Éditorial Éditorial Faut-il traiter l’hypercholestérolémie après 70 ans Eric Bruckert, Philippe Giral* * Unités de prévention des maladies cardiovasculaires, service d’endocrinologie-métabolisme, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris. Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 3, mars 2000 D eux grands principes opposés s’affrontent quant à la stratégie thérapeutique à adopter chez les sujets âgés. Le premier est de ne pas dépister et de ne traiter les hypercholestérolémies du sujet âgé que lorsqu’il s’agit d’une prévention secondaire ou de sujets avec un risque vasculaire très important contrastant avec un âge physiologique inférieur à 70 ans ! Le deuxième se base sur les arguments encourageants apportés par les analyses en sousgroupes des études faites avec les statines et sur le bénéfice potentiellement majeur du traitement dans cette population à haut risque vasculaire. Ces deux attitudes expliquent la grande diversité des recommandations nationales ou internationales qui suggère de ne pas traiter par défaut ou de traiter par excès. En France, il a été proposé de traiter en prévention secondaire, de ne pas initier de traitement en prévention primaire après 70 ans et en revanche de ne pas interrompre un traitement bien toléré efficace mis en route auparavant. L’absence de position consensuelle dans la prise en charge des hyperlipémies chez les sujets âgés vient de l’absence d’étude menée spécifiquement dans cette population. Le problème est pourtant d’importance car la majorité des coronaropathies ischémiques surviennent après 70 ans et la fréquence des facteurs de risque, en particulier de l’hypercholestérolémie est plus grande à cet âge. L’augmentation des facteurs de risque (cholestérol et pression artérielle) était autrefois considérée comme un simple marqueur du vieillissement et les valeurs dites normales augmentaient avec l’âge. Ce concept a progressivement évolué avec la mise en évidence pour l’hypertension non seulement du rôle délétère de cette augmentation mais aussi du bénéfice du traitement. De plus la population des pays industrialisés vieillit si bien que, malgré les progrès médicaux tant dans le domaine de la prévention primaire que celui du traitement de l’accident, la pathologie coronaire reste stable, même si le pic de survenue est retardé et le pronostic moins bon. Par ailleurs, au fur et à mesure du vieillissement, il existe une modification du profil des pathologies cardiovasculaires avec une augmentation importante des accidents vasculaires cérébraux. L’objectif de la mise en route (ou de la poursuite) d’un traitement hypocholestérolémiant après 70 ans est avant tout d’augmenter le nombre d’années de vie. Mais cette augmentation de la durée de vie ne se conçoit qu’en bonne santé ; or la définition de la bonne santé est complexe et comprend non seulement l’absence de maladie et de handicap mais aussi une certaine autonomie dans la vie quotidienne. De ce fait, la mise en route du traitement hypocholestérolémiant peut répondre à deux grandes catégories : – les sujets indemnes de maladie cardiovasculaire, ce traitement s’intègre dans une prise en charge global des facteurs de risque classiques (hypertension artérielle, hypercholestérolémie, diabète) ; – les sujets en prévention de récidive (ou de survenue d’un accident dans un autre territoire). Actuellement, seul le premier point est discuté pour la mise en route d’un traitement hypocholestérolémiant, tout en sachant que l’arrêt du tabac et plus récemment le traitement de l’hypertension ont montré leur rentabilité dans des populations agées. Pour le cholestérol, les données sont contradictoires avec certaines études positives et d’autres négatives. L’épidémiologie seule, sans étude d’intervention, aura du mal à résoudre définitivement la question. Dans le “Honolulu Heart Program” par exemple, la cholestérolémie reste un facteur de risque après 65 ans. À l’inverse d’autres études, comme celle réalisée en France chez des femmes dont l’âge moyen est de 82,2 ans et suivies pendant cinq ans, montrent que le cholestérol haut est plutôt un facteur protecteur. Cette 347 Éditorial Éditorial Faut-il traiter l’hypercholestérolémie après 70 ans Eric Bruckert, Philippe Giral* Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 3, mars 2000 étude retrouve une courbe en U classique pour la mortalité mais le minimum se situe à un niveau de 7 mmol (2,70 g/l). En général la baisse des paramètres lipidiques est identique chez les sujets âgés comparés aux plus jeunes. Dans l’étude de prévention secondaire des infarctus, CARE, la baisse du cholestérol et des triglycérides sont respectivement de 20 % et 12 % après 65 ans et 19 % et 14 % avant. Pour le LDL et le HDL les modifications sont respectivement de - 29 % et + 4 % après 65 ans et de - 27 % et + 5 % avant. La plupart des études thérapeutiques réalisées en prévention primaire ou secondaire ont été réalisées chez des hommes d’âge moyen. Dans ces études la baisse du LDL-cholestérol s’accompagne d’une façon constante d’une baisse des événements coronariens. L’impact du traitement passe probablement par une régression ou une moindre progression de la plaque d’athérome. Ces plaques “cicatricielles” plus fibreuses chez le sujet âgé pourraient être moins sensibles aux traitements. Par ailleurs, cette population peut être plus sensible aux effets secondaires des médicaments. Peu d’études thérapeutiques ont analysé les effets et la tolérance des médicaments spécifiquement chez le sujet âgé mais il ne semble pas y avoir de différence de tolérance majeure entre les plus jeunes et les plus âgés. Dans l’ensemble, les études d’intervention avec les statines montrent un bénéfice du traitement quel que soit l’âge. Ainsi dans les études CARE, LIPID ou 4S réalisées en prévention secondaire chez des sujets hypercholestérolémiques ou non, le bénéfice du traitement hypocholestérolémiant reste significatif après 65 ans. Plusieurs études sont en cours afin d’apprécier plus spécifiquement l’effet d’un traitement hypocholestérolémiant chez les sujets de plus de 70 ans en prévention primaire. D’ici là, la mise en route d’un traitement hypocholestérolémiant chez des sujets de plus de 70 ans doit reposer non seulement sur des critères de risque, mais comme les équations de risque coronaire sont peu précise après 70 ans (vu l’importance prépondérante de l’âge dans ces équations), sur l’espérance de vie des patients et la hiérarchisation des interventions médicamenteuses en raison des risques de iatrogénie majorée à cet âge. Il est très probable que le traitement hypocholestérolémiant peut rendre service au-delà de 70 ans, mais la population bénéficiaire n’étant pas ciblée et les caisses n’étant pas inépuisables, la sagesse impose des choix justifiés. 348