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Mise au point
Le Courrier de l’algologie (3), no3, juillet/août/septembre 2004
Mise au point sur le bon usage
des opioïdes forts
dans le traitement des douleurs
chroniques non cancéreuses*
S
ix opioïdes forts à visée antal-
gique sont actuellement dispo-
nibles en France : la buprénor-
p h i n e , le fe n t a n y l , l ’ h y d ro m o rp h o n e,
la morp h i n e,l ’ oxycodone et la péthi-
dine.
Seule la morphine est indiquée
pour les douleurs persistantes
intenses ou rebelles aux antal-
giques de niveau plus faible. La
buprénorphine, le fentanyl, l’hy-
dromorphone et l’oxycodone sont
servés aux douleurs intenses
d’origine cancéreuse.
Par ailleurs , la méthadone est un
opioïde volu en France unique-
ment au traitement substitutif des
p h a r macodépendances majeures aux
opiacés.
Si l’intét du re c o u rs aux opioï-
des fo rts (opiacés) est aujourd ’ h u i
reconnu dans le traitement des dou-
leurs chroniques nociceptives d’ori-
gine canre u s e , le rap p o rt -
fi c e / r isque d’une telle pre s c ri p t i o n
dans le traitement de douleurs chro-
niques non cancéreuses (DCNC) doit
être évalué avec précision afin de ne
pas utiliser un médicament qui pour-
rait soit être inefficace ou peu effi-
cace, soit provoquer des effets indé-
sirables délétères, voire entraîner le
p atient ve rs un état de dépendance
physique et/ou psychique.
Six points essentiels
1. La prise en charge des DCNC est
g l o b a l e : la plainte du patient doit
ê t r e évaluée en tenant compte des
fa c t e u rs somat i q u e s , p s y ch o l ogi q u e s
et socioprofessionnels.
2. La strat é gie d’utilisation des antal-
giques par paliers pconisée par
l’OMS pour le traitement des dou-
leurs cancéreuses ne s’applique pas
à tous les syndromes douloure u x
chroniques.
3. Le re c o u rs aux opioïdes fo rts dans
les DCNC est un traitement de
deuxième intention :les douleurs de
type neuro p athique (secondaires à
des lésions ou à un dysfonctionne-
ment du système nerveux) réagi s s e n t
de manre imprévisible au tra i t e-
ment opioïde.
4 . C e r tains syndromes douloure u x
ch r oniques sont peu sensibles aux
opioïdes et constituent une non-indi-
c a t i o n , notamment ceux dont le
mécanisme phy s i o p at h o l ogique n’est
pas clairement établi.
5. En cas de doute sur l’indication, il
faut savoir solliciter un avis spécia-
lisé auprès d’un praticien d’une
s t r u c t u re de prise en ch a rge de la
douleur.
6 . Les risques ls à l’usage des
opioïdes fo rts doivent être pris en
compte :
s u r ve nue d’effets indésirables :
essentiellement, troubles digestifs
( n a u s é e s , vomissements lors de
l ’ i n s t a u r ation du traitement ; consti-
p a tion avec cessité fréquente
d ’ avo ir re c o u rs à un tra i t e m e n t
l a x a tif pendant toute la durée du
t r a i t e m e n t ) , c o n f u s i o n , s é d a t i o n ,
e f fets dy s p h o ri q u e s , a l t é ration du
r é fl exe de toux, d é p ression re s p i-
ratoire. Chez les sujets très âgés, il
c o nv i e n d r a d’être part i c u l i è re m e n t
vigilant ;
possibilité d’induire une dépen-
dance physique et/ou psychique ou
un phénomène de tolérance ;
l o r s d’une utilisation au long cours :
é v entuelle surve n ue d’un glement
e n d o c ri n i e n , d’une altération des
ponses immu n i t a i r e s , p e u t - ê t r e d’al-
t é r ations génétiques en rap p o r t avec des
p r o p r iétés génotoxiques potentielles.
Un principe de férence
Au terme d’une période test, le rap-
port bénéfice/risque de l’utilisation
d’un opide fo rt est considéré
comme favo rable si l’effet antalgi q u e
est jugé significatif par le patient et
le médecin et les effets indésirables
m i n e u r s , en l’absence deffe t s
connexes (abus, dépendance).
La décision de traitement
La décision de la mise en route d’un
t r aitement par un opioïde fo rt sup-
pose que l’indication ait été ri go u-
reusement discutée et qu’un contrat
d’objectifs et de moyens ait été éta-
bli entre le pre s c ripteur et son pat i e n t .
Indication
Il convient de s’assurer que :
la cause somatique est clairement
identifiée ;
* Texte disponible sur le site Internet de
l ’A F S S A P S : htt p : / / a g m e d . s a n t e . g o u v. f r / h t m / 1 0 /
opioide/mapopio.pdf
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Mise au point
la douleur est intense et non suffi-
samment calmée par les traitements
étiologiques ;
les traitements antalgiques symp-
tomatiques “usuels” (autres que les
opioïdes forts) sont inefficaces alors
qu’ils ont été correctement prescrits
et évalués ;
les éléments du contexte psycho-
l ogique pers o n n e l , fa m i l i a l , et socio-
p r o fe s s i o n n e l , ayant éve n t u e l l e m e n t
favorisé la persistance au long cours
de la douleur,ont été évalués :
ce bilan peut, si possible,être réa-
lisé dans une structure pluridiscipli-
n a i re d’éva l u ation et de tra i t e m e n t
de la douleur ;
cette évaluation est indispensable
en cas d’antécédents d’abu s , d e
dépendance, de toxicomanie, ou de
troubles graves de la personnalité ;
l o r s de situations complexe s , e n
particulier avec retentissement psy-
chosocial import a n t , il peut être utile
de recourir à un avis spécialisé psy-
chiatrique et/ou psychologique.
Le traitement opioïde doit être intégr é
dans une prise en ch a rge globale, fa i-
sant appel à d’autres tra i t e m e n t s
médicamenteux et à des tra i t e m e n t s
non médicamenteux (psych o t h é rap i e,
t raitement physique et réadap t at i f ) .
Contrat d’objectifs et de moyens
Le traitement ne sera instauré qu’à la
suite d’une information donnée par
le médecin et acceptée par le patient
c o n c e r nant les objectifs thérap e u -
t i q u e s , les conditions et modalités de
p re s c ri p t i o n , de suivi et d’arrêt éve n -
tuel du traitement. Cette démarch e
impose à chacun un code de conduite
permettant une utilisation maîtrisée
du médicament.
Avant le traitement, il est nécessaire
d ’ exp liquer au patient le choix du
traitement opioïde fort dans le cadre
d’une prise en charge globale,et la
nécessité d’y recourir pour tenter de
soulager la douleur.
Le patient devra être informé des
éléments suivants :
si le traitement ne permet peut-
être pas de supprimer toute douleur,
il doit ap p o rter un soulage m e n t
s i g n i fi c a tif afin de perm e t t r e une
a m é l i o rat ion fonctionnelle et de la
qualité de vie,une reprise des acti-
vités familiales, sociales ou profes-
sionnelles ;
un seul médecin doit centra l i s e r
et coordonner la pre s c ription et il est
souhaitable que le patient s’adresse
au même pharmacien. Des éléments
re l a tifs à la glementation en vi-
gueur peuvent être commu n i q u é s
(par exemple : les gles de pre s-
c r iption et de liv rance part i c u -
lières) ;
les doses et les horaires de prise
prescrits doivent être respectés ;
la posologie et la durée du traite-
ment doivent être adaptées en fonc-
tion de l’évolution de la douleur, de
la survenue d’effets indésirables ou
de pro bmes connexes à la pre s-
cription apparus au cours du traite-
ment ;
il existe un risque de pen-
d a n c e : une dépendance phy s i q u e
conduit à un risque de syndrome de
s e v rag e en cas d’interruption tro p
rapide du traitement ; elle doit être
différenciée de la notion de dépen-
dance psychique (addiction) pou-
vant survenir chez tous les patients,
mais part i c u l i è r ement chez des
sujets prédisposés ;
les modalités de surveillance doive n t
être explicitées : en particulier, une
augmentation anormalement rapide
de la posologie peut tra d u i r e une
t o l é rance ou une conduite add i c t ive ;
le traitement doit être interrompu
et une rééva l u ation doit être effe c-
tuée en cas :
– d’absence d’efficacité ;
d’épuisement de l’effet en dehors
d’une aggravation de la pat h o l ogi e
s o m a tique re s p o n s able de l’état
algique ;
d ’ e ffe ts indésirables import a n t s
et/ou non contrôlés par les médica-
ments appropriés ;
– de surve nue d’un comport e m e n t
incompatible avec une prescription
au long cours (non-observance du
p r ogramme trapeutique global
p ro p o s é , m é s u s a ge itérat i f ,d é ve l o p-
pement d’une pendance psy-
chique).
I n i t i a t i o n
et suivi du traitement
Choix de la forme galénique
Le choix de la fo rme galénique est
d é t e r mipar le rythme ny c t h é m é ra l
de la douleur, ses éventuels fa c t e u rs
d é c l e n ch a n t s , ou par l’existence d’ac-
cès douloureux interc u rrents. Ainsi :
– une douleur quotidienne intense et
permanente conduit à recommander
une fo rme à libération pro l o n g é e
(LP) ;
– des douleurs intenses mais inter-
mittentes peuvent justifier le re c o u rs
à une forme à libération immédiate
(LI).
Dans le cadre de douleurs ch ro n i q u e s
non cancére u s e s , l ’ a d m i n i s t rati on en
a m bu l a t o i r e par les voies pare n t é-
rales est à pro s c ri re sauf si le re c o u rs
à la voie orale s’avère impossible.
Initiation du traitement
Il est recommandé de débuter avec
une posologie fa i bl e. Chez l’adulte,
la dose recommandée est de l’ordre
de 10 à 30 mg de morphine ora l e
L P, 1 à 2 fois par jour, en tenant
compte des hora i res diurnes ou noc-
turnes de la douleur,du terrain (par
exemple : sensibilipart i c u l i è re des
sujets âgés), et d’éventuelles pat h o-
l ogies en cours (insuffisances hépa-
tique, rénale, respiratoire) ou asso-
ciations médicamenteuses. Chez le
sujet très âgé, il convient de débu t e r
le traitement avec une posologi e
encore plus faible, de l’ordre de 2,5
à 5 mg de morphine orale LI, 4 à
6fois par jour.
La recherche de la posologie avec le
meilleur rap p o rt bénéfi c e / e ffets indé-
s i r ables seffectue au cours de la
titration par une augmentation pro-
gre s s ive de la posologie antéri e u re
représentant au maximum le tiers de
la dose journalière précédente.
Les modifi c ations des doses et la cor-
rection d’éventuels effets indési-
rables justifient au minimum un suiv i
hebdomadaire au cours du premier
mois de traitement.
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Le Courrier de l’algologie (3), no3, juillet/août/septembre 2004
Mise au point
Au terme de cette période de titra-
t i o n , la décision de pours u iv r e ou
d’interrompre le traitement est prise
en fonction de l’évaluation du rap-
port bénéfice/effets indésirables.
Traitement d’entretien
Les ava n t a ges et inconvénients de la
prescription et les modalités d’ob-
servance du programme thérapeu-
tique sont évalués tous les 28 jours
lors des consultations de suivi.
La posologie est adaptée en fo n c t i o n
de la pat h o l ogie en cause et de la pré-
sence d’effets insirables impor-
tants et/ou non contrôlés.
L’augmentation de la posologie est
réalisée selon la pro c é d u re utilisée
lors de la titration.
Chez l’adulte, une réponse insuffi s a n t e
pour des posologies journ a l i è res supé-
ri e u r es à 120 mg de morphine doit
o bl i gat o i reme nt conduire à une éva-
luation des mécanismes de la douleur
et à une remise en cause de l’intérêt du
traitement par un opioïde fort.
Chez le sujet très âgé, à la fin de la
période de titration par la forme LI,
la dose quotidienne peut être conve r -
tie en morphine LP.
R a i s o n s
et modalités darrêt
du traitement
Le traitement doit être interrompu en
cas :
de non-respect du contrat d’objec-
tifs et de moyens entre le pre s c ri p t e u r
et le patient (non-respect de la pres-
c ri p t i o n , m é s u s age, abus répétés...) ;
d ’ a bsence de soulagement sat i s-
faisant après le premier mois de tra i-
tement ;
Ce document a été réalisé à partir des évaluations d’un groupe d’experts de l’Afssaps, des réseaux nationaux de pharmaco-
dépendance et de pharmacovigilance et de la Société d’étude et de traitement de la douleur (SETD). Afssaps (B. Bannwarth,
A. Castot, C. Caulin, C. Deguines, N. Dumarcet, C. Gatignol, V. Lavergne, S. Legrain, D. Masset, C. Messina-Gourlot, F. Piet-
te, A. Rouleau), Réseau national de pharmacodépendance (M. Lapeyre-Mestre, M. Mallaret), Réseau national de pharmaco-
vigilance (A. Coquerel), SETD (J.P. Alibeu, S. Blond, J. Bruxelle, J.B. Caillet, E. Collin, G. Cunin, C. Delorme, M. Dousse,
R. Duclos, A. Eschalier, M. Filbet, M.T. Gatt, I. Krakowski, M. Lantéri-Minet, A. Margot-Duclot, G. Mick, M. Navez, J. Nizard,
S. Perrot, C. Ricard, R. Trèves, P. Vergne).
Les cas graves d’abus et de phar-
macodépendance doivent être
transmis aux Centres d’évalua-
tion et d’information sur la phar-
macodépendance (CEIP). Le s
observations d’effets indési-
rables graves ou inattendus doi-
vent être transmises aux Centres
régionaux de pharmacovigilance
(CRPV).
– d’amélioration substantielle de la
s y m p t o m at o l ogie douloure u s e,d e s
c apacités fonctionnelles et de la qua-
lité de vie,par le biais de traitements
plus spécifiques ou non médicamen-
teux.
L’ a r t du traitement doit toujours
ê t re progressif pour éviter un syn-
drome de sevrage :
la diminution de la posologie peut
ê t re réalisée par une diminu t i o n
maximale d’un tiers de la dose pré-
dente chaque jour, au mieux
chaque semaine en cas de traitement
prolongé ;
tout arrêt de traitement pour inef-
ficacité impose une nouvelle éva-
l u ation du syndrome douloure u x
chaque semaine pendant la durée de
réduction de la posologie ave c,s i
possible, l’avis et le soutien de pra-
ticiens ex p é r imentés dans le do-
maine du traitement de la douleur
chronique.
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