Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o3 - oct.-nov.-déc. 2001
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Point
de vue
! H. Kreis*
* Service de transplantation et réanimation, hôpital Necker,
75015 Paris.
Faut-il pratiquer des transplantations d’organes
chez les sujets VIH positifs ?
Peut-on soulever la question
d’intervenir, ou surtout de ne pas intervenir
chez les patients infectés par le virus
de l’immunodéficience humaine (VIH)
sans soulever immédiatement des passions,
faire naître des procès d’intention
ou soulever des argumentaires douteux
aux relents plus que déplaisants ?
J’essaierai de ne pas tomber
dans ce piège et, dans ce dessein,
je n’utiliserai dans ma réponse
que des arguments d’ordre médical,
laissant à d’autres
les arguments relevant d’éthiques
issues de philosophies malsaines.
POSER LA BONNE QUESTION
La fin des années 1990 a vu le développement de thérapeutiques antirétrovi-
rales d’une grande efficacité. De ce fait, la charge virale est réduite, le nombre
des cellules CD4+ augmenté et la survie des patients infectés par le VIH
prolongée.
Des néphropathies ou des hépatopathies chroniques sont souvent associées à
l’infection par le VIH. Jusqu’alors, la mort du patient au cours du syndrome
d’immunodéficience acquise (sida) était l’évolution la plus fréquente, et le
devenir, ou surtout le traitement, d’éventuelles néphropathies ou hépatopathies
chroniques associées n’était pas la préoccupation prédominante.
Il est certain que les nouvelles thérapeutiques antirétrovirales ont modifié le
tableau évolutif des patients VIH positifs. Allongeant leur survie, elles ont, du
même coup, permis à ces maladies rénales ou hépatiques d’évoluer vers leur
stade terminal. Se pose ainsi, d’une manière beaucoup plus fréquente que par
le passé, la difficile question de l’indication de transplantation d’un organe sain.
Faut-il transplanter ces patients, stabilisés par une thérapeutique antirétrovi-
rale assez lourde, au risque de réactiver la virulence du virus et de déstabiliser
la maladie ? En d’autres termes, est-ce parce qu’un grand pas en avant a été
accompli dans le traitement des patients VIH positifs qu’il faut se croire auto-
risés à les soumettre à nouveau à d’autres risques et, en particulier, à celui de
réactiver leur maladie initiale ?
Actuellement, la littérature ne nous permet malheureusement pas de répondre
à cette difficile question : trop peu de malades VIH positifs ont en effet “béné-
ficié” (?) d’une greffe d’organes pour que l’on puisse avoir une idée suffisam-
ment précise des risques que cette thérapeutique leur fait réellement courir.
Ce n’est sûrement pas le petit nombre de cas publiés de survies prolongées qui
doit soulever un enthousiasme hors de mesure et faire penser que la partie
est gagnée, au risque de précipiter tous ces patients dans la récidive d’une
maladie mortelle que l’on vient à peine de contrôler. Dans ces conditions, la
véritable question n’est pas de savoir si ces patients peuvent ou non être trans-
plantés lorsqu’ils parviennent au stade terminal d’une maladie chronique qui
a détruit un organe vital. En revanche, elle est bien de définir les
attitudes à adopter pour que, dans cinq ou dix ans, il soit
possible d’y répondre par des données scientifiquement
bien établies. Il est vrai que pour définir les risques liés
aux transplantations d’organes chez les patients por-
teurs d’une infection par le VIH, il va falloir décider
de programmes de transplantation qui comprendront
un assez grand nombre de patients, et donc leur faire
délibérément courir des risques non négligeables.
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Point
de vue
QUI TRANSPLANTER ?
Cependant, il est impossible de ne pas distinguer immédiate-
ment deux groupes de patients vis-à-vis desquels l’approche est
par nature différente. Certains auront en effet besoin de la greffe
d’un organe vital, quand d’autres nécessiteront simplement celle
d’un rein, dont l’absence peut être palliée par une hémodialyse
périodique au seul détriment de leur confort de vie.
Éliminons tout de suite le groupe des patients infectés par le VIH,
stabilisés, qui ont développé une cardiopathie ou une cirrhose.
Celle-ci ou celle-là ont eu le temps de parvenir à leur stade ter-
minal et justifient une greffe de cœur ou de foie. Certes, on va,
ce faisant, soumettre ces patients au risque inconnu de réactiver,
de façon peut-être incontrôlable cette fois, le virus et de précipi-
ter leur mort. Mais si l’on s’abstient de poser l’indication de cette
greffe, la mort sera alors inéluctable dans des délais probable-
ment beaucoup plus courts. Contre-indiquer la greffe en raison
du VIH serait ici une décision impardonnable. La réponse à notre
question, dans ces cas, est donc relativement simple. Qui plus
est, ces transplantations, bien que ne pouvant être réalisées dans
des séries contrôlées lorsque l’indication de la transplantation est
indiscutable, nous donneront cependant des renseignements pré-
cieux sur l’effet des thérapeutiques immunosuppressives chez
les patients dont l’infection par le VIH a pu être stabilisée par les
thérapeutiques antirétrovirales actuelles.
Restent les autres patients, ceux qui ont développé une mala-
die rénale, maintenant parvenue à son stade terminal. Là réside
toute la difficulté. En effet, la destruction de leurs reins ne
menace pas la vie de ces patients. En revanche, il est certain
que l’hémodialyse périodique, vitale en l’absence de greffe, va
rendre leur vie beaucoup moins confortable. Idéalement, une
transplantation rénale va leur redonner un rein sain et, par là
même, une vie normale. Normale ? Voire... Déjà, chez le patient
transplanté rénal dépourvu d’infection par le VIH, on peut
observer toutes les complications de l’immunosuppression,
parmi lesquelles infections opportunistes, maladie de Kaposi
et lymphomes non hodgkiniens, qui sont également observées
chez les patients atteints de VIH. On peut donc s’attendre à une
fréquence accrue de certaines de ces complications, entraînant
un accroissement des risques vitaux et des périodes d’hospita-
lisation plus fréquentes.
LE PROBLÈME DES INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES
Les difficultés les plus importantes viendront probablement
d’ailleurs, et notamment du maniement des médicaments eux-
mêmes. Les nouvelles thérapeutiques antirétrovirales de haute
efficacité (Highly Active Anti-Retroviral Therapy [HAART])
combinent la prise de trois médicaments sur les quatorze dis-
ponibles, qui se répartissent en trois classes : les inhibiteurs
nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), les inhibi-
teurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) et
les inhibiteurs de protéase (IP). Habituellement, on combine
deux analogues nucléosidiques avec soit un inhibiteur de pro-
téase soit un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase
inverse. Comme tous les médicaments efficaces, ceux-ci
possèdent de nombreuses toxicités. Ils ont aussi des interactions
variées avec les autres agents thérapeutiques, en particulier les
immunosuppresseurs et les autres agents anti-infectieux, qui peu-
vent s’avérer utiles dans le traitement d’éventuelles complications
infectieuses. D’autre part, il est probable que les agents immuno-
suppresseurs utiles pour la survie prolongée du greffon inter-
agissent également avec les médicaments antirétroviraux.
Parmi les toxicités les plus fréquemment rencontrées des agents
antirétroviraux, on trouve une intolérance gastrique et des ano-
malies lipidiques avec les inhibiteurs de protéase. Comment
savoir quel sera leur effet additif avec les complications diges-
tives du mycophénolate mofétil d’une part, et les perturbations
lipidiques des rapamycines d’autre part ? De même, la toxicité
médullaire des analogues nucléosidiques viendra s’ajouter à
celle du mycophénolate mofétil aujourd’hui et, ultérieurement,
des malononitrilamides. Enfin, les rashs, les hépatites et les
problèmes neurologiques des inhibiteurs non nucléosidiques
de la transcriptase inverse rendront plus difficile la compré-
hension de certaines complications des agents biologiques ou
des inhibiteurs de la calcineurine.
Le plus grave, peut-être, risque d’être les diverses interactions
de tous ces médicaments entre eux. Certaines sont encore à
découvrir, alors que d’autres peuvent déjà être appréhendées.
Ainsi, nombre d’inhibiteurs de protéase sont des inhibiteurs du
cytochrome P 450 3A4, alors que les inhibiteurs non nucléosi-
diques de la transcriptase inverse sont plus souvent inducteurs
de ce même cytochrome. On imagine les difficultés qui seront
rencontrées pour maintenir des taux constants de tous ces médi-
caments, et le nombre et la fréquence des dosages qui seront
indispensables pour cela ! En outre, les interactions ne sont pas
les mêmes selon que certains médicaments sont pris simulta-
nément ou à distance l’un de l’autre, l’un des autres ou les uns
des autres ; la durée de l’intervalle de prise entre deux produits
a aussi son importance. Que d’impondérables, que de risques
en perspective !
Et même si quelques rares associations peuvent être bénéfiques
par certains côtés, telle la potentialisation de l’activité antivirale
des analogues nucléosidiques par le mycophénolate mofétil, les
aléas de ces combinaisons de médicaments s’avèrent plus nom-
breux que leurs bénéfices. Quelle sera la compliance au long
cours de ces patients obligés d’absorber tous les jours une grande
quantité de médicaments, d’en supporter les effets secondaires
et d’en contrôler très régulièrement les différents taux sanguins ?
Quelles ne seront pas leurs angoisses de voir soit leur greffe être
rejetée par des taux sanguins insuffisants des médicaments
immunosuppresseurs, soit leur infection par le VIH reprendre
sa virulence, car les taux sanguins des antirétroviraux auront
diminué ? Certes, ils n’auront pas la contrainte de l’hémodia-
lyse périodique, mais dans ce contexte, est-ce un réel avantage ?
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Point
de vue
DE LA MESURE AVANT TOUTE CHOSE
Le plus raisonnable serait peut-être d’attendre que les trans-
plantations d’un organe vital effectuées chez les patients infec-
tés par le VIH après stabilisation sous HAART nous fournissent
quelques-unes des réponses qui nous font cruellement défaut à
ce jour. Malheureusement, cette attitude raisonnable risque de
faire crier à la discrimination les démagogues de tous bords, qui,
sous une apparente attitude d’humanité, escomptent avant tout
des bénéfices personnels. Que l’on ne s’y trompe pas : si une
large majorité de ceux qui pratiquent les transplantations rénales
est opposée, pour l’instant, à l’idée de le faire chez les patients
infectés par le VIH, ce n’est sûrement pas pour s’épargner du
travail, mais bien par crainte de mettre en danger ces patients.
Si l’on voulait à tout prix étudier dès maintenant les possibili-
tés de transplantations rénales chez ces patients, alors il ne
faudrait le faire que dans le cadre d’une étude multicentrique,
soigneusement réfléchie, randomisée et contrôlée, encadrée par
de nombreux garde-fous chez des patients bien informés des
risques qu’ils vont prendre et des contraintes qu’ils vont devoir
accepter.
C’est peut-être dans ce domaine plus qu’ailleurs que l’on devrait
se souvenir de cet adage, sûrement un peu conservateur, selon
lequel le mieux est souvent l’ennemi du bien. Mais il est vrai
que, dans une situation thérapeutique que l’on peut définir
comme étant à haut risque, ce ne sont pas les médecins qui pren-
nent les risques. "
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