Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 6, juin 2001
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de vie quotidienne (échelles dites “ADL”
ou “IADL”) soit mieux corrélée que les
résultats des tests cognitifs à l’augmenta-
tion du risque.
Soulignons ici qu’en immense majorité
ces données proviennent de sources
nord-américaines et n’ont que peu ou pas
été répliquées en Europe, notamment
dans les pays de culture latine.
Une réunion de consensus sur le sujet a eu
lieu en Suède, en 1994. Aucun seuil cogni-
tif n’a été retenu, et l’importance des fac-
teurs culturels et politiques nationaux a été
soulignée (notamment, les rapports relatifs
entre le respect de la liberté individuelle,
d’une part, et le niveau plus ou moins
élevé de protection publique, d’autre part).
Le groupe prône une évaluation spécifique
régulière et des discussions compréhen-
sives (au sens français, bien sûr) avec le
patient et sa famille. Une démence modé-
rée à sévère (échelle de CDR 2 et 3) leur
semble suffire à interdire la conduite. La
surveillance des fonctions cognitives et
sensorielles, la formulation de conseils
précis de prudence sont recommandées.
Une décision de nécessité d’arrêt, en parti-
culier contre l’avis du patient, est considé-
rée comme devant être expliquée claire-
ment, de vive voix, consignée dans le dos-
sier et notifiée au patient par écrit.
En France, le permis de conduire n’est pas
sujet à réévaluation régulière. La survenue
d’une maladie connue pour altérer la sécu-
rité de la conduite (comme l’épilepsie)
requiert que le patient en fasse lui-même
état et se soumette à une évaluation devant
une commission. En revanche, il semble
que les assurances aient tendance à déga-
ger leur responsabilité en cas d’accident
chez un patient souffrant d’une pathologie
n’ayant pas été dûment déclarée.
Algorithme pratique
On ne peut promouvoir une attitude uni-
voque et simple. Pour améliorer l’accepta-
tion de ce qui est souvent vécu comme
une amputation sociale, il paraît préfé-
rable de procéder progressivement, sur le
modèle de la préparation à l’institutionali-
sation, au sein d’une prise en charge déjà
globale. Il faut bien rester conscient que le
médecin généraliste n’a que rarement le
temps d’envisager ce type de problème et
d’en discuter. C’est, le plus souvent, le
spécialiste, avec l’autorité qui lui est
reconnue, qui doit évoquer les problèmes
découlant de la maladie. Rappelons que,
comme toujours, une interdiction simple,
sans discussion ni explication, risque de
n’aboutir qu’à la négligence des recom-
mandations et, en fin de compte, à l’aug-
mentation du risque.
Dans un premier temps, chez des patients
encore en bon état cognitif (MMS 26 –
18, par exemple) et sans troubles fron-
taux ni anosognosie, on peut se contenter
de poser la question de la conduite, ne
serait-ce que pour attirer l’attention du
groupe familial sur le sujet. Dans un
second temps, on peut s’enquérir des
limitations de bon sens (kilométrage
limité sur autoroute, évitement de la
conduite de nuit et des heures de pointe)
et faire le point sur les handicaps asso-
ciés (état de la vue, pathologies rhuma-
tismales des membres inférieurs, état
cardiovasculaire, traitements psycho-
tropes). Les conseils de prudence et de
modération sont à répéter à chaque visite.
Un article américain récent recommande
de signaler au patient et à sa famille le
risque lié à la conduite automobile au
cours de ces maladies.
Pour les patients ayant un trouble déjà
plus sévère (MMS < 18, plus de 5 ans
d’évolution), il faut rediscuter le problème,
faire état de sa préoccupation, promou-
voir au maximum, quand c’est possible,
la conduite partagée (alternée) avec le
conjoint. Une discussion compréhensive
permettra de faire le point sur les besoins
réels du patient et de son “aidant princi-
pal”, les alternatives locales (transports
en commun, voisins, enfants en âge de
conduire) en évitant au patient de se bra-
quer face à une interdiction autoritaire et
lui permettant d’admettre ses propres
déficits et ses inquiétudes.
Ce n’est que dans le cas d’une détériora-
tion évoluée, d’une anosognosie mani-
feste de la famille, de la notion de com-
portements à risque (refus de priorité,
petites infractions), qu’il faudra émettre
une interdiction formelle, éventuelle-
ment appuyée de l’évocation d’un risque
de non-prise en charge par les assu-
rances. Le rôle aggravant des traitements
psychotropes n’est à soulever qu’à bon
escient en raison du risque d’effet per-
vers (arrêt inopiné du traitement) bien
connu dans l’épilepsie.
Conclusion
Nous soulignerons à nouveau à quel
point la situation est complexe et sen-
sible. Une interdiction générale automa-
tique ne semble pas justifiée. En
revanche, c’est clairement une des ques-
tions qui devraient être régulièrement
abordées lors des visites de surveillance
et de renouvellement d’un traitement par
inhibiteur des cholinestérases, ou, au
cours du suivi, des démences non
Alzheimer. Comme l’aide à la famille et
la prévention des hospitalisations “en
catastrophe”, le problème relève de la
responsabilité médicale du spécialiste.
Références
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