É D I T O R I A L Pour une nouvelle définition de l’accident ischémique transitoire (AIT) For a new definition of transient ischemic attack (TIA) ● P. Amarenco*, P. Lavallée*, H. Abboud*, E. Meseguer*, C. Nifle*, O. Simon*, V. Adrai*, S. Ratani*, J.M. Olivot*, P.J. Touboul* accident ischémique cérébral ou rétinien transitoire représente une unique opportunité pour prévenir une attaque cérébrale définitive si la cause est dépistée et traitée à temps. On estime que 30 % des infarctus cérébraux sont précédés d’AIT. Pour être utile et efficace, le diagnostic d’AIT repose sur la reconnaissance du ou des symptômes d’une lésion focale rétinienne ou cérébrale d’origine ischémique totalement régressifs en moins de 24 heures, selon la définition classique (1). Il y a eu ces dernières années beaucoup de discussions et de confusions sur la définition de l’AIT. Cela est lié au fait que les patients sont vus de plus en plus tôt (idéalement dans les 3 premières heures) après les premiers symptômes d’attaque cérébrale, du fait de l’avènement des traitements thrombolytiques ( 2 ). Ainsi, certains craignent de traiter à tort un patient par thrombolytique et de l’exposer à un risque d’hémorragie mortelle, car en théorie, suivant la définition classique de l’AIT, il est possible qu’après 3 heures et avant 24 heures les symptômes régressent spontanément sans laisser de séquelle. Mais s’il est vrai que, en traitant ces patients dont l’ischémie cérébrale dure plus d’une heure, nous prenons un risque d’hémorragie intracrânienne de 6,5 % (2), il est vrai également que le patient qui a une endartérectomie carotide après un AIT est exposé à un risque opératoire cérébral qui est aussi d’environ 6,5 %. Et cela est accepté par tous, car toute thérapeutique efficace a un prix à payer, qui doit simplement être “cliniquement” raisonnable au regard du bénéfice que le traitement est supposé apporter. Et dans les deux cas, traitement thrombolytique et endartérectomie carotide, les essais thérapeutiques ont démontré un rapport bénéfice/risque très en faveur du traitement. Néanmoins, une nouvelle définition de l’AIT a récemment été proposée. Elle est tissue-based (tissulaire), c’est-à-dire qu’elle repose sur la présence ou l’absence d’un infarctus cérébral dépisté par l’IRM dans l’heure (et au-delà d’une heure) suivant les premiers symptômes d’attaque cérébrale. Ainsi, selon l’article paru dans le New England Journal of Medicine sous la plume d’un comité d’experts renommés (3), un AIT serait un événement neurologique focal régressant en moins d’une heure, car, au-delà, le patient serait de toute façon candidat à un traitement thrombolytique par rt-PA. Au-delà d’une heure, il faut que l’IRM soit normale pour retenir l’AIT. Évidemment, pour le médecin dans son L’ * Centre d’accueil et de traitement de l’attaque cérébrale, unité de prévention SOS AIT, hôpital Bichat, Paris. La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 8 - octobre 2004 cabinet de ville, qu’il soit généraliste, cardiologue, ophtalmologue ou neurologue, cette définition, fondée sur l’IRM pour les accidents ayant duré plus d’une heure, complique beaucoup les choses. Le message pour les non-spécialistes est difficile à comprendre et à retenir dans sa pratique. Lorsque, dans notre centre, nous avons mis en place une clinique d’AIT appelée “SOS AIT” avec un numéro vert mis à disposition des médecins généralistes, cardiologues, ophtalmologues et neurologues 24 heures sur 24 (0800 888 248), nous avons réfléchi au type de patient que nous pouvions accepter. En effet, ces patients sont tous pris en hôpital de jour pour effectuer un bilan diagnostique et d’orientation thérapeutique en 3 à 4 heures (en dehors des heures ouvrables, ils sont vus par le neurologue vasculaire de garde dans l’USINV, qui élimine une cause nécessitant un traitement immédiat, puis le patient est renvoyé chez lui et repris le lendemain en hôpital de jour pour terminer le bilan). Il n’était donc pas question de prendre le risque d’avoir des accidents en évolution. Se poser cette question était se poser celle de la définition de l’AIT que nous allions retenir. Il nous est apparu que tout patient ayant encore des symptômes, ou a fortiori des signes neurologiques focaux au moment de l’appel du médecin, devait être considéré comme ayant un “accident en évolution”, et donc être pris en charge par le circuit normal du 15 et des USINV. Les patients que nous acceptons dans notre clinique d’AIT sont ceux qui n’ont plus de symptômes. Ainsi notre définition de l’AIT est : “symptôme neurologique focal de survenue brutale, d’origine ischémique, ayant totalement régressé”. Cette définition n’inclut plus la notion de durée des symptômes, inférieure à 24 heures (1). On sait bien que la plupart des AIT durent moins d’une demi-heure, voire quelques secondes ou minutes. Mais on sait aussi que, plus rarement, un AIT peut durer 36, voire 72 heures. La durée de l’événement transitoire totalement régressif a finalement peu d’importance, puisque ces patients sont exposés in fine au même risque de récidive. Ce risque dépendant essentiellement de la cause sous-jacente, c’est le dépistage de celle-ci qui constitue la véritable urgence. Cela a d’ailleurs fait l’objet d’un débat dans les années 1970 à l’origine de l’introduction du concept de RIND (Reversible Ischemic Neuro logic Deficit), qui prenait en compte ces “AIT” durant jusqu’à 72 heures (4). La nouvelle définition que nous proposons a l’avantage d’être purement clinique, donc simple et aisée à utiliser par le médecin généraliste dans son cabinet de ville, où, évidemment, il n’a pas 255 É D I T O R I A L Symptômes d’ischémie cérébrale (dans les 72 heures) Plus de symptômes (quelle que soit leur durée) Symptômes et signes persistants Prise en charge urgente d’un AIT Prise en charge urgente d’un AVC en évolution Admission dans une clinique d’AIT Admission dans une USI-NV • Si seul scanner disponible Une fois le patient en UNV, la définition tissue-based de l’AIT pourrait être avantageusement utilisée, dans une perspective d’essai thérapeutique… RT-PA i.v. si symptômes < 3 h, pas d’hémorragie et NIHSS 4 ou aphasie globale • Si DWI disponible* Normale Anormale Envisager les diagnostics différentiels (épilepsie…) RT-PA i.v. Si symptômes < 3 h et NIHSS 4 ou aphasie globale Si symptômes ischémiques certains Revascularisation urgente** * La suite de cet algorithme est hypothétique et devra être évaluée dans des essais randomisés. ** Procédure intra-artérielle par retrait mécanique du caillot ou thrombolyse ou encore réouverture par stenting en cas d’occlusion documentée des gros vaisseaux, ou thrombolyse i.v. ou antagoniste GPIIb/IIIa i.v. en cas d’occlusion des petits vaisseaux. Figure. Algorithme pour la prise en charge des symptômes d’attaque ischémique cérébrale ou rétinienne et orientation entre clinique d’AIT et USI neu rovasculaire. accès facilement à l’IRM de diffusion. Elle inclut les patients qui ont des symptômes régressifs en moins d’une heure comme ceux rapidement régressifs en un peu plus de 24 heures, qui nécessitent de toute façon le même bilan diagnostique et ont exactement les mêmes conduites thérapeutiques, y compris s’il existe un tout petit infarctus cérébral sur l’imagerie (5, 6). Avec cette définition et ce numéro vert mis en place en février 2003, nous sommes passés de 150 AIT en 2002, avec une DMS de 2,5 jours par AIT, à 404 AIT en 2003, avec une DMS de 0,93 jour par AIT. Plus de 95 % étaient de vrais AIT. Ainsi, pour définir l’AIT, nous proposons d’adopter la position du médecin praticien dans son cabinet ou au domicile du patient. Supprimer la notion de durée des symptômes et focaliser sur leur disparition totale permettent de simplifier et donc d’étendre le dépistage des AIT, et ainsi de mieux prévenir l’attaque cérébrale définitive. Adopter la position du neurologue vasculaire dans son USINV, en définissant l’AIT par l’existence ou l’absence d’une lésion tissulaire à l’IRM de diffusion, comme le propose Albers et al. (3), mettrait le traitement thrombolytique (ou tout autre futur traitement très précoce) au premier plan des préoccupations thérapeutiques, ce qui reviendrait à ne s’intéresser qu’à un petit 256 nombre de patients. Cela ne serait pas raisonnable. La définition que nous proposons a l’avantage d’être plus opérationnelle (plus généralisable) pour la pratique médicale quotidienne. Nous proposons une conférence de consensus européenne ■ (EUSI) sur le sujet. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Ad Hoc Committee for Strokes. A classification and outline of cerebrovascular disease. Stroke 1975;6:564-616. 2. The National Institute of Neurological Disorders and Stroke rt-PA Stroke Study Group. Tissue plasminogen activator for acute ischemic stroke. N Engl J Med 1995;333:1581-7. 3. Albers GW, Caplan LR, Easton JD et al. N Eng J Med 2002;347:1713-6. 4. Wiebers DO, Whisnant JP, O’Fallon WM. Reversible ischemic neurological deficit (RIND) in a community: Rochester, Minnesota, 1955-1974. Neurology 1982;32:459-65. 5. Albers GW, Amarenco P, Easton JD et al. Antithrombotic and thrombolytic therapy for ischemic stroke. The Seventh ACCP Conference on Antithrombotic and Thrombolytic Therapy. Chest 2004;126:483S-512S. 6. Wolf PA, Clagett GP, Easton JD et al. Preventing ischemic stroke in patients with prior stroke and transient ischemic attack: a statement for healthcare professionals from the Stroke Council of the American. Heart Association. Stroke 1999; 30:1991-4. La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 8 - octobre 2004