NUTRITION 25 Dénutrition de la personne âgée Un phénomène évitable Au XXIe siècle et malgré l’abondance et la diversification alimentaire dans notre pays, la dénutrition protéino-énergétique touche certaines catégories de la population vieillissante. Le nombre de ces patients âgés est estimé entre 350 000 et 500 000 pour les personnes vivant à domicile et entre 100 000 et 200 000 pour celles vivant en institution gériatrique. Un dépistage insuffisant Le vieillissement de la population et le dépistage insuffisant de l’état nutritionnel des seniors apparaissent comme des facteurs essentiels favorisant l’augmentation du nombre des patients dénutris même à notre époque. Chez les personnes âgées, la dénutrition est variable en fonction du lieu de vie : à 80 ans et au-delà, 3 % à 10 % quand ils vivent à domicile, 19 % à 60 % en institution et 50 % à l’hôpital en court séjour. Autres chiffres alarmants : la dénutrition est constatée chez 50 % des sujets déments, chez 63 % à 80 % des patients cancéreux, chez 8 % à 34 % des patients atteints d’AVC, chez 8 % à 38 % des sujets souffrant de mucoviscidose. En fait, la plupart des pathologies aiguës et chroniques ont des conséquences métaboliques responsables d’un retentissement nutritionnel d’autant plus important qu’elles sont récurrentes et associées entre elles. Les mécanismes qui sont à l’origine d’un déséquilibre entre les apports alimentaires et les besoins protéino-énergétiques de l’organisme sont les suivants : le défaut d’apports et l’augmentation des besoins, c’est-à-dire l’installation d’une situation d’hypermétabo- lisme dans un contexte pathologique. Il ne faut pas perdre à l’esprit non plus que les étiologies de l’anorexie de la personne âgée s’exprimant par la perte d’envie et du plaisir de manger sont multiples et souvent imbriquées. Outre les maladies ou l’hospitalisation, la sous-alimentation peut être liée à une diminution des ressources, à un état dépressif, à une consommation de médicaments anorexigènes, à la perte d’autonomie ou tout simplement au fait que la personne vit dans la solitude avec des difficultés à mastiquer ou à faire les courses du fait de la pathologie rhumatismale, par exemple. Compenser les pertes énergétiques C’est dire la nécessité de corriger la dénutrition par l’augmentation et l’adaptation des apports alimentaires dès la première situation d’agression qui peut entraîner une fonte musculaire très rapide aboutissant à un état de dénutrition avec l’augmentation de risques de morbi-mortalité (la dénutrition augmente par cinq les risques d’infection nosocomiale et par 2 à 4 le risque de mortalité). Comme le rapporte le Dr P. Senesse (Montpellier), au moment du diagnostic, environ 20 % à 30 % des patients cancéreux présentent un état de dénutrition qui est un facteur indépendant d’un mauvais pronostic. En effet, dans ce cas, le traitement antitumoral est plus toxique, moins toléré et sera plus difficile à réaliser dans sa totalité. En outre, l’altération du statut nutritionnel est corrélée à la fréquence des complications postopératoires et à une augmentation de la durée d’hospitalisation. La mise en place d’une nutrition artificielle au cours des radiothérapies et chimiothérapies est le plus souvent indispensable pour les patients dénutris. Un facteur de vulnérabilité « En ce qui concerne la sarcopénie, perte progressive et involontaire de masse musculaire chez la personne âgée apparemment bien portante, elle apparaît comme un nouveau marqueur de vulnérabilité chez la personne âgée », estime le Pr X. Hebuterne (Nice). À l’instar de la masse grasse correspondant à notre réserve d’énergie, la masse musculaire est une réserve de protéines immédiatement mobilisable >> DOSSIER L a sarcopénie et la dénutrition ne sont pas inéluctables, c’est pourquoi il importe que les soignants soient vigilants à certains signes d’alerte comme l’absence d’appétit ou une impossibilité à se lever seul du fauteuil, qui doivent amener à envisager l’évaluation de l’état nutritionnel des sujets à risque. Évaluation des déficits L’évaluation gérontologique permet de recenser : • les modifications physiologiques liées à l’âge (détérioration des facultés olfacto-gustatives, ralentissement du transit, augmentation des besoins en calcium, diminution de la masse maigre) ; • la réduction des apports alimentaires (désintérêt pour la nourriture, isolement, dépression, détérioration intellectuelle, idées reçues sur l’alimentation, polymédication...) ; • les pathologies intercurrentes hypercataboliques. Tous ces facteurs favorisent les infections (déficit immunitaire), la perte d’autonomie et les chutes (par fatigue, amaigrissement, ostéoporose, etc.). >> Professions Santé Infirmier Infirmière N° 63 • mai 2005 26 DOSSIER >> DOSSIER >> Infos ... Ne pas manger moins Paradoxalement, certains régimes visant à réduire le taux de cholestérol présentent l’inconvénient de provoquer des carences en protéines. Ce n’est pas parce que l’on vieillit qu’il faut manger moins. En cas de maladie, il faut même augmenter la ration protéique et/ou lipidique. Et d’une manière générale, d’oublier tout régime restrictif sauf indication très précise. en cas d’agression. D’après une étude américaine NHANES III portant sur les sujets de plus 60 ans, 59 % des femmes et 45 % des hommes souffraient de sarcopénie modérée (10 % et 7 % de sarcopénie sévère). Les principales causes de sarcopénie sont l’apport en protéines insuffisant, la diminution de l’activité physique, des particularités métaboliques propres à la personne âgée (une moindre stimulation de la synthèse protéique par un repas) et l’inflammation chronique ou les affections successives. Les conséquences de la sarcopénie sont nombreuses, notamment la fréquence accrue des chutes et des fractures, l’augmentation de la sensibilité aux infections et le retard de la cicatrisation. Le dépistage systématique de la dénutrition s’impose pour que les sujets à risque puissent être pris en charge de façon précoce. Cette prise en charge reposera sur la proposition d’un enrichissement énergétique et protéique de l’alimentation et sur la prescription de compléments alimentaires (les boissons lactées présentées dans des bouteilles maniables, etc). Il s’agit de privilégier toujours la nutrition orale, qui contribue à la dimension relationnelle autour de l’alimentation. Rappelons à cet égard que l’alimentation quotidienne d’un senior doit comporter des aliments fournissant 1 800 à 2 100 Kcal, 1 gramme de protéines par kilo de poids, 1 200 mg du calcium et 1,5 litre d’eau. Selon l’ANAES, la dénutrition est définie par une perte de poids supérieure ou égale à 10 % en 6 mois par rapport à une valeur antérieure connue, soit à une perte de poids supérieure à 5 % en 1 mois, soit à un IMC inférieur ou égal à 17 kg/m2 et 20 kg/m2 au-dessus de 70 ans. Quant aux protéines reflétant l’état nutritionnel, pour une concentration de l’albumine inférieure à 36 g/l, on évoque une dénutrition modé- Professions Santé Infirmier Infirmière N° 63 • mai 2005 rée ; en dessous de 30 g/l, la situation est grave et pour la préalbumine, c’est 200 mg/l et 150 mg/l respectivement. Faire un bilan nutritionnel La présence d’une malnutrition — notamment de la plus grave d’entre elles, la malnutrition protéino-énergétique – aggrave donc considérablement le pronostic des personnes âgées, qu’elles soient en bonne santé ou déjà malades. La survenue de la malnutrition est favorisée par les troubles de l’appétit liés à l’âge et aux maladies. Une bonne alimentation, suffisante et savoureuse, permet de ralentir le vieillissement tant normal que lié à la maladie. Une alimentation insuffisante, voire déséquilibrée, raccourcit l’espérance de vie, surtout celle des sujets âgés. Il faut donc faire régulièrement le bilan nutritionnel de tout sujet âgé, quel que soit son état, en le pesant (toute perte de poids traduit une dénutrition en cours) et en évaluant son alimentation. Une alimentation insuffisante et/ou déséquilibrée, surtout s’il existe une perte de poids débutante (1 à 2 kg), nécessite la mise en place rapide de mesures alimentaires propres à rétablir une alimentation adéquate. Cela ne peut être fait que s’il existe un dépistage régulier. Dans ce cas, il faut d’abord essayer de modifier l’alimentation des sujets, en apportant une alimentation plus conforme aux goûts de la personne concernée, en modifiant la présentation et le cadre pour permettre une stimulation de l’appétit, et en limitant au minimum la prise médicamenteuse, qui aura lieu de préférence après le repas pour ne pas modifier le goût des aliments. Si de telles mesures sont impuissantes à relancer un appétit correct, il faut rapidement s’aider des produits de complémentation orale. Ceux-ci sont fort nombreux et on privilégiera leur prise en fin de repas, voire à distance de ceux-ci. Il ne faut pas hésiter à en donner plusieurs si nécessaire et à les changer régulièrement car une certaine lassitude s’installe. Ils seront donnés aussi longtemps qu’il le faut, c’est-à-dire jusqu’au retour d’une alimentation suffisante et/ou d’une reprise de poids. Si la prise de compléments n’entraîne pas une augmentation de l’appétit, si la perte de poids continue, il faut alors faire appel aux gériatres compétents en nutrition, car souvent le recours à l’alimentation entérale se révèle nécessaire. Laisser une personne âgée avec une alimentation insuffisante, même pour une période de un mois, c’est contribuer à diminuer son espérance de vie. LC Dénutrition et infections nosocomiales Six cent mille personnes hospitalisées sont victimes d’une infection nosocomiale. Les études montrent que 30 à 50 % des patients hospitalisés ou vivant en institution sont concernés. Une étude prospective réalisée au CHU de Nice, parue dans le British Journal of Nutrition montre l’incidence de la dénutrition sur les infections nosocomiales. Mille six cent trentesept patients ont été étudiés. La prévalence des infections nosocomiales est de 8,7 % et de 68 % pour la dénutrition. Une infection nosocomiale est apparue chez : – 4,4 % des patients ne souffrant pas de dénutrition ; – 7,6 % des patients souffrant d’une dénutrition modérée ; – 14,6 % des patients sévèrement malnutris. Les liens entre nutrition, immunité, infection et inflammation sont complexes. Il est cependant établi que la dénutrition protéino-énergétique altère le système immunitaire, favorisant l’émergence d’infections.