Cancéro et société - 1 23/04/04 C C A N 11:04 É R Page 26 O L O G I E E T S O C I É T É Cette nouvelle rubrique a pour objectif d’aborder le cancer sous un angle différent de celui généralement traité au sein de La Lettre du Cancérologue. Sa réalisation a été possible grâce au soutien des laboratoires Rhône-Poulenc Rorer et à leur engagement dans une approche globale de la maladie, au service du patient. Loin des données épidémiologiques, cliniques ou thérapeutiques, Cancérologie et Société veut apporter un nouveau regard sur le cancer en s’intéressant plus particulièrement à son aspect psycho-social et au vécu du patient. Cinq types de cancer feront l’objet du thème central : le cancer du sein, le cancer du poumon, le cancer de la prostate, le cancer du côlon, ainsi que les cancers hématologiques, et plus particulièrement les leucémies de l’enfant. Pour chacun d’entre eux, la parole sera donnée à des cancérologues et au président d’une association de patients. Ces deux points de vue, ces deux expériences, loin de s’opposer, auront l’avantage de se compléter, le vécu du patient avec sa maladie n’étant pas forcément perçu de la même façon des deux côtés. Cette initiative est le reflet de la préoccupation d’ouverture des Lettres à tous les acteurs et partenaires de la santé. Pour inaugurer cette nouvelle rubrique dont le thème est le cancer du sein, nous avons donné la parole à deux médecins cancérologues et à la présidente de l’association Vivre Comme Avant. CANCER DU SEIN : QUEL VÉCU EN PRATIQUE ? LE POINT DE V U E D U CANCÉROLOGUE Un entretien avec le Dr K. Clough (chef de service, chirurgie générale et sénologique, Institut Curie) et le Dr V. Diéras (oncologie médicale, Institut Curie) Lors de la première consultation, nous recevons deux types de patientes. Les unes viennent parce qu’elles ont découvert un nodule palpable dans le sein ou ont une image radiographique qui les a inquiétées. Les autres, et c’est le cas le plus fréquent, sont adressées par leur médecin qui a constaté une anomalie. À ce moment où l’anxiété est majeure, la consultation constitue un moment clé dans l’instauration de la relation médecinmalade. Notre attitude doit donc s’adapter à la psychologie de la patiente et à son histoire visà-vis de sa maladie. L’annonce du cancer : une relation de confiance établie sur la vérité Dès que nous en avons la certitude, nous annonçons le diagnostic et, s’il s’agit d’un cancer de bon pronostic, nous le disons d’emblée afin de dédramatiser le suivi à long terme. Quel que soit le stade évolutif, il est indispensable d’expliquer très clairement toute la phase thérapeutique et le rôle des différents intervenants, le traitement étant personnalisé en fonction du type de tumeur et de l’âge de la patiente. Le vécu psychologique n’est pas proportionnel à la gravité du cancer Il faut savoir que le retentissement psychologique n’est en rien proportionnel à la gravité 26 du cancer et que tous les cas de figures sont envisageables. Alors que l’annonce d’un cancer de très bon pronostic peut être à l’origine d’une angoisse constante, d’autres femmes présentant un cancer de très mauvais pronostic vont, en revanche, être moins angoissées. Néanmoins, et dans tous les cas, la découverte du cancer fait entrer la femme dans un tunnel qui va modifier ses rapports avec l’extérieur, qu’il s’agisse de sa famille, de son conjoint, de ses amis ou de son environnement professionnel. Le vécu devient alors fonction de l’effet « tunnel » du cancer. Les craintes les plus souvent évoquées concernent le pronostic vital et la lourdeur du traitement, la chimiothérapie et la mammectomie générant le plus d’angoisse. Il semble que chez les femmes qui conservent une activité professionnelle, les désagréments générés par les traitements soient mieux supportés. Ceci laisse penser que tout doit être fait pour limiter les conséquences au niveau professionnel. Privilégier le traitement conservateur À l’Institut Curie, 70 % des patientes qui consultent pour un cancer du sein auront un traitement conservateur. Ce taux élevé s’explique d’une part par une prise en charge à un stade précoce de la maladie (20 % des femmes que nous traitons n’ont pas de tumeur palpable), et d’autre part, dans les cas de tumeurs volumineuses, par notre attitude qui consiste à privilégier, chaque fois que cela est dénué de risque, les traitements conservateurs. Lorsqu’une mammectomie doit cependant être envisagée, une chirurgie réparatrice est proposée dans le même temps, chaque fois que cela est possible d’un point de vue can- cérologique. Il faut savoir que dans un tiers des cas les patientes la refusent. Si la reconstruction peut gêner la suite des traitements ou imposer une chirurgie trop lourde d’emblée, elle sera différée de quelques mois après la fin de la phase thérapeutique (soit un an à un an et demi après la mammectomie). La reconstruction a fait de nombreux progrès, elle est de mieux en mieux maîtrisée. Les progrès techniques font qu’elle ne se limite plus à la pose d’une prothèse qui apporte une solution morphologique mais peut permettre une réelle intégration corporelle grâce à la reconstruction à partir d’un transfert de tissu qui, en général, est beaucoup mieux accepté. Cette palette technique permet, d’un point de vue cancérologique, de s’adapter au traitement et de proposer des solutions répondant à la psychologie des patientes. La prise en charge chirurgicale n’est donc plus synonyme de mutilation. À son aspect cancérologique, s’ajoute de plus en plus un aspect fonctionnel qui représente un progrès important. Le vécu face à la chimiothérapie Au stade de la chimiothérapie initiale, les patientes connaissent le plus souvent leur diagnostic puisqu’elles sont en général vues en seconde ligne. Nous leur expliquons les raisons qui la motivent, les effets secondaires possibles ainsi que les moyens pour les prévenir. Avant de commencer la chimiothérapie, les patientes ont un entretien avec les infirmières du service qui leur expliquent à nouveau et de manière plus pratique les effets secondaires et les moyens de les gérer. Si, par exemple, le traitement entraîne une alopécie, elles sont tout de suite dirigées vers le service social qui leur apporte les informations La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 1 - janvier-février 1998 Cancéro et société - 1 23/04/04 11:04 Page 27 nécessaires pour se procurer une perruque. À ce moment, la première question des patientes se rapporte au retentissement sur la vie courante, notamment vis-à-vis de l’activité professionnelle. Elles veulent savoir si le traitement impose une hospitalisation ou s’il peut se dérouler en ambulatoire, et veulent connaître les conséquences sur leur vie professionnelle. Si certaines décident tout de suite de mettre leur activité professionnelle entre parenthèses, d’autres, au contraire, veulent éviter toute répercussion sur leur travail. Au stade de la chimiothérapie, il ressort que le vécu de la maladie et la tolérance au traitement sont meilleurs chez les femmes qui conservent une activité professionnelle. Un encadrement psychologique Nous nous attachons à réduire les conséquences de la maladie grâce à une prise en charge psychologique de la patiente et de son entourage. C’est dans cet esprit que nous avons créé, à l’Institut Curie, une unité de psycho-oncologie sous l’égide d’un psychiatre et de psychologues. En associant écoute, disponibilité et professionnalisme, un travail sur les conséquences de l’annonce du cancer est entrepris à la demande de la patiente ou du médecin. Un suivi peut alors être instauré dans le but d’aider la patiente à mieux vivre sa maladie. Propos recueillis par le Docteur Chantal Despierre L E POINT DE VUE D ’ UN MOUVEMENT D ’ AIDE A U X PATIENTES Interview de Mme D. Escudier, présidente de l’association Vivre Comme Avant Afin d’aborder d’une manière aussi complète que possible le vécu des femmes porteuses d’un cancer du sein, nous avons choisi de compléter l’approche du médecin spécialiste par celle d’une association, ou plus exactement d’un mouvement aidant les femmes atteintes d’un cancer du sein. Vivre Comme Avant , association régie selon la loi de 1901, est un mouvement d’aide et de soutien auprès des femmes porteuses d’un cancer du sein et pour lesquelles un sentiment d’incommunicabilité se crée avec ceux qui n’ont pas vécu la même expérience. Ce mouvement est né sous l’impulsion d’une femme ayant elle-même subi l’abla- avec le soutien de : tion d’un sein en 1974 et qui aurait souhaité, à cette époque où le mot “cancer” était tabou, parler avec une autre femme ayant survécu à sa maladie. Car la première question que se posent la plupart des femmes confrontées à cette maladie est de savoir si elles survivront. Le fait d’avoir devant soi la preuve qu’une vie normale peut être retrouvée n’est-il pas la meilleure façon de répondre à cette question et de redonner l’espoir ? L’aide apportée consiste avant tout à écouter les patientes qui en ont émis le désir et à donner un témoignage de vie, et donc d’espoir. En effet, toutes les bénévoles qui animent ce mouvement ont la particularité d’être « passées par là » et d’avoir pu surmonter le passage difficile que représente la chimiothérapie avec son cortège d’effets indésirables, les protocoles de radiothérapie, la tumorectomie ou la mastectomie. Il s’agit donc d’apporter aux nouvelles opérées une aide morale qui leur permette de retrouver, voire de développer leurs ressources, et de reprendre confiance en la vie. Cette aide doit toujours s’adapter à la demande, quel que soit le type de traitement, et se diriger dans la voie que s’est choisie la patiente. Face au cancer : savoir écouter et donner l’espoir L’espoir, ces femmes le portent en elles, grâce à leur expérience personnelle qui n’est toutefois jamais rapportée lors des entretiens avec les malades. En effet, pour être bénévole, il faut avoir acquis un certain recul vis-à-vis de sa propre maladie afin de pouvoir faire s’exprimer et écouter le désarroi de l’autre puis témoigner qu’une vie normale est encore possible après, sans pour autant se citer en exemple. Après une période de formation, les volontaires qui sont au nombre d’une centaine, réparties sur toute la France, font des visites à l’hôpital, dans les cliniques ou les services anticancéreux et, avec l’accord de l’équipe soignante, établissent le contact, toujours individuel, avec les opérées du sein qui en auront exprimé le désir. Ce contact se situe en général le lendemain de l’intervention. Elles répondent aussi aux appels téléphoniques et au courrier. Cette aide doit rester ponctuelle et ne pas engendrer de rapport d’amitié. Afin de respecter la liberté de l’opérée, la volontaire ne prend jamais ses coordonnées ; en revanche la femme rencontrée peut l’appeler quand elle le souhaite. L’autre particularité de ce mouvement est de ne pas regrouper d’anciennes malades afin de ne pas générer des craintes et des angoisses supplémentaires. Il n’existe pas de bureau, comme c’est le cas dans la plupart des associations, et chaque volontaire travaille à partir de son domicile. L’aide financière est essentiellement assurée par la Ligue contre le Cancer, les frais se limitant aux déplacements, aux notes de téléphone, au livret donné à toute nouvelle opérée et à la poche de dépannage en cas de mammectomie, lorsque la réparation est différée. Le vécu des femmes au travers de leur craintes Du fait de la symbolique attribuée à la glande mammaire, on comprend que l’atteinte de son intégrité soit lourde de conséquences. Les femmes s’imaginent qu’elles ne susciteront plus de l’amour mais de la pitié, que leurs rapports avec leur conjoint vont changer et, en quelques mots, qu’elles ne pourront plus vivre comme avant. Si l’effet tunnel engendré par le cancer est inévitable, il n’est pas vécu de la même façon par toutes et reste très inégalement éclairé. Il n’existe donc aucune règle ; les femmes les plus “fortes” peuvent s’écrouler, alors que d’autres semblant plus fragiles résisteront mieux. La réaction n’est absolument pas prévisible et reste indépendante de la construction intellectuelle que l’on avait auparavant. Propos recueillis par le Docteur Chantal Despierre Carnet d’adresses Association pour la recherche contre le cancer 16, av. Paul-Vaillant-Couturier, 94801 Villejuif Cedex. Tél. : 01 45 59 59 59. Fax : 01 47 26 04 75. Comité féminin du dépistage du cancer du sein 209, rue des Apothicaires, Parc Euromédecine, 34196 Montpellier Cedex. Tél. : 04 67 61 00 88 Fax : 04 67 61 15 10. Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer 101, rue de Tolbiac, 75654 Paris Cedex 13. Tél. : 01 44 23 04 04. Fax : 01 45 84 66 82. Ligue nationale française contre le cancer 1, av. Stephen-Pichon, 75013 Paris. Tél. : 01 44 06 80 80. Fax : 01 45 86 56 78. Mathilde Péricentre III, 26, av. de Thies, 14000 Caen. Tél. : 02 31 93 82 00. Fax : 02 31 93 82 50. Vivre comme avant 8, rue Taine, 75012 Paris. Tél. : 01 43 43 87 39. Fax : 01 43 43 87 39. 27