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La cystite interstitielle
■ S. Sheikh-Ismaël*, F. Haab**
L
es douleurs liées à la miction sont fréquemment observées chez la femme.
Aiguës, elles sont toujours suspectes d’un processus infectieux qu’il importe d’éliminer systématiquement. Ces uréthro-cystites bactériennes ne seront pas abordées ici. Chroniques,
elles prennent le nom de “cystalgies”, dont la
cause la plus fréquente est représentée par la
cystite interstitielle. Son diagnostic est évoqué
par la clinique, confirmé par la cystoscopie
(toujours indispensable) et la biopsie vésicale.
Son traitement est le plus souvent médical et ...
reste modérément efficace.
LE DIAGNOSTIC DE CYSTITE INTERSTITIELLE (CI)
Tableau I. Les critères du NIH de
cystite interstitielle.
Critères positifs
Catégorie A
› 10 pétéchies
Ulcère de Hunner
Catégorie B
Douleur
Impériosités mictionnelles
Critères d’exclusion
Âge ‹ 18 ans
PKU ‹ 8/j ou ‹ 2/nuit
Capacité vésicale › 350 cc
Instabilité vésicale
Évolution ‹ 9 mois
Pathologie locale vésicale,
chimiothérapie, radiothérapie
Échec traitement A/C
* Service de rééducation neurologique et
d’explorations périnéales, hôpital
Rothschild, 33, bd de Picpus, 75571 Paris
Cedex 12.
e-mail : [email protected]
** Service d’urologie, hôpital Tenon, 4, rue
de la Chine, 75020 Paris.
e-mail : [email protected]
La reconnaissance de cette pathologie remonte
à Hunner, qui mettait en évidence dès 1915 des
ulcérations épithéliales dans la vessie. En réalité, il faut attendre 1988 et la publication des
critères de diagnostic du NIH (tableau I) pour
voir se multiplier les travaux sur cette maladie.
La prévalence de la CI n’est pas négligeable. Elle
est ainsi estimée entre 10 et 510/100 000 aux
États-Unis. L’âge moyen de survenue est de
40 ans, 25 % des patients ayant moins de
30 ans. La prépondérance féminine est très
nette (90 % de femmes). Cause ou conséquence, le taux de suicides relevé dans cette
population dépasse celui de la population générale en étant multiplié par quatre. Compte tenu
de l’intrication des signes mictionnels, du
contexte psychologique, de l’interprétation
fonctionnelle donnée aux signes d’appel cliniques, le retard de diagnostic est estimé entre
2 et 4,5 ans.
Les facteurs étiopathogéniques supposés sont
nombreux et, finalement, rien ne permet de dire
aujourd’hui si la cystite interstitielle est une véritable maladie ou un syndrome clinique correspondant à différentes pathologies de la vessie.
Parmi toutes les théories évoquées, l’altération
de la perméabilité urothéliale vésicale est probablement l’une des mieux étayées. Plusieurs tra-
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. I - avril-mai-juin 2001
vaux expérimentaux et cliniques ont montré que
la destruction totale ou partielle de la couche des
glycoamino glycans de la paroi vésicale entraînait
une perméabilité pathologique de la paroi vésicale pour l’urine, dont les conséquences sont
multiples : douleur par passage transmural du
potassium, déclenchement d’une réaction inflammatoire, activation mastocytaire in situ ou encore
déclenchement d’une réaction auto-immune.
Cependant, d’autres théories ont été proposées,
chacune ayant des arguments. Les séquelles d’infections chroniques (CMV, Helicobacter, herpès...) ont été avancées, connaissant l’échec des
traitements antibiotiques au long cours. Un
trouble des mastocytes est probable et l’on
constate souvent une histaminurie augmentée.
La composante neurogénique (VIP, neuropeptide
Y) est sous-tendue par l’existence d’une dégranulation mastocytaire après augmentation du VIP.
La théorie auto-immune de la CI est fondée sur
des modèles expérimentaux de CI (Ac anti-vessie)
et une association fréquente avec diverses pathologies, comme le lupus érythémateux disséminé,
la polyarthrite rhumatoïde ou encore la thyroïdite
de Hashimoto.
Le diagnostic de CI est toujours évoqué par l’interrogatoire, qui retrouve une douleur prémictionnelle, calmée par la miction, parfois des
hématuries. La tenue d’un calendrier mictionnel
permet de vérifier cette pollakiurie parfois
extrême (par exemple, miction tous les quarts
d’heure le jour et toutes les heures la nuit [!], mictions dictées non pas tant par un besoin urgent
d’uriner mais par la nécessité de soulager une
douleur vésicale et pelvienne, avec parfois des
irradiations périnéales et accompagnée d’une
sensation de spasmes ou de ténesmes vésicaux). La miction parvient souvent à soulager
immédiatement ce phénomène douloureux qui
réapparaît parfois rapidement en quelques
dizaines de minutes. Des phénomènes d’anxiété,
voire des manifestations vagales, dus à l’intensité de la douleur et à son vécu parfois exacerbé
en raison de la chronicité des symptômes, peuvent accompagner les signes urinaires.
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RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
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Il n’y a, en règle, pas d’autres troubles mictionnels et, notamment, pas d’incontinence urinaire
tant par urgence que liée aux efforts, pas de
dysurie, pas de résidu postmictionnel, pas
d’énurésie, pas de trouble de la perception du
besoin d’uriner ou de la perception du passage
uréthral des urines. Cependant, il est classique
d’observer une discrète attente mictionnelle,
voire quelques poussées abdominales concomitantes à la miction, les patientes urinant de
faibles volumes dont on sait qu’ils peuvent
induire une diminution de l’efficience du réflexe
mictionnel, suppléé par une telle poussée. Il
n’existe pas de troubles anorectaux associés
bien que des études récentes aient pu montrer
la plus forte prévalence dans cette population
de la colopathie fonctionnelle et de la dyschésie anorectale.
L’interrogatoire permet de retrouver parfois des
éléments de fibromyalgie dont l’existence ne
serait pas forcément fortuite.
Le diagnostic de cystite interstitielle ne peut être
retenu qu’en l’absence de toute autre pathologie vésicale. Il s’agit donc d’un diagnostic d’exclusion. Il ne doit pas exister d’antécédent de
radiothérapie pelvienne, cet élément devant
alors plutôt faire rechercher une cystopathie
radique qui partage avec la CI un certain nombre
de symptômes (pollakiurie douloureuse, hématurie). De même, la notion de chimiothérapie
antérieure doit faire évoquer une cystite spécifique (endoxan). Enfin, il est nécessaire d’éliminer une éventuelle tuberculose vésicale.
L’examen clinique est toujours normal, qu’il
s’agisse de l’examen urogynécologique ou de
l’examen neuropérinéal. Il n’existe ainsi aucun
trouble trophique ou infectieux locorégional
(périnéo-vulvo-vaginal), aucun prolapsus,
aucune douleur à la palpation soit endo-cavitaire soit sus-pubienne. La sensibilité périnéale
est normale, de même que la tonicité des
sphincters et les réflexes du cône médullaire
(réflexe anal à la toux et réflexe clitorido-anal)
sont présents. Les touchers pelviens ne révèlent
ni douleur, ni masse, ni écoulement.
L’examen cytobactériologique des urines doit
être impérativement stérile de même que les
prélèvements uréthraux et vaginaux. S’il est
réalisé, le bilan biologique est normal en
dehors des cas exceptionnels où des anticorps
antinucléaires sont détectés.
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Le bilan urodynamique est souvent réalisé pour
expliciter le mécanisme physiopathologique des
troubles mictionnels. Devant cette pollakiurie
extrême, il permet d’éliminer une hyperactivité
vésicale. Il n’y a jamais d’instabilité vésicale, le
détrusor devant rester parfaitement stable, sans
contraction non inhibée, jusqu’à la capacité
fonctionnelle maximale qui s’avère toujours très
diminuée (le plus souvent inférieure à 200 ml).
Le remplissage vésical est en règle douloureux,
parfois même avec une hématurie en fin de cystomanométrie. Il est parfois noté une amélioration de la symptomatologie de CI dans les jours
qui suivent le bilan urodynamique, la distension
effectuée pour monitorer l’activité vésicale
ayant, nous le reverrons, un effet thérapeutique.
L’examen cystoscopique est indispensable.
Typiquement, il permet d’éliminer une lésion
vésicale (carcinome vésical, blessure vésicale,
infection chronique spécifique parasitaire,
tuberculeuse ou infectieuse...), de retrouver
des pétéchies lors de la distension avec parfois
(mais bien rarement) le classique ulcère de
Hunner. Le remplissage induit, comme au cours
de la cystomanométrie, une douleur et une
impériosité mictionnelle. La biopsie retrouve
une inflammation, des mastocytes activés et
dégranulés et confirme l’absence de carcinome.
Cependant, aucun de ces critères n’est pathognomonique et l’intérêt principal des biopsies
est l’exclusion du cancer in situ de la vessie.
S’il est prescrit, ce qui est habituellement le cas
devant une pollakiurie, le traitement anticholinergique est inefficace, l’efficacité d’un traitement parasympathycolytique étant même un
critère d’exclusion de la CI.
Le traitement de la CI est souvent décevant et
aucun des traitements actuels ne dispose d’une
AMM dans cette indication. Les antalgiques
usuels sont toujours inopérants de même que
les substances neurotropes (tricycliques, antiépileptiques). Les myorelaxants, les antidépresseurs peuvent être essayés de même que
la psychothérapie de soutien, compte tenu de
la dimension et du retentissement psychologique des symptômes. La cimétidine ou l’hydroxyzine (Atarax®) ont pu être essayées avec
un certain succès. L’elmiron n’est pas disponible en France. Les instillations endovésicales
de DMSO sont parfois utilisées avec un succès
relatif : la rémission est de 40 %. L’hydro-
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. I - avril-mai-juin 2001
12. Rosamilia A, Dwyera PL. Pathophysiology of interstitial cystitis.
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distension sous anesthésie générale est encore
le traitement le plus actif, mais malheureusement habituellement transitoire (quelques
mois). L’iontophorèse a pu être essayée.
L’intensité de la symptomatologie, son caractère rebelle et l’importance du retentissement
peuvent conduire à proposer une intervention
chirurgicale. Une entérocystoplastie d’agrandissement est parfois discutée de même que l’injection intradétrusorienne de toxine botulique
et la neuromodulation des racines sacrées.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Le diagnostic de CI répond à des critères précis.
Une durée d’évolution de moins de 9 mois, la
moindre infection clinique ou biologique, aiguë
ou chronique, des antécédents de néoplasie,
de chimio- ou radiothérapie excluent le diagnostic. La cystoscopie et les biopsies vésicales
sont systématiques afin d’éliminer carcinomes
in situ et cystites chroniques bactériennes,
infectieuses et parasitaires.
En règle, les autres douleurs pelviennes ne sont
pas rythmées par la miction, qu’il s’agisse des
lésions gynécologiques ou colorectales. Une
hormonodépendance est parfois retrouvée
dans ce cas. L’endométriose vésicale est responsable de douleurs cycliques accompagnées
de troubles mictionnels (pollakiurie, urgence
mictionnelle, parfois fuites sur impériosité)
rythmés par les menstruations.
Les cystalgies fonctionnelles, quant à elles, sont
très difficiles à distinguer de la CI. Seule l’analyse des critères du NIH permet parfois le diagnostic. Enfin, le mode de présentation des douleurs périnéales neurologiques (syndromes du
canal d’Alcock ou du ligament sacro-épineux)
est radicalement différent, avec des douleurs
non influencées par la miction, plutôt à type de
brûlures ou de dysesthésies périnéales, augmentées par la position assise et de siège franchement périnéal (vulvaires, anorectales).
CONCLUSION
Fréquentes, mal explorées, en règle sévères en
termes de retentissement, trop souvent uniquement attribuées à un dysfonctionnement au substratum psychogène prédominant, les cystites
interstitielles répondent à des critères diagnostiques précis. La cystoscopie et les biopsies vésicales permettent d’éliminer nombre de pathologies pouvant reproduire la symptomatologie
vésicale algique et les troubles mictionnels à type
de pollakiurie. Le traitement repose avant tout
sur l’hydrodistension, dont l’échec peut conduire
à une chirurgie d’agrandissement vésical.
Internet, cystite interstitielle et grand public
La prévalence de la cystite interstitielle, l’absence de diagnostic aisé, la fréquence des errements diagnostiques, l’absence de traitement
complètement et immédiatement efficace et une certaine méconnaissance de cette pathologie à la fois du grand public et des médecins a conduit
à un véritable lobying aux États-Unis. On note ainsi de multiples associations très médiatisées et relayées par le net.
• http://www.ic-network.com/
• http://www.niddk.nih.gov/health/urolog/pubs/cystitis/cystitis.htm
Ce site est une extraordinaire source d’informations y compris pour les médecins spécialistes.
Tous les aspects (historique, diagnostique, thérapeutique, physiologique, protocoles de
recherche, sites-liens...) sont abordés.
Site grand public, très didactique.
• http://www.moonstar.com/~icickay/
Site d’informations, assez restreint.
• http://pw1.netcom.com/~jewel3/uti/bacteria.html
Business is business...
• http://www.intercyst.org/
• http://www.ichelp.org/
Un des très nombreux sites personnels consacrés à la cystite interstitielle...
Ce site est moins complet mais fournit tous les
abstracts concernant les derniers traitements
essayés dans la cystite interstitielle.
• http://www.elmiron100.com/
Site d’Elmiron “... The first oral medication proven effective for the relief of the
bladder pain or discomfort of interstitial cystitis...”
• http://www.easternherb.com/
“... We provide herbal formulas and a one-week intensive treatment for Interstitial
Cystitis. The 100 % natural chinese herbal formula was developed to relieve symptoms of IC with 80% positive responses...”
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. I - avril-mai-juin 2001
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