ce risque s’avère
d’autant plus marqué qu’il existe des pathologies
associées. Il conviendra donc d’apprécier au plus
près les possibilités réelles du patient et de l’aider
à mettre en mots ses craintes face aux exigences du
quotidien comme ses difficultés dans ses relations
aux autres.
Mots-clés
Maturité
Appropriation
subjective
Identification
Summary
The psychological dimension of
the indication of double hand
transplantation is treated. The
author highlights the question
of the subjective appropriation of the hands and of the
patient’s identification with the
care team. The double risk of
depression and of regression
is mentioned. Finally, in most
of the cases, the psychological
benefit of the double hand
transplant is clear.
Keywords
Maturity
Subjective appropriation
Identification
Conclusion
À la lumière de notre expérience, le devenir psycho­
logique des greffés des mains ne pose pas de
problème majeur si l’indication, dans sa dimension
psychopathologique, a été correctement établie.
Les contraintes du suivi et du traitement, l’effet
bouleversant de retrouver des mains occasionnent
certes des mouvements dépressifs ou régressifs, en
général bien contrôlés, mais ne conduisent pas à de
sérieuses décompensations psychologiques. L’intégrité corporelle retrouvée et le succès fonctionnel
régulier, sources d’une grande satisfaction, y sont
sûrement pour beaucoup.
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