Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002 187
obésité connaît une progression épidémique
dans le monde entier. La France s’américa-
nise subrepticement. Actuellement, 9 % des
adultes et 12 % des enfants sont obèses. La préva-
lence double tous les quinze ans chez les plus
jeunes. À ce rythme-là, dans moins d’une généra-
tion, nous devrions rejoindre la situation peu
enviable des États-Unis où un habitant sur trois
est obèse. L’impact économique est d’ores et déjà
conséquent : l’obésité et ses complications repré-
sentent de 2 à 5% des dépenses de santé.
L’obésité est une maladie de la nutrition, une
maladie des styles de vie, une maladie de société
qui frappe ceux qui y sont génétiquement prédis-
posés. Cette pathologie était donc bien éloignée
des préoccupations et des pratiques des chirur-
giens. Les choses changent. Très vite. Peut-être
trop vite. La chirurgie gastrique de l’obésité se
développe de manière elle aussi épidémique :
5000 Français ont subi cette intervention, l’an
dernier ; ils seront 10000 cette année.
Vraisemblablement, le double l’an prochain. Il
faut dire que les progrès en anesthésie réanima-
tion, l’avènement de la cœlio-chirurgie ont radi-
calement changé la perspective : le risque chirur-
gical a diminué significativement… et l’efficacité
a augmenté. L’étude Swedish Obesity Subjects
(SOS) indique des bénéfices spectaculaires en
termes de qualité de vie et de réduction du risque
de morbidité chez des sujets sélectionnés et fai-
sant l’objet d’une préparation à la chirurgie et
d’un suivi médical d’une particulière qualité.
N’oublions pas pour autant les contre-indications,
les échecs et les risques parfois vitaux.
Une telle progression du nombre de gastroplasties
interroge nos pratiques tant médicales que chirur-
gicales. Est-ce l’expression d’un échec de la prise
en charge médicale de l’obésité ? Traduit-elle
simplement la progression épidémique de la mala-
die et de ses formes sévères ? Est-elle une consé-
quence de la médiatisation outrancière par la
télévision ? Résulte-t-elle d’une dérive dans les
indications ? N’est-elle que l’expression de la
quête d’une solution miracle chez des sujets subis-
sant l’échec à répétition ? La réponse à chacune
de ces questions est “oui…en partie”. Les
patients obèses sont victimes d’une surmédicalisa-
tion tout autant que d’une sous-médicalisation.
La une des journaux et des émissions de télévision
les incite à maigrir “à tout prix” : pilule miracle,
hormone minceur, chirurgie radicale, extrait
d’ananas, fixation de mâchoires… Ayant vécu
“l’enfer” des régimes, du yo-yo pondéral, de la
culpabilisation, des douleurs articulaires,
du syndrome d’apnée du sommeil, de l’insuffisan-
ce cardiorespiratoire, ils demandent “tout et tout
de suite”. Le tout est largement favorisé par
l’incapacité du système médical à répondre à leur
demande : manque de formation en nutrition,
rareté de spécialistes, indifférence de nombreux
médecins pour le sujet. Bref, la “Médecine de
l’obésité” n’a pas pris la place qui devrait être la
sienne dans cette société qui produit l’obésité à
grand débit. Désarroi des patients qui accordent
plus confiance à Internet qu’au système médical.
Désarroi des associations de patients qui nous
alertent sur les conditions de soins des personnes
atteintes d’obésité grave. Désarroi du chirurgien
face à des demandes pressantes et souvent émou-
vantes de patients désespérés.
Le résultat est là : si bon nombre d’interventions
sont des succès dont nous nous réjouissons,
d’autres soulèvent quelques interrogations quant
à leur bien-fondé et à leurs conditions de réalisa-
tion. Évitons entre nous la langue de bois : nous
médecins de l’obésité, vous chirurgiens réalisant
Éditorial
Éditorial
De l’épidémie d’obésité
à celle de gastroplastie
A. Basdevant*
* Service de nutrition, Hôtel-Dieu de Paris,
Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris-VI.
L’
© Journal de chirurgie 2002 ; 139 : 191-2.