SEPT 98 MEP 2 23/04/04 14:40 Page 3804 Ta b l e s r o n d e s Citoyenneté et santé mentale V. Cherel Cette table ronde propose une réflexion sur la manière dont la citoyenneté peut ou doit s’exprimer ou se gagner dans le domaine de la santé mentale. Cette question concerne les patients comme les soignants, aux niveaux individuel et collectif. J.-Cl. Laumonier, infirmier psychiatrique, pose le problème en termes de politique de santé mentale, en rappelant : - les difficultés rencontrées dans l’application de l’ordonnance sur la participation des usagers dans les conseils d’administration des centres hospitaliers ; - le contexte social actuel, où les exclus eux-mêmes, de plus en plus nombreux, manifestent une volonté de se réapproprier la politique (chômeurs, sanspapiers). Le travail de secteur, qui consiste à restaurer les capacités soignantes existantes dans la société, représente une véritable politique de santé mentale. J.-Cl. Theuré, représentant la FNAPPsy (associations de patients), définit la “maladie mentale” comme une “pathologie de la liberté et de la volonté”, définition qui ouvre une réflexion sur Table ronde D Modérateur : J.C. Laumonier Intervenants : A. Létuvé, J.P. Martin, J.C. Theuré le “traitement” de la folie et la place qu’elle occupe, sa signification individuelle et sociale. Pour considérer les patients comme des partenaires, la société doit changer son regard et sa réflexion sur le sens de la maladie mentale, qui peut aussi se définir comme une pathologie de la confusion (des “esprits”, des “dieux”, des rôles parentaux, des “personnalités qui font notre monde”). La “folie” traduit à la fois une difficulté et une tentative de former un nouvel être, distinct et autonome. Reconnaître le droit à la folie, c’est “permettre un nouvel espace pour l’individu transformé”. Les malades mentaux, notamment à travers leurs associations, ont un rôle important à jouer pour défendre leur droit à l’intégrité du corps, au choix du médecin. Leur droit, aussi, à la folie, qui ne doit pas être désignée comme “quelque chose à abattre”. Pour J.-P. Martin, psychiatre hospitalier et membre du Comité d’éthique européen, deux éléments viennent brouiller la notion de citoyenneté du côté des soignants : - la loi de 1990 qui maintient l’amalgame existant dans la loi de1838 entre mesures d’ordre public et obligation de soin ; - le fait que la question de la citoyenneté soit toujours posée du point de vue de l’éthique de la conduite à tenir par rapport au patient : les membres de l’équipe de soin ne sont pas amenés à se positionner en citoyens mais en tant qu’appareillage technique. La politique de secteur a provoqué une remise en question des pratiques par une confrontation aux implications du travail en réseau et au cadre de vie du patient. La création d’un centre d’accueil et de crise, à Paris, a été l’occasion d’une réflexion, amenant l’équipe de soins à introduire un décalage entre le moment de la rencontre avec le patient - temps pour comprendre la situation - et le moment des soins. Cette pratique ouvre Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 212, septembre 1998 3804 des perspectives thérapeutiques plus cohérentes avec la notion de citoyenneté dans l’accès au soin, en plaçant au centre du travail : - l’abord de la globalité de la personne et de son environnement ; - la question du consentement ; - la continuité de la prise en charge. Les effets de ce temps de rencontre se retrouvent autant chez les soignants que chez les patients. Cependant, cette approche se heurte à une barrière idéologique : la notion d’irresponsabilité du patient, et l’infantilisation qui en découle, souvent avec la complicité de la famille. Pour A. Létuvé, psychologue et membre de la Fédération française de santé mentale, l’enjeu principal actuel est de faire comprendre l’importance de la psychiatrie pour la collectivité. Plus qu’un changement de discours, la psychiatrie doit effectuer une “révolution copernicienne” en prenant en compte “les nouvelles données du monde”. Elle doit en même temps dénoncer la gravité de la situation sociale et poser ses propres limites, politiser la question et responsabiliser tous les usagers citoyens, patients et soignants. La notion de partenariat suppose une révolution dans les rapports thérapeutiques, jusque-là calqués sur le modèle de la médecine, en dehors de la subjectivation (l’observation du patient). Elle suppose aussi une redéfinition de l’objet et des buts de la psychiatrie qui tire les leçons de l’inadéquation entre le modèle médical et le respect de la dimension psychique. La psychiatrie doit se positionner clairement : témoigner des limites de l’intolérable social pour la dimension psychique. Mais d’un partenariat réel à l’intérieur des institutions dépend l’instauration d’un partenariat avec le patient citoyen. Pour être crédible, la psychiatrie doit être conforme à ses propres discours.