Lire l'article complet

publicité
CPMars 2002 OK
18/04/02
17:06
Page 33
S c i e n ce
e t
con s c i e n ce
Les situations d’impasse et la pathologie organique
● J. Gorot*
omment apporter de l'aide à un
patient dont la pathologie relève à
la fois de la médecine et de la psychologie sans traiter séparément la part
médicale et la part psychologique ?
En posant comme principe que le somatique est relationnel au même titre que
le psychique est relationnel.
La relation, dans la mesure où elle
concerne le corps et l'esprit de l'homme,
existe avant la naissance, à la naissance,
comme si la relation préexistait aux termes
mêmes qui devraient être reliés.
En faisant partir l'évolution depuis le
niveau intra-utérin, se définissent ainsi
quatre dimensions, que nous ne pouvons
qu'esquisser dans le cadre de cette communication.
– La première dimension concerne la question du rythme biologique, fondée sur les
horloges internes, lié tant à la température
qu'à l’alternance du sommeil lent et du
sommeil paradoxal, et donnant forme à
l’organisation temporelle sujette, parfois,
à une adaptation extrême, qui s’effectue au
détriment de la subjectivité.
– La deuxième dimension inséparable de
la première est fournie par l’espace. Avoir
un corps est l’équivalent d’avoir un espace.
C’est le corps en effet, qui structure :
● l’espace selon ses dimensions particulières : haut bas, devant dehors, proche
lointain, et, surtout, la latéralité droite ou
gauche, au moment de l’instauration de
l’écriture, qui s’établit par rapport à l’autre.
● l’espace de la représentation par la projection de l’espace corporel (1)
– La troisième dimension qui intervient
dans la relation est fondée sur le rêve qui
C
* Service d’hépato-gastroentérologie,
hôpital Lariboisière, responsable du DIU
de médecine psychosomatique, hôpital Bichat.
Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 1 - mars 2002
ne se limite pas aux phases de sommeil
paradoxal et qui s’inscrit de façon différente et continue dans les autres phases du
sommeil, délimitant ainsi une véritable
conscience onirique, fondée sur la projection, créant, en dehors du sujet, une réalité
qui est le sujet et à laquelle il adhère
comme à la réalité vigile.
– La quatrième dimension de la relation est
celle de l’affect que l’on ne peut dissocier
de la représentation. L’affect et la représentation sont l’avers et l’envers d’un
même phénomène originel, la relation à
l’autre qui passe par la langue maternelle,
le corps propre et la projection (2).
Comment définir le phénomène psychosomatique dans sa complexité ?
Il ne peut l’être que par la relation qui
s’établit entre le fonctionnement et la situation relationnelle, deux termes complémentaires qui n’existent que l’un par rapport à l’autre, suivant une causalité
circulaire.
Comment déterminer le fonctionnement
psychique ?
En le situant par rapport à l’activité onirique et au souvenir du rêve en tant
qu’événement vécu dont l’existence dans la
conscience vigile est fonction d’une
mémoire qui retient ou qui efface. Par le
refoulement de l’imaginaire, l’élimination de
l’activité onirique écarte des traumatismes
non dépassés, les deuils laissés en suspens,
les conflits infantiles encore virulents. Effacement qui peut être si complet que seul un
refoulement caractériel, en accord avec un
processus adaptatif socioculturel, paraît en
mesure d’en rendre compte.
Entre ces deux formes extrêmes, il existe
deux autres formes évoluant dans le temps,
passant de la présence à l’absence, par une
adaptation au réel, ou de l’absence à la présence, par une intégration de l’imaginaire.
Soulignons le fait qu’aucune forme de
fonctionnement psychique, ouverte ou fer-
33
mée à l’activité onirique, l’intégrant de
manière régulière ou aléatoire, ne se trouve
nécessairement en rapport avec une pathologie organique.
Ce rapport il faut le rechercher au
niveau de la situation relationnelle
Cette situation peut-être conflictuelle,
comportant en principe deux issues possibles, mais pouvant aboutir à une impasse,
toujours d’origine infantile, telle qu’elle se
rencontre dans le conflit hystérique.
Dans les autres formes d’impasse, qui trouvent également leur point de départ dans
l’enfance du sujet, l’impossibilité semble
relever de la structure logique de la situation :
– soit qu’elle implique un cercle vicieux
comme il s’en trouve chez les malades
atteints de troubles fonctionnels intestinaux (3) ou de troubles coronariens,
– soit qu’elle mette en œuvre une alternative absolue, telle celle qui surgit lors de la
rupture d’une illusion de l’identité de soi
et de l’autre permettant à la différence de
faire irruption. C’est elle qui se retrouve
dans les maladies inflammatoires chroniques intestinales, la recto-colite ulcerohémorragique et la maladie de Crohn.(4)
– soit celle qui est fondée sur la contradiction telle qu’elle se retrouve dans les
situations de stress par l’impossibilité tant
de la fuite que du combat.
Que la maladie organique puisse faire
apparition au sein d’une impasse ne signifie pas, là non plus, qu’il existe une causalité linéaire, mais bien également une
causalité circulaire. Tout se passe comme
si une même difficulté, la difficulté d’être,
avait été projetée au double plan biologique et relationnel. Ainsi, s’instaure une
corrélation entre la pathologie, le mode de
fonctionnement et la situation d’impasse,
semblant déterminer une corrélation négative entre fonctionnement projectif et
pathologie organique.
CPMars 2002 OK
18/04/02
17:06
Page 34
S c i e n ce
Comment, à partir de là, définir la thérapeutique ?
Si la thérapeutique est en première intention essentiellement médicamenteuse,
dans le cas des affections du tube digestif,
la réussite du dialogue, dans le contexte
des relations médecin malade (5), permettra la découverte de l’existence de l’impasse relationnelle du patient, à savoir dans
quel type d’enfermement il se trouve.
L’indication thérapeutique, à visée psychothérapique (6), sera exceptionnellement, voire jamais, celle d’une cure psychanalytique car la pathologie organique
n’en constitue pas une indication.
Chaque fois qu’il est possible, il est plus
bénéfique de mettre en œuvre une psychothérapie axée sur la reprise du fonctionnement imaginaire. Qu’elle soit pure-
e t
con s c i e n ce
ment verbale ou étroitement associée à une
cure de relaxation, la perspective proposée
va consister à transformer les termes de
l’impasse. En devenant objet de réflexion,
elle sera, pour la première fois, devant le
sujet et non autour de lui, l’englobant
entièrement et absorbant ses forces vives.
Toute la finesse de l’art du thérapeute, une
fois établi le diagnostic exact, visera surtout à libérer l’imaginaire dans toute
l’étendue de ses manifestations. Contrairement aux psychothérapies habituelles, il
faut, ici, proposer aux patients un véritable
travail pédagogique, une propédeutique à
l’intérêt pour la vie imaginaire.
Dans ce travail psychothérapeutique, l’accent se trouve mis sur la relation qui va se
nouer entre le thérapeute et le patient, pour
une mise en route de l’imaginaire, qui est
le rêve et l’affect, seuls aptes à métamorphoser les termes d’impasse. La pathologie organique ne peut qu’en bénéficier.
R
É F É R E N C E S
1.
Sami-Ali M. L’espace imaginaire. Paris:
Gallimard, 1974.
2. Sami-Ali M. Le rêve et l’affect. Une théorie du
somatique. Paris: Dunod, 1997.
3. Gorot J. Les troubles fonctionnels intestinaux, une
pathologie de l’adaptation. AIM n°62 : 2000; 50-5.
4. Gorot J. La recto-colite hémorragique et la maladie de Crohn : un trouble de l’identité de soi.
Psychiatries 124-125 : 1998 ; 33-41.
5. Gorot J. Relations médecin-malade en pathologie
digestive. Encycl Méd Chir Gastro-Entérologie
9-090-A-10, 2001, 8 pages.
6. Derzelle M, Gorot J. L’investigation psychosomatique en gastroentérologie. Technique et intérêt. In :
Mignon M. Gastro-entérologie. Paris : Ellipses, 1992.
Les articles publiés dans “Le Courrier de colo-proctologie” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays.
© novembre 2000 - DaTeBe Éditions
Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois - Dépôt légal : premier trimestre 2002
Illustration de la couverture : Anne de Colbert Christophorov - Masque noir (détail), 1996
34
Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 1 - mars 2002
Téléchargement