La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 4 - avril 2005 107
Le réservoir de ces virus est strictement humain : l’homme
infecté émet le virus dans ses selles, et la transmission sera soit
directe, interhumaine, soit indirecte, par l’intermédiaire de l’eau
souillée.
En France, la circulation des EV est plus intense de juin à sep-
tembre. Dans les pays où la prévalence est élevée (Afrique, Asie
du Sud-Est), il existe un fond endémique permanent. À noter
cependant qu’aucune augmentation de l’incidence de la SLA
dans ces pays n’a été rapportée à l’heure actuelle.
Le cycle viral des Poliovirus est bien connu et sert de référence
pour décrire celui des autres EV. Le virus, ingéré par voie orale,
est adsorbé au niveau des voies aérodigestives supérieures (amyg-
dales) puis pénètre dans les cellules cibles. Une partie atteint par
voie digestive les plaques de Peyer, second siège de prolifération
virale. Au cours d’une virémie secondaire, le virus peut gagner les
neurones des cornes antérieures de la moelle épinière. L’inflam-
mation locale et la destruction de ces neurones va entraîner l’appa-
rition d’une paralysie brutale. L’incubation de la maladie est de
10 à 14 jours (2).
ENTÉROVIRUS EN PATHOLOGIE HUMAINE
Les infections à EV sont le plus souvent asymptomatiques.
Cependant, elles peuvent être à l’origine de maladies aiguës
évoluant volontiers sur un mode épidémique, avec des atteintes
neurologiques, cardio-pulmonaires, cutanées, ophtalmologiques
et digestives. Les EV sont également associés à des infections
persistantes ou chroniques suspectées d’intervenir dans le déve-
loppement du diabète juvénile, de pathologies myocardiques,
d’atteintes du muscle squelettique et de pathologies neuro-
logiques (2).
La poliomyélite antérieure aiguë (PAA) est la manifestation
neurologique le plus anciennement décrite. Les signes cliniques
sont directement liés à la dégénérescence des motoneurones. Les
séquelles sont l’amyotrophie, la faiblesse musculaire stable au
niveau des muscles atteints, et éventuellement des déformations
ostéovertébrales liées aux déséquilibres musculaires. L’appari-
tion d’une PAA après l’infection par un Poliovirus est rare (0,1 à
1% des cas) et est influencée par la virulence de la souche virale,
le statut de l’immunité cellulaire B du patient et des facteurs
génétiques de susceptibilité. D’autres facteurs de risque sont :
l’exercice physique, le traumatisme musculaire et la localisation
anatomique de l’atteinte clinique. L’aggravation des séquelles de
PAA et/ou l’apparition de nouvelles amyotrophies à distance de
l’infection aiguë après un intervalle stable (au moins 15 ans) définit
le syndrome postpoliomyélitique (SPP), dont la pathogénie reste
discutée.
Les autres manifestations neurologiques sont représentées par les
méningites aseptiques, les encéphalites et les méningo-encéphalites
chroniques de l’immunodéprimé.
ENTÉROVIRUS ET SLA
De nombreuses études ont été réalisées pour déterminer si les EV
avaient un rôle dans la SLA (tableau).
Les Poliovirus sont les premiers virus à avoir été recherchés dans
des populations de patients atteints de SLA avec ou sans anté-
cédent de PAA, sans que l’on ait pu conclure à une relation causale
entre l’agent infectieux et la maladie. L’absence de réduction
significative de l’incidence de la SLA avec la disparition de la
PAA ainsi que la présence de SLA dans les zones où la PAA a été
éradiquée sont des arguments contre le rôle des Poliovirus.
Par la suite, en 1985, Brahic et al. (3) ont relancé l’hypothèse du
rôle des Picornavirus au cours de la SLA en montrant la présence
de séquences nucléotidiques d’un Picornavirus partageant des
séquences communes entre les Poliovirus et le virus de Theiler.
Ces séquences ont été mises en évidence dans la moelle épinière
et le cortex moteur de deux patients. Cependant, aucun virus n’a
pu être isolé à partir des prélèvements.
Depuis 30 ans, de nombreuses études utilisant des techniques de
dosage d’anticorps ou d’isolement des virus ainsi que des études
ultrastructurales à la recherche de particules virales ont été réalisées,
mais toutes sont restées négatives. Il y a 20 ans, des techniques de
biologie moléculaire ont permis de détecter de l’ARN viral dans
les tissus. Depuis une dizaine d’années, des techniques de PCR
avec transcriptase inverse sont utilisées.
Woodall et al. (4) ont détecté des séquences nucléotidiques
apparentées à celles des virus Coxsackie B dans 75 % des
moelles épinières de patients SLA. Une persistance d’EV dans la
moelle épinière est suspectée, bien qu’aucune corrélation n’ait pu
être établie entre la présence de ces séquences, la topographie des
signes cliniques et les anomalies neuropathologiques observées.
Ce travail a été confirmé par Berger et al. (5), qui ont détecté le
génome viral d’un EV apparenté aux Échovirus 6/7 dans 88 %
des moelles de patients atteints de SLA (figure, p. 108). Récem-
ment, Giraud et al. (6) ont rapporté la présence de séquences
d’EV (Échovirus 6/7) dans 60 % des moelles de patients atteints
de SLA d’une série japonaise. Cela renforce donc l’hypothèse
Année Auteur Nombre de patients Tissu Présence EV
1994 Woodall (4) 13 Moelle fixée (paraffine) 9/13
1995 Swanson (7) 28 Moelle fixée (paraffine) 0/28
1996 Muir (8) 6 Moelle fixée 2/6
2000 Berger (5) 17 Moelle fixée 13/17
2001 Giraud (6) 5 Moelle congelée 3/5
2001 Walker (9) 30 20 moelles congelées, 0/30
10 cortex moteurs congelés
2004 Nix (10) 24 Moelle congelée 0/24
Tableau. Études avec recherche EV dans la moelle épinière de patients
atteints de SLA.