La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007
Revue de presse
Revue de presse
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Incidence du cancer du sein
chez les manipulatrices
en radiologie aux États-Unis
Doody MM, Freedman DM, Alexander BH et al.
Breast cancer incidence in US radiologic techno-
logists. Cancer 2006;106(12):2707-15.
Introduction
Grâce aux différentes études épimiologiques, il
est prou quil existe un risque accru de cancer du
sein en cas d’exposition à des radiations ionisantes
à forte dose de façon aiguë (exemple : survivants
de bombe atomique) ou à des doses interdiaires
(exemple : patients irradiés). En revanche, les effets
dune exposition prolongée et répétée à de faibles
doses nont jamais éréellement étudiés.
Chez lanimal, le risque de cancer du sein est plus
faible pour une même dose administrée sur une
longue période que sur un court intervalle, proba-
blement du fait d’une réparation de l’ADN durant
lintervalle libre. Cependant, rien nest prouvé chez
l’homme. Cette étude nationale américaine sur
une large population de manipulatrices radio a
pour but d’améliorer les données sur le risque de
cancer du sein et l’exposition à de faibles doses de
radiations sur une longue durée.
Mariel et thodes
Cette étude a évallincidence du cancer du sein
chez 56 436 manipulatrices radio sur une période
de 15 ans. Lalection de cette cohorte sest faite
par deux séries de questionnaires, l’un réalidans
les années 1980 et le second dans les années 1990.
Les renseignements recueillis concernaient :
– le cursus professionnel : diplôme obtenu entre
1920 et 1980 ; nombre total d’années travaillées
comme manipulatrices radio ; âge et année de la
première ane de travail ; nombre danes tra-
vaillées dans chaque décade en divisant en cinq
riodes (avant 1940/1940-1949/1950-1959/1960-
1976/1977-1984) ; type de poste occupé (type de
procédure radiologique, milieu hospitalier ou
cabinet pri). Lensemble des données a permis de
constituer un index approximatif de dose d’irradia-
tion cumue avec cinq niveaux nos de 1 à 5 ;
– les antécédents médicaux et gynéco-obstétri-
caux ;
les facteurs démographiques et concernant leur
style de vie ;
– les facteurs de risque personnels et familiaux
de cancer du sein.
À lissue des deux surveillances, 1 050 cas de can-
cers du sein ont été rapportés.
Lanalyse statistique a conduit au calcul dun risque
relatif de cancer du sein (intervalle de confiance
de 95 %) ajusté ou non c’est-dire intégrant ou
pas des facteurs de risque majeurs du cancer du
sein ge, antécédents familiaux de cancer du sein,
ménopause, THS, âge ménarche, nombre de gros-
sesses…). Il n’y a pas de différence significative
entre les deux calculs.
Résultats
Il nest pas apparu de différences entre les mani-
pulatrices atteintes dun cancer et les autres, en ce
qui concerne le nombre total d’années travaillées,
la race, l’éducation, le statut familial, la situation
géographique ou la spécialité pratiquée (radio-
diagnostic, radiothérapie, médecine nucléaire).
En revanche, celles atteintes dun cancer du sein
avaient commencé à travailler 6 à 7 ans avant les
autres. Par rapport aux manipulatrices ayant com-
mencé à travailler après 1970, le risque de cancer
du sein est multiplié par 2 (RR : 2) chez celles ayant
commen avant 1940 et par 3 (RR : 2,9) avant 1935
( IC95). Le risque est donc augmenté avec le nombre
dannées travaillées avant 1940 (RR : 2,5), mais cette
constatation nest plus vraie après 1940. Létude a
également prouvé une augmentation du risque
chez les manipulatrices ayant commencé à tra-
vailler avant l’âge de 17 ans (RR : 2,6). Par ailleurs,
le risque augmente avec le niveau de l’index de
dose d’irradiation cumulée puisque le niveau 4
a un risque 50 % plus élevé (RR : 1,5) par rapport
au niveau 1. Pas de différence significative pour
les niveaux 2 et 3 (RR :1). Pour mémoire, létude
a confirmé les données connues de la littérature
sur les facteurs de risque de cancer du sein (âge,
antécédents familiaux, statut hormonal…).
Discussion
Cette cohorte de manipulatrices radio est le plus
grand groupe de femmes soumises à de faibles
doses d’irradiation jamais étudjusquà présent.
Sur les 1 050 cas de cancer du sein rappors, il est
no une dose élevée (niveaux 4 et 5) dirradiation
cumulée, une augmentation du nombre d’années
travailes avant 1940 et un âge de début dactivité
plus précoce. Il existe deux petites études antérieu-
res qui se sont intéressées à la relation entre risque
de cancer du sein et exposition professionnelle aux
radiations. La premre concerne des Chinoises
travaillant dans un service de radiodiagnostic, leur
risque de cancer du sein est augmen de 70 % pour
celles exposées avant 1950 et de 50 % entre 1950 et
1985 par rapport au personnel médical non expo,
pas de différence de risque au-delà de 1985, ces
données sont en accord avec les résultats de notre
étude. La deuxième étude concerne des Danoises
travaillant en radiothérapie entre 1954 et 1982 et ne
montre pas de différence d’incidence du cancer du
sein par rapport à la population générale.
Plusieurs explications permettent de compren-
dre les sultats de l’étude. Tout d’abord, depuis
le début du XXe siècle, il existe une réduction
des doses recommandées d’irradiation annuelle :
300 mSv avant 1934 et 20 mSv en 1990. Parallè-
lement, les nouvelles techniques radiologiques
permettent dobtenir de meilleures images et de
diminuer lirradiation des patients. Le risque accru
de cancer chez les manipulatrices ayant commencé
à travailler jeunes s’explique par le fait que l’on
commençait à travailler plus jeune avant 1940 et
que les doses d’irradiation étaient plus élevées.
La principale limite de létude est labsence de quan-
tification précise des doses dirradiation individuelle
pour définir les niveaux d’index de dose. Létude
couvre une longue période durant laquelle les
mesures de radioprotection se sont développées
et les recommandations sur les doses dirradiation
professionnelle sont progressivement plus strictes
et contrôlées. Les sultats sont donc à interpréter
avec précautions. Cependant, on doit savoir quune
irradiation nest jamais insignifiante quel que soit
lâge. Le personnel médical soumis à des radiations
au quotidien doit en tenir compte et néficier dune
surveillance de dose dexposition (dosifilms).
Conclusion
Le risque de cancer du sein augmente chez les
manipulatrices expoes durant une longue
période à des doses d’irradiation faibles, mais
dont l’index de dose cumulée est éle. Ces
index élevés se rencontraient avant 1940. Grâce
aux mesures de radioprotection actuelles et aux
nouvelles techniques radiologiques, il nest pas
obser d’augmentation de risque de cancer du
sein chez les manipulatrices.
Commentaires
Cette étude a été bien conduite sur le plan tho-
dologique avec une cohorte suffisamment nom-
breuse et une analyse statistique assez rigoureuse
prenant la peine dintégrer les facteurs de risque
majeurs du cancer du sein. Il est regrettable qu’il
nexiste pas de valeur seuil de dose d’irradiation
cumue correspondant à chaque niveau. À lissue
de l’étude, il nest pas non plus défini de dose
cumulée d’irradiation maximale au-delà de
laquelle il existe une augmentation du risque de
cancer du sein. On peut se féliciter des mesures
de radioprotection qui se sont améliorées dans
le temps, surtout dans les pays occidentaux. n
Anne Cabanes-Dupuis,
Institut Claudius Regaud, Toulouse
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