SEPT 98 MEP 2 23/04/04 14:40 Page 3795 Les grandes conférences Les politiques font-ils la psychiatrie ? P. Basard Comme le souligne le modérateur, P. Joly, la tribune réunit un panel de personnalités ayant une expérience concrète du terrain, en l’occurrence un sous-préfet, un sénateur-maire, ancien ministre des finances, un élu ancien ministre de la santé et une journaliste de l’audiovisuel. Premier constat : l’opinion s’intéresse peu aux troubles psychiques, et les politiques semblent plutôt enclins à se défausser du problème de la psychiatrie sur l’administration. Vu d’une sous-préfecture, J. Barbaza a remarqué que les professionnels de la santé mentale apparaissaient comme en retrait du reste de la société et que les hommes politiques locaux ne manifestaient guère d’intérêt pour la psychiatrie, ce qui est fort préjudiciable à l’élaboration des projets. Pour C. Evin, le rôle du politique consiste à être une sorte de régulateur social, qui définit des schémas directeurs sans intervenir dans leur exécution. La maladie mentale n’est pas Grande Conférence n° I Modérateur : P. Joly Intervenants : M. Allain-Regnault, J. Barbaza, C. Evin, J.P. Fourcade seulement la manifestation d’un malaise personnel, car elle pose également le problème de la vie sociale, et, à ce titre, interpelle la société dans son ensemble. Le politique étant à la fois un reflet et une émanation de ladite société, il ne fait que traduire la manière dont celleci aborde le sujet, en conséquence de quoi le regard que porte le politique sur la psychiatrie ne saurait différer de celui de la société. La question du rôle joué par la psychiatrie dans la régulation sociale est au centre des préoccupation des professionnels de la santé mentale. En effet, la société demande, parfois maladroitement, à être protégée, et le politique doit répondre à cette exigence. Cela aboutit à une contradiction entre la pratique du professionnel de terrain et l’attente de la société. La psychiatrie et le politique sont au centre de ces contradictions. Cette tendance à se retourner vers l’administration, ici pour traiter des problèmes de santé mentale, le politique la manifeste aussi dans le cadre des autres fonctions régaliennes de l’Etat (justice, police), du fait qu’il lui incombe de définir les grandes orientations sans toutefois se substituer aux professionnels. La question des moyens est au cœur des problèmes de santé, et elle est posée selon deux approches contradictoires : l’une consiste à dire qu’il faut élaborer des politiques spécifiques, avec un budget déterminé, à l’intérieur de l’hôpital général, au lieu que l’autre préfère considérer la psychiatrie comme partie prenante de l’ensemble des politiques de santé. Dans ce débat, il faut veiller à donner toute sa place à la maladie mentale, compte tenu de l’importance des crédits en jeu. J.P. Fourcade déplore que l’analyse des problèmes de fond liés à la santé mentale, émanant du terrain, au delà des intérêts catégoriels, ne soit pas suffisamment relayée et prise en compte. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 212, septembre 1998 3795 Dans le cadre de la discussion annuelle sur le financement de la sécurité sociale, par exemple, le dossier psychiatrique ne serait pas assez traité par rapport à celui du sida ou du saturnisme. Les études épidémiologiques globales portant sur le nombre de personnes soignées, leur environnement, les traitements, les durées d’hospitalisation, ou la répartition des moyens font défaut. Sur le terrain communal, les hospitalisations sans consentement deviennent une commodité sociale ; c’est autour des actions préventives et des soins de réadaptation ou de réinsertion sociale que l’on devrait réorganiser les rapports de la psychiatrie et du politique. Il y a une sorte de timidité dans la réflexion des politiques à propos de phénomènes comme le développement de la délinquance des très jeunes adolescents, qui a parfois des explications psychiatriques, ou la croissance des troubles liés au vieillissement. Le fait de réclamer une spécificité a peut-être entraîné une coupure par rapport aux autres structures de soins existantes, ce qui expliquerait un certain isolement au sein du dispositif hospitalier. A partir de son expérience de journaliste, de mère, et de proche d’un garçon psychotique, M. Allain-Regnaut explique que la maladie mentale fait peur et pitié, qu’elle induit un sentiment de gêne, voire une détresse. Le regard des autres est si lourd que l’entourage se replie sur lui-même. Elle souligne l’importance des différences structurelles, avec des lacunes dans le dispositif des secteurs en zone rurale. Enfin, faute de temps et d’intérêt, le journaliste, qui a du mal à toucher le public, parle peu et mal des problèmes de santé mentale à la télévision. En guise de conclusion du débat avec la salle, E. Zarifian suggère que les psychiatres fassent taire une relative cacophonie interne pour mieux se faire entendre.