L
e 7 décembre 1967, quatre jours après la greffe cardiaque de Bar-
nard au Cap,Adrian Kantrowitz, chirurgien au Maimonides Hos-
pital de Brooklyn, implante le cœur d’un nouveau-né de 2 jours, por-
teur de lésions cérébrales incurables, dans le thorax d’un bébé de
17 jours atteint d’une malformation létale de la valvule tricuspidienne :
le greffé ne survit que quelques heures à l’opération.
Le 2 janvier 1968, Barnard récidive au Cap : receveur de l’organe, un
dentiste de 58 ans, Philip Blaiberg. Donneur, un métis de 24 ans, Clive
Haupt, foudroyé par une hémorragie cérébrale sur la plage de Fish
Hoek, près du Cap. Détail étonnant, la différence de couleur de peau
reproduit la figure légendaire de Come et Damien greffant la jambe
d’un Maure sur un homme blanc, opération immortalisée par une pein-
ture de Fra Angelico conservée au musée San Marco à Florence.
Le 6 janvier, à son tour, Norman Shuway se lance dans la course. Le
père de la technique opératoire greffe un homme de 53 ans, Mike Kas-
perak, qui reçoit le cœur d’une femme de 43 ans ayant succombé à
une hémorragie cérébrale. Durée de la survie du greffé : 14 jours. Le
11 janvier, Kantrowitz récidive : second échec...
Une sorte de frénésie de la greffe cardiaque va alors s’emparer des
chirurgiens sur toute la planète : ils transplantent des cœurs à Hous-
ton, à Richmond, à Dallas, à Londres, à Montréal, à Sapporo, à
Buenos Aires, à Suresnes, à Valparaiso, à Istanbul, à Leningrad, à Tel-
Aviv, Ankara, Marseille, Chicago ! Et à Paris où, le 27 avril 1968,
Cabron et Guiraudon effectuent la première greffe cardiaque euro-
péenne : durée de la survie après l’opération, trois jours !
Et pourtant, la répétition de ces échecs ne décourage ni les candidats
à la greffe, ni les chirurgiens : 103 transplantations cardiaques sont
effectuées en 1968. Il y a pourtant quelques réussites : décédé le
28 novembre 1974, l’Américain Lewis Russell aura vécu 6 ans et demi
grâce à son greffon, l’Américaine Betty Annick, près de neuf ans, et
le Français Emmanuel Vitria battra, le premier, le record du monde de
durée, avec 18 ans et demi de survie !
Mais, au fil des ans, le nombre des transplantations cardiaques pré-
sente une courbe descendante impressionnante : 1969 : 52 greffes car-
diaques, 1970 : 30 greffes cardiaques, 1971 : 10 greffes cardiaques,
avant de remonter jusqu’à 70 pour l’année 77.
L’année précédente, un chercheur de Sandoz, Jean-François Borel, a
mis en évidence l’action “anti-rejet” d’un polypeptidique cyclique
extrait d’un champignon, le tolypocladium inflatum, extrait baptisé
“ciclosporine”. Celle-ci est adressée à Roy Calne, à Cambridge, qui
multiplie les expériences animales et envisage de passer à l’homme :
“La ciclosporine, écrit le chirurgien anglais, est suffisamment puis-
sante et peu toxique pour en faire un immunosuppresseur attractif en
clinique, chez les patients recevant des greffes d’organes”.
La première communication clinique de Calne paraît dans le Lancet en
1979 : elle concerne 32 greffes de reins, deux transplantations hépa-
tiques et deux pancréatiques. Mais au début de son emploi comme
médicament anti-rejet, la ciclosporine soulève des problèmes majeurs :
néphrotoxicité sévère, incidence élevée des lymphomes, dont on décou-
vrira assez rapidement qu’elles sont, en fait, dues à l’utilisation de très
fortes doses du produit, déduites des protocoles expérimentaux.
Après suppression de ces inconvénients, la ciclosporine sera introduite
dans le protocole des traitements anti-rejet en 1982, une introduction
qui modifie la présentation clinique du rejet et augmente considéra-
blement le taux de survie des greffes. Aussitôt, les statistiques témoi-
gnent de cette évolution favorable : 270 greffes cardiaques dans le
monde en 1983, 440 en 1984 – au total 1 326 transplantations de cet
organe depuis la première de Barnard. Avec quels résultats ? La sur-
vie globale est de 76 % à un an et de 41 % à six ans.
Le résultat inspire à Jean-Paul Cachera la réflexion suivante : “Il nous
permet de reconsidérer les indications de la greffe cardiaque sous une
autre optique”.
Deux considérations s’imposent à ce moment :
"Dans l’ensemble, la survie du groupe des cardiomyopathies est supé-
rieure à celle des coronariens.
"L’âge influe également sur le taux de survie des opérés : 75 % à
3ans pour le groupe de 0 à 19 ans (on a recommencé à opérer des
enfants très jeunes), 59 % à 6 ans pour les 20-29 ans, 51 % à 6 ans
pour les 30-39 ans, 30 % au-delà de 50 ans.
C’est le début d’une évolution qui recevra confirmation dans les années
suivantes : on greffe des sujets de plus en plus jeunes et de plus en plus
âgés.
Selon les transplantations, ces résultats s’expliquent par l’utilisation
de la ciclosporine, produit plus efficace que tous les anti-rejets utili-
sés jusque-là : “Si l’on compare des périodes identiques, après 1978,
la survie à 4 ans sous ciclosporine est de 61 %, alors qu’elle n’est que
de 40 % sans ciclosporine”.
Le total des greffes cardiaques (tous âges réunis) s’établit ainsi : 1987 :
4 060, 1990 : 12 631, 1991 : 15 995.
Dans cette dernière période, le taux des réussites atteint 70 à 80 %,
selon les équipes. Ces écarts s’expliquent souvent par l’état dans lequel
se trouvent les patients au moment de la greffe. Mais certaines patho-
logies “annexes” – le diabète par exemple – ne constituent plus “une
contre-indication formelle en soi”.
Dans un domaine particulier, celui de l’âge des sujets pouvant être
greffés, est signalé un important progrès : la barrière des 55 ans a été
rapidement franchie et des malades de 60 ans (parfois plus) reçoivent
le greffon sauveur, était entendu que doivent être éliminés le plus grand
nombre de facteurs de risque.
Corrélativement, les nourrissons recommencent à bénéficier de la
greffe cardiaque : à Lyon, un bébé de 2 jours reçoit un greffon (1991) ;
à Pittsburgh, la jeune Sarah née prématurément par césarienne à
35 semaines de grossesse, sera aussitôt transplantée ; atteinte d’une
malformation rarissime – son cœur n’a que deux cavités au lieu de
quatre –, Sarah sera longtemps la plus jeune greffée du monde, par
une équipe animée par Bartley Griffith.
Sur le plan de la lutte anti-rejet, dans les années précédant l’an 2000,
une dizaine de produits actifs ont été présentés, du FK506 à la rapa-
mycine en passant par le RS 61443 et la désoxypergualine et d’autres
encore : le temps permettra de dire lequel est le plus performant !
La greffe cardiaque continue et, au cours de sa courte histoire, ont déjà
été enregistrées les naissances de dizaines d’enfants issus de mères
greffées : est-il une plus belle victoire ?$
Le Courrier de la Transplantation - Volume IV - n
o
4 - oct.-nov.-déc. 2004
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"P. Bourget*
Éphéméride
*Chroniqueur médical, ancien chef de la section médicale de la rédaction
de TF1, lauréat de l’Académie de médecine.
L’irrésistible ascension de la greffe cardiaque
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