Éditorial © Journal de chirurgie 2002 ; 139 : 191-2. De l’épidémie d’obésité à celle de gastroplastie L’ obésité connaît une progression épidémique dans le monde entier. La France s’américanise subrepticement. Actuellement, 9 % des adultes et 12 % des enfants sont obèses. La prévalence double tous les quinze ans chez les plus jeunes. À ce rythme-là, dans moins d’une génération, nous devrions rejoindre la situation peu enviable des États-Unis où un habitant sur trois est obèse. L’impact économique est d’ores et déjà conséquent : l’obésité et ses complications représentent de 2 à 5 % des dépenses de santé. L’obésité est une maladie de la nutrition, une maladie des styles de vie, une maladie de société qui frappe ceux qui y sont génétiquement prédisposés. Cette pathologie était donc bien éloignée des préoccupations et des pratiques des chirurgiens. Les choses changent. Très vite. Peut-être trop vite. La chirurgie gastrique de l’obésité se développe de manière elle aussi épidémique : 5 000 Français ont subi cette intervention, l’an dernier ; ils seront 10 000 cette année. Vraisemblablement, le double l’an prochain. Il faut dire que les progrès en anesthésie réanimation, l’avènement de la cœlio-chirurgie ont radicalement changé la perspective : le risque chirurgical a diminué significativement… et l’efficacité a augmenté. L’étude Swedish Obesity Subjects (SOS) indique des bénéfices spectaculaires en termes de qualité de vie et de réduction du risque de morbidité chez des sujets sélectionnés et faisant l’objet d’une préparation à la chirurgie et d’un suivi médical d’une particulière qualité. N’oublions pas pour autant les contre-indications, les échecs et les risques parfois vitaux. Une telle progression du nombre de gastroplasties interroge nos pratiques tant médicales que chirur- * Service de nutrition, Hôtel-Dieu de Paris, Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris-VI. gicales. Est-ce l’expression d’un échec de la prise en charge médicale de l’obésité ? Traduit-elle simplement la progression épidémique de la maladie et de ses formes sévères ? Est-elle une conséquence de la médiatisation outrancière par la télévision ? Résulte-t-elle d’une dérive dans les indications ? N’est-elle que l’expression de la quête d’une solution miracle chez des sujets subissant l’échec à répétition ? La réponse à chacune de ces questions est “oui…en partie”. Les patients obèses sont victimes d’une surmédicalisation tout autant que d’une sous-médicalisation. La une des journaux et des émissions de télévision les incite à maigrir “à tout prix” : pilule miracle, hormone minceur, chirurgie radicale, extrait d’ananas, fixation de mâchoires… Ayant vécu “l’enfer” des régimes, du yo-yo pondéral, de la culpabilisation, des douleurs articulaires, du syndrome d’apnée du sommeil, de l’insuffisance cardiorespiratoire, ils demandent “tout et tout de suite”. Le tout est largement favorisé par l’incapacité du système médical à répondre à leur demande : manque de formation en nutrition, rareté de spécialistes, indifférence de nombreux médecins pour le sujet. Bref, la “Médecine de l’obésité” n’a pas pris la place qui devrait être la sienne dans cette société qui produit l’obésité à grand débit. Désarroi des patients qui accordent plus confiance à Internet qu’au système médical. Désarroi des associations de patients qui nous alertent sur les conditions de soins des personnes atteintes d’obésité grave. Désarroi du chirurgien face à des demandes pressantes et souvent émouvantes de patients désespérés. Le résultat est là : si bon nombre d’interventions sont des succès dont nous nous réjouissons, d’autres soulèvent quelques interrogations quant à leur bien-fondé et à leurs conditions de réalisation. Évitons entre nous la langue de bois : nous médecins de l’obésité, vous chirurgiens réalisant Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002 Éditorial A. Basdevant* 187 des gastroplasties, constatons quotidiennement l’incohérence de certaines prises en charge. Soit que sous la pression d’une exigence pressante du patient, l’intervention est réalisée à la va-vite et sans suivi. Soit que la sous-estimation des complications médicales rende la période périopératoire hasardeuse. Soit, qu’en l’absence de suivi, des complications tardives soient mal identifiées, en particulier les dénutritions et malnutritions, les difficultés psychologiques, les problèmes liés à l’anneau lui-même. Pour qu’une telle entreprise réussisse, il faut un partenariat entre le patient, le médecin, l’anesthésiste et le chirurgien. La responsabilité des échecs peut résulter de l’un ou l’autre des partenaires, le plus souvent des quatre. Une seule solution : inscrire l’acte chirurgical, quand il est indiqué, dans une prise en charge coordonnée assurant une préparation à l’acte opératoire et un suivi au long cours. Chacun à sa place, au service du patient dans son domaine de compétence. Tel est l’enjeu. Travaillons ensemble pour y parvenir... même si la tâche est rude. Nous devons donc assurer ensemble, une information loyale, une qualité et une sécurité des soins, une prise en charge responsable. L’information sur les avantages et inconvénients, les risques, les résultats peuvent être fournis avec le support d’un document que nos sociétés savantes devraient rédiger de manière consensuelle. La qualité et la sécurité de l’acte chirurgical doivent trouver leurs références dans les “Recommandations sur le dia- …Nous faisons de vos gnostic, la prévention et le traitement de l’obésité” et sur le “Rapport d’experts sur la chirurgie de l’obésité” labellisés par l’Agence Nationale pour l’Accréditation et l’Évaluation en Santé (ANAES) ; les indications, contre-indications et conditions sont parfaitement codifiées. La difficulté est d’ordre organisationnel. Veillons ensemble à la cohérence et à la lisibilité de la prise en charge : l’indication chirurgicale doit être posée par le médecin traitant qui doit en assurer le bien fondé et le suivi. Autrement dit, tout dossier devrait pouvoir être analysé dans les termes suivants : Quel est le projet thérapeutique global pour ce patient obèse ? Quel est le médecin traitant qui gère l’ensemble de ce projet ? Comment s’inscrit la chirurgie dans ce projet thérapeutique ? L’évaluation préopératoire est-elle de bonne qualité ? Les indications, les contre-indications de la chirurgie ont-elles été respectées ? Le contexte chirurgical dans lequel va être opéré le patient est-il adapté, en particulier en termes de réanimation ? En conclusion : médecins, anesthésistes et chirurgiens impliqués dans la chirurgie gastrique de l’obésité doivent collaborer pour inscrire cet acte chirurgical, parfois salvateur, dans une prise en charge cohérente et durable. La motivation du patient ne suffit pas : sa capacité à adhérer à un projet thérapeutique durable est une condition essentielle. ■ Éditorial Éditorial Claudie Damour-Terrasson et son équipe vous remercient de votre fidélité et vous souhaitent Meilleurs voeux 2003 spécialités notre Groupe de presse et d’édition santé spécialité Les Lettres . Les Actualités . Les Correspondances . Les Courriers . Professions Santé . Les pages de la pratique médicale Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002 188