NOUVEAUX CONCEPTS KINÉSITHÉRAPIQUES Nouveaux concepts de prise en charge kinésithérapique. À propos de la raideur de l’épaule Shoulder rehabilitation: what about stiffness? ● J.P. Liotard* P o i n t s f o r t s ■ Patient couché à plat, nous mesurons les amplitudes pas- sives en élévation et en rotation externe RE1 ; puis, patient assis en bord de table, nous mesurons les amplitudes actives en rotation interne, élévation et rotation externes RE2. La raideur articulaire, à l’épaule, prend un masque plus subtil qu’au genou. Autant il est facile d’associer une boiterie douloureuse à un flexum de 10 degrés constaté sur un genou, autant il est difficile d’associer une impotence douloureuse de l’épaule à une raideur, devant un patient debout qui se présente bras au ciel. Or, nous avons souvent observé qu’une élévation active, apparemment complète au zénith, peut masquer une raideur de l’épaule ; un examen clinique précis est nécessaire pour quantifier la raideur de l’épaule. ■ La raideur de l’épaule intervient tout autant que la rup- ture de la coiffe des rotateurs dans le dysfonctionnement de l’épaule. ■ Une raideur postopératoire inhabituelle renvoie souvent à une raideur préopératoire négligée. ■ La rééducation de l’épaule peut reposer sur une autoréé- ducation simple, de quelques minutes quelques fois par jour. ■ S’étirer au zénith est fondamental en postopératoire. Mots-clés : Épaule - Raideur - Autorééducation - Bloc du nerf sus-scapulaire. Keywords: Shoulder - Stiffness - Self-rehabilitation Suprascapular nerve block. “L es traumatismes directs ou indirects de l’épaule sont très fréquemment suivis d’une inflammation des tissus qui entourent l’articulation scapulo-humérale. […] La périarthrite de l’épaule doit être traitée avec soin à son début si l’on veut éviter les raideurs qui en sont la conséquence.” Cette citation de S. Duplay est tirée du mémoire qu’il a présenté en 1872 (1). Il poursuivait ainsi : “La gymnastique du membre, l’électricité, les douches, le massage, constituent le meilleur traitement […] jusqu’à ce que l’épaule ait recouvré l’intégrité de ses mouvements.” * Médecin rééducateur, Lyon. La Lettre du Rhumatologue - n° 316 - novembre 2005 RAIDEUR DE L’ÉPAULE : EXAMEN CLINIQUE Pour mesurer les amplitudes, nous utilisons une méthode simple, fiable, reproductible et comparative, préconisée par Neer (2). Patient couché à plat, nous mesurons les amplitudes passives en élévation et en rotation externe RE1. Puis, patient assis en bord de table, nous mesurons les amplitudes actives en rotation interne, élévation et rotation externe RE2. Pour l’élévation et la rotation externe passives, la mesure est faite coude au corps, sans aucune composante d’abduction, qui même modérée augmente la mesure de 10 à 30 degrés. Pour l’élévation active, la main de l’examinateur, posée dans le dos du patient, suffit à éliminer toute compensation latérale ou postérieure : une élévation active contrôlée est de 10 à 30 degrés moins élevée qu’une élévation buste libre. Cette mesure chiffrée stricte permet d’établir le morphotype articulaire du patient du côté sain ; du côté atteint, elle objective la raideur de l’épaule, qui est chiffrée. RAIDEUR DE L’ÉPAULE : ÉLÉMENTS D’ANATOMO-PHYSIO-PATHOLOGIE La raideur associe à des degrés divers bursite et capsulite. La bursite et ses trois stades ont été présentés, en 1983, par Neer (3). Dès le stade 2, la fibrose sous-acromiale peut limiter l’élévation du fait de la perturbation du glissement sous-acromial ; pour Neer, à ce stade, l’assouplissement de l’épaule fait partie des objectifs du traitement médical. La capsulite rétractile “moderne” a été décrite in vivo, dès 1945, par Neviaser (4) ; la rétraction capsulaire limite 45 NOUVEAUX CONCEPTS KINÉSITHÉRAPIQUES toutes les amplitudes, donnant le classique schéma capsulaire 90/0/main-fesse. Enfin, Neer (5) a insisté sur la limitation spécifique de la rotation externe, du fait de la rétraction particulière du ligament coraco-huméral. La raideur postopératoire est un modèle expérimental inversé de la raideur en train de se mettre en place dans une épaule. L’analyse biomécanique de la raideur peut se faire à partir de trois stades : les 90 degrés du schéma capsulaire, les 120 degrés de la raideur sévère, les 150 degrés de la raideur résiduelle. À 90 degrés, la raideur correspond à la rétraction du récessus capsulaire inférieur. À 120 degrés, elle correspond à la rétraction du ligament coracohuméral. À 150 degrés, elle correspond au défaut de glissement sous-acromial. La raideur admet un traitement médical local pouvant agir sur la bursite et la capsulite : c’est le bloc du nerf sus-scapulaire. Le nerf sus-scapulaire innerve sur le plan sensitif l’espace sous-acromial et la capsule gléno-humérale. Présenté dans la littérature depuis 1951 (6), le bloc du nerf sus-scapulaire a vu son efficacité sur les douleurs de l’épaule gelée démontrée par Wassef, en 1992 (7). Personnellement, depuis 1988, j’injecte sous contrôle scopique, par voie transacromio-claviculaire, un dérivé cortisoné (2 ml), un produit de contraste (3 ml) et les 10 ml de lidocaïne du test de Neer : c’est un test de Neer à visée thérapeutique. EXPÉRIENCE DE LA RAIDEUR PRÉ- ET POSTOPÉRATOIRE La raideur de l’épaule intervient tout autant que la rupture de la coiffe des rotateurs dans le dysfonctionnement de l’épaule. En 2001 (8), nous avons montré qu’en prenant en compte la raideur de l’épaule, on peut obtenir des résultats satisfaisants, sans réparer la coiffe. Sur 49 patients porteurs d’une rupture de coiffe et s’étant enraidis (élévation antérieure moyenne à 116 degrés), tous étaient assouplis en quatre mois et 76 % n’avaient pas été opérés avec un résultat fonctionnel jugé satisfaisant après plus de deux ans de recul. La conclusion est qu’il faut assouplir une épaule raide avant de rediscuter de la nécessité de la chirurgie, qui n’est le plus souvent pas nécessaire. Une raideur postopératoire inhabituelle renvoie souvent à une raideur préopératoire négligée. Négliger une raideur de l’épaule est malheureusement habituel lorsqu’il existe une rupture de coiffe confirmée par l’imagerie ; l’évidence de la rupture l’emporte sur l’évidence de la raideur de l’épaule et conduit souvent à enchaîner trop vite la consultation et l’intervention. La conclusion de notre expérience est simple à définir : il faut s’acharner à expliquer au patient l’inconvénient qu’il y a à être opéré avec une raideur de l’épaule. Il convient également de le persuader de se plier aux contraintes de l’assouplissement de son épaule raide, et de ne pas forcément être opéré à terme. RÉÉDUCATION : RÉCUPÉRER L’ÉLÉVATION FONCTIONNELLE Pour la rééducation, nous avons repris une règle de Neer (9) : autorééducation simple, quelques minutes quelques fois par jour. De 1985 à 1995, nous avions gardé une certaine complexité dans 46 la façon de faire (10). Depuis 1995, nous avons mis en place la récupération de l’élévation, coudes fléchis au départ, mains entrecroisées allant au-dessus de la tête puis au zénith, coudes tendus à l’arrivée. Comme Hughes et Neer (11), nous pensons que ce que le patient peut faire ne doit pas être fait par le kinésithérapeute et pour nous, la manipulation kinésithérapique à visée mobilisatrice est proscrite. Le travail en élévation fonctionnelle est important. Gagey (12) a montré en effet que la flexion et l’abduction ne permettent pas une élévation complète à cause, respectivement, de la mise en tension des ligaments coraco-huméral et gléno-huméral inférieur. L’élévation la plus complète et la plus facile est obtenue dans le plan de l’omoplate, car les ligaments gléno-huméral inférieur et coracohuméral, en tension réciproque équilibrée, se déplient complètement. En même temps, le massif trochitérien, évitant l’écueil acromial (en abduction) et l’écueil coracoïdien (en flexion), s’engage sans conflit sous le ligament acromio-coracoïdien. C’est ce qui se passe lors de l’étirement mains entrecroisées au-dessus de la tête, puis au zénith. S’ÉTIRER AU ZÉNITH EST FONDAMENTAL EN POSTOPÉRATOIRE S’étirer au zénith optimise le remodelage collagénique : la cicatrisation concerne l’appareil capsulo-ligamentaire et la bourse sousacromiale, qui cicatrisent de part et d’autre du tendon. L’étirement mains jointes en élévation, au gré du patient, crée des contraintes progressives en traction, qui respectent la réinsertion transosseuse, redonnent sa longueur à l’appareil capsulo-ligamentaire, et son rôle de glissement à la bourse sous-acromiale. En postopératoire, la progression en élévation correspond, en même temps, à la remise en route en étirement progressif de tous les muscles de la ceinture scapulaire. S’étirer au zénith est une modalité optimale de réveil et de travail musculaire : s’étirer met en jeu 108 muscles pour les membres supérieurs (13). Les étirements personnels, mains jointes, réveillent les muscles ; les activités de la vie quotidienne, reprises progressivement, les renforcent. Nous prévenons le patient que ses muscles vont se réveiller plus vite et plus fort que ne vont cicatriser ses tendons, car le métabolisme des cellules musculaires est beaucoup plus actif que le métabolisme des fibres de collagène. Nous interdisons donc tout exercice kinésithérapique complémentaire à visée musculaire (travail actif et travail contre résistance), et nous invitons le patient à être très prudent dans la reprise de ses activités. PEUT-ON APPLIQUER CETTE RÉÉDUCATION À L’ÉPAULE PRÉOPÉRATOIRE ? Il est facile, en consultation, de proposer à un futur opéré de s’étirer mains jointes au zénith ; il suffit de quelques secondes pour le lui montrer et pour voir s’il est capable de le faire. Si cela paraît difficile, voire impossible, comment imaginer que les désordres articulaires qui l’empêchent de s’étirer ne vont pas se retrouver aggravés en postopératoire, avec un patient qui ne pourra ni ne devra plus forcer pour s’étirer et vaincre la raideur ? La Lettre du Rhumatologue - n° 316 - novembre 2005 NOUVEAUX CONCEPTS KINÉSITHÉRAPIQUES 3. Neer CS 2nd. Impingement lesions. Clin Orthop Relat Res 1983;173:70-7. 4. Neviaser JS. Adhesive capsulitis in the shoulder: a study of the pathological Si l’épaule est rebelle à cet autoassouplissement, un bloc sensitif du nerf sus-scapulaire facilite les étirements mains jointes dans le quart d’heure qui suit, grâce à l’action rapide de la lidocaïne. L’assouplissement se complète dans les 10 jours qui suivent, grâce à l’action plus tardive de la cortisone. La souplesse doit ensuite être maintenue par les étirements, en se donnant au moins un mois après l’infiltration pour en juger. La raideur préopératoire négligée est en partie responsable de la mauvaise réputation de la rééducation de l’épaule opérée : douloureuse, difficile, longue et décevante. L’habitude prise de faire s’assouplir nos propres patients me permet de constater que, chaque fois qu’un chirurgien déroge à cette règle et me confie le suivi de son patient, je constate que la rééducation est douloureuse, difficile, longue et décevante. ■ findings in periarthritis of the shoulder. J Bone Joint Surg 1945;27:211-22. 5. Neer CS 2nd. The anatomy and potential effects of contracture of the coracohumeral ligament. Clin Orthp Relat Res 1992;280:182-5. 6. Granirer LW. A simple technique for suprascapular nerve block. NY State J Med 1951;51:1048-54. 7. Wassef MR. Suprascapular nerve block. A new approach for the management of frozen shoulder. Anaesthesia 1992;47:120-4. 8. Liotard JP. Rupture de coiffe et raideur de l’épaule. Symposium sur la raideur de l’épaule. 2001;La Baule, France. Proceedings. 9. Neer CS 2nd. In : Shoulder Reconstruction. Philadelphie : WB Saunders Company ; 1990;488-91. 10. Liotard JP, Expert JM, Mercanton G, Padey A. Rééducation de l’épaule. Éditions techniques. Encyclopédie Médico-Chirurgicale. Paris. KinésithérapieRééducation fonctionnelle 1995;26-210:23-30. 11. Hughes M, Neer CS 2nd. Glenohumeral joint replacement and postoperative rehabilitation. Physical therapy 1975;55:850-8. 12. Gagey O, Bonfait H, Gillot C, Mazas F. Anatomie fonctionnelle et mécanique de l’élévation du bras. Rev Chir Orthop 1988;74:209-17. 13. Bonnel F. Épaule et couples musculaires de stabilisation rotatoire dans les trois plans de l’espace. In : Bonnel F, Blotman F, Mansat M (eds). L’épaule. Paris : Springer-Verlag;1993:35-6. Bibliographie 1. Duplay S. De la péri-arthrite scapulo-humérale et des raideurs de l’épaule qui en sont la conséquence. Archives générales de médecine ;1872:513-42. 2. Neer CS 2nd. In : Shoulder Reconstruction. Philadelphie : WB Saunders Company;1990;7-14. ✂ À découper ou à photocopier O UI, JE M’ABONNE AU MENSUEL Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. La Lettre Rhumatologue ABONNEMENT : 1 an ÉTRANGER (AUTRE FRANCE/DOM-TOM/EUROPE ❐ ❐ ❐ à l’attention de .............................................................................. 120 € collectivités 96 € particuliers 60 € étudiants* ❏ libérale *joindre la photocopie de la carte + M., Mme, Mlle ................................................................................ Prénom .......................................................................................... ET POUR 10 € DE PLUS ! €, accès illimité aux 24 revues de notre groupe de presse disponibles sur notre ❐ 10 site vivactis-media.com (adresse e-mail gratuite) ❏ autre.......................... 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