Sommaire Psychiatrie Une discipline charnière La frontière entre le normal et le pathologique étant loin d’être linéaire, les limites de la psychiatrie ne sont pas faciles à établir. La vocation des soignants dans cette discipline est de soulager les souffrances psychiques. Pourtant ces dernières ne relèvent pas toutes de la pathologie, et à l’extrême du psychologique, les démences rejoignent, elles, dans l’organique, le champ de la neurologie. L a psychiatrie est une discipline charnière où se rejoignent les connaissances en neurosciences et en psychologie, enrichies par les apports de la psychanalyse. L’activité est médicale mais ne peut ignorer aujourd’hui le social, voire l’administratif, le dispositif de soins des malades mentaux étant aussi régi par un ensemble de textes juridiques. L’interférence du non médical, notamment du culturel, est forte, ne serait-ce que par la définition donnée, selon les pays, du malade mental. Pendant longtemps les troubles mentaux n’ont-il pas relevé du surnaturel ? Au fil de l’histoire, le fou a perdu son caractère magique et il est devenu incompréhensible, dangereux, malade enfin, avec la naissance de la psychiatrie. Alors, par l’intermédiaire de l’hôpital, la société a enfermé l’irresponsable pour se protéger de son désordre. pays à mettre sur pied une politique de changement en adoptant, dans les années 60, les principes de la psychiatrie de secteur : une équipe pluridisciplinaire est responsable de la santé mentale des habitants d’une zone géographique. Le débat semble évoluer vers un consensus qui porte notamment sur le caractère bio-psychosocial de la maladie mentale, sur l’évolution vers la psychiatrie communautaire et la fermeture progressive des grandes institutions ●●● 30 26 25 Psychiatres Infirmiers psychiatriques 20 Nouvelles politiques en Europe A partir des années 60, les pays européens ont défini de nouvelles politiques de santé mentale généralement fondées sur les soins communautaires. Sont alors constatés un déclin progressif du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques et la diminution progressive de la dimension des hôpitaux. Parallèlement, l’internement est devenu moins nécessaire du fait des nouvelles thérapeutiques. L’hospitalisation des malades dans les hôpitaux généraux constitue une autre évolution et concerne surtout les hospitalisations de courte durée. La ségrégation du malade mental s’atténue. Chaque pays a développé des efforts particuliers. La France a été l’un des premiers 15 9 10 5 1,9 0,05 0,19 0 Afrique Source : OMS • Demande de soins : des évolutions certaines • L’accès au dossier : l’illusion de la transparence • Spécialisation en soins infirmiers : une nécessité incontournable • Centre médico-psychologique : le travail infirmier • Soins en milieu carcéral : de profondes disparités • Rapport Rœlandt et Piel : de la psychiatrie à la santé mentale 2,7 1 0,75 Les Méditerranée Europe Amériques orientale 0,9 0,2 0,06 0,28 Asie Pacifique du Sud-est occidental Les psychiatres et les infirmiers psychiatriques dans les régions OMS (médians). Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 17 Psychiatrie ●●● psychiatriques. L’effort dans le champ de la réhabilitation sociale et de la formation professionnelle, désormais possibles pour des malades considérés jadis comme chroniques, connaît une intensification certaine. Restent des problèmes non négligeables qui font naître des controverses : la sélection public/privé, le développement des entreprises sociales, l’administration croissante de psychotropes dans la pratique psychiatrique mais aussi dans la population en général et, bien entendu, la formation de personnels compétents. Dans le monde L’OMS a lancé le projet ATLAS pour mieux cerner les ressources consacrées pour la santé mentale dans le monde. La première analyse des données montre la faiblesse disproportionnée des ressources et des services consacrés aux troubles mentaux et comportementaux par rapport à la charge de morbidité, que ce soit dans les pays développés ou dans ceux en voie de développement. Ainsi, parmi les pays étudiés : 43 % n’ont pas de politique de santé mentale, 23 % n’ont pas de législation sur la santé mentale, 38 % n’ont pas de services communautaires de soins, 41 % ne proposent pas de traitements des troubles mentaux sévères dans le cadre de soins de santé primaire. Plus de la moitié des lits réservés aux soins de santé mentale se trouvent dans des hôpitaux psychiatriques. Tout en observant une grande diversité à ce niveau, on s’aperçoit que le nombre moyen de lits disponibles pour les soins de santé mentale s’établit à 1,54/10 000 habitants à l’échelle mondiale (0,33/10 000 habitants en Asie du Sud-Est contre 9,3 pour l’Europe). Les ONG comblent souvent les lacunes. Selon l’OMS, le constat est sombre : de graves pénuries le disputent à la négligence et à l’apathie. L’espoir vient de certains pays qui établissent des embryons de programmes, notamment grâce aux ONG. Mais il faudra encore beaucoup d’efforts de la part des gouvernements, des professionnels et des communautés pour améliorer la situation en matière de santé mentale dans le monde. Andrée-Lucie Pissondes Demande de soins Des évolutions certaines La recrudescence des troubles psychiques, ou vécus comme tels, et les efforts des professionnels pour faire connaître leurs pratiques sont vraisemblablement pour beaucoup dans l’amélioration du regard porté sur la psychiatrie. F orce est de constater que les soins relevant de la souffrance psychique prennent une part de plus en plus importante dans notre système de santé. Cette augmentation est régulière et constante depuis plusieurs années. Offre de soins diversifiée mais disparate La psychiatrie représente 21 % de l’ensemble des lits de courts séjours et 74 % des places d’hospitalisation de jour et de nuit et des places d’hospitalisation à domicile. Il existe 70 000 lits d’hospitalisation complète dont 80 % en établissements spécialisés. 30 % des effectifs sont affectés aux soins de courte durée. 85 % des psychologues et 13 % des médecins spécialistes sont salariés ou libéraux. Les infirmiers exerçant en psychiatrie sont au nombre de 58 000 équivalents temps plein environ pour 4 000 psychologues et 13 200 psychiatres. Quatre-vingts pour 18 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 cent des CMP (centres médico-psychologiques) sont ouverts au moins 5 jours par semaine (contre 83 % en 1989). De grandes disparités géographiques persistent dans cette offre de soins. Ainsi, l’offre est exclusivement publique dans plus du quart des départements et il existe des écarts de capacités qui varient de 1 à 9 sur tout le territoire. Les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) favorisant l’insertion des personnes suivies se sont développés. Soixante-neuf pour cent des secteurs en sont désormais dotés contre 41 % en 1989. Entre 1989 et 1997, il y a eu une progression de 90 % des patients suivis à domicile. Évolution significative des besoins Les troubles de la santé mentale concernent 23 % des femmes et 13 % des hommes. La prévalence Nombre de motifs de recours en milliers en 1997 Dépressions Troubles du sommeil Nervosité Angoisse, anxiété Troubles de l'enfance Retards psychomoteurs Autres troubles névrotiques Psychoses Ensemble des troubles mentaux Généralistes 10 236 8 905 1 130 9 120 119 97 4 546 1 722 35 874 Psychiatres 4 977 864 86 3 348 305 127 7 958 2 343 20 008 Total 15 213 9 769 1 216 12 468 424 224 12 504 4 065 55 882 % 27 17 2 22 1 0 22 7 Source CREDES. Données EPPM 1992/1997 IMS Health globale en population générale est de 9,4 % pour les troubles dépressifs, 0,5 % pour la schizophrénie et 2,7 % pour l’anxiété généralisée. Les enquêtes montrent que 12 % de la population de plus de 16 ans souffrent de dépressions diverses. En 1997, on estimait à 57 millions le nombre de motifs de recours aux soins pour troubles de la santé mentale. Entre 1992 et 1997, les consultations chez les psychiatres en ville sont passées de 13,4 millions à 15,7 millions, soit une augmentation de 17 %. Entre 1989 et 1997, les demandes de soins ont augmenté de 46 % pour les adultes et de 43 % pour la psychiatrie infanto-juvénile. On notera enfin une progression importante des soins relatifs aux enfants, adolescents et personnes âgées entre 1989 et 1995, soit une augmentation de 102 % pour les moins de 15 ans, de 50 % pour les 15-24 ans et de 52 % pour les plus de 85 ans. Rémy Isnard Infirmier général, Laragne (05) * D’après le rapport de la DREES “Bilan de la sectorisation psychiatrique”. Ministère de la Santé, juin 2000. L’accès au dossier L’illusion de la transparence Les certitudes sont à prendre pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des vérités éphémères. Si nous avions parlé de l’accès au dossier il y a quelques années, nul doute que c’eut été en des termes sensiblement différents. ans notre pays, les pratiques en psychiatrie évoluent souvent par à-coups, trop vite ou D pas assez selon que l’on se trouve en position de soignant ou de patient, ou bien encore de proche... En 1996, à l’occasion d’un colloque sur l’assurance qualité et l’accréditation qui se tenait à Gérone où étaient évoquées les diverses expériences européennes, j’avais été surpris par la participation côte à côte d’un psychiatre d’un pays nordique et d’un usager représentant d’une association. Leurs exposés respectifs, harmonieux et complémentaires, proposaient pour nous, psychiatres français, un chemin à découvrir et à explorer. Un travail d’équipe En quelques années, des associations du même ordre se sont développées en France, en même temps qu’apparaissait un changement dans la nature des relations soignant-soigné. Le soin, aujourd’hui, ne s’envisage plus comme subi passivement, mais il s’ouvre sur une dimension participative croissante du patient. Parallèlement, les interactions au sein même de l’équipe soignante se sont modifiées en profondeur. Le médecin apprend à partager les fonctions hiérarchiques et de responsabilité avec ses pairs, mais également avec d’autres acteurs du soin qui prennent une part grandissante dans une ●●● Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 19 Psychiatrie ●●● approche véritablement pluriprofessionnelle. La place de la médecine dans la société change. Il n’est plus question de soigner uniquement des maladies mais de promouvoir la santé : “état de complet bien-être physique, mental et social”, selon la définition de l’OMS. En santé mentale, l’objet de la psychiatrie reste difficile à circonscrire. On parle moins aujourd’hui de maladies mentales que de souffrance psychique. Tout de même, les traitements plus précoces, plus efficaces, les nouvelles connaissances en neurobiologie, en génétique ou en sociologie n’ont pas fait disparaître la psychose. La prévalence en reste remarquablement constante. Par ailleurs, les troubles anxieux, les états dépressifs, les troubles de la personnalité occupent une place croissante. D’après le CREDES, qui cite l’OMS, les troubles psychiatriques sont au troisième rang des maladies dans le monde et devraient dépasser les maladies cardio-vasculaires d’ici 2020. En 1997, le rapport Joly au Conseil économique et social retenait que 20 % des Français souffrent de troubles psychiques et du comportement. Mais, au-delà de cette dimension quantitative, les troubles psychopathologiques occupent une place à part au sein de la médecine et pas seulement en termes de représentation sociale. En effet, comme nous le dit Alain Ehrenberg (1) : « La psychiatrie concerne une classe particulière de pathologie : la capacité du sujet d’évaluer correctement le “lui-même” qui souffre. La psychiatrie est à la fois médecine comme une autre et autre que la médecine... » Une forte spécificité De fait, la psychiatrie garde une spécificité forte malgré une relative banalisation ces vingt dernières années, notamment dans ses lieux de soins, désormais ouverts et à proximité des autres services médicaux. Mais là où la médecine s’appuie trop souvent sur une vision d’organe et sur des principes de causalité linéaire, la psychiatrie demeure (encore ?) référée à une approche holistique qui transcende la partie. Le propre de l’appareil psychique est justement de ne pas renvoyer une image de fonctionnement réflexe, “organique”. L’esprit habille sa souffrance de formes autrement plus masquées, plus complexes à décoder, que le corps. Les verrous se multiplient pour fausser les pistes, barrières filtrant l’accès à l’inconscient. Alors que la maladie somatique est ressentie comme étrangère au sujet, la souffrance psychique renvoie à l’intimité de la personne et, plus qu’ailleurs, la frontière entre le normal et le pathologique est quelquefois difficile à situer... 20 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 La demande est également de nature différente. Elle apparaît parfois étrangement absente dans des situations de souffrance extrême. Mais inintelligible serait plus juste qu’absente. C’est le cas chez beaucoup de psychotiques bien sûr, mais également chez certains sujets en situation de précarité. Le symptôme ne peut alors être compris qu’en regard d’une histoire personnelle. Cette ambiguïté quant à la demande révèle en écho l’ambivalence des soignants. Soigner en psychiatrie, c’est s’efforcer de restaurer la part de liberté perdue, d’aider à recouvrer un libre arbitre. Nul mieux que Henri Ey n’a su décrire la maladie mentale comme une pathologie de la liberté. Nous nous trouvons ainsi, en permanence, écartelés entre deux tentations : – celle de ne pas continuer à stigmatiser les malades, de couper avec des siècles d’exclusion et de rejet en rapport avec une représentation de la maladie mentale renvoyant à des stéréotypes plus qu’aux réalités ; – celle de reconnaître une spécificité et d’entretenir des réponses de natures différentes. La maladie mentale n’est pas toujours perçue par les proches, ou elle l’est parfois avec un certain retard. Mais lorsqu’elle l’est, elle entraîne dans certains cas crainte et méfiance plutôt que compassion. Les relations intersubjectives, au sein de la cellule familiale, sur le plan socioprofessionnel, mais également avec les soignants, s’en trouvent profondément modifiées. Pour Robert Misrahi : « la personnalité malade et souffrante est atteinte dans sa liberté réflexive, cette liberté de second niveau qui correspond à la maîtrise de soi et à la conscience redoublée que tout individu peut conquérir par sa volonté et son travail. Le “malade”, le “patient”, semble ne plus pouvoir accomplir ce travail. Il ne dispose plus que de la liberté spontanée, anarchique, qui certes fait de lui un sujet, mais un sujet soumis à tous les dérèglements et à toutes les dépressions passionnelles de la spontanéité » (2). Que cela nous plaise ou pas, la psychiatrie occupe une place à part au sein de la médecine. Même l’avènement fantasmatique de l’homme neuronal de Jean-Pierre Changeux n’y change rien. Certes, il nous dit que les conduites humaines peuvent être décrites en termes d’activité neuronale. Certes, les connaissances nouvelles en psychopharmacologie s’appliquent à décrire les molécules du bonheur, de la dépression ou du délire, mais nous souscrivons pleinement à l’analyse de Jean Maisondieu : « Donner toute la place à la biologie comme explication ultime du fonctionnement humain, c’est transformer le progrès scientifique en défaite pour l’humanité de l’homme. Certes, les conduites de ce dernier peuvent être dé- crites “en termes d’activité neuronale” mais rien n’autorise à affirmer qu’elles ne sont que cela... Dans ce cas, l’enchaînement sans nuance de l’homme à la matière qui lui permet d’exister réalise sournoisement le meurtre de l’homme libre, capable de dépasser les limites de son enracinement biologique pour s’affirmer comme sujet... » (3). Bannir la contrainte On continue de présenter les soins en psychiatrie par rapport à la notion de contrainte – avec ou sans – or, la vraie question est celle du discernement plus que de la contrainte... Cette spécificité de la maladie mentale est d’ailleurs reconnue dans la loi : indirectement, dans celle de 1968 relative aux mesures de protection des biens, plus directement, dans la loi du 27 juin 1990 sur les différents modes d’hospitalisation en psychiatrie. Il n’est donc pas étonnant que les réponses soignantes en psychiatrie se singularisent quelque peu au sein de la médecine. Principe fort d’une globalisation des prises en charge en des temps différents de prévention, de cure, de postcure, de réhabilitation et de réinsertion, dans un continuum permis par l’organisation d’un dispositif de santé publique sectorisé auquel participent d’ailleurs, à différents niveaux, les psychiatres libéraux. Ce principe de réponse globale visant à accompagner et à restaurer le sujet implique une multiplication de réponses différentes dans le temps, apportées par des intervenants dont chaque action s’inscrit en complémentarité. Cela impose une réflexion partagée pour définir un projet de soins personnalisé et évolutif mais également des outils communs, parmi lesquels le dossier du patient tient une place essentielle. Sa conception même, le partage d’informations mais aussi d’un questionnement diagnostique, s’inscrivent dans une vision dynamique et tiennent lieu de mémoire collective précieuse tant sur le moment qu’à distance. Il apparaît très difficile d’y séparer artificiellement les informations relatives au patient et celles concernant la cellule familiale, le milieu professionnel, les tiers en général. Il est tout aussi difficile de vouloir séparer les informations liées à un temps (ou à un mode d’hospitalisation, sous contrainte par exemple) défini. Ce qui compte en effet, c’est la compréhension de cette souffrance qui habite l’autre, et la possibilité de le soulager. Ce qui compte, c’est le film avec tous ses acteurs si on veut comprendre l’histoire et non une succession de photos dont certaines parties, qui plus est, devraient être cachées... Cet outil, le projet de loi de modernisation de la santé, prévoit d’en rendre possible la communication directe au patient, à l’exception des informations concernant les tiers, en dehors des patients hospitalisés sous contrainte. N’est-ce pas un paradoxe, au moment où l’accent est mis sur une information définie comme parfaitement intelligible, que d’imaginer une mise à disposition brute, sans envisager comment elle peut être perçue ? Un accompagnement peut être proposé, mais sera-t-il toujours accepté ? Comment les informations touchant au plus profond de son intimité psychique pourront-elles être reçues sans une grille de lecture adaptée ? La linguistique nous apprend que le sens du discours s’élabore non à partir d’une abstraction mais d’un travail impliquant à la fois le sujet de l’énonciation et l’autre, interlocuteur, tous deux situés dans un contexte. Ce que Paul Ricœur traduit à sa façon : « La fonction narrative correspond à une forme particulière de production de sens mettant en jeu actions, pensées et sentiments dans un ordre particulier. Cet ordre est reconstruit par celui qui parle (ou écrit) et par celui qui écoute (ou lit) » (4). On peut imaginer les dérives potentielles en matière de revendications pathologiques. Mais on imagine également la quête d’une “vérité supposée” sur son fonctionnement psychique, bouleversant douloureusement le patient confronté à une réalité à laquelle il n’était pas préparé. L’accès au dossier devrait être, comme les soins, personnalisé. Il ne s’agit pas d’en discuter le principe mais plutôt de le revendiquer. Toutefois, cette revendication doit s’appuyer sur les éléments du réel, du souhaitable et du possible en fonction de chaque cas particulier. La démarche du patient qui cherche à comprendre son mal est légitime, tout comme celle visant à connaître, pour les transmettre éventuellement à de nouveaux thérapeutes, les données nécessaires à sa prise en charge. Pourquoi, dès lors, ne pas imaginer différents “niveaux de dossier”, avec des informations directement communicables et d’autres appelant un accompagnement, une explication par un tiers soignant ? Mais si la transmission directe et sans limite du dossier devait se généraliser, on peut craindre, à très court terme, une modification radicale des usages en appauvrissant singulièrement le contenu avec le recours à un vocabulaire et des référentiels de plus en plus généraux et standardisés. L’égalité revendiquée dans la relation soignant-soigné ne doit pas aboutir à une dérive dans la position du thérapeute qui, demain, pourrait d’abord songer à ne pas risquer ●●● Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 21 Psychiatrie ●●● de poursuites judiciaires avant de déterminer la nature des réponses qu’il peut proposer. Comme le souligne Jean-Claude Pénochet : « Le dossier psychiatrique représente le support des cas cliniques qui sont la base même de la réflexion, de la pensée théorique de la discipline et de la recherche. A court terme, il faudrait raisonnablement s’attendre à une modification des pratiques avec retentissement sur les prises en charge et renouvellement des modes d’élaboration théorique, vers une dé-subjectivisation toujours plus grande et une assimilation du modèle psychiatrique au modèle somatique, ouvrant largement la voie aux causalités linéaires, à la dimension physico-chimique et aux traitements pharmacologiques des troubles. Sur ce point, l’exemple américain est tout à fait explicite... ». Sur un plan plus général, s’il demeure essentiel de ne pas stigmatiser les patients souffrant de troubles psychiques, prenons garde à ce que le sentiment dominant vis-à-vis des soignants ne devienne la méfiance. Or, la méfiance suscite plutôt des réactions défensives et agressives que réparatrices, ce qui est difficilement compatible avec la notion même de soin. Charles Alezrah psychiatre, chef de service, CH de Thuir (64) (1) La maladie mentale en mutation. Odile Jacob. Paris, 2001. (2) La signification de l’éthique. Les empêcheurs de penser en rond. Le Plessis-Robinson. 1995, p. 141. (3) Liberté, égalité... psychiatrie. Bayard. Paris, 2000, p. 243. (4) De l’interprétation. Le Seuil. Paris, 1965. Toute personne a le droit de prendre connaissance de l’ensemble des informations concernant sa santé détenue par des professionnels et établissements de santé, ensemble formalisé et ayant contribué à l’élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou ayant fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels... à l’exception des interventions mentionnant qu’elles ont été recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers : – accès direct ou par l’intermédiaire d’un praticien désigné par l’intéressé ; – la présence d’une tierce personne peut être recommandée ; – à titre exceptionnel, en cas d’hospitalisation sous contrainte, cette consultation peut être subordonnée à la présence d’un médecin désigné par le demandeur ; – en cas de refus du demandeur : C.D.H.P. • Délai de 8 jours à compter du dépôt de la demande, après expiration d’un délai de réflexion de 48 heures. • Pour les informations établies depuis plus de 5 ans ou si C.D.H.P. saisie, le délai est porté à 2 mois. Spécialisation en soins infirmiers Une nécessité incontournable Un Français sur quatre sera confronté à des troubles de la santé mentale au cours de l’année (rapport Piel-Roelandt, juillet 2001). La demande de soins en psychiatrie a augmenté de 50 % depuis 1989 (Rapport DREES n° 2, juin 2000). Les professionnels accompagnent environ 1 200 000 patients. D e l’avis de l’ensemble des professionnels, toutes fonctions confondues, la qualité des soins en psychiatrie est de plus en plus menacée pour plusieurs raisons. D’une part, une pénurie grandissante de professionnels, d’autre part, un attrait relatif pour le travail en psychiatrie. Enfin, un problème de qualification et de compétences directement lié aux conséquences de la réforme 22 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 des études, en 1992. Cette situation ne permet plus de garantir des soins pertinents à la population. La question de la formation des infirmiers est cruciale, ceux-ci étant les plus représentés dans la discipline, en première ligne dans les prises en soins et présents 24 heures sur 24 auprès des malades. Mais quelle formation peut pallier les difficultés constatées ? La réforme des études La nouvelle formation infirmière mise en place en 1993 a réuni les deux anciens cursus de 36 mois chacun, psychiatrique et soins généraux, en un seul diplôme sans allongement de la durée des études. Pour ce faire, il a donc fallu opérer des coupes franches dans plusieurs disciplines dont la psychiatrie. L’évaluation de ce nouveau diplôme effectuée par le ministère de la Santé et particulièrement par le CEFI (Comité d’entente des formations infirmières) et l’ASCISM (Association des cadres et infirmiers en santé mentale) montre de façon objective et quantifiée les carences sur le plan psychopathologique, sur l’approche de la relation à la souffrance psychique et sur toutes les techniques de soins infirmiers en psychiatrie, notamment le travail individuel avec un patient, aspect fondamental de la pratique professionnelle. Ces carences peuvent mettre les jeunes professionnels en difficulté face aux malades sans qu’ils soient responsables en rien de ces difficultés, mais non pas sans effets secondaires sur la qualité des soins. Les solutions envisagées Certains établissements ont tenté de mettre en place des compléments de formation dans le cadre de la formation continue. Mais nous savons tous, d’une part, que les contenus et durées peuvent être très variables d’un hôpital à l’autre, que tous les soignants n’y ont pas accès, que tous les secteurs de psychiatrie n’adoptent pas cette solution et, d’autre part, que les budgets de la for- mation continue sont de plus en plus captés par les problèmes de restructuration hospitalière. Une autre solution a consisté à compter sur le compagnonnage des anciens ISP, mais leur nombre diminue régulièrement et ils peuvent de moins en moins assurer cette mission. Les services de psychiatrie “tournent” donc de plus en plus avec une majorité, voire une totalité de nouveaux diplômés. Une seule possibilité pertinente et fiable est la spécialisation. En effet, seule une spécialisation officielle, diplômante, fondée sur des normes européennes, c’est-à-dire 1 500 heures de formation, peut permettre de garantir à la population des soins d’égale qualité sur l’ensemble du territoire. Cette spécialisation devra favoriser un approfondissement du contexte psychopathologique des situations de soins ainsi qu’un approfondissement des représentations sociales des maladies mentales, des techniques de soins infirmiers en psychiatrie, et elle devra insister sur l’importance du travail d’équipe. Car soigner en psychiatrie ne dépend pas uniquement d’une bonne connaissance des maladies. Cela nécessite de comprendre et d’analyser les failles des situations de vie qui ont engendré la souffrance psychique. Cela nécessite de comprendre aussi nos propres modes de fonctionnement pour appréhender ceux des patients. La qualité de l’aide que l’on peut apporter est à ce prix et ne peut se développer que dans le cadre d’une spécialisation unanimement et officiellement reconnue. Marc Livet Centre médico-psychologique Le travail infirmier Historiquement, les soins aux malades mentaux se déroulaient exclusivement dans les hôpitaux psychiatriques. Depuis les années 60, ces soins se sont peu à peu déplacés vers l’espace social habituel des patients, jusqu’à représenter actuellement 70 % des prises en charge. es infirmiers ont naturellement suivi cette évolution et occupent désormais une place Lprépondérante dans les structures ambulatoires. Cette évolution a amené les professionnels à modifier leurs pratiques afin de répondre aux besoins de la population au sein même de la cité. La vocation du CMP Dans les années 60, les dispensaires d’hygiène mentale (CMP actuel) sont des lieux de consultation médicaux et sociaux. Rares sont les infirmiers qui y travaillent et ce sont très souvent les assistants sociaux qui sont la référence, effectuant l’accueil ainsi que les entretiens d’orientation. ●●● Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 23 Psychiatrie ●●● Ces structures sont très peu implantées dans la cité, peu connues des habitants du secteur. Leur fonction est de permettre une prise en charge des patients, par un suivi médical et social sur leur lieu de vie après une hospitalisation. Au fil des années, on a vu leur vocation s’élargir et leur personnel se diversifier avec l’arrivée des infirmiers de secteur psychiatrique dans les années 70. Ceux-ci ont dû se positionner, parfois en rivalité avec les assistants sociaux référents des lieux. C’est véritablement dans les années 90 avec l’arrêté du 14 mars 1986 et la circulaire de 1990, que la vocation du CMP (centre médico-psychologique) devient claire et définie. Un CMP est une unité de coordination et d’accueil en milieu ouvert, sectorisée, qui organise des actions de prévention, de diagnostic, de soins ambulatoires, d’interventions à domicile et de consultations médicales, psychologiques et sociales. Il a une vocation d’accueil, d’écoute et d’orientation. Il regroupe des professionnels tels que : médecins psychiatres, psychologues, infirmiers, assistants sociaux, secrétaires et psychomotriciens. Le CMP est en relation étroite avec les autres structures du secteur, tant celles extrahospitalières tels les CATTP, les hôpitaux de jour, les centres de crise, que celles intrahospitalières où un lien permanent doit être mis en place. La connaissance des besoins de la population est indispensable. La prévention primaire Elle consiste à : – proposer aux différents acteurs de la cité un travail de partenariat à partir de différents thèmes comme la connaissance de la maladie mentale ; – proposer aux structures sociales, médicosociales et administratives de la cité, et à partir de situations qui y ont été ont vécues, d’explorer les symptômes de la maladie mentale et les comportements qui en découlent. Cela dans le but de permettre aux divers partenaires de reconnaître la souffrance des individus qu’ils côtoient et de reconnaître leurs propres difficultés lorsqu’ils travaillent de près ou de loin avec la maladie mentale ; – prévenir les comportements à risques comme : consommation d’alcool, de tabac, de drogue, de médicaments, suicide, sexualité non protégée, violence et maltraitance ; – utiliser les journées à thèmes comme les Journées SIDA, les Journées Suicide, etc. ; – exposer les risques liés à une sexualité non protégée (MST, sida) ; – permettre de parler de la maltraitance et aider un adulte ayant été maltraité à être non maltraitant ; – expliquer les phénomènes de répétition mais aussi les solutions pour s’en sortir ; – parler du suicide et expliquer que c’est parfois la seule façon d’appeler au secours ; – apporter une aide à l’entourage, à la famille et au patient afin de leur permettre de gérer ces périodes de crise ; – aider à anticiper les difficultés de périodes de vie telles que l’adolescence et la vieillesse. Le CMP du Figuier travaille en intersectorialité avec le CAPPC (Centre d’accueil permanent) du secteur voisin. Avec la mise en commun des moyens, une partie de l’urgence est prise en charge directement par le CAPPC ouvert 24 heures sur 24, dégageant du temps infirmier pour le CMP. Le CMP est considéré comme le pivot du dispositif de soin au sein de la cité. Un important travail d’information quant aux fonctions et aux missions est indispensable auprès des différents partenaires sociaux comme le Centre d’action sociale de la mairie, le Centre d’urgence, les services de soins à domicile, les médecins généralistes et spécialistes privés, les infirmières du travail et les infirmières scolaires, les centres de protection maternelle et infantile, les maisons de retraites et foyers-logements, etc. Les missions infirmières se déclinent à partir de trois axes : – la prévention primaire ; – la prévention secondaire ; – la prévention tertiaire. 24 © V. Burger/Phanie Les missions infirmières au CMP du Figuier Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 La prévention secondaire La prévention secondaire permet au “sujetpatient” de garder une vie personnelle, sociale et professionnelle la plus correcte possible malgré des troubles psychiques parfois invalidants et d’utiliser les ressources familiales s’il y en a, en mettant en œuvre : – des entretiens infirmiers de soutien, d’orientation, voire des entretiens à vocation psychothérapique ; – une présence infirmière au CMP afin de permettre une prise médicamenteuse si nécessaire, ou un accueil plus informel durant les heures d’ouverture ; – des psychothérapies diversifiées (auxquelles participent les infirmiers avec l’équipe pluridisciplinaire) ou un accompagnement social (assistants sociaux). La prévention tertiaire Elle a pour objectif d’éviter la rechute : – en adaptant, pour chaque personne, un suivi et une prise en charge individualisés en lien avec le secteur social et médico-social ; – en organisant des rencontres et échanges réguliers entre l’équipe infirmière de l’hospitalisation et celle de l’ambulatoire ; – en organisant des réunions cliniques pluridisciplinaires. Organisation des pratiques L’exercice infirmier s’appuiera sur le rôle propre infirmier, et sur les règles professionnelles et déontologiques. Actuellement, l’équipe infirmière peut faire valoir ses compétences professionnelles, certes grâce aux textes réglementaires, mais aussi en raison de sa présence continue permettant un lien entre les différents acteurs de soins, et assurant un point de repère pour le patient. L’infirmier, de ce point de vue, est “permanence”. Au CMP, chaque nouvelle demande de consultation est orientée vers un infirmier qui fera un “entretien de signalement” et orientera le patient soit vers un médecin, soit vers un psychologue. Chaque infirmier est formé aux conduites d’entretien. Ces “signalements” se font à deux si possible, afin d’avoir une évaluation de la situation la plus pertinente possible. ●●● Les textes réglementaires définissant le secteur Le secteur est défini et réglementé depuis 1960 par la circulaire du 15 mars 1960. Cette circulaire proposait : – de traiter les troubles mentaux à un stade précoce en développant la prévention primaire ; – de séparer le moins possible le malade de son milieu en mettant en place des structures de soins ambulatoires comme les dispensaires d’hygiène mentale ; – d’assurer une postcure évitant l’hospitalisation par des soins ambulatoires réalisés par une même équipe pluridisciplinaire. Les principes de la création du secteur prônent le refus de la ségrégation du malade mental et la continuité des soins par une même équipe pluridisciplinaire. L’arrêté du 14 mars 1972 Il définit le secteur géographique avec des modalités de financement différentes entre l’intrahospitalier et l’extrahospitalier. Ce dernier est financé par les collectivités locales qui doivent assurer la prévention primaire. L’intrahospitalier est financé par l’hôpital, créant des dysfonctionnements et des difficultés de recrutement dans le secteur extrahospitalier car les salaires sont alors inférieurs aux salaires de l’hospitalisation, ainsi que les moyens mis à disposition. La loi de finances de 1985 Elle confère une autonomie financière au secteur extrahospitalier. Le décret du 14 mars 1986 définit la prise en charge des soins par l’assurance maladie : c’est la dotation globale, et l’arrêté du 14 mars 1986 relatif aux équipements et structures définit les différentes structures ambulatoires. Dans cet arrêté apparaît la première notion de réseau. Il est précisé qu’il est fait appel à tous les potentiels existant sur le secteur comme le public, le privé, les associations et les familles. C’est la circulaire du 14 mars 1990, relative aux orientations de la politique de santé mentale, qui donne un nouvel élan au développement des secteurs. Elle définit les buts et principes de la politique nationale de santé mentale. Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 25 Psychiatrie © L.D. ●●● Chaque signalement est discuté en interéquipe et l’infirmier évalue le degré d’urgence, la nature de la demande et propose ainsi l’orientation, vers un psychologue pour une prise en charge psychothérapeutique, ou vers un médecin s’il y a nécessité d’un traitement médicamenteux. En cas de délais d’attente trop longs, il est proposé d’autres entretiens infirmiers permettant ainsi de créer un lien avec le patient et de différer sa demande. Un système de “référents” est mis en place. Ceuxci font ensemble un projet de soins infirmiers écrit et détaillé dans le dossier de soins du patient. Lisible et accessible au reste de l’équipe, il sera discuté lors de réunions infirmières hebdomadaires. Dans le projet, sera précisé la nécessité ou non de visites à domicile, la date des entretiens infirmiers et leur fréquence, en fait tout ce qui concerne le suivi infirmier. Il paraît nécessaire que ces prises en charge soient bien connues de toute l’équipe dans un souci de transparence, afin d’éviter que celles-ci ne deviennent routinières, voire chroniques et, du coup, inintéressantes pour les soignants, dommageables pour les patients. Les visites à domicile, si possible et selon les 26 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 nécessités liées à la prise en charge, sont effectuées par deux infirmiers. Dans ce contexte centré sur l’équipe, l’urgence est prioritaire et le soutien de l’équipe nécessaire pour accompagner un infirmier dans des démarches parfois douloureuses (deuil, suicide, etc.). L’activité infirmière dans un CMP nécessite qu’elle soit organisée, repérée par tous les intervenants du lieu pour qu’elle soit efficace en termes d’avantage thérapeutique pour le patient. Plus les prises en charge sont discutées en équipe, moins il existe de patients captifs du pouvoir des soignants, tout comme des soignants captifs du pouvoir de certains patients, entre autres du fait de la psychose. A cette fin, l’organisation du travail est la suivante : – tous les matins un staff de 10 minutes permet de s’organiser, de poser les problèmes de répartition des temps de présence et VAD, d’aborder les éventuelles urgences, de parler des signalements ; – une réunion institutionnelle hebdomadaire permet de parler des prises en charge et des signalements en équipe pluridisciplinaire ; – une réunion infirmière hebdomadaire de deux heures se déroule en deux parties : une heure consacrée aux problèmes d’organisation, de planning, de vacances, de formation continue, le reste de la réunion étant consacré à l’étude d’un cas concret présenté par les référents et discuté en équipe. La participation aux réunions hebdomadaires des unités d’hospitalisation est nécessaire afin de faire le lien avec les patients hospitalisés, de préparer leur sortie dans de bonnes conditions et de rapporter des informations concernant les patients sortis depuis un certain temps, ceci afin qu’ils puissent mesurer l’importance du travail en hospitalisation et donc l’importance de leur fonction à cette étape du parcours du patient. Le développement des actions de formation continue, réfléchies dans le cadre d’un projet de formation propre au CMP permettra aux nouveaux infirmiers de se former aux conduites d’entretien et à diverses pratiques cliniques, mais aussi à tous les membres de l’équipe de développer des compétences spécifiques dans des domaines particuliers (thérapie familiale, psychodrame) pour répondre aux besoins de la population. Enfin, les infirmiers peuvent s’engager dans des projets de recherche sur l’évolution des pratiques et de la discipline. Michelle Livet Cadre infirmière en psychiatrie Soins en milieu carcéral De profondes disparités Sur les 187 établissements pénitentiaires que compte le territoire national, 26 seulement sont pourvus de SMPR (Service médico-psychologique régional, auparavant CMPR, jusqu’en 1986). C’est une structure participante de la sectorisation psychiatrique et abritant une équipe pluridisciplinaire. C haque SMPR est rattaché à un centre hospitalier (à l’exemple de Fleury-Mérogis) ou à un établissement public de santé de tutelle. Les SMPR complètent le dispositif sanitaire par leur implantation conjointe aux Unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), pour les soins généraux, dont la présence est systématisée. Rappelons que ces UCSA ont remplacé les anciennes infirmeries de détention dès 1994, date de la réforme décidant de l’affiliation des prisonniers au régime général de la Sécurité sociale. Les personnels soignants qui, jusque-là, dépendaient du ministère de la Justice, sont passés sous la tutelle de celui de la Santé. Une amélioration qualitative et quantitative des prestations a pu être observée. Les SMPR, eux, ont toujours connu une indépendance de fonctionnement. Cette réforme a donc peu bouleversé leurs pratiques. Malheureusement, en dépit de cette réunification sous un même ministère, le clivage persiste entre ces deux services. Les SMPR n’existent qu’en maisons d’arrêt. Celles-ci abritent une majorité de prévenus (sujets en attente de jugement) ainsi que des condamnés à des peines inférieures à trois ans. La population ciblée et le nombre d’entrants y sont donc plus importants que dans les établissements pour peines. Les soins connaissent ainsi de profondes disparités, la spécificité psychiatrique infirmière restant absente des centres de détention (CD) et des maisons centrales (MC). Un SMPR répond aux besoins en santé mentale de la population pénale du site où il est implanté, cette activité s’élargissant à un secteur pénitentiaire auquel sont rattachés des établissements pour peines (CD et MC) et des maisons d’arrêt de moindre importance. Néanmoins, les équipes de soins ne sont pas mobiles, ce sont les détenus qui sont transférés au SMPR par transport pénitentiaire, lequel nécessite parfois une escorte policière. Dans ce cas, le signalement est saisi à distance, l’évaluation est plus grossière et donne parfois lieu à des erreurs d’indication. Nous in- tervenons s’il y a nécessité d’hospitalisation sur les lits du SMPR [encore faut-il que ce dernier soit équipé de lits... ; à titre d’exemple, le SMPR de Fresnes (94) soulage depuis de nombreuses années celui de Bois-d’Arcy (78)]. Les missions d’un SMPR sont au nombre de trois : le dépistage, la prévention et les soins psychiatriques proprement dits. En amont des soins, une connaissance de l’épidémiologie spécifique au milieu carcéral et de la symptomatologie en rapport avec l’enfermement s’impose, de même que la prise en compte du quotidien du détenu (voir Le guide du prisonnier, publication de l’Observatoire international des prisons, l’OIP) et des circuits pénal et judiciaire. Épidémiologie En prison, les pathologies de la transgression sont sur-représentées. Les sociopathies regroupent inévitablement toxicomanes (20 % de la population) et personnalités antisociales (nouvelle dénomination des psychopathies dont l’appellation prête au fantasme). La prison figure l’ultime lieu de soins pour ces états limites que leur symptomatologie “bruyante et colorée” rend souvent indésirables en milieu hospitalier. La prison représente pour ces sujets le lieu de confrontation terminale avec l’autorité, limite non transgressible. Ils vont néanmoins tirer sur ce cadre : – dépersonnalisation du psychopathe en prison, parfois sujet à des hallucinations induites par le confinement (sensation que les murs l’écrasent) ; – automutilations multiples comme moyen de réassurance et d’expression privilégiée, sachant qu’ici les prises d’alcool et de toxiques sont aléatoires ; – hétéro-agressivité dirigée contre les personnels de surveillance, le personnel soignant ayant ici fonction de “bon objet” et non plus de “mauvais objet” comme c’est encore le cas en milieu hospitalier ; ●●● Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 27 Psychiatrie – persistance de conduites à risque dans le cas d’injections “par système D” ; – chantages divers, tentatives imaginatives et ingénieuses de manipulation ; – détournement de l’usage médicamenteux (sujets alcooliques réclamant du Givalex® ou de l’alcool modifié à des fins d’ingestion, sous prétexte de soigner des “petits bobos”, comprimés réduits en poudre et mélangés à du tabac...). La paranoïa constitue un autre réservoir, la prison recueillant les paranoïas à thèmes de jalousie ou de processus érotomaniaques en phase de rancune ayant décompensé sur le mode homicide. Ces pathologies sont les plus lourdement responsabilisées (ne bénéficiant pas en cela – ou exceptionnellement – de l’article L.122.1 du Code pénal). Pourquoi ? Parce que le sujet ne ressent aucune culpabilité, n’exprime pas de remords et dit souvent que « si c’était à refaire... », attestant ainsi de sa dangerosité patente. Disonsle autrement : ces sujets font peur, à juste titre, et l’option retenue est sécuritaire avant d’être soignante, dans le cadre d’une pathologie dont le pronostic reste sombre et les stratégies thérapeutiques inefficaces. Il va sans dire que la prison, de par sa nature “persécutive”, ne fait que les aggraver... On observe une augmentation dans des proportions alarmantes du nombre de malades mentaux identifiés et écroués. D’une part des malades sacrifiés par un système de santé en pleine mutation, et dont le destin sera de transgresser la loi pour obtenir des soins. La prison fait encore trop figure de réponse à la précarité sociale et affective. Citons pour mémoire l’exemple du clochard qui vient aux portes de la prison demander à être “admis” pour l’hiver et qui est renvoyé vers un “circuit correctionnel” (manière d’inciter à la délinquance). D’autre part, depuis une vingtaine d’années, la tendance en matière d’expertise psychiatrique va vers la responsabilisation des sujets en matière correctionnelle et criminelle (aujourd’hui sont prononcées seulement 0,17 % de peines relevant de l’article L.122.1 du Code pénal, contre 16 % au début des années 80, du temps de l’article 64 de l’ancien Code pénal). Cette population nouvelle met de plus en plus en difficulté les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire qui se trouvent désemparés face aux troubles comportementaux ainsi qu’à une violence pour eux irrationnelle, notamment celle s’exprimant lors d’accès délirants. Enfin, les agresseurs sexuels ou auteurs de délits sexuels (ADS) sont au nombre de 5 000 environ à être incarcérés (sur une population totale de ●●● 28 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 58 000 détenus). A titre indicatif, les chimiothérapies “castratrices” et réversibles, nécessitant le consentement du sujet, sont peu utilisées dans un milieu suffisamment “contenant” par définition. Elles sont davantage prônées en milieu ouvert, dans le cadre d’un suivi post-pénal. Par ailleurs, cette chimiothérapie inhibitrice de la libido sera indiquée avec le plus de pertinence chez des sujets souffrant d’un trop-plein pulsionnel (se traduisant par une masturbation compulsive, un envahissement fantasmatique) et à faible potentiel de mentalisation. Mais ce recours aux anti-androgènes et l’alourdissement des peines en matière de violences sexuelles demeurent des réponses partielles, isolées du tout, et insuffisantes à prévenir la récidive. L’opinion publique n’y changera rien. A la réponse répressive doit être associée une réponse thérapeutique. Le souci des professionnels de terrain n’est pas tant la souffrance de ces agresseurs que de trouver les solutions pour enrayer leurs agissements et briser les chaînes d’agression. Car une violence fondamentale est au cœur de cette problématique, la sexualité n’étant que l’instrument de cette violence, elle-même déniée par ses auteurs (pour illustrer mon propos, une phrase stéréotypée d’un agresseur sexuel : « Je serais incapable de faire du mal... »). En milieu carcéral, le soignant exerçant en SMPR se retrouve en première ligne au moment où le patient fait tomber son masque (fait de miel et d’obséquiosité). Il serait faux de dire qu’aucun traitement n’est entrepris en prison : une unité s’inspirant du modèle canadien (l’Institut Pinel), à Fresnes, a transposé chez nous un certain nombre de méthodes en précisant le profil des sujets accessibles à une prise en charge (sujets condamnés, demandeurs de soins et en fin de peine). L’essentiel de ce travail, dévolu à une équipe infirmière, repose sur des thérapies de groupe englobant des approches plurielles : systémiques, comportementalistes et cognitives. L’infirmière est ici promue au rang de co-thérapeute. Mais l’extension de sa fonction, parfois contestée par le corps médical ou d’autres membres de l’équipe pluridisciplinaire, pose un véritable problème de reconnaissance. Symptomatologie liée à l’enfermement Ces effets concernent tout sujet sain au-delà d’un temps d’enfermement variable selon les individus. Hyperacousie, rétrécissement du champ visuel, déperdition et appauvrissement sensoriels, somatisation massive (des sphères digestive, anale et thoracique), perturbation majeure du sommeil (rythmes inversés, troubles de l’endormissement, hypersomnie) du fait de l’ennui, de l’anxiété et de la longueur des nuits (de 18 h, heure de fermeture des cellules à 7 h, le lendemain matin), autant de symptômes dont la liste reste loin d’être exhaustive. Dans ce tableau, la sexualité du détenu n’est pas épargnée. La plupart se plaignent de troubles de la libido après une année d’incarcération : impuissance fonctionnelle, éjaculation précoce, anéjaculation douloureuse, perte d’intensité des fantasmes... L’étude de la sexualité en prison mériterait à elle seule tout un article (esclavage sexuel, homosexualité de substitution s’appuyant sur des fantasmes hétérosexuels, pratiques sexuelles au parloir faisant l’objet de tolérance ou de rapports disciplinaires...). Le projet de parloirs intimes existant déjà dans d’autres pays n’est toujours pas finalisé. Ces troubles s’inscrivent dans un contexte d’appauvrissement généralisé allant de la perte d’identité et d’intimité, de la rupture brutale avec l’environnement familier, au nivellement des relations et à la raréfaction des liens avec l’extérieur, dont l’expression se réduit à la correspondance (soumise à la censure) et aux parloirs. Les manifestations psychologiques quant à elles sont de deux ordres : perturbatrices et non perturbatrices de l’homéostasie carcérale. Manifestations perturbatrices En premier lieu, le suicide. Les études les plus récentes confirment un taux de suicide près de vingt fois supérieur à la moyenne nationale. En chiffre, cela se traduit par 120 suicides annuels. La pendaison, mode radical s’il en est, et quasiment imparable, intervient dans 90 % des cas. Avec une particularité : la pendaison horizontale (au pied du lit). Nous recenserons, dans les 10 % restants, les auto-égorgements ou autres phlébotomies graves ainsi que les suicides par asphyxie provoquée par un incendie (c’est ainsi que Sid Mohamed Rezala a mis fin à ses jours dans sa prison au Portugal). Les délais rapprochés de surveillance mettent en échec les intoxications médicamenteuses consécutives au stockage et au trafic de médicaments. Les tentatives, elles, sont inchiffrables... Les moments à risque sont identifiés. Sans les mentionner tous, nous retiendrons : les quinze premiers jours d’incarcération, les veilles et retours de procès d’Assises, les périodes des fêtes, les dates anniversaires, les vacances d’été, et, pour les longues peines, les jours précédant la libération. La réponse pénitentiaire face au suicide, par manque de moyens, se limite au doublage en cellule des détenus suicidaires, afin que le codé- tenu veille sur le suicidant (!), inhibe son geste ou donne l’alerte... Nous évoquerons dans une autre partie les réponses sanitaires. Autres manifestations • Les automutilations (celles du “psychopathe” et celles, plus étranges et gravissimes, du sujet psychotique s’énucléant ou se tranchant les parties génitales...). • Les grèves de la faim : elles doivent faire l’objet d’une déclaration officielle et conduiront le détenu au quartier gréviste où une surveillance médicale quotidienne est de rigueur. • Les violences sur le personnel. • Les ingestions de corps étrangers (nosographiquement, les “avaleurs”) : de plus en plus, on privilégie l’évacuation de ces corps (lames de rasoir, couverts, piles, briquets...) par voie naturelle en y associant des traitements antalgiques tels que Spasfon®, Viscéralgine® Forte en IM... • La bouffée délirante aiguë (BDA). • L’accès maniaque (prééminence au printemps ; son expression la plus fréquente en prison est l’inondation de la cellule, voire de tout un étage...). Manifestations non perturbatrices • L’apragmatisme et la clinophilie du psychotique déficitaire. • Les syndromes dépressifs (et sa forme majeure, la mélancolie), le repli sur soi. La relation au milieu La prison n’est pas un territoire hospitalier : les acteurs de santé exercent sur un territoire étranger régi par ses propres lois et repères. De fait, toute relation est triangulaire, engageant le détenu (ou sujet), le surveillant et le soignant. Nous ne pouvons par ailleurs négliger – dans une optique systémique – les divers autres intervenants en relation avec le détenu : juge, avocat, famille, aumônier, visiteur, CIP (conseiller d’insertion et de probation), lesquels peuvent avoir à tout moment une incidence sur le psychisme, sachant que le moindre événement produit un retentissement énorme ou qu’une nouvelle insignifiante peut avoir des conséquences désastreuses pour quelqu’un qui est enfermé, fragilisé et ne peut agir. Ainsi, une simple extraction (dans le cadre d’une audience, d’une confrontation ou d’une reconstitution des faits...), par son mécanisme anxiogène, peut déclencher un passage à l’acte avant ou après. Le personnel soignant ne peut avoir accès aux détenus et encore moins aux cellules, lieux de vie provisoires de la population pénale, sans ●●● Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 29 Psychiatrie ●●● l’intervention d’un surveillant. D’où la nécessité d’entretenir des rapports professionnels fondés sur l’échange de données et le respect mutuel. Une exception : l’Établissement pénitentiaire de santé national de Fresnes (EPSNF) disposant d’une capacité d’accueil de 450 lits environ. Encore qu’à partir de 18 h 30, toute ouverture ne se fera qu’à titre exceptionnel. En unité de soins psychiatriques, la présence de deux surveillants (voire plus) est parfois requise pour des raisons de sécurité que ne perçoivent pas toujours les soignants, lesquelles primeront toujours sur les questions de santé d’un strict point de vue pénitentiaire. Ainsi, durant la prise d’otages du 27 au 28 mai 2001, à la MA de Fresnes, aucun repas ni traitement n’ont pu être distribués aux détenus avant que la situation de crise ne soit contrôlée puis résolue. La question des clés se pose de façon centrale et récurrente comme un enjeu de pouvoir et de territoire entre personnels de surveillance et personnels sanitaires. L’entretien des murs et des sols revient à l’administration pénitentiaire, tandis que celui des cellules revient à la population incarcérée. D’où l’impasse pour justifier les emplois d’agents de soins hospitaliers (ASH) dans un lieu autre qu’hospitalier. Cependant, sur certains sites, des négociations sont en cours. Organisation des soins bases sur lesquelles ont pu se créer des Unités de soins psychiatriques. Nous avons reproduit sans le savoir un schéma intra/extra-hospitalier. Pourtant, il ne faut pas se fier à cette image et mettre de côté tout parallèle avec les visites à domicile (VAD) : les visites en cellule sont le fait d’exceptions, quand le détenu refuse d’en être extrait pour nous rencontrer. Les détenus sont reçus par les soignants, soit dans un bureau du SMPR, soit dans un parloir destiné initialement aux avocats, situé en division ou en tripale (en fonction de l’organisation spatiale de l’établissement où l’on se situe). Le ou les intervenants feront attention à se placer du côté de la porte, afin de ne pas être pris en otages dans un parloir (situation qui s’est produite). En revanche, la visite de visu prend tout son sens au quartier disciplinaire, lieu d’intervention par excellence. Certaines unités disposent de chambres d’isolement. Dans le cadre de la prévention du suicide, les objets dangereux (rasoirs, lacets, allumettes, objets en verre) seront retirés, les lacets rendus le temps de la promenade, les cordons de poste radio remplacés par des piles ; ils seront ensuite restitués progressivement. Les soins psychiatriques en milieu carcéral s’inscrivent de plain-pied dans le champ du médicolégal, dans celui de la psychiatrie mais aussi de la santé mentale. Les soins en prison se sont développés à partir de la pratique ambulatoire. Celle-ci a jeté les Pierre Jaeger Infirmier du secteur psychiatrique Rapport Roelandt et Piel De la psychiatrie à la santé mentale En juillet 2000, le ministère de la Santé confie au Dr J.L. Roelandt et au Dr E. Piel une mission de réflexion et prospectives dans le domaine de la santé mentale. Un rapport a été remis à Bernard Kouchner, secrétaire d’État à la Santé, en juillet 2001. es objectifs de cette mission étaient de : – redéfinir une politique de sectorisation Lpsychiatrique fondée sur un fonctionnement en réseau et intégrée dans le tissu sanitaire, médicosocial et social ; 30 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 – proposer les étapes d’un déploiement de la psychiatrie telle qu’elle est organisée aujourd’hui vers le champ plus global de la santé mentale ; – proposer des modalités d’intégration de la santé mentale dans des soins de santé primaires ; – proposer, sur la base du constat fait par Pierre Pradier dans son rapport relatif à l’organisation des soins en milieu carcéral, les voies d’améliorations du dispositif de prise en charge en santé mentale pour la population placée sous main de justice. De septembre 2000 à juin 2001, des visites sur le terrain en France et à l’étranger (Allemagne, Angleterre, Italie, Québec, Portugal, Suède) ont été effectuées. De nombreuses réunions de travail ont été organisées avec des responsables politiques, des professionnels des champs sanitaires et sociaux, les associations d’usagers et les représentants des familles. adaptés. La politique de sectorisation n’est pas menée à son terme et les fonctionnements hospitalocentriques sont encore très présents au détriment des pratiques ambulatoires. Ainsi, une des difficultés majeures concerne la “survivance des concentrations psychiatriques hospitalières”. Le système de soins fonctionne à plusieurs vitesses, avec une offre libérale pour les classes moyennes et aisées et une offre publique plus orientée vers les catégories les moins favorisées. A ceci il faut ajouter une prise en compte trop ténue de la souffrance psychique des “exclus”. Les soins psychiatriques en prison Cette année un Français sur 4 souffrira d’un trouble mental. Plus d’un million de personnes sont actuellement suivies en psychiatrie générale, dont plus de 85 % en ambulatoire. Il y a 15 % de dépressions déclarées dans la population (six fois plus en 30 ans). Les demandes de soins ont augmenté d’environ 50 % depuis 1989. Actuellement, la souffrance psychique constatée en prison n’obtient pas de réponses satisfaisantes en raison du manque de moyens, d’une trop grande étanchéité des SMPR au sein du milieu carcéral et de la confusion des rôles affectés aux soignants, à savoir garder et soigner. Enfin, l’irresponsabilité pénale des patients (article 122-1 du Code de procédure pénale), défendue par un certain nombre de psychiatres, ne paraît pas faire œuvre utile pour les soins et la réhabilitation de ces patients. L’offre de soins Les professionnels L’offre de soins psychiatriques est assez importante, prépondérante dans le secteur public en termes de structures mais mal répartie sur le territoire national. En effet, les écarts de capacité en lits et places varient de 1 à 9 selon les départements. Concernant la démographie professionnelle, il existe plus de 12 000 psychiatres dont 46 % de salariés, 58 000 infirmiers dont 94 % exercent dans le secteur public et environ 4 000 psychologues qui travaillent à 80 % dans le public. Les formations sont inadaptées aux évolutions sociales et aux pratiques. Les psychiatres n’ont aucune formation concernant l’animation, la gestion d’équipe pluridisciplinaire, la santé publique et le partenariat avec le secteur médico-social. Pour les psychologues, on constate une inégalité dans les contenus de formation et les validations de stages ainsi que peu de préparation au travail d’équipe. Les travailleurs sociaux, en situation de pénurie importante, ont considérablement varié leurs rôles, fonctions et missions et ont largement contribué à ce que les patients hospitalisés depuis de nombreuses années sortent des asiles et récupèrent leurs droits. Les médecins généralistes, souvent en première ligne, sont peu préparés à la psychiatrie dans le cadre de leur formation initiale. Les personnels de direction n’ont aucune formation particulière aux aspects spécifiques de l’organisation des soins en psychiatrie. Les infirmiers DE sont à ce jour inégalement formés selon les IFSI, sur le plan de la santé mentale. Ils assurent, en soins à temps plein ou en ambulatoire, un travail spécifique dans le cadre de suivis individuels ou de groupe, basés sur des techniques d’entretiens (accueil, accompagnement dans la vie quotidienne, soutien et suivi à visée thérapeutique et psychothérapique.) Mais force est de constater que : ●●● Constats La situation de la population Les usagers et les familles Les usagers réclament le respect de leurs droits. A cette fin, ils ont publié deux documents. D’une part, une “Charte de l’usager en santé mentale” signée par la secrétaire d’État à la Santé et aux Handicapés, la FNAP-Psy et la conférence nationale des présidents de CME et de CHS ; d’autre part, un “Livre blanc des partenaires de Santé Mentale France” regroupant des patients, des soignants et des familles. Ces deux documents sont destinés à informer la population, à faire reconnaître la place des usagers et leur participation à l’organisation des soins. Les administrations La planification de l’offre de soins est complexe et les outils d’aide à la décision sont souvent in- Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 31 Psychiatrie – la réforme des études, en 1993, a considérablement diminué le volume horaire de formation en psychiatrie : actuellement 400 heures pour 4 715 heures de formation ; – le réaménagement en cours des contenus de la formation initiale prévoit de diminuer les stages en psychiatrie (ainsi qu’en médecine et en chirurgie) ; – le peu de connaissance et de reconnaissance de leurs pratiques professionnelles ; – l’augmentation significative des demandes faites aux infirmiers, qu’il devient de plus en plus difficile d’assumer avec la qualité requise ; – le manque d’attractivité de plus en plus flagrant de la psychiatrie pour les jeunes infirmiers. En moyenne, moins d’un étudiant sur 30 choisit cette voie à la fin de ses études ; – la pénurie d’infirmiers constatée dans certains services de psychiatrie, qui s’aggrave constamment, suivant en cela la tendance générale française et européenne ; – la diminution progressive des “anciens” infirmiers psychiatriques, due aux départs naturels, limitant ainsi le compagnonnage et le tutorat qu’ils pouvaient mettre en place pour résoudre une partie des difficultés constatées ; – les difficultés d’adaptation actuelles en psychiatrie des jeunes infirmiers DE. De fait, de nombreux membres de la profession revendiquent la mise en place d’une spécialisation en santé mentale pour les infirmiers : – évoquant une recommandation européenne des 15 et 16 avril 1986 qui demandait la promulgation d’une directive européenne visant à la mise en place d’une spécialisation pour les soins infirmiers en psychiatrie ; – affirmant que “tous les pays de l’UE qui avaient une spécialisation et l’ont abandonnée le regrettent et tous ceux qui n’en ont pas en souhaitent la mise en place”. © V. Burger/Phanie ●●● Propositions • Assurer une représentativité réelle des usagers, avec, entre autres, une aide financière nationale à leurs associations et une organisation de leur participation aux politiques de soins et à leur mise en 32 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001 œuvre. Il s’agira également de promouvoir les droits des usagers en santé mentale. • Lutter contre la stigmatisation des personnes souffrant de troubles mentaux par une plus large information du public. • Réviser et rapprocher les cartes sanitaire, psychiatrique, sociale, judiciaire et scolaire au niveau national. • Passer de la psychiatrie à la santé mentale en allant vers les malades, là où ils sont, en privilégiant une logique de réseau plutôt qu’une logique institutionnelle. Pour ce faire, nous proposons de créer un “Service territorial de psychiatrie” couvrant un bassin de vie défini qui aura pour mission d’assurer, en lien avec les autres acteurs sanitaires, l’organisation des soins. Dans le même esprit, création d’un “Réseau territorial de santé mentale” qui, lui, sur le même territoire, permettra d’identifier et de mettre en relation, dans le cadre d’un projet, les champs psychiatrique, somatique, social et médico-social. • Prévoir la fermeture progressive des hôpitaux psychiatriques, remplacés par de petites structures implantées en ville. • Réformer les modalités de l’obligation de soins et de l’organisation des soins en milieu carcéral. • Réformer les formations initiales des professionnels en : – déspécifiant la formation des psychiatres à l’intérieur de leur spécialité ; – en augmentant fortement la formation en psychiatrie des médecins généralistes ; – en aménageant l’organisation et la validation des stages pour les psychologues ; – en intégrant la formation infirmière dans les enseignements universitaires et en mettant en œuvre une formation complémentaire spécifique dont les modalités restent à définir ; – en développant des enseignements complémentaires pour les travailleurs sociaux, voire conjoints avec les soignants. • Structurer la recherche en santé mentale sur un plan régional. Les constats et propositions de ce rapport ne visent qu’à une meilleure intégration de la santé mentale et des patients dans la communauté. Mais ceci ne pourra se mettre en place qu’au prix d’une réelle impulsion politique engagée et par le biais d’une loi cadre issue d’un débat parlementaire dont l’objectif premier, essentiel et indispensable, sera de reconnaître, enfin, un statut de citoyen ordinaire à toute personne souffrant de troubles mentaux. Dr Éric Piel Chef de service, 1er et 4e arrondissements de Paris Chargé de mission au ministère de la Santé