L
a question de l’échange d’informations entre le médecin
traitant (qu’il soit généraliste ou spécialiste, libéral ou
hospitalier) et le médecin du travail se pose régulière-
ment. Les demandes sont notamment motivées par des ques-
tions d’aptitude à des postes physiques, et le médecin du tra-
vail a incontestablement besoin d’éléments objectifs pour
prendre ses décisions. Le secret médical, instauré dans l’inté-
rêt du malade, est donc en jeu dans cette demande de com-
munication d’éléments du dossier médical, certes à un confrère,
mais hors du contexte de partage du secret “à visée de soins
dans l’intérêt du patient”.
DÉFINITION DU SECRET MÉDICAL
ET RAPPEL SUR SON APPLICATION
Simple extension de la notion d’ordre général de “secret pro-
fessionnel”, et n’ayant à la base rien de spécifique, le secret
médical est établi dans l’intérêt du patient. Il assure la confi-
dentialité des propos ou des éléments contenus dans la rela-
tion médicale. Est concerné par la notion de secret “tout ce
que, dans l’exercice de notre profession, nous aurons vu,
entendu ou compris”. Le Code de déontologie rappelle, dans
son article 4, que le secret professionnel s’impose à tout méde-
cin dans les conditions établies par la loi.
Le secret médical a, en fait, une triple signification.
Une signification morale, car un secret est un secret, et sa
divulgation équivaut à une violation de la confiance mise en
nous ; en outre, elle altère définitivement les possibilités de
lien étroit entre médecin et patient, la perte de ce lien étant la
“sanction relationnelle” de cette violation.
Une signification déontologique, car cette notion est, bien
sûr, prévue dans notre code de rapports professionnels, et son
non-respect constitue une faute professionnelle.
Une signification pénale, car la violation du secret est un
délit puni par la loi. Il faut rappeler, en outre, que le délit est
constitué même en l’absence d’intention de nuire.
La violation du secret est en effet réglementée par le Nouveau
Code pénal (NCP) : “La révélation d’une information à carac-
tère secret par la personne qui en est dépositaire, par fonction
ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mis-
sion temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de
1000 000 F environ d’amende” (art. 226-13 NCP).
Les maladies à déclaration obligatoire, les sévices à mineur ou
à personne dépendante, etc., font partie des dérogations, au
même titre que les certificats de naissance ou de décès, la liste
ne pouvant être intégralement détaillée ici. Il en est de même
pour la position du médecin expert, qui ne devra exposer, dans
son rapport, que les éléments en relation directe avec sa mis-
sion. Enfin, autre éventualité : la possibilité, pour un médecin
poursuivi devant une juridiction par un de ses patients, d’ex-
poser pour sa défense des faits relatifs à ses rapports avec ses
malades, et donc théoriquement couverts par le secret.
En dehors de ces situations, nul ne peut délier le médecin du secret,
pas même le patient lui-même :
d’une part, “car il ne sait pas précisément de quoi il délie son
médecin”,
d’autre part (raison “nettement plus juridique”), car le consen-
tement de la personne ne justifie pas la transgression de l’inter-
dit ; en pratique, la révélation d’un secret médical étant un délit,
le consentement de la “victime” n’empêche pas que cette révéla-
tion constitue effectivement un délit.
STATUT DU MÉDECIN DU TRAVAIL
ET OBLIGATIONS RÉCIPROQUES
FACE AU SECRET
Le statut de médecin du travail a été instauré officiellement par la
loi du 28 juillet 1942. Les médecins du travail ont la charge d’as-
surer la surveillance médicale des salariés d’une entreprise. Ils sont
volontiers “travailleurs indépendants”, ou sont regroupés au sein
d’un comité interentreprise. Bien qu’exerçant leur activité au
sein d’une entreprise, ils ont une indépendance totale à l’égard
de leur hiérarchie, notamment du chef d’entreprise. Le Code de
déontologie médicale rappelle à cet égard que “le médecin ne
La Lettre du Rhumatologue - n° 299 - février 2004
33
VIE PROFESSIONNELLE
Le secret médical existe-t-il
entre médecin traitant
et médecin du travail ?
M. Bernard*
* Expert près la cour d’appel de Paris, spécialisé en matière de Sécurité sociale.
E-mail : michel.bernard30@libertysurf.fr
© La Lettre du Cardiologue - n° 369 - novembre 2003.
La Lettre du Rhumatologue - n° 299 - février 2004
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peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque
forme que ce soit” (art. 10), malgré les sollicitations dont il
pourrait être l’objet de la part du personnel d’encadrement.
La position du médecin – tant celle du médecin du travail que
celle du médecin traitant – vis-à-vis de l’employeur est donc
très claire et très simple, puisqu’il ne doit jamais y avoir
transmission d’information de nature médicale à l’em-
ployeur. Il est en effet indispensable que le patient puisse pla-
cer dans le médecin du travail le même niveau de confiance
que dans tout autre médecin dans le cadre de son suivi médi-
cal ou de révélations intimes, même si ce médecin particulier
qu’est le médecin du travail est un peu un confident... imposé,
et non librement choisi. La barrière du secret vis-à-vis de l’em-
ployeur se doit donc d’être totalement étanche.
Le médecin du travail est sollicité pour se prononcer sur une
aptitude à un poste dans le cadre de la procédure d’engage-
ment d’un salarié, ou de surveillance de son état de santé au
cours de sa carrière dans l’entreprise. Mais son statut particu-
lier, s’il lui impose de procéder à la surveillance et au dépis-
tage de pathologies présentées par le patient, liées ou non aux
conditions de travail, ne lui permet ni acte d’investigation ni
démarche thérapeutique. Il se doit de transférer cette charge
au médecin traitant.
Le concept du secret partagé entre médecins remonte à
l’époque de la création de la Sécurité sociale, les médecins
exerçant dans ce cadre et réglant les dossiers devant connaître
un minimum d’éléments médicaux concernant le patient pour
en gérer l’aspect “administrativo-financier”.
La règle est que le secret ne se partage que dans l’intérêt du
patient, pour améliorer sa prise en charge médicale et l’effi-
cacité de la démarche tant diagnostique que thérapeutique. Ce
partage
a lieu tant à l’hôpital que dans un exercice libéral, inté-
ressant également
le personnel paramédical, ou des médecins
de compétences complémentaires. Cependant, là aussi, le res-
pect du secret doit
rester une préoccupation, et les seuls élé-
ments divulgués doivent
être ceux indispensables à l’avan-
cement du dossier dans l’intérêt du patient, chaque acteur
de cette relation étant lié par cette notion.
Toutefois, malgré ces situations de fait, qui sont indispensables
à la bonne marche d’un dossier médical, cette notion de secret
partagé n’a pas de véritable support juridique.
Tout médecin, et notamment le médecin du travail, se doit de
respecter le secret médical, avec toutefois la réserve que le
médecin traitant peut être, comme l’indiquent L. Fournier et J.
Proteau, considéré comme “spécialiste des soins”, par opposi-
tion au médecin du travail, “spécialiste de la surveillance dans
le cadre professionnel”. Le médecin du travail n’a pas statu-
tairement la possibilité de se livrer à des actes d’investigations
ou de soins, et cette charge échoit au médecin traitant. Ainsi,
dans cette direction, le partage de l’information est admis. Le
médecin du travail a la possibilité de communiquer des infor-
mations médicales au médecin traitant, afin de lui permettre –
dans la limite des informations nécessaires – la mise en route
d’investigations ou de trai
tements sur des éléments anormaux
constatés en médecine du travail.
A contrario, les informations connues par le médecin trai-
tant, qui peuvent avoir des conséquences graves sur l’avenir
professionnel du salarié, ne doivent transiter que par l’inter-
médiaire du patient lui-même, à l’exclusion de tout contact
direct entre le médecin traitant et le médecin du travail. Cette
position est, certes, contraignante, mais elle répond à l’applica-
tion du principe de protection de la personne privée. Elle se
contente, en pratique, de respecter l’obligation de secret qui est
faite à tout médecin, et qui ne peut ici être “modulée” par la néces-
sité d’une mise en commun des informations pour l’amélioration
de la santé du patient. Le médecin traitant se doit également, lors
de la remise des éléments de son dossier, de s’entretenir avec son
patient sur le caractère éventuellement dangereux pour son ave-
nir professionnel de certaines pièces médicales et d’attirer spé-
cifiquement son attention sur ce point.
A fortiori, le médecin traitant ne devra pas donner d’avis sur l’ap-
titude de son patient à un poste de travail dont il ne connaît pas
les impératifs et les contraintes, contrairement au médecin du tra-
vail, qui doit consacrer un tiers de son temps à la visite des lieux
de travail de ses consultants.
CONCLUSION
La règle du secret médical est donc très stricte et doit faire l’objet
d’une grande prudence dans notre exercice quotidien. Elle s’exerce
également entre le médecin du travail et le médecin traitant.
La transmission d’informations médicales du médecin du travail
vers le médecin traitant est admise, car elle correspond à la néces-
sité d’information du médecin qui sera en charge de la démarche
diagnostique et thérapeutique par le médecin qui a détecté une
anomalie, mais qui, statutairement, n’est pas autorisé à exercer
une action ultérieure.
En revanche, du fait de l’obligation de respect du secret en dehors
de la nécessité de transmission d’informations dans l’intérêt du
suivi médical du patient, la communication de données médicales
du médecin traitant vers le médecin du travail ne peut se conce-
voir directement. Elle n’existera que par l’intermédiaire du patient
lui-même, qui, averti par le médecin traitant des conséquences
éventuelles de la communication de certaines pièces, sera libre
de confier ou non ces éléments au médecin du travail, avec, en
arrière-plan, le risque d’être déclaré inapte.
Pour en savoir davantage
Fournier L, Proteau J. Secret médical et médecine du travail : le médecin trai-
tant ne peut et ne doit communiquer librement avec le médecin du travail. Rev
Prat - MG - 109-8/10/90-99/101.
Gromp S. Le secret médical : un concept menacé. Journal de médecine légale -
Droit médical 1995 ; 38 (7-8) : 565-9.
Hoerni B, Benezech M. Le secret médical : confidentialité et discrétion en
médecine. Paris : Masson, 1996.
Manaouil C , Doutrellot-Philippon C, Gabrion A, Jarde O. Le secret profes-
sionnel en médecine du travail. Journal de médecine légale - Droit médical 2000 ;
43 (II) : 137-44.
Thouvenin D. Le secret médical et l’information du malade. Presses universi-
taires de Lyon 1982 (d’après sa thèse de doctorat, Lyon, 1977).
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