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Les grandes conférences
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 212, septembre 1998
Les politiques
font-ils
la psychiatrie ?
P. Basard
Comme le souligne le modérateur,
P. Joly, la tribune réunit un panel de
personnalités ayant une expérience
concrète du terrain, en l’occurrence un
sous-préfet, un sénateur-maire, ancien
ministre des finances, un élu ancien
ministre de la santé et une journaliste de
l’audiovisuel. Premier constat : l’opi-
nion s’intéresse peu aux troubles psy-
chiques, et les politiques semblent plu-
tôt enclins à se défausser du problème
de la psychiatrie sur l’administration.
Vu d’une sous-préfecture, J. Barbaza a
remarqué que les professionnels de la
santé mentale apparaissaient comme en
retrait du reste de la société et que les
hommes politiques locaux ne manifes-
taient guère d’intérêt pour la psychia-
trie, ce qui est fort préjudiciable à l’éla-
boration des projets.
Pour C. Evin, le rôle du politique
consiste à être une sorte de régulateur
social, qui définit des schémas direc-
teurs sans intervenir dans leur exécu-
tion. La maladie mentale n’est pas
seulement la manifestation d’un malai-
se personnel, car elle pose également le
problème de la vie sociale, et, à ce titre,
interpelle la société dans son ensemble.
Le politique étant à la fois un reflet et
une émanation de ladite société, il ne
fait que traduire la manière dont celle-
ci aborde le sujet, en conséquence de
quoi le regard que porte le politique sur
la psychiatrie ne saurait différer de
celui de la société.
La question du rôle joué par la psychia-
trie dans la régulation sociale est au
centre des préoccupation des profes-
sionnels de la santé mentale. En effet,
la société demande, parfois maladroite-
ment, à être protégée, et le politique
doit répondre à cette exigence. Cela
aboutit à une contradiction entre la pra-
tique du professionnel de terrain et l’at-
tente de la société. La psychiatrie et le
politique sont au centre de ces contra-
dictions. Cette tendance à se retourner
vers l’administration, ici pour traiter
des problèmes de santé mentale, le
politique la manifeste aussi dans le
cadre des autres fonctions régaliennes
de l’Etat (justice, police), du fait qu’il
lui incombe de définir les grandes
orientations sans toutefois se substituer
aux professionnels.
La question des moyens est au cœur des
problèmes de santé, et elle est posée
selon deux approches contradictoires :
l’une consiste à dire qu’il faut élaborer
des politiques spécifiques, avec un
budget déterminé, à l’intérieur de l’hô-
pital général, au lieu que l’autre préfère
considérer la psychiatrie comme partie
prenante de l’ensemble des politiques
de santé. Dans ce débat, il faut veiller à
donner toute sa place à la maladie men-
tale, compte tenu de l’importance des
crédits en jeu.
J.P. Fourcade déplore que l’analyse des
problèmes de fond liés à la santé men-
tale, émanant du terrain, au delà des
intérêts catégoriels, ne soit pas suffi-
samment relayée et prise en compte.
Dans le cadre de la discussion annuelle
sur le financement de la sécurité socia-
le, par exemple, le dossier psychia-
trique ne serait pas assez traité par rap-
port à celui du sida ou du saturnisme.
Les études épidémiologiques globales
portant sur le nombre de personnes soi-
gnées, leur environnement, les traite-
ments, les durées d’hospitalisation, ou
la répartition des moyens font défaut.
Sur le terrain communal, les hospitali-
sations sans consentement deviennent
une commodité sociale ; c’est autour
des actions préventives et des soins de
réadaptation ou de réinsertion sociale
que l’on devrait réorganiser les rap-
ports de la psychiatrie et du politique. Il
y a une sorte de timidité dans la
réflexion des politiques à propos de
phénomènes comme le développement
de la délinquance des très jeunes ado-
lescents, qui a parfois des explications
psychiatriques, ou la croissance des
troubles liés au vieillissement. Le fait
de réclamer une spécificité a peut-être
entraîné une coupure par rapport aux
autres structures de soins existantes, ce
qui expliquerait un certain isolement au
sein du dispositif hospitalier.
A partir de son expérience de journalis-
te, de mère, et de proche d’un garçon
psychotique, M. Allain-Regnaut
explique que la maladie mentale fait
peur et pitié, qu’elle induit un senti-
ment de gêne, voire une détresse. Le
regard des autres est si lourd que l’en-
tourage se replie sur lui-même. Elle
souligne l’importance des différences
structurelles, avec des lacunes dans le
dispositif des secteurs en zone rurale.
Enfin, faute de temps et d’intérêt, le
journaliste, qui a du mal à toucher le
public, parle peu et mal des problèmes
de santé mentale à la télévision.
En guise de conclusion du débat avec la
salle, E. Zarifian suggère que les psy-
chiatres fassent taire une relative caco-
phonie interne pour mieux se faire
entendre.
Grande Conférence n° I
Modérateur : P. Joly
Intervenants : M. Allain-Regnault,
J. Barbaza, C. Evin, J.P. Fourcade
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