G Traitement adjuvant du cancer du sein : place des anthracyclines

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Traitement adjuvant du cancer du sein :
place des anthracyclines
“Adjuvant chemotherapy in breast cancer:
the role of anthracyclines”
A. Ponzio-Prion*
râce au dépistage systématique, le cancer du sein
est, de nos jours, souvent découvert à un stade localisé, lorsque la guérison est envisageable. Le traitement adjuvant représente dans ce cas un progrès majeur en
réduisant considérablement le nombre de décès ; la poursuite
des études cliniques dans cette indication cherche à optimiser
progressivement les bénéfices obtenus. De nouveaux traitements
ont ainsi pu démontrer leur intérêt en phase précoce.
Si le choix du traitement est orienté par le statut hormonal et l’âge
de la patiente, les récepteurs hormonaux, le grade SBR et la taille
tumorale, l’indication de la chimiothérapie est maintenant établie
pour toute femme avec un seul facteur de mauvais pronostic, quels
que soient son statut hormonal et l’expression des récepteurs hormonaux. Grâce au nombre croissant d’options thérapeutiques,
nous devrions pouvoir, à terme, décider d’une stratégie thérapeutique adaptée pour chaque patiente. Cependant, nous ne
disposons pas encore de facteurs prédictifs ou pronostiques
utilisables en routine qui pourraient guider le choix plus précisément sur le type de chimiothérapie.
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INTÉRÊT DE LA CHIMIOTHÉRAPIE ADJUVANTE :
LES ACQUIS
La chimiothérapie adjuvante réduit significativement le risque de
rechutes et le risque de décès.
Les femmes qui en bénéficient le plus sont les patientes jeunes,
avec un envahissement ganglionnaire et une absence de récepteurs hormonaux (1, 2). En effet, plus les malades sont jeunes,
plus grand est le bénéfice en réduction du risque de mortalité
(29 % avant 40 ans, 26 % entre 40 et 50 ans, 15 % de 50 à 60 ans
et 7 % au-delà de 60 ans).
Toutefois, toutes les patientes en tireront un bénéfice en survie,
sauf les femmes âgées ayant une tumeur de moins de 1 cm et sans
envahissement ganglionnaire. Ces patientes, qui ne sont pas très
nombreuses, sont celles que les différents consensus s’accordent
à ne pas traiter.
* Institut Gustave-Roussy, Villejuif.
La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n° 4 - juillet-août 2004
D’autres facteurs pronostiques devraient pouvoir être pris en
compte à l’avenir. Aujourd’hui, nous ne disposons pas encore de
tels outils, qui nous permettraient de traiter les patientes selon des
critères mieux adaptés ; cependant, en cas de tumeurs N-, les
équipes allemandes ont déjà adopté les deux marqueurs UPA et
PAI-1 pour poser l’indication de la chimiothérapie chez ces
patientes (3).
Quant au traitement lui-même, les deux méta-analyses d’Oxford
nous ont permis d’identifier des messages clairs que l’on peut
résumer ainsi : des anthracyclines sont associées à un gain
supplémentaire de 4 % sur le CMF en ce qui concerne le taux de
récidive ou le taux de décès à 10 ans.
La chimiothérapie des patientes avec récepteurs hormonaux négatifs doit être suffisamment prolongée, ces patientes n’étant pas
candidates à une hormonothérapie : un minimum de six cycles
est nécessaire (4, 5).
LES ANTHRACYCLINES SONT-ELLES ESSENTIELLES
EN ADJUVANT ?
La chimiothérapie d’aujourd’hui est principalement constituée
d’anthracyclines, compte tenu de la démonstration de leur intérêt dans les méta-analyses, qu’il s’agisse de tumeurs avec un
envahissement ganglionnaire ou non. L’avantage d’un tel traitement
est cependant retrouvé principalement avec les chimiothérapies
associant trois drogues, de type FAC ou FEC, alors que
quatre cycles d’AC semblent équivalents à 6 CMF (6). De plus,
l’hypothèse que les tumeurs surexprimant le Her2 seraient plus
sensibles aux anthracyclines a été avancée (7) ; plus récemment,
il a été suggéré que l’amplification de la topo-isomérase 2α
serait un facteur de sensibilité aux anthracyclines.
Ainsi, les anthracyclines ont prouvé leur intérêt. Avec une efficacité identique, la tolérance cardiaque de l’épirubicine est supérieure
à celle de la doxorubicine (8-10).
Quel schéma et quelle dose d’anthracyclines ?
Plusieurs schémas d’associations à base d’anthracyclines sont
prescrits en pratique courante, mais le schéma toutes les
trois semaines est le plus utilisé. Quant à la dose, une dose seuil
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est nécessaire et suffisante : l’essai du CALGB 9344 a démontré
qu’aucun bénéfice supplémentaire n’est observé avec l’augmentation des doses au-delà de 60 mg/m2 de doxorubicine (11). En
ce qui concerne l’épirubicine, le Groupe français d’études en
adjuvant (GFEA) a démontré que la dose optimale du FEC était
de 100 mg/m2 (12). Cet avantage est maintenu à dix ans (13). Les
équipes canadiennes, quant à elles, prescrivent le FEC sur
quatre semaines avec une dose d’épirubicine à 120 mg/m2 (14).
Quant au nombre de cycles de chimiothérapie, il semble qu’un
traitement d’au moins 4 à 6 cycles soit nécessaire pour les
patientes N+. L’essai du CALGB 9344 suggère que l’allongement
de 4 à 8 cures améliore le bénéfice lorsque l’on ajoute 4 cycles
de paclitaxel aux 4 cycles d’AC (11).
Pour les patientes N-, la tendance serait de réduire le nombre de
cures, et le PACS05, en cours, compare 6 à 4 cycles de FEC 100
pour ces patientes.
Tolérance à long terme des anthracyclines
En termes de toxicité cardiaque, on peut redouter des incidents
survenant à distance du traitement, d’autant plus qu’il y a des antécédents cardiovasculaires, une irradiation médiastinale antérieure
et un traitement antérieur par anthracyclines. De fait, le risque
augmente avec la dose cumulée reçue, mais il reste cependant rare
si l’on respecte les doses maximales. Les données des études nous
renseignent sur la survenue exacte des toxicités : dans l’étude
GFEA 05, chez plus de 260 patientes traitées, les événements cardiaques de toutes sortes sont survenus dans 3,9 % des cas, et trois
cas d’insuffisance cardiaque clinique ont été signalés. Dans l’essai
du NCI canadien, quatre cas d’insuffisance cardiaque clinique
ont été observés chez plus de 350 patientes ayant reçu le FEC 120
(1,1 %). L’étude rétrospective sur la base des essais conduits par
le GFEA a rapporté des renseignements complémentaires avec
un recul médian de plus de 7 ans, sur 2 553 patientes (15) : les
anomalies de la fonction ventriculaire gauche ont été observées
dans 0,70 % des cas, contre 0,20 % chez les patientes non traitées par épirubicine.
Quant aux leucémies secondaires, l’incidence en est relativement
faible. Pour le NSABP, l’expérience de la doxorubicine chez plus
de 8 500 femmes a révélé une incidence de 0,22 % pour les schémas
à dose standard et de 1,04 % pour les schémas intensifiés avec doses
élevées de cyclophosphamide ( 1 6 ). Le suivi prolongé des patientes
traitées dans le GFEA 05 a révélé deux cas de leucémie secondaire
sur 260 patientes, et, dans la base du GFEA, la fréquence des
leucémies est de 7 cas déclarés (0,27 %) versus 1 cas (0,10 %)
dans les bras avec et sans épirubicine, respectivement.
LES TAXANES : VERS UN NOUVEAU STANDARD ?
L’introduction des taxanes dans le cancer du sein a représenté une
avancée importante. En effet, ce sont les premiers agents ayant
démontré une efficacité majeure lors d’un échec aux anthracyclines,
voire une efficacité supérieure à celle des anthracyclines en phase
métastatique.
Les essais thérapeutiques en phase adjuvante ont donc démarré,
et, à ce jour, nous disposons des données issues de deux essais
avec le paclitaxel et d’un essai avec le docétaxel.
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Dans les deux essais conduits avec le paclitaxel, le protocole
utilisé consistait en un schéma séquentiel avec 4 AC suivis de
4 cycles de paclitaxel 175 mg/m2 ou 225 mg/m2. L’étude du
CALGB 9344 a fait l’objet de plusieurs analyses ; la dernière
analyse à 69 mois a démontré un gain absolu significatif de 5 %
sur la survie sans récidive (réduction du risque de 17 %) et de
3 % sur la survie globale (réduction du risque de 18 %) avec
l’apport du paclitaxel en séquentiel après AC par rapport à AC
seul (11).
En revanche, le deuxième essai (NSABP B28), conduit selon les
mêmes modalités, n’a pas retrouvé de bénéfice à l’utilisation de
ce schéma, malgré l’optimisation des doses du paclitaxel.
Cependant, il semble que le paclitaxel en administration
hebdomadaire soit plus efficace qu’en administration toutes les
3 semaines, et il est possible que ces essais en adjuvant n’aient
pas utilisé le meilleur schéma pour le paclitaxel (17).
L’essai dose-dense publié par M. Citron a démontré que le
raccourcissement des intervalles entre les cures de trois semaines
à deux semaines permettait d’améliorer significativement la
survie sans récidive, de même que la survie globale (18).
En ce qui concerne le docétaxel, le BCIRG a rapporté les
résultats de l’essai BCIRG 001, qui comparait un schéma d’association incluant le docétaxel (TAC) au FAC (19). Avec un suivi
de 33 mois, les résultats présentés démontrent une réduction du
risque de récidive, notamment dans le sous-groupe des patientes
avec un envahissement ganglionnaire modéré : de 1 à 3 ganglions.
À partir de 4 ganglions, cette réduction n’est pas significative.
De même, la survie globale est significativement améliorée, avec
une réduction du risque de mortalité de 30 % pour l’ensemble de
la population. Le bénéfice était observé quel que soit le statut des
récepteurs hormonaux et de la surexpression de l’oncogène Her2.
Les taxanes apportent clairement une amélioration dans la prise
en charge des patientes atteintes d’un cancer localisé. Cependant,
les résultats sont contradictoires, et ceux des nombreux essais en
cours nous fourniront des renseignements supplémentaires sur
plus de 30 000 nouvelles patientes, avec différents schémas
d’administration des drogues. De même, une future méta-analyse
nous fournira des données essentielles à partir des données
matures de l’ensemble de ces essais.
Enfin, ces études, si elles semblent pouvoir améliorer le pronostic
chez les patientes N+, posent d’autres problèmes, comme celui
de connaître le meilleur schéma d’administration des taxanes :
séquentiel ou concomitant, 6 ou 8 cycles, dose-dense ou schéma
hebdomadaire. Que faire chez les malades avec un envahissement
ganglionnaire majeur ou chez les patientes N- ?
Néanmoins, l’utilisation de ces nouveaux agents en phase précoce
de la maladie devrait bientôt pouvoir être validée.
CONCLUSION
Des progrès considérables ont été faits dans la prise en charge du
cancer du sein localisé depuis plusieurs années, et la survie s’est
nettement améliorée avec l’arrivée des anthracyclines et, notamment, de l’épirubicine, qui a permis d’optimiser le traitement en
réduisant le risque de complications cardiaques chez ces patientes.
De nombreuses études ont également permis de mettre au point
La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n° 4 - juillet-août 2004
le meilleur schéma d’administration, et des données récentes de
tolérance ont confirmé un index thérapeutique favorable.
L’arrivée prochaine des taxanes représentera sans doute une
nouvelle avancée. Il faudra, bien sûr, vérifier leur innocuité sur le
long terme, identifier le meilleur schéma d’administration et définir
les populations qui pourront le mieux profiter de ces traitements.
Il faudrait également réfléchir à l’attitude pratique à proposer aux
patientes en récidive malgré ces traitements.
Enfin, l’introduction du trastuzumab dans les schémas thérapeutiques pour les patientes Her2+ est encore à l’étude ; les nouveaux
traitements hormonaux constitués par les antiaromatases chez les
femmes ménopausées sont là aussi des schémas restant à définir.
Toutes ces inconnues représentent ainsi autant de nouvelles pistes
qu’il faudra tenter d’explorer dans des essais cliniques, afin
d’améliorer à terme le pronostic de nos patientes.
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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