Tables rondes
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 212, septembre 1998
3804
Citoyenneté
et santé mentale
V. Cherel
Cette table ronde propose une réflexion
sur la manière dont la citoyenneté peut ou
doit s’exprimer ou se gagner dans le
domaine de la santé mentale. Cette ques-
tion concerne les patients comme les soi-
gnants, aux niveaux individuel et collectif.
J.-Cl. Laumonier, infirmier psychia-
trique, pose le problème en termes de
politique de santé mentale, en rappelant :
- les difficultés rencontrées dans l’appli-
cation de l’ordonnance sur la participa-
tion des usagers dans les conseils d’ad-
ministration des centres hospitaliers ;
- le contexte social actuel, où les exclus
eux-mêmes, de plus en plus nombreux,
manifestent une volonté de se réappro-
prier la politique (chômeurs, sans-
papiers).
Le travail de secteur, qui consiste à res-
taurer les capacités soignantes exis-
tantes dans la société, représente une
véritable politique de santé mentale.
J.-Cl. Theuré, représentant la FNAP-
Psy (associations de patients), définit la
“maladie mentale” comme une “patho-
logie de la liberté et de la volonté”,
définition qui ouvre une réflexion sur
le “traitement” de la folie et la place
qu’elle occupe, sa signification indivi-
duelle et sociale.
Pour considérer les patients comme des
partenaires, la société doit changer son
regard et sa réflexion sur le sens de la
maladie mentale, qui peut aussi se défi-
nir comme une pathologie de la confu-
sion (des “esprits”, des “dieux”, des
rôles parentaux, des “personnalités qui
font notre monde”). La “folie” traduit à
la fois une difficulté et une tentative de
former un nouvel être, distinct et auto-
nome. Reconnaître le droit à la folie,
c’est “permettre un nouvel espace pour
l’individu transformé”.
Les malades mentaux, notamment à
travers leurs associations, ont un rôle
important à jouer pour défendre leur
droit à l’intégrité du corps, au choix du
médecin. Leur droit, aussi, à la folie,
qui ne doit pas être désignée comme
“quelque chose à abattre”.
Pour J.-P. Martin, psychiatre hospitalier
et membre du Comité d’éthique euro-
péen, deux éléments viennent brouiller
la notion de citoyenneté du côté des
soignants :
- la loi de 1990 qui maintient l’amalgame
existant dans la loi de1838 entre mesures
d’ordre public et obligation de soin ;
- le fait que la question de la citoyenne-
té soit toujours posée du point de vue
de l’éthique de la conduite à tenir par
rapport au patient : les membres de
l’équipe de soin ne sont pas amenés à
se positionner en citoyens mais en tant
qu’appareillage technique.
La politique de secteur a provoqué une
remise en question des pratiques par une
confrontation aux implications du travail
en réseau et au cadre de vie du patient.
La création d’un centre d’accueil et de
crise, à Paris, a été l’occasion d’une
réflexion, amenant l’équipe de soins à
introduire un décalage entre le moment
de la rencontre avec le patient - temps
pour comprendre la situation - et le
moment des soins. Cette pratique ouvre
des perspectives thérapeutiques plus
cohérentes avec la notion de citoyenne-
té dans l’accès au soin, en plaçant au
centre du travail :
- l’abord de la globalité de la personne
et de son environnement ;
- la question du consentement ;
- la continuité de la prise en charge.
Les effets de ce temps de rencontre se
retrouvent autant chez les soignants
que chez les patients. Cependant, cette
approche se heurte à une barrière idéo-
logique : la notion d’irresponsabilité du
patient, et l’infantilisation qui en
découle, souvent avec la complicité de
la famille.
Pour A. Létuvé, psychologue et
membre de la Fédération française de
santé mentale, l’enjeu principal actuel
est de faire comprendre l’importance
de la psychiatrie pour la collectivité.
Plus qu’un changement de discours, la
psychiatrie doit effectuer une “révolu-
tion copernicienne” en prenant en
compte “les nouvelles données du
monde”. Elle doit en même temps
dénoncer la gravité de la situation
sociale et poser ses propres limites,
politiser la question et responsabiliser
tous les usagers citoyens, patients et
soignants.
La notion de partenariat suppose une
révolution dans les rapports thérapeu-
tiques, jusque-là calqués sur le modèle
de la médecine, en dehors de la subjec-
tivation (l’observation du patient). Elle
suppose aussi une redéfinition de l’ob-
jet et des buts de la psychiatrie qui tire
les leçons de l’inadéquation entre le
modèle médical et le respect de la
dimension psychique. La psychiatrie
doit se positionner clairement : témoi-
gner des limites de l’intolérable social
pour la dimension psychique.
Mais d’un partenariat réel à l’intérieur
des institutions dépend l’instauration
d’un partenariat avec le patient citoyen.
Pour être crédible, la psychiatrie doit
être conforme à ses propres discours.
Table ronde D
Modérateur : J.C. Laumonier
Intervenants : A. Létuvé, J.P. Martin,
J.C. Theuré
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