CAS CLINIQUE Mots-clés Maladie de Gorham et Stout - Ostéolyse - IL-6 - VEGF-A - VEGFR-3 - Biphosphonates SOS fantôme R. Belkhir* U n homme âgé de 26 ans, sans histoire médicale et vivant en Algérie, souffre de douleurs de l’aine droite depuis une chute sur son lieu de travail (chute d’une hauteur de plusieurs mètres). Aucune fracture n’est constatée sur les radiographies successives du rachis lombaire et du bassin. Deux ans plus tard, la douleur persistant, il doit interrompre son activité professionnelle. Une nouvelle radiographie du bassin montre une ostéolyse de l’aile iliaque droite (figures 1 et 2). À cette date, l’ostéolyse a progressé jusqu’à atteindre l’extrémité supérieure du fémur droit, et le patient se déplace avec des béquilles. En 2004, le patient développe une pleurésie de la base droite drainée en unité de soins intensifs en Algérie. La composition du liquide pleural n’est pas connue. Devant les anomalies radiographiques, des biopsies de l’aile iliaque droite et des tissus mous sont pratiquées, montrant un tissu de granulation inflammatoire sans spécificité, des travées osseuses de taille variable, une assez grande richesse en vaisseaux à paroi épaisse, sans signe de prolifération maligne. Le diagnostic de maladie de Gorham et Stout est évoqué. Par la suite, le patient tombe, à nouveau, de sa hauteur. Il reste alité pendant un an, en raison de rachialgies et, depuis, il ne se déplace qu’en fauteuil roulant. En juillet 2007, le patient est hospitalisé dans le service de rhumatologie de l’hôpital Bicêtre. À l’admission, son membre inférieur droit raccourci lui permet de se déplacer de son lit vers un fauteuil. Il n’a quasiment plus de douleurs. L’examen neurologique est normal. Les paramètres biologiques sont normaux, ainsi que les marqueurs du remodelage osseux : la seule anomalie est l’existence d’une hypergammaglobulinémie polyclonale. Les radiographies standard et le scanner (rachis et bassin) confirment l’existence de multiples lésions ostéolytiques sur le rachis avec destruction de D12, fusion du plateau de L1 et du plateau inférieur de T12, une ostéolyse complète des 11e et 12e côtes droites, et partielle des 7e, 8e, 9e et 10e côtes droites (figure 3), une ostéolyse complète de l’aile iliaque droite (figure 4), de la tête du fémur et du col fémoral droit, ainsi que de l’hémisacrum droit. L’IRM du bassin et du rachis montre un signal hyperintense en séquence T1 sur les corps vertébraux de T11 à L1 et le sacrum (figure 5). Sur les séquences STIR, les lésions osseuses apparaissent hyperintenses. Il existe un hypersignal STIR de la paroi thoracique postérieure droite remontant jusqu’à l’apex et de ganglions axillaire droit, paratrachéal droit et sous-carénaire. Aucune prise de contraste des lésions osseuses ou des parties molles n’est constatée après injection de produit de contraste. Il n’y a pas d’hypersignal médullaire. Le PET scan, réalisé en août 2007, montre un hypermétabolisme intense de la paroi thoracique postérieure droite en relation avec les zones d’ostéolyse des arcs postérieurs de la 6e à la 8e côte droite, des lésions vertébrales (T10 et L2) et des ganglions suscités. Aucun foyer d’hyperfixation n’est noté sur le bassin. Afin d’interrompre la progression de l’ostéolyse, un traitement par biphosphonate (acide zolédronique 4 mg intraveineux mensuellement) est alors instauré. Une radiothérapie externe est réalisée, ciblant les zones d’hyperfixation du PET scan, soit les vertèbres de T11 à L1, les lésions costales et ganglionnaires (figure 6). Étant donné la nature vasculaire de la maladie de Gorham, un traitement par anticorps monoclonal anti-VEGF-A, le bévacizumab (400 mg à J1 et J15), est proposé, associé à une radiothérapie sur les côtes droites et le rachis dorso-lombaire, en raison du risque de compression médullaire. Un mois plus tard, un nouveau PET scan montre une diminution en intensité de l’hypermétabolisme sur les côtes et les vertèbres. Deux mois plus tard, il n’existe plus d’hypermétabolisme sur les vertèbres. Le patient est retourné en Algérie après le dernier PET scan et a été perdu de vue. 10 | La Lettre du Rhumatologue • Suppl. 3 au n° 357 - décembre 2009 Légendes Figure 1. Radiographie de bassin en 2004, avant l’arrivée en France : disparition de la branche ischiopubienne droite. Figure 2. Radiographie du thorax en 2004 : épanchement pleural de la base droite. Figure 3. Radiographie du thorax en 2007 : mauvaise visibilité des arcs antérieurs des dernières côtes droites. Figure 4. Radiographie du bassin en 2007 : disparition de l’hémibassin droit, de l’extrémité supérieure du fémur droit. Figure 5. IRM rachis en T1 : quasi-disparition de la vertèbre T12, avec déformation en cyphose et fusion du plateau supérieur de L1 avec le reste de la vertèbre T12, qui apparaissent en hypersignal. Figure 6. PET scan en août 2007 avant traitement : hyperfixation de l’arc postérieur d’une côte droite. * Service de rhumatologie, hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre. CAS CLINIQUE 1 2 3 5 6 4 La Lettre du Rhumatologue • Suppl. 3 au n° 357 - décembre 2009 | 11 CAS CLINIQUE La maladie de Gorham et Stout est une maladie rare caractérisée par une ostéolyse associée à une prolifération non maligne de vaisseaux lymphatiques à paroi mince à destinée osseuse. Elle peut envahir les tissus mous, et les zones d’ostéolyse sont remplacées par un tissu angiomateux, puis fibreux. Les premiers cas ont été décrits par ­Gorham en 1954, et la description physiopathologique en a été faite par Gorham et Stout, en 1955. Deux cents cas sont rapportés à ce jour (1). La physiopathologie est inconnue. Plusieurs hypothèses moléculaires ont été évoquées. Devlin et al. ont montré qu’une augmentation de l’IL-6 dans le sérum des patients malades est à l’origine d’une stimulation des ostéoclastes par l’expression de RANK et qu’il existerait une sensibilité accrue à l’IL-6 des ostéoclastes (5, 6). D’autre part, le facteur de croissance angiogénique VEGF-A (Vascular Endothelial Growth Factor de type A) a été mis en évidence sur des lames de biopsies osseuses par immunomarquage, et l’examen des capillaires et des lacunes osseuses a également été positif au VEGFR-3 (récepteur au VEGF de type 3), un marqueur spécifique de l’endothélium lymphatique (4). Les biphosphonates constituent la pierre angulaire du traitement pour stabiliser l’ostéolyse (2, 3). La radiothérapie externe est complémentaire, et des doses de 40 à 45 grays distribuées en deux fractionnements pourraient stopper la prolifération endothéliale. ■ Retrouvez toutes les ima ges de ce supplément sur www.edimark.fr dans la rubrique Photothèque FMC > Rhumatologie Les articles sont également disponibles dans la rubrique La Lettre du Rhumatologue Numéro réalisé avec le soutien institutionnel de 12 | La Lettre du Rhumatologue • Suppl. 3 au n° 357 - décembre 2009 Références bibliographiques 1. Patel DV. Gorham’s disease or massive osteolysis. Clin Med Res 2005;3(2):65-74. 2. Hammer F, Fenn W, Wesselman V et al. Gorham-Stout disease. Stabilization during bisphosphonate treatment. J Bone Miner Res 2005;20(2):350-3. 3. Mignogna MD, Fedole S, Lo Russo L, Ciccarelli R. Treatment of Gorham’s disease with zoledronic acid. Oral Oncol 2005;41(7):747-50. 4. Colucci S, Taraboletti G, Primo L et al. Gorham-Stout syndrome: a monocyte-mediated cytokine propelled disease. J Bone Miner Res 2006;21(2):207-18. 5. Hirayama T, Sabokbar A, Itonaga I, Watt-Smith S, Athanasou NA. Cellular and humoral mechanisms of osteoclast formation and bone resorption in GorhamStout disease. J Pathol 2001;195(5):624-30. 6. Devlin RD, Bone HG 3rd, Roodman GD. Interleukin-6: a potential mediator of the massive osteolysis in patients with Goram-Stout disease. J Clin Endocrinol Metab 1999;81(5):1893-7.