Professions Santé Infirmier Infirmière N° 63 • mai 2005
La sarcopénie et la dénutri-
tion ne sont pas inéluc-
tables, c’est pourquoi il
importe que les soignants soient
vigilants à certains signes d’alerte
comme l’absence d’appétit ou
une impossibilité à se lever seul
du fauteuil, qui doivent amener à
envisager l’évaluation de l’état
nutritionnel des sujets à risque.
Un dépistage insuffisant
Le vieillissement de la population
et le dépistage insuffisant de l’état
nutritionnel des seniors apparais-
sent comme des facteurs essen-
tiels favorisant l’augmentation du
nombre des patients dénutris
même à notre époque. Chez les
personnes âgées, la dénutrition est
variable en fonction du lieu de vie :
à 80 ans et au-delà, 3 % à 10 %
quand ils vivent à domicile, 19 % à
60 % en institution et 50 % à l’hô-
pital en court séjour. Autres chiffres
alarmants : la dénutrition est
constatée chez 50 % des sujets
déments, chez 63 % à 80 % des
patients cancéreux, chez 8 % à
34 % des patients atteints d’AVC,
chez 8 % à 38 % des sujets souf-
frant de mucoviscidose. En fait, la
plupart des pathologies aiguës et
chroniques ont des conséquences
métaboliques responsables d’un
retentissement nutritionnel d’au-
tant plus important qu’elles sont
récurrentes et associées entre
elles. Les mécanismes qui sont à
l’origine d’un déséquilibre entre les
apports alimentaires et les besoins
protéino-énergétiques de l’orga-
nisme sont les suivants : le défaut
d’apports et l’augmentation des
besoins, c’est-à-dire l’installation
d’une situation d’hypermétabo-
lisme dans un contexte patholo-
gique. Il ne faut pas perdre à l’es-
prit non plus que les étiologies de
l’anorexie de la personne âgée
s’exprimant par la perte d’envie et
du plaisir de manger sont multiples
et souvent imbriquées. Outre les
maladies ou l’hospitalisation, la
sous-alimentation peut être liée à
une diminution des ressources, à
un état dépressif, à une consom-
mation de médicaments anorexi-
gènes, à la perte d’autonomie ou
tout simplement au fait que la per-
sonne vit dans la solitude avec des
difficultés à mastiquer ou à faire
les courses du fait de la pathologie
rhumatismale, par exemple.
Compenser les pertes
énergétiques
C’est dire la nécessité de corriger la
dénutrition par l’augmentation et
l’adaptation des apports alimen-
taires dès la première situation
d’agression qui peut entraîner une
fonte musculaire très rapide abou-
tissant à un état de dénutrition
avec l’augmentation de risques de
morbi-mortalité (la dénutrition
augmente par cinq les risques d’in-
fection nosocomiale et par 2 à 4 le
risque de mortalité).
Comme le rapporte le Dr P. Se-
nesse (Montpellier), au moment
du diagnostic, environ 20 % à
30 % des patients cancéreux pré-
sentent un état de dénutrition qui
est un facteur indépendant d’un
mauvais pronostic. En effet, dans
ce cas, le traitement antitumoral
est plus toxique, moins toléré et
sera plus difficile à réaliser dans
sa totalité. En outre, l’altération du
statut nutritionnel est corrélée à la
fréquence des complications
postopératoires et à une augmen-
tation de la durée d’hospitalisa-
tion. La mise en place d’une nutri-
tion artificielle au cours des
radiothérapies et chimiothérapies
est le plus souvent indispensable
pour les patients dénutris.
Un facteur de vulnérabilité
« En ce qui concerne la sarcopénie,
perte progressive et involontaire de
masse musculaire chez la personne
âgée apparemment bien portante,
elle apparaît comme un nouveau
marqueur de vulnérabilité chez la
personne âgée »,
estime le Pr X. He-
buterne (Nice). À l’instar de la
masse grasse correspondant à
notre réserve d’énergie, la masse
musculaire est une réserve de pro-
téines immédiatement mobilisable
>>
>> DOSSIER
Au XXI
e
siècle et malgré l’abondance et la diversification alimentaire dans notre pays,
la dénutrition protéino-énergétique touche certaines catégories de la population
vieillissante. Le nombre de ces patients âgés est estimé entre 350 000 et 500 000
pour les personnes vivant à domicile et entre 100 000 et 200 000 pour celles vivant
en institution gériatrique.
Dénutrition de la personne âgée
Un phénomène évitable
NUTRITION 25
Évaluation des déficits
L’évaluation gérontologique per-
met de recenser :
les modifications physiolo-
giques liées à l’âge (détériora-
tion des facultés olfacto-gusta-
tives, ralentissement du transit,
augmentation des besoins en
calcium, diminution de la masse
maigre) ;
la réduction des apports ali-
mentaires (désintérêt pour la
nourriture, isolement, dépres-
sion, détérioration intellectuelle,
idées reçues sur l’alimentation,
polymédication...) ;
les pathologies intercurrentes
hypercataboliques.
Tous ces facteurs favorisent les
infections (déficit immunitaire),
la perte d’autonomie et les
chutes (par fatigue, amaigrisse-
ment, ostéoporose, etc.).
en cas d’agression. D’après une
étude américaine NHANES III por-
tant sur les sujets de plus 60 ans,
59 % des femmes et 45 % des
hommes souffraient de sarcopénie
modérée (10 % et 7 % de sarco-
pénie sévère). Les principales
causes de sarcopénie sont l’apport
en protéines insuffisant, la diminu-
tion de l’activité physique, des par-
ticularités métaboliques propres à
la personne âgée (une moindre
stimulation de la synthèse pro-
téique par un repas) et l’inflamma-
tion chronique ou les affections
successives. Les conséquences de
la sarcopénie sont nombreuses,
notamment la fréquence accrue
des chutes et des fractures, l’aug-
mentation de la sensibilité aux
infections et le retard de la cicatri-
sation.
Le dépistage systématique de la
dénutrition s’impose pour que
les sujets à risque puissent être
pris en charge de façon précoce.
Cette prise en charge reposera
sur la proposition d’un enrichis-
sement énergétique et pro-
téique de l’alimentation et sur la
prescription de compléments
alimentaires (les boissons lac-
tées présentées dans des bou-
teilles maniables, etc). Il s’agit
de privilégier toujours la nutri-
tion orale, qui contribue à la
dimension relationnelle autour
de l’alimentation. Rappelons à
cet égard que l’alimentation
quotidienne d’un senior doit
comporter des aliments fournis-
sant 1 800 à 2 100 Kcal,
1 gramme de protéines par kilo
de poids, 1 200 mg du calcium
et 1,5 litre d’eau.
Selon l’ANAES, la dénutrition est
définie par une perte de poids
supérieure ou égale à 10 % en
6 mois par rapport à une valeur
antérieure connue, soit à une
perte de poids supérieure à 5 %
en 1 mois, soit à un IMC inférieur
ou égal à 17 kg/m2et 20 kg/m2
au-dessus de 70 ans. Quant aux
protéines reflétant l’état nutrition-
nel, pour une concentration de
l’albumine inférieure à 36 g/l, on
évoque une dénutrition modé-
rée ; en dessous de 30 g/l, la
situation est grave et pour la pré-
albumine, c’est 200 mg/l et
150 mg/l respectivement.
Faire un bilan nutritionnel
La présence d’une malnutrition
— notamment de la plus grave
d’entre elles, la malnutrition pro-
téino-énergétique – aggrave
donc considérablement le pro-
nostic des personnes âgées,
qu’elles soient en bonne santé
ou déjà malades. La survenue
de la malnutrition est favorisée
par les troubles de l’appétit liés à
l’âge et aux maladies. Une
bonne alimentation, suffisante
et savoureuse, permet de ralen-
tir le vieillissement tant normal
que lié à la maladie. Une ali-
mentation insuffisante, voire
déséquilibrée, raccourcit l’espé-
rance de vie, surtout celle des
sujets âgés.
Il faut donc faire régulièrement le
bilan nutritionnel de tout sujet
âgé, quel que soit son état, en le
pesant (toute perte de poids tra-
duit une dénutrition en cours) et
en évaluant son alimentation.
Une alimentation insuffisante
et/ou déséquilibrée, surtout s’il
existe une perte de poids débu-
tante (1 à 2 kg), nécessite la mise
en place rapide de mesures ali-
mentaires propres à rétablir une
alimentation adéquate. Cela ne
peut être fait que s’il existe un
dépistage régulier. Dans ce cas, il
faut d’abord essayer de modifier
l’alimentation des sujets, en
apportant une alimentation plus
conforme aux goûts de la per-
sonne concernée, en modifiant la
présentation et le cadre pour per-
mettre une stimulation de l’appé-
tit, et en limitant au minimum la
prise médicamenteuse, qui aura
lieu de préférence après le repas
pour ne pas modifier le goût des
aliments.
Si de telles mesures sont impuis-
santes à relancer un appétit cor-
rect, il faut rapidement s’aider des
produits de complémentation
orale. Ceux-ci sont fort nombreux
et on privilégiera leur prise en fin
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 63 • mai 2005
de repas, voire à distance de
ceux-ci. Il ne faut pas hésiter à en
donner plusieurs si nécessaire et
à les changer régulièrement car
une certaine lassitude s’installe.
Ils seront donnés aussi longtemps
qu’il le faut, c’est-à-dire jusqu’au
retour d’une alimentation suffi-
sante et/ou d’une reprise de
poids. Si la prise de compléments
n’entraîne pas une augmentation
de l’appétit, si la perte de poids
continue, il faut alors faire appel
aux gériatres compétents en nutri-
tion, car souvent le recours à l’ali-
mentation entérale se révèle
nécessaire. Laisser une personne
âgée avec une alimentation insuf-
fisante, même pour une période
de un mois, c’est contribuer à
diminuer son espérance de vie.
LC
Infos ...
Ne pas manger
moins
Paradoxalement,
certains régimes
visant à réduire
le taux de
cholestérol
présentent
l’inconvénient
de provoquer des
carences en
protéines.
Ce n’est pas parce
que l’on vieillit
qu’il faut manger
moins. En cas de
maladie,
il faut même
augmenter
la ration protéique
et/ou lipidique.
Et d’une manière
générale, d’oublier
tout régime
restrictif sauf
indication
très précise.
DOSSIER
26
>>
>> DOSSIER
Dénutrition et infections
nosocomiales
Six cent mille personnes hospi-
talisées sont victimes d’une
infection nosocomiale. Les
études montrent que 30 à 50 %
des patients hospitalisés ou
vivant en institution sont
concernés.
Une étude prospective réalisée
au CHU de Nice, parue dans le
British Journal of Nutrition
montre l’incidence de la dénutri-
tion sur les infections noso-
comiales. Mille six cent trente-
sept patients ont été étudiés. La
prévalence des infections noso-
comiales est de 8,7 % et de 68 %
pour la dénutrition.
Une infection nosocomiale est
apparue chez :
– 4,4 % des patients ne souf-
frant pas de dénutrition ;
– 7,6 % des patients souffrant
d’une dénutrition modérée ;
– 14,6 % des patients sévère-
ment malnutris.
Les liens entre nutrition, immu-
nité, infection et inflammation
sont complexes. Il est cepen-
dant établi que la dénutrition
protéino-énergétique altère le
système immunitaire, favori-
sant l’émergence d’infections.
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