entre t i e n entr tien e Sur le métier aujourd’hui : les psychothérapies analytiques Après l’âge de l’or, celui du cuivre… Un entretien avec Daniel Widlöcher* Propos recueillis par Didier Touzeau et Florence Arnold-Richez Psychiatre d’enfants, puis d’adultes, ancien chef de service à la Salpêtrière, enseignant, le Pr Daniel Widlöcher est un psychanalyste qui fait “école”. Dans tous les sens du terme. D’abord, parce qu’il est un praticien réputé des cures et de l’approche psychanalytiques. Ensuite, parce que professeur émerite à l’université Paris VI, il continue à être très investi dans les tâches de formation à la psychanalyse des internes et d’enseignement de la clinique. Enfin, parce qu’il est le “patron” en France de l’école freudienne “orthodoxe”, et, depuis quatre ans, de l’Association psychanalytique internationale dont il est le président. Mais attention ! “Orthodoxe” n’est pas synonyme pour ce grand patron de la psychiatrie parisienne, de fermeture, de repli sur soi, les deux pieds dans le même sabot… Chargé de mission auprès d’Edmond Hervé pour les problèmes hospitalo-universitaires, en 1982, il a consacré aussi beaucoup d’énergie à la “société civile”… Médecin clinicien avant tout et homme de dialogue, le Pr Daniel Widlöcher a tout fait pour ouvrir la psychanalyse sur le monde et pour introduire dans la “psy” les techniques de l’évaluation et de la recherche. Il a d’ailleurs fondé et géré une unité de recherche en psychiatrie pendant douze ans. Aujourd’hui, en ce qui concerne l’addiction, il s’interroge : est-ce vraiment un concept, un modèle ? Ou simplement une notion utile à la communication, une boîte à outils… comme une autre ? Inter vi ew Psychiatre d’enfants et psychanalyste d’adultes Le Courrier : Certains vous connaissent exclusivement comme l’un des grands noms de la psychiatrie française, côté Salpêtrière, d’autres essen- tiellement comme l’un des chefs de file de la psychanalyse : quels sont, en fait, les grands moments de votre parcours que vous aimeriez “stabilo-bosser” ? Daniel Widlöcher : Le premier grand moment de mon parcours est, bien évidemment, celui qui *Président de l’Association psychanalytique internationale, professeur émérite à l’université Paris VI. Correspondance : 248, boulevard Raspail, 75014 Paris. [email protected] Le Courrier des addictions (7), n° 2, avril-mai-juin 2005 48 m’a conduit sur les bancs d’une faculté de médecine, condition essentielle pour devenir psychiatre. Il ne faut pas l’oublier ! En 1950, je rencontre Jenny Roudinesco qui me fait découvrir ce qui alors ne m’attirait pas spécialement : la psychothérapie des enfants et la psychanalyse. Elle me confie un enfant en cure dont elle assure la supervision et me conseille à ce moment-là d’aller voir Jacques Lacan, dont elle me donne l’adresse. Je le rencontre en 1952, avant “le drame” (celui de la scission !), alors que je venais d’être nommé à l’internat. Il accepte de me prendre en analyse, mais à mon retour du service militaire que je souhaite alors faire à l’hôpital psychiatrique des armées d’Alger. En 1953, je retourne le voir et commence avec lui une analyse qui durera jusqu’en 1960. J’apprends, au même moment, qu’il s’est fâché avec les autres membres de la SPP et créé un nouveau groupe : la Société française de psychanalyse, avec Lagache, F. Dolto et Mme Favez-Boutonnier. Mais, pour le moment, je fais mon internat en pédiatrie, un peu de neurologie, et surtout de la psychiatrie. Comme cela se pratiquait à l’époque, je fais ensuite deux clinicats : un chez Michaux à la Salpêtrière (pour la psychiatrie de l’enfant), et l’autre chez Delay à Sainte-Anne. Le pont entre les deux écoles considérées comme rivales ! Dans mon entourage, dans le “petit monde” de l’hôpital de la Salpêtrière, on me conseillait à ce moment-là : “Tais-toi, ne dis surtout pas que tu es en analyse…” Or, un beau jour, Michaux, me demande sans détours : “Vous vous faites psychanalyser Widlöcher ?” “…Oui, monsieur.” “Avec qui ?” “Lacan, monsieur.” “C’est très bien ! À propos : d’accord, faites de la psychothérapie d’enfants, mais je ne veux pas ici d’une chapelle dans laquelle le pape n’aurait pas le droit d’entrer !” À bon entendeur, salut ! J’ai retenu la leçon. Michaux ne voulait pas qu’on l’ostracise dans son propre service, comme cela se faisait dans un autre… Bref. J’ai poursuivi ma carrière de chef de clinique, puis d’assistant chez lui, enseigné la psychologie à Nanterre, jusqu’à ce qu’en 1969, le doyen Castaigne, neurologue, me propose de remettre sur pied à la Salpêtrière, un service de psychiatrie d’adultes. Une pareille offre, cela ne se refuse pas ! C’est donc à ce moment-là, en 1970, que je “bascule” de la pédopsychiatrie dans la psychiatrie d’adultes. En 1983, j’ai eu l’opportunité de créer, avec mon ami Pierre Simon, le pharmacologue, une unité de recherche Inserm (l’U302) sur “Psychopharmacologie et comportements” que j’ai gérée pendant douze ans. Nous avions comme idée forte de démontrer qu’un médicament qui agit sur le cerveau a une action également sur l’esprit. Nous avons travaillé sur cette hypothèse en défrichant le terrain de la dépression, en particulier celui du ralentissement psychomoteur du déprimé. Mêler à l’or de la psychanalyse, le cuivre de la suggestion : la nécessaire évolution Le Courrier : Comment en êtes-vous arrivé à devenir un fondateur d’une institution officielle de la psychanalyse française classique, l’APF, puis le président de l’Association psychanalytique internationale, l’API ? D.W. : Dès la fin de mon analyse avec Lacan, et ensuite mes supervisions par Lagache et FavezBoutonnier, en 1963-1964, j’ai commencé à prendre mes distances avec Lacan. Je n’étais pas d’accord avec ses pratiques, mais je restais silencieux. Je me suis e entre t i e n entr tien Bibliographie brève • Psychothérapie et psychanalyse, dossier coordonné par D. Widlöcher. Guide des psychothérapies. Le carnet Psy, avril 2005. • Débat entre Daniel Widlöcher et Jacques-Alain Miller, PSN (Psychiatrie Sciences Humaines Neurosciences) janvier-février 2003;vol.i,n° 1. • Daniel Widlöcher. Affect et empathie. Rev franc Psychanal 1:173-86. • Daniel Widlöcher. Les nouvelles cartes de la psychanalyse. Paris: Odile Jacob, 1996. • Daniel Widlöcher, Françoise Facy, Marcel Clodion, Francis Derrienic. Épidémiologie et psychiatrie: confrontation et adaptation aux situations de la Caraïbe. INIST-CNRS, 1993. • Daniel Widlöcher. Le psychanalyste devant les problèmes de confrontation. Confrontations psychiatriques 1984;24:141-56. • Daniel Widlöcher. Psychanalyse et psychothérapies. Paris: Flammarion Médecine Sciences. • Daniel Widlöcher. Traité de psychopathologie. Paris: PUF. • Daniel Widlöcher. Les logiques de la dépression. Paris: Hachette Littératures/Fayard. rendu compte que d’autres que moi, tels Pontalis, Laplanche, Lang, partageaient mon désaccord. Nous nous sommes donc réunis et, en 1964, nous avons fait scission en créant l’Association psychanalytique de France (APF). Jeune psychanalyste, je m’investis à fond dans la vie de cette nouvelle société. J’avais clairement conscience qu’il ne fallait pas en rester là, mais ouvrir la psychanalyse française au niveau international, dialoguer avec les autres écoles des autres pays. En somme, j’étais plutôt du côté des “Ultramontains” de la psychanalyse (pôle international à Rome, pour les catholiques, à Londres d’ailleurs, pour nous, les psychanalystes) que de celui des “Gallicans” (repliés sur leur pays). Je me suis donc très vite retrouvé (en 1971) secrétaire de la Fédération européenne des psychanalystes, puis, en 1973, secrétaire de l’API, pour finir, en 2001, président de cette dernière. Une “vieille dame” puisqu’elle a été fondée par Freud en 1912, pour garantir une sorte de label psychanalytique ! Cette association a connu bien des avatars depuis : en particulier après les Première et Seconde Guerres mondiales. Freud lui-même s’était rendu compte qu’il était important de faire bénéficier un plus grand nombre de gens des thérapies analytiques, surtout après les multiples traumas subis au cours de ces conflits. Il proposait donc de tempérer la neutralité propre à la cure par une “touche” de suggestion, c’est-àdire une attitude plus directive à l’égard de la vie relationnelle ou des symptômes du patient. Il appelait cela “mêler à l’or de la psychanalyse, le cuivre de la suggestion”. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, après la Seconde Guerre, la diffusion de la psychanalyse s’est étendue à tout le système de soins et à la formation de tous les jeunes psychiatres. Pas chez nous. C’est cet élargissement des techniques qui a toujours été à l’origine de multiples dissensions, désaccords, scissions (dont celle de Lacan), sur les dosages respectifs de ces deux métaux, l’or et le cuivre, si je puis dire. Et surtout autour de la formation des analystes qui devaient les fondre dans leur creuset !... Le Courrier : Pourquoi tant de querelles ? Pourquoi cette furor educandi ? D.W. : Lorsque deux psychanalystes se rencontrent, que fontils ? Ils se confortent réciproquement sur leurs pratiques et… ils forment un troisième psychanalyste ! En effet, la plupart des 49 conflits qui ont éclaté au sein de la petite communauté des psychanalystes ont tourné autour de la question de la formation, si l’on excepte les premières grandes batailles qui ont opposé Freud à Jung et Adler… En passant, je rappelle que la scission de l’API avec Lacan, en 1963, s’est faite lorsqu’il lui a été demandé de mettre fin à ses fonctions de formateur et non parce que nous remettions en cause ses théories ! Et c’est précisément cela qui était pour lui inacceptable ! En France, nous avons une conception spécifique de la formation puisque nous considérons que le candidat psychanalyste ne commencera sa formation qu’après sa cure personnelle alors qu’en Angleterre et aux États-Unis, par exemple, il reçoit son “billet d’entrée” avec le début de son analyse. À l’API, nous tenons, certes, beaucoup à parler d’évaluation en préalable de la formation. Toutefois, je ne pense pas qu’il faille imposer un modèle unique, un dogme, ce qui bloque les processus d’évolution possibles. Les sociétés doivent jouer cartes sur table, énoncer leurs règles, accepter l’évaluation des pratiques qu’elles défendent ! En particulier sur le nombre des séances hebdomadaires souhaitables, en dépit de ce que prétendent les “puritains”, la règle des quatre séances par semaine est devenue… l’exception ! Il faut le dire ! Cette question de la formation est celle qui est la plus pressante pour nous, car aujourd’hui, le nombre des psychanalystes, celui des cures psychanalytiques, les pratiques ont beaucoup évolué. Cette situation soulève de très importantes questions, portant sur la nature des différences entre les pratiques, leur place dans le domaine des soins en santé mentale, les recherches, et en particulier celles qui concernent les indications et l’évaluation des résul- tats, et la formation des psychothérapeutes dont beaucoup font seulement des psychothérapies psychanalytiques. Ils sont très nombreux actuellement à se former en dehors des institutions car il n’existe pas, en France, d’institutions autonomes. Relever le défi de l’évaluation, mais pas à n’importe quel prix ! Inter vi ew Le Courrier : Le rapport d’expertise collective de l’Inserm qui évalue l’intérêt des thérapies cognitivo-comportementales, des thérapies familiales et de couple et des approches psychodynamiques était donc bien une nécessité ? D.W. : La question de l’évaluation est, comme celle de la formation, un sujet permanent de controverses. Je dois dire que je trouve indispensable d’ouvrir le champ des thérapies psychanalytiques d’une part, et d’en faire l’évaluation d’autre part. Mais pas n’importe comment, selon n’importe quels critères, en confondant les approches sur le symptôme, à court terme (les TCC, les thérapies familiales et de couple), les psychothérapies analytiques et la psychanalyse elle-même, qui travaillent à moyen et long terme. Et en utilisant les critères d’efficacité de l’une pour les comparer à l’autre ! Pour moi, il ne s’agit pas de comparer dans l’absolu, comme si elles étaient identiques dans leurs buts et leurs moyens, les méthodes thérapeutiques, mais, pour une catégorie de patients donnée, de déterminer la place de la psychanalyse par rapport aux autres modalités de prises en charge. Est-ce bien intéressant de savoir si la psychanalyse obtient effectivement une réduction de 30 ou 40 % de symptômes donnés ? Ne vaudrait-il pas mieux savoir quelles sont les personnes qui, affligées de telles difficultés, tirent profit entre t i e n entr tien e de telle ou telle psychothérapie ? En d’autres termes, il serait plus productif de déterminer quels sont ceux qui “répondent” le mieux à telle approche, et quels sont ceux qui y sont les plus “résistants”, pourquoi et selon quels critères… Et, en définitive, ce dont les patients ont besoin, est qu’on puisse leur proposer une offre variée de services et approches et, qu’en fonction des résultats obtenus, on rectifie à chaque fois “le tir”, selon un arbre décisionnel classiquement utilisé pour soigner des patients sur le long terme. Pour ma part, j’ai plutôt envie d’inciter les thérapeutes de la TCC à introduire dans leurs méthodes “un peu” d’analyse, ne serait-ce que pour faciliter la compliance des patients en leur faisant toucher du doigt la raison de leurs résistances personnelles, plutôt que de s’en tenir à la rééducation du seul comportement. Je me souviens de cette étude faite par Françoise Facy et commanditée par la Direction générale de la santé sur l’impact possible d’une campagne en faveur de l’utilisation de matériel d’injection stérile, dans le but d’évaluer l’opportunité de la mise en place des programmes d’échange de seringues. Un fort pourcentage des toxicomanes avait effectivement changé ses comportements, un petit groupe n’avait pas bougé du tout, et un troisième faisait exactement le contraire de ce qu’on leur préconisait (ils réutilisaient les mêmes seringues). Je disais alors, qu’au-delà de la satisfaction que pouvaient apporter ces résultats aux pouvoirs publics, ce qu’il fallait étudier, c’était surtout ce dernier groupe. En d’autres termes, je pense que l’échec (ou la résistance) thérapeutique est aussi intéressant que la réussite. Il en va de même de cette “évaluation” qui compare de façon linéaire trois types d’approches, comme si tous les patients partaient sur les mêmes starting-blocks, habillés avec les mêmes tenues de sport, aux mêmes couleurs…. Alors, oui, l’évaluation des psychothérapies est indispensable, je la souhaite et la défend – mais pas à n’importe quel prix. À condition qu’elle soit convenablement ciblée. Le Courrier : Cela conforte la nécessité de réglementer les professions, comme le stipule l’amendement Accoyer ? D.W : Je suis tout à fait pour que la profession de psychothérapeute soit réglementée et que n’importe qui ne puisse plus se parer sans contrôle de ce titre. On n’a que trop vu les désastreux effets de certaines pratiques incontrôlées ! En effet, il faut que l’on puisse faire la différence entre les approches de psychothérapie destinées au bien-être (qui ont leur place) et celles dont la finalité est de soigner des malades. Cela pose le problème de savoir où commence la maladie et quelles sont les compétences des uns et des autres et les formations nécessaires. Le risque de mettre toutes les psychothérapies dans le même panier, comme le veulent les Verts en Belgique, par exemple, est de vider ce champ de la thérapie de ses médecins. C’est ce que veut éviter l’amendement Accoyer, à juste titre. Reste maintenant à déterminer, par décrets d’application, qui aura légalement le droit d’exercer cette profession ou, plus exactement, de quelles associations ou sociétés pourront-ils se réclamer ? On voit actuellement nombre de candidats se presser aux portes de diverses sociétés ou groupements qui ont introduit dans leur libellé le terme de “psychothérapie”, afin d’en obtenir l’inscription-sésame qui leur est nécessaire pour être déclarés “psychothérapeutes” ! À l’inverse, nous voyons bien qu’un excès de réglementations et de contrôles (qui devraient être nécessaires pour mettre en application cet amendement), risque d’être préjudiciable au dyna- Inter vi ew Le Courrier des addictions (7), n° 2, avril-mai-juin 2005 50 L’amendement Accoyer Adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, le 8 octobre 2003, l’amendement du député de Haute-Savoie et alors vice-président du groupe UMP, Bernard Accoyer, ajoute un article au code de la santé publique. Il vise à réglementer la pratique des psychothérapies et en définir les différentes catégories par décret. Il est ainsi rédigé : “Les psychothérapies constituent des outils thérapeutiques utilisés dans le traitement des troubles mentaux. Les différentes catégories de psychothérapies sont fixées par décret du ministre chargé de la Santé. Leur mise en œuvre ne peut relever que de médecins psychiatres ou de médecins et psychologues ayant des qualifications professionnelles requises par ce même décret (…). Les professionnels actuellement en activité et non titulaires de ces qualifications, qui mettent en œuvre des psychothérapies depuis plus de cinq ans à la date de la promulgation de la présente loi, pourront poursuivre cette activité thérapeutique sous réserve de satisfaire, dans les trois années suivant la promulgation de la présente loi, une évaluation de leurs connaissances et pratiques par un jury. La composition, les attributions et les modalités de fonctionnement de ce jury sont fixées par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de l’Enseignement supérieur.” misme des psychothérapies. Imaginons que, demain, le contrôleur de service décrète qu’au-delà ou en-deça de tant de séances dans une cure, ou de telle ou telle façon d’aborder le patient… la méthode n’est pas recevable ! Pourra-t-on marier Freud et Confucius, penser l’inconscient en langue arabe ? Le Courrier : Ces dernières années, la psychanalyse a tendance a être quelque peu décriée, voire délaissée, au profit d’autres recours psychothérapiques ou pharmacologiques. En particulier dans le domaine des addictions. Avezvous enregistré cette désaffection relative ? D.W. : Oui, d’une certaine façon. Actuellement, l’API compte entre 10 000 et 11 000 membres, un nombre qui a augmenté régulièrement (contre 3500 en 1970), mais qui tend à stagner en Europe et aux États-Unis. Sa progression marque le pas aussi en Amérique Latine. Et surtout – plus inquiétant –, les professionnels sont de plus en plus vieux (60 ans d’âge moyen !). En revanche, ce nombre progresse beaucoup dans les pays d’Europe orientale et en Extrême-Orient. Reste à savoir si l’on peut et veut marier Freud et Confucius, “mondialiser” la psychanalyse, et, dans ce cas, “mondialiser” la pensée occidentale, ou s’il est possible de penser l’inconscient dans la langue chinoise ou arabe… Quant à la désaffection enregistrée pour la psychanalyse, dans le domaine des addictions par exemple, on la doit à la méconnaissance des ressources de l’approche psychanalytique et à l’insuffisance, une fois de plus, de la formation des psychiatres. Mais de quoi parle-t-on ? De la psychanalyse ou des psychothérapies psychanalytiques ? De l’or ou du cuivre ? Il faut théoriser aujourd’hui ces dernières, leur donner un cadre de formation et d’enseignement, maintenir la psychanalyse dans la culture contemporaine, aux côtés et avec les autres approches… Pourquoi ne serait-il pas possible de faire bénéficier un toxicomane à la fois d’une thérapie psychodynamique et d’un traitement à la méthadone ou à la buprénorphine haut dosage ? Comme si la nouvelle catégorie e entre t i e n entr tien “addiction” résumait à elle seule une pratique ! Toute nosologie est le reflet d’une théorie explicative, et cette dernière est elle-même liée à une pratique thérapeutique (Foucault faisait dériver “la folie ” de l’enfermement…). Ce que l’on voit bien se profiler derrière la mise en avant de ce concept, c’est surtout l’opposition entre deux modalités de prise en charge : aux TCC, aux médicaments, les symptômes ; aux psychothérapies analytiques, la prise en charge des troubles de la personnalité. Or, j’ai des doutes sur la pertinence de la notion d’addiction, car, en réalité, les diverses conduites que l’on regroupe ainsi, mettent en œuvre des ressources très différentes ! Existe-t-il vraiment un profil commun entre une boulimique, un alcoolique, un cocaïnomane, un joueur compulsif, etc. ? Même s’il existe des comparaisons possibles et si les “over-laps” sont fréquents entre l’une et l’autre des conduites considérées comme des addictions, il n’est pas sûr qu’on puisse leur proposer une même “psychiatrie”… Et, en définitive, je suis persuadé que les points communs entre ces différentes conduites comptent bien moins que leurs différences. C’est sur celles-ci qu’il faut résolument travailler. F.A.R L’expertise collective... de la discorde • Le contexte : commandée dans le cadre du Plan santé mentale, mis en place par le ministre de la Santé (Bernard Kouchner) en 2001, publiée le 1er mars 2004, en pleine polémique autour de la mise en œuvre de l’amendement Accoyer, cette expertise collective de l’INSERM a beaucoup “fâché” : un certain nombre de professionnels, dont Jacques-Alain Miller, gendre de Lacan, ancien président de l’Association mondiale de psychanalyse (1992-2002), l’ancien ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy, qui l’a fait retirer du site du ministère (“Vous n’en entendrez plus parler !” a-t-il assuré aux psychanalystes lacaniens lors du 7e forum des psys…), William Dab, directeur général de la Santé, exaspéré par ce désaveu a démissionné… En revanche, sa publication a été saluée avec enthousiasme par les associations “d’usagers”. De quoi s’agit-il ? Rappel : • Les procédures des expertises : il s’agit d’une expertise collective de l’Inserm (et non d’une conférence de consensus), réalisée selon les procédures habituelles de ce genre de travail, mis en place en 1994, dont le but est d’analyser l’ensemble de la littérature scientifique et médicale disponible sur un sujet d’actualité “sensible”. Celles-ci consistent à définir un sujet, puis à rassembler les documents, ensuite à réunir un groupe d’experts reconnus et indépendants qui en analysent le contenu, le discutent, en font la synthèse... Depuis plus de dix ans, l’Inserm a publié une cinquantaine d’expertises collectives dans des domaines aussi divers que les éthers de glycol, l’amiante, les troubles de la vision chez l’enfant, les échographies obstétricales, les dépistages prénatals, la grippe, l’ostéoporose, la migraine, l’obésité… Elle a déjà réalisé plusieurs expertises collectives dans le champ des troubles mentaux. • L’expertise sur l’évaluation de l’efficacité des psychothérapies : – Cette expertise-là a été réalisée à la demande du directeur général de la Santé et de deux associations “d’usagers” : la Fédération nationale des patients et ex-patients psy (FNAP-PSY) et l’Union nationale des amis et familles dses malades mentaux (UNAFAM). – Les huit experts choisis ont passé au crible de l’analyse critique plus de mille études que la littérature internationale a consacrées à l’évaluation des psychothérapies. Ils en ont retenu 15 portant sur les approches psychodynamiques (psychanalytiques), une cinquantaine sur les thérapies comportementales et cognitives (TCC), et 22 sur les familiales et de couple. – Seules ont été retenues les études portant sur des thérapies dont le but clairement défini était de soigner (et non à des fins d’épanouissement personnel). – Les troubles pris en compte étaient : chez l’enfant, les troubles anxieux, dépressifs, envahissants du développement, des conduites et l’hyperactivité ; chez l’adulte, les troubles de l’humeur, les différentes formes d’anxiété pathologique, la schizophrénie, les troubles du comportement alimentaire et de la personnalité. Il fallaient que dans les études en question, ces troubles aient été évalués à l’aide de questionnaires et échelles validées, remplies par le psychothérapeute ou le patient. Les experts ont retenu à ce propos le critère de la persistance ou non des symptômes (d’où : biais fondamental puisque les TCC par exemple, n’agissent que sur ceux-ci… Par ailleurs, il existe une véritable inflation d’articles concernant les TCC, et très peu les psychothérapies de fond, analytiques). – Résultats : globalement, les TCC ont “la meilleure note”, et plus particulièrement en ce qui concerne la boulimie, mais les thérapies familiales “l’emportent” pour ce qui est de l’anorexie mentale. Les thérapies psychodynamiques semblent plus efficaces pour prendre en charge les personnalités antisociales et déprimées, alors que les deux autres approches “se débrouilleraient” mieux avec les schizophrènes. Inter vi ew (Pour lire les prises de position sur cette expertise, voir l’Express du 23 février 2004 ; Interview du Dr Jean Cottraux, l’un des experts, dans Le Quotidien du Médecin du jeudi 17 mars 2005, “Le temps de la médecine”). Le Courrier des addictions vous souhaite un bel été et vous remercie de la fidélité de votre engagement. Le prochain numéro paraîtra en septembre 2005 51