V O C A B U L A I R E Le syndrome des jambes sans repos ● M.H. Marion* L Le syndrome des jambes sans repos (restless legs syndrome : RLS), que décrit l’expression aujourd’hui vieillie : “avoir des impatiences dans les jambes”, ne retient pas souvent l’attention du médecin malgré les plaintes du patient (appelé “nightwalker” aux États-Unis), qui passe une grande partie de ses nuits à marcher, cherchant en vain le sommeil. Cette affection est fréquente, elle affecte 10 % de la population générale et 25 % des sujets après 65 ans. CLINIQUE Le diagnostic est fondé sur les données de l’interrogatoire qui vise à rechercher les critères primaires suivants : – la présence de paresthésies profondes, typiquement localisées entre le cou de pied et le genou, à type de brûlures, de morsures, de reptation dans les muscles, toujours rapportées comme désagréables et indescriptibles ; – un besoin impérieux de bouger les jambes pour soulager ces paresthésies ; le patient contracte ses jambes, les frotte l’une contre l’autre, finalement sort du lit et ressent un apaisement rapide en marchant ; – l’apparition de ces symptômes de façon pathognomonique, soit au repos, soit éveillé après être resté longtemps assis (les voyages en voiture, comme passager, ou en avion sont intolérables), soit le soir au moment de s’endormir ; – la majoration des symptômes le soir ou en début de nuit (entre 18 heures et 4 heures du matin). Les signes associés sont fréquents, mais ne sont pas indispensables au diagnostic. • Les mouvements périodiques des membres pendant le sommeil (periodic limb movement during sleep : PLMS) sont répétitifs, souvent stéréotypés, survenant toutes les 20 à 40 secondes pendant le sommeil, à type d’extension du gros orteil et à type de flexion des membres inférieurs et, plus rarement, des membres supérieurs. Les PLMS sont fréquemment associés au RLS (70 à 90 % des cas), et, à l’inverse, 30 % des patients avec PLMS ont un RLS. Les PLMS sont souvent retrouvés en polysomnographie des sujets âgés et n’ont donc de valeur diagnostique que chez le sujet jeune. * Clinique Turin, Paris. 144 • Les troubles du sommeil avec fatigue diurne sont liés, d’une part, aux PLMS qui sont responsables de réveils nocturnes pendant le sommeil, et, d’autre part, aux difficultés d’endormissement. • Les dyskinésies pendant l’éveil sont des mouvements anormaux brusques de flexion des membres inférieurs, survenant alors que le patient est éveillé, et qui correspondent à l’équivalent des PLMS pendant la journée. • Les antécédents familiaux sont retrouvés dans les formes primaires avec une transmission de type autosomique dominante, sans qu’un gène ne soit encore identifié. Dans les formes secondaires, à l’inverse, on ne retrouve pas d’histoire familiale. • Il y a nécessité d’éliminer les causes possibles de RLS, en particulier les anémies et les déficits en fer (taux de ferritine inférieur à 50 mcg/litre), ainsi que l’insuffisance rénale, avec une grande fréquence chez les patients en dialyse, et le diabète. Le rôle de la neuropathie dans ces affections est actuellement controversé. Les patients parkinsoniens ou souffrant d’une polyarthrite rhumatoïde présenteraient plus fréquemment des symptômes de RLS qu’une population contrôle. Enfin, le RLS est aggravé pendant le 3e trimestre de la grossesse et serait retrouvé chez 19 % des femmes enceintes. • Le RLS idiopathique peut commencer chez le sujet jeune (38 % avant l’âge de vingt ans), voire dans la petite enfance (vers l’âge de trois ans environ), mais sa fréquence augmente avec les années. Il existe parfois des rémissions spontanées transitoires, mais, le plus souvent, les symptômes s’aggravent progressivement au cours de la vie. Le diagnostic est donc clinique, fondé sur les données de l’interrogatoire, car le patient ne présente aucun trouble pendant la consultation. Un examen neurologique et général recherchera des signes orientant vers une cause secondaire. Des examens biologiques (NFS, fer sérique, ferritine, folate, vitamine B12, urée et créatinémie, glycémie à jeun) et un EMG, avec vitesses de conduction, sont à demander en fonction du contexte clinique. TRAITEMENT Traitements non médicamenteux Ce sont tous les moyens trouvés par le patient lui-même pour se soulager, tels que les bains très chauds ou très froids, ou une La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999 activité physique modérée (l’inactivité ou les exercices violents aggravent le RLS). Certaines substances sont à éviter comme le café, l’alcool, les neuroleptiques (y compris le métoclopramide, le sulpiride, la flunarizine, etc.), et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Traitement de la cause sous-jacente Le traitement des carences en fer et en folates peut améliorer le RLS. Traitement médicamenteux La conduite du traitement médicamenteux nécessite avant tout la bonne coopération du patient, car elle procède souvent par tâtonnement. La dose minimale efficace doit toujours être recherchée ; l’association de plusieurs médicaments est souvent nécessaire. • La DOPA Les doses efficaces de DOPA sont comprises entre 100 et 300 mg (+ IDC : inhibiteur de la décarboxylase). Elles sont réparties en deux prises, au dîner et au coucher. Malgré son efficacité, son utilisation est limitée par deux problèmes : un phénomène de “rebond” du petit matin, au réveil, lié en partie à la demie-vie courte de la DOPA ; un phénomène d’ “augmentation” défini par la survenue du RLS de plus en plus tôt dans la journée, et par son extension au niveau des membres supérieurs. Le médecin et le patient ont alors la tentation de prescrire une prise supplémentaire de DOPA, rentrant rapidement dans un cercle vicieux qui peut aboutir à la persistance du RLS tout au long de la journée, avec disparition des variations diurnes. • Les agonistes dopaminergiques Il a été rapporté que la bromocriptine était efficace dans le traitement des RLS, en deux prises (dîner et coucher) à des doses comprises entre 5 et 20 mg. Sa demi-vie courte (5 à 6 heures), qui ne permet pas parfois un contrôle du RLS sur toute la durée de la nuit, et son efficacité inférieure à la DOPA ont conduit à étudier aux États-Unis le pergolide (non commercialisé en France). Les études comparatives en double aveugle ont montré une efficacité du pergolide (0,1 à 0,6 mg) supérieure à la DOPA, mais avec des effets secondaires fréquents (nausées, congestion nasale). Les agonistes dopaminergiques se placent en traitement de seconde intention, en cas de rebond ou de phénomène d’“augmentation” sous DOPA. • Les opiacés Les opiacés (codéine, dextropropoxyphène, oxycodone, pentazocine, méthadone) sont efficaces dans le traitement du RLS, mais non des PLMS isolés. Les doses utilisées sont pour la codéine de 20 à 120 mg/j, et pour le dextropropoxyphène de 130 à 325 mg/j. Un phénomène de tolérance peut se développer, mais le plus souvent le patient reste équilibré pendant de nombreuses années avec la même dose. Les opiacés majeurs restent réservés aux formes sévères, résistantes aux autres traitements. • Les benzodiazépines Les médicaments sédatifs sont surtout utilisés pour améliorer la qualité du sommeil à la fois dans le RLS et les PLMS. Le plus La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999 utilisé est le clonazépam (de 0,5 mg à 4 mg) au coucher. Le diazépam (5 mg deux fois par jour) est indiqué dans les symptômes survenant au cours de la journée. La prescription des benzodiazépines exposent au risque de dépendance et de sevrage à l’arrêt. • Les antiépileptiques Il a été récemment rapporté que la gabapentine était efficace dans le RLS, surtout lorsque les sensations douloureuses sont au premier plan. D’autres antiépiletiques ont été proposés, telles la carbamazépine et le valproate de sodium. • Autres médicaments La clonidine a été étudiée chez les patients non urémiques et urémiques, avec une efficacité sur l’endormisement par diminution des dysesthésies. Le baclofène diminue essentiellement l’intensité des PLMS. CONCLUSION De nombreux points restent à élucider tels que la génétique ou la DOPA-sensibilité des formes idiopathiques, en dehors de tout syndrome parkinsonien. La survenue dans la petite enfance peut-elle être responsable de certains tableaux d’hyperactivité motrice avec trouble de l’attention ? La grande fréquence du RLS dans la population justifie le nouvel intérêt que ce syndrome suscite en recherche. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S • Ekbom K. Restless legs syndrome. Neurology 1960 ; 10 : 868-73. • Walters A.S. Towards a better definition of the restless legs syndrome. The international restless legs syndrome study group. Mov Disord 1995 ; 10 : 634-42. • Lavigne G.J., Montplaisir J.Y. Restless legs syndrome and sleep bruxism : prevalence and association among Canadians. Sleep 1994 ; 17 : 739-43. • Johnson E. Omnibus sleep in America poll. National Sleep Foundation 1998 ; 8-9 : 41-3. • Mondini S., Santoro A., Ferrari G. et coll. Restless legs syndrome in uremic patients on chronic dialysis. Sleep Research 1997 ; 26 : 574. • Salih A.M., Gray R.E., Mills K.R., Webley M. 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