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rendu compte que d’autres que
moi, tels Pontalis, Laplanche,
Lang, partageaient mon désac-
cord. Nous nous sommes donc
réunis et, en 1964, nous avons fait
scission en créant l’Association
psychanalytique de France
(APF). Jeune psychanalyste, je
m’investis à fond dans la vie de
cette nouvelle société. J’avais
clairement conscience qu’il ne
fallait pas en rester là, mais ouvrir
la psychanalyse française au
niveau international, dialoguer
avec les autres écoles des autres
pays. En somme, j’étais plutôt du
côté des “Ultramontains” de la
psychanalyse (pôle international
à Rome, pour les catholiques, à
Londres d’ailleurs, pour nous, les
psychanalystes) que de celui des
“Gallicans” (repliés sur leur
pays). Je me suis donc très vite
retrouvé (en 1971) secrétaire de
la Fédération européenne des
psychanalystes, puis, en 1973,
secrétaire de l’API, pour finir, en
2001, président de cette dernière.
Une “vieille dame” puisqu’elle a
été fondée par Freud en 1912,
pour garantir une sorte de label
psychanalytique ! Cette associa-
tion a connu bien des avatars
depuis : en particulier après les
Première et Seconde Guerres
mondiales. Freud lui-même
s’était rendu compte qu’il était
important de faire bénéficier un
plus grand nombre de gens des
thérapies analytiques, surtout
après les multiples traumas subis
au cours de ces conflits. Il propo-
sait donc de tempérer la neutrali-
té propre à la cure par une
“touche” de suggestion, c’est-à-
dire une attitude plus directive à
l’égard de la vie relationnelle ou
des symptômes du patient. Il
appelait cela “mêler à l’or de la
psychanalyse, le cuivre de la
suggestion”. Aux États-Unis et
en Grande-Bretagne, après la
Seconde Guerre, la diffusion de
la psychanalyse s’est étendue à
tout le système de soins et à la
formation de tous les jeunes psy-
chiatres. Pas chez nous. C’est cet
élargissement des techniques qui
a toujours été à l’origine de mul-
tiples dissensions, désaccords,
scissions (dont celle de Lacan),
sur les dosages respectifs de ces
deux métaux, l’or et le cuivre, si
je puis dire. Et surtout autour de
la formation des analystes qui
devaient les fondre dans leur
creuset !...
Le Courrier : Pourquoi tant
de querelles ? Pourquoi cette
furor educandi ?
D.W. : Lorsque deux psychana-
lystes se rencontrent, que font-
ils ? Ils se confortent réciproque-
ment sur leurs pratiques et… ils
forment un troisième psychana-
lyste ! En effet, la plupart des
conflits qui ont éclaté au sein de
la petite communauté des psy-
chanalystes ont tourné autour de
la question de la formation, si
l’on excepte les premières
grandes batailles qui ont opposé
Freud à Jung et Adler… En pas-
sant, je rappelle que la scission
de l’API avec Lacan, en 1963,
s’est faite lorsqu’il lui a été
demandé de mettre fin à ses
fonctions de formateur et non
parce que nous remettions en
cause ses théories ! Et c’est préci-
sément cela qui était pour lui
inacceptable !
En France, nous avons une
conception spécifique de la for-
mation puisque nous considé-
rons que le candidat psychana-
lyste ne commencera sa forma-
tion qu’après sa cure person-
nelle alors qu’en Angleterre et
aux États-Unis, par exemple, il
reçoit son “billet d’entrée” avec
le début de son analyse. À
l’API, nous tenons, certes,
beaucoup à parler d’évaluation
en préalable de la formation.
Toutefois, je ne pense pas qu’il
faille imposer un modèle
unique, un dogme, ce qui
bloque les processus d’évolu-
tion possibles. Les sociétés doi-
vent jouer cartes sur table,
énoncer leurs règles, accepter
l’évaluation des pratiques
qu’elles défendent ! En particu-
lier sur le nombre des séances
hebdomadaires souhaitables, en
dépit de ce que prétendent les
“puritains”, la règle des quatre
séances par semaine est deve-
nue… l’exception ! Il faut le
dire !
Cette question de la formation est
celle qui est la plus pressante
pour nous, car aujourd’hui, le
nombre des psychanalystes, celui
des cures psychanalytiques, les
pratiques ont beaucoup évolué.
Cette situation soulève de très
importantes questions, portant
sur la nature des différences entre
les pratiques, leur place dans le
domaine des soins en santé men-
tale, les recherches, et en particu-
lier celles qui concernent les indi-
cations et l’évaluation des résul-
tats, et la formation des psycho-
thérapeutes dont beaucoup font
seulement des psychothérapies
psychanalytiques. Ils sont très
nombreux actuellement à se for-
mer en dehors des institutions car
il n’existe pas, en France, d’insti-
tutions autonomes.
Relever le défi de
l’évaluation, mais pas
à n’importe quel prix !
Le Courrier : Le rapport d’ex-
pertise collective de l’Inserm
qui évalue l’intérêt des théra-
pies cognitivo-comportemen-
tales, des thérapies familiales
et de couple et des approches
psychodynamiques était donc
bien une nécessité ?
D.W. : La question de l’évalua-
tion est, comme celle de la for-
mation, un sujet permanent de
controverses. Je dois dire que je
trouve indispensable d’ouvrir le
champ des thérapies psychanaly-
tiques d’une part, et d’en faire
l’évaluation d’autre part. Mais
pas n’importe comment, selon
n’importe quels critères, en
confondant les approches sur le
symptôme, à court terme (les
TCC, les thérapies familiales et
de couple), les psychothérapies
analytiques et la psychanalyse
elle-même, qui travaillent à
moyen et long terme. Et en utili-
sant les critères d’efficacité de
l’une pour les comparer à
l’autre ! Pour moi, il ne s’agit pas
de comparer dans l’absolu,
comme si elles étaient identiques
dans leurs buts et leurs moyens,
les méthodes thérapeutiques,
mais, pour une catégorie de
patients donnée, de déterminer la
place de la psychanalyse par rap-
port aux autres modalités de
prises en charge. Est-ce bien inté-
ressant de savoir si la psychanaly-
se obtient effectivement une
réduction de 30 ou 40 % de
symptômes donnés ? Ne vau-
drait-il pas mieux savoir quelles
sont les personnes qui, affligées
de telles difficultés, tirent profit