P oint de vue ! H. Kreis* Faut-il pratiquer des transplantations d’organes chez les sujets VIH positifs ? Peut-on soulever la question POSER LA BONNE QUESTION d’intervenir, ou surtout de ne pas intervenir chez les patients infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) sans soulever immédiatement des passions, faire naître des procès d’intention ou soulever des argumentaires douteux aux relents plus que déplaisants ? J’essaierai de ne pas tomber dans ce piège et, dans ce dessein, je n’utiliserai dans ma réponse que des arguments d’ordre médical, laissant à d’autres les arguments relevant d’éthiques issues de philosophies malsaines. La fin des années 1990 a vu le développement de thérapeutiques antirétrovirales d’une grande efficacité. De ce fait, la charge virale est réduite, le nombre des cellules CD4+ augmenté et la survie des patients infectés par le VIH prolongée. Des néphropathies ou des hépatopathies chroniques sont souvent associées à l’infection par le VIH. Jusqu’alors, la mort du patient au cours du syndrome d’immunodéficience acquise (sida) était l’évolution la plus fréquente, et le devenir, ou surtout le traitement, d’éventuelles néphropathies ou hépatopathies chroniques associées n’était pas la préoccupation prédominante. Il est certain que les nouvelles thérapeutiques antirétrovirales ont modifié le tableau évolutif des patients VIH positifs. Allongeant leur survie, elles ont, du même coup, permis à ces maladies rénales ou hépatiques d’évoluer vers leur stade terminal. Se pose ainsi, d’une manière beaucoup plus fréquente que par le passé, la difficile question de l’indication de transplantation d’un organe sain. Faut-il transplanter ces patients, stabilisés par une thérapeutique antirétrovirale assez lourde, au risque de réactiver la virulence du virus et de déstabiliser la maladie ? En d’autres termes, est-ce parce qu’un grand pas en avant a été accompli dans le traitement des patients VIH positifs qu’il faut se croire autorisés à les soumettre à nouveau à d’autres risques et, en particulier, à celui de réactiver leur maladie initiale ? * Service de transplantation et réanimation, hôpital Necker, 75015 Paris. Actuellement, la littérature ne nous permet malheureusement pas de répondre à cette difficile question : trop peu de malades VIH positifs ont en effet “bénéficié” (?) d’une greffe d’organes pour que l’on puisse avoir une idée suffisamment précise des risques que cette thérapeutique leur fait réellement courir. Ce n’est sûrement pas le petit nombre de cas publiés de survies prolongées qui doit soulever un enthousiasme hors de mesure et faire penser que la partie est gagnée, au risque de précipiter tous ces patients dans la récidive d’une maladie mortelle que l’on vient à peine de contrôler. Dans ces conditions, la véritable question n’est pas de savoir si ces patients peuvent ou non être transplantés lorsqu’ils parviennent au stade terminal d’une maladie chronique qui a détruit un organe vital. En revanche, elle est bien de définir les attitudes à adopter pour que, dans cinq ou dix ans, il soit possible d’y répondre par des données scientifiquement bien établies. Il est vrai que pour définir les risques liés aux transplantations d’organes chez les patients porteurs d’une infection par le VIH, il va falloir décider de programmes de transplantation qui comprendront un assez grand nombre de patients, et donc leur faire délibérément courir des risques non négligeables. 127 Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 3 - oct.-nov.-déc. 2001 P oint de vue QUI TRANSPLANTER ? deux analogues nucléosidiques avec soit un inhibiteur de protéase soit un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse. Comme tous les médicaments efficaces, ceux-ci possèdent de nombreuses toxicités. Ils ont aussi des interactions variées avec les autres agents thérapeutiques, en particulier les immunosuppresseurs et les autres agents anti-infectieux, qui peuvent s’avérer utiles dans le traitement d’éventuelles complications infectieuses. D’autre part, il est probable que les agents immunosuppresseurs utiles pour la survie prolongée du greffon interagissent également avec les médicaments antirétroviraux. Cependant, il est impossible de ne pas distinguer immédiatement deux groupes de patients vis-à-vis desquels l’approche est par nature différente. Certains auront en effet besoin de la greffe d’un organe vital, quand d’autres nécessiteront simplement celle d’un rein, dont l’absence peut être palliée par une hémodialyse périodique au seul détriment de leur confort de vie. Éliminons tout de suite le groupe des patients infectés par le VIH, stabilisés, qui ont développé une cardiopathie ou une cirrhose. Celle-ci ou celle-là ont eu le temps de parvenir à leur stade terminal et justifient une greffe de cœur ou de foie. Certes, on va, ce faisant, soumettre ces patients au risque inconnu de réactiver, de façon peut-être incontrôlable cette fois, le virus et de précipiter leur mort. Mais si l’on s’abstient de poser l’indication de cette greffe, la mort sera alors inéluctable dans des délais probablement beaucoup plus courts. Contre-indiquer la greffe en raison du VIH serait ici une décision impardonnable. La réponse à notre question, dans ces cas, est donc relativement simple. Qui plus est, ces transplantations, bien que ne pouvant être réalisées dans des séries contrôlées lorsque l’indication de la transplantation est indiscutable, nous donneront cependant des renseignements précieux sur l’effet des thérapeutiques immunosuppressives chez les patients dont l’infection par le VIH a pu être stabilisée par les thérapeutiques antirétrovirales actuelles. Parmi les toxicités les plus fréquemment rencontrées des agents antirétroviraux, on trouve une intolérance gastrique et des anomalies lipidiques avec les inhibiteurs de protéase. Comment savoir quel sera leur effet additif avec les complications digestives du mycophénolate mofétil d’une part, et les perturbations lipidiques des rapamycines d’autre part ? De même, la toxicité médullaire des analogues nucléosidiques viendra s’ajouter à celle du mycophénolate mofétil aujourd’hui et, ultérieurement, des malononitrilamides. Enfin, les rashs, les hépatites et les problèmes neurologiques des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse rendront plus difficile la compréhension de certaines complications des agents biologiques ou des inhibiteurs de la calcineurine. Le plus grave, peut-être, risque d’être les diverses interactions de tous ces médicaments entre eux. Certaines sont encore à découvrir, alors que d’autres peuvent déjà être appréhendées. Ainsi, nombre d’inhibiteurs de protéase sont des inhibiteurs du cytochrome P 450 3A4, alors que les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse sont plus souvent inducteurs de ce même cytochrome. On imagine les difficultés qui seront rencontrées pour maintenir des taux constants de tous ces médicaments, et le nombre et la fréquence des dosages qui seront indispensables pour cela ! En outre, les interactions ne sont pas les mêmes selon que certains médicaments sont pris simultanément ou à distance l’un de l’autre, l’un des autres ou les uns des autres ; la durée de l’intervalle de prise entre deux produits a aussi son importance. Que d’impondérables, que de risques en perspective ! Restent les autres patients, ceux qui ont développé une maladie rénale, maintenant parvenue à son stade terminal. Là réside toute la difficulté. En effet, la destruction de leurs reins ne menace pas la vie de ces patients. En revanche, il est certain que l’hémodialyse périodique, vitale en l’absence de greffe, va rendre leur vie beaucoup moins confortable. Idéalement, une transplantation rénale va leur redonner un rein sain et, par là même, une vie normale. Normale ? Voire... Déjà, chez le patient transplanté rénal dépourvu d’infection par le VIH, on peut observer toutes les complications de l’immunosuppression, parmi lesquelles infections opportunistes, maladie de Kaposi et lymphomes non hodgkiniens, qui sont également observées chez les patients atteints de VIH. On peut donc s’attendre à une fréquence accrue de certaines de ces complications, entraînant un accroissement des risques vitaux et des périodes d’hospitalisation plus fréquentes. Et même si quelques rares associations peuvent être bénéfiques par certains côtés, telle la potentialisation de l’activité antivirale des analogues nucléosidiques par le mycophénolate mofétil, les aléas de ces combinaisons de médicaments s’avèrent plus nombreux que leurs bénéfices. Quelle sera la compliance au long cours de ces patients obligés d’absorber tous les jours une grande quantité de médicaments, d’en supporter les effets secondaires et d’en contrôler très régulièrement les différents taux sanguins ? Quelles ne seront pas leurs angoisses de voir soit leur greffe être rejetée par des taux sanguins insuffisants des médicaments immunosuppresseurs, soit leur infection par le VIH reprendre sa virulence, car les taux sanguins des antirétroviraux auront diminué ? Certes, ils n’auront pas la contrainte de l’hémodialyse périodique, mais dans ce contexte, est-ce un réel avantage ? LE PROBLÈME DES INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES Les difficultés les plus importantes viendront probablement d’ailleurs, et notamment du maniement des médicaments euxmêmes. Les nouvelles thérapeutiques antirétrovirales de haute efficacité (Highly Active Anti-Retroviral Therapy [HAART]) combinent la prise de trois médicaments sur les quatorze disponibles, qui se répartissent en trois classes : les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) et les inhibiteurs de protéase (IP). Habituellement, on combine 128 Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 3 - oct.-nov.-déc. 2001 P oint de vue DE LA MESURE AVANT TOUTE CHOSE Si l’on voulait à tout prix étudier dès maintenant les possibilités de transplantations rénales chez ces patients, alors il ne faudrait le faire que dans le cadre d’une étude multicentrique, soigneusement réfléchie, randomisée et contrôlée, encadrée par de nombreux garde-fous chez des patients bien informés des risques qu’ils vont prendre et des contraintes qu’ils vont devoir accepter. Le plus raisonnable serait peut-être d’attendre que les transplantations d’un organe vital effectuées chez les patients infectés par le VIH après stabilisation sous HAART nous fournissent quelques-unes des réponses qui nous font cruellement défaut à ce jour. Malheureusement, cette attitude raisonnable risque de faire crier à la discrimination les démagogues de tous bords, qui, sous une apparente attitude d’humanité, escomptent avant tout des bénéfices personnels. Que l’on ne s’y trompe pas : si une large majorité de ceux qui pratiquent les transplantations rénales est opposée, pour l’instant, à l’idée de le faire chez les patients infectés par le VIH, ce n’est sûrement pas pour s’épargner du travail, mais bien par crainte de mettre en danger ces patients. C’est peut-être dans ce domaine plus qu’ailleurs que l’on devrait se souvenir de cet adage, sûrement un peu conservateur, selon lequel le mieux est souvent l’ennemi du bien. Mais il est vrai que, dans une situation thérapeutique que l’on peut définir comme étant à haut risque, ce ne sont pas les médecins qui pren" nent les risques. ! de la transplantation MODULE 1/8 de page Annonces professionnelles TARIFS PETITES ANNONCES MODULES COLLECTIVITÉS PARTICULIERS 1/16 de page 43 mm L x 58 mm H 289,65 € HT 144,83 € HT 1/8 de page 90 mm L x 58 mm H 43 mm L x 125 mm H 579,30 € HT 289,65 € HT 1/4 de page 90 mm L x 125 mm H 1 082,39 € HT ! 541,19 € HT MODULE * Abonnés particuliers : profitez d'une deuxième insertion gratuite. * Collectivités : dégressif à partir de deux insertions, nous consulter. * Quadri offerte. 1/16 de page Pour réserver votre emplacement, contactez dès maintenant Franck Glatigny Tél. : 01 41 45 80 57 Fax : 01 41 45 80 45 ÉTUDIANTS, ABONNEZ-VOUS : VOS ANNONCES SERONT GRATUITES ! ... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... 129 Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 3 - oct.-nov.-déc. 2001