Une discipline charnière Psychiatrie

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Sommaire
Psychiatrie
Une discipline charnière
La frontière entre le normal et le pathologique étant loin
d’être linéaire, les limites de la psychiatrie ne sont pas faciles
à établir. La vocation des soignants dans cette discipline
est de soulager les souffrances psychiques. Pourtant
ces dernières ne relèvent pas toutes de la pathologie,
et à l’extrême du psychologique, les démences rejoignent,
elles, dans l’organique, le champ de la neurologie.
L
a psychiatrie est une discipline charnière où
se rejoignent les connaissances en neurosciences et en psychologie, enrichies par les apports de la psychanalyse. L’activité est médicale
mais ne peut ignorer aujourd’hui le social, voire
l’administratif, le dispositif de soins des malades
mentaux étant aussi régi par un ensemble de
textes juridiques. L’interférence du non médical,
notamment du culturel, est forte, ne serait-ce que
par la définition donnée, selon les pays, du malade mental. Pendant longtemps les troubles
mentaux n’ont-il pas relevé du surnaturel ? Au
fil de l’histoire, le fou a perdu son caractère magique et il est devenu incompréhensible, dangereux, malade enfin, avec la naissance de la psychiatrie. Alors, par l’intermédiaire de l’hôpital, la
société a enfermé l’irresponsable pour se protéger de son désordre.
pays à mettre sur pied une politique de changement en adoptant, dans les années 60, les principes de la psychiatrie de secteur : une équipe
pluridisciplinaire est responsable de la santé mentale des habitants d’une zone géographique.
Le débat semble évoluer vers un consensus qui
porte notamment sur le caractère bio-psychosocial de la maladie mentale, sur l’évolution
vers la psychiatrie communautaire et la fermeture progressive des grandes institutions ●●●
30
26
25
Psychiatres
Infirmiers
psychiatriques
20
Nouvelles politiques en Europe
A partir des années 60, les pays européens ont défini de nouvelles politiques de santé mentale généralement fondées sur les soins communautaires. Sont alors constatés un déclin progressif du
nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques
et la diminution progressive de la dimension des
hôpitaux. Parallèlement, l’internement est devenu moins nécessaire du fait des nouvelles thérapeutiques. L’hospitalisation des malades dans
les hôpitaux généraux constitue une autre évolution et concerne surtout les hospitalisations de
courte durée. La ségrégation du malade mental
s’atténue. Chaque pays a développé des efforts
particuliers. La France a été l’un des premiers
15
9
10
5
1,9
0,05 0,19
0
Afrique
Source : OMS
• Demande de soins :
des évolutions
certaines
• L’accès au dossier :
l’illusion
de la transparence
• Spécialisation
en soins infirmiers :
une nécessité
incontournable
• Centre
médico-psychologique :
le travail infirmier
• Soins
en milieu carcéral :
de profondes
disparités
• Rapport
Rœlandt et Piel :
de la psychiatrie
à la santé mentale
2,7
1
0,75
Les
Méditerranée Europe
Amériques orientale
0,9
0,2 0,06 0,28
Asie
Pacifique
du Sud-est occidental
Les psychiatres et les infirmiers psychiatriques
dans les régions OMS (médians).
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
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Psychiatrie
●●● psychiatriques. L’effort dans le champ de la
réhabilitation sociale et de la formation professionnelle, désormais possibles pour des malades
considérés jadis comme chroniques, connaît une
intensification certaine. Restent des problèmes
non négligeables qui font naître des controverses : la sélection public/privé, le développement des entreprises sociales, l’administration
croissante de psychotropes dans la pratique psychiatrique mais aussi dans la population en général et, bien entendu, la formation de personnels compétents.
Dans le monde
L’OMS a lancé le projet ATLAS pour mieux cerner les ressources consacrées pour la santé mentale dans le monde. La première analyse des données montre la faiblesse disproportionnée des
ressources et des services consacrés aux troubles
mentaux et comportementaux par rapport à la
charge de morbidité, que ce soit dans les pays développés ou dans ceux en voie de développement. Ainsi, parmi les pays étudiés : 43 % n’ont
pas de politique de santé mentale, 23 % n’ont pas
de législation sur la santé mentale, 38 % n’ont
pas de services communautaires de soins, 41 %
ne proposent pas de traitements des troubles
mentaux sévères dans le cadre de soins de santé
primaire. Plus de la moitié des lits réservés aux
soins de santé mentale se trouvent dans des hôpitaux psychiatriques. Tout en observant une
grande diversité à ce niveau, on s’aperçoit que le
nombre moyen de lits disponibles pour les soins
de santé mentale s’établit à 1,54/10 000 habitants
à l’échelle mondiale (0,33/10 000 habitants en
Asie du Sud-Est contre 9,3 pour l’Europe). Les
ONG comblent souvent les lacunes. Selon
l’OMS, le constat est sombre : de graves pénuries
le disputent à la négligence et à l’apathie. L’espoir
vient de certains pays qui établissent des embryons de programmes, notamment grâce aux
ONG. Mais il faudra encore beaucoup d’efforts
de la part des gouvernements, des professionnels
et des communautés pour améliorer la situation
en matière de santé mentale dans le monde.
Andrée-Lucie Pissondes
Demande de soins
Des évolutions certaines
La recrudescence des troubles psychiques, ou vécus comme tels, et les efforts
des professionnels pour faire connaître leurs pratiques sont vraisemblablement
pour beaucoup dans l’amélioration du regard porté sur la psychiatrie.
F
orce est de constater que les soins relevant
de la souffrance psychique prennent une part
de plus en plus importante dans notre système
de santé. Cette augmentation est régulière et
constante depuis plusieurs années.
Offre de soins diversifiée mais disparate
La psychiatrie représente 21 % de l’ensemble
des lits de courts séjours et 74 % des places
d’hospitalisation de jour et de nuit et des places
d’hospitalisation à domicile. Il existe 70 000 lits
d’hospitalisation complète dont 80 % en établissements spécialisés. 30 % des effectifs sont affectés aux soins de courte durée. 85 % des psychologues et 13 % des médecins spécialistes sont
salariés ou libéraux. Les infirmiers exerçant en
psychiatrie sont au nombre de 58 000 équivalents temps plein environ pour 4 000 psychologues et 13 200 psychiatres. Quatre-vingts pour
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Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
cent des CMP (centres médico-psychologiques)
sont ouverts au moins 5 jours par semaine
(contre 83 % en 1989).
De grandes disparités géographiques persistent
dans cette offre de soins. Ainsi, l’offre est exclusivement publique dans plus du quart des départements et il existe des écarts de capacités
qui varient de 1 à 9 sur tout le territoire. Les
centres d’accueil thérapeutique à temps partiel
(CATTP) favorisant l’insertion des personnes suivies se sont développés. Soixante-neuf pour cent
des secteurs en sont désormais dotés contre 41 %
en 1989.
Entre 1989 et 1997, il y a eu une progression de
90 % des patients suivis à domicile.
Évolution significative des besoins
Les troubles de la santé mentale concernent 23 %
des femmes et 13 % des hommes. La prévalence
Nombre de motifs de recours en milliers en 1997
Dépressions
Troubles du sommeil
Nervosité
Angoisse, anxiété
Troubles de l'enfance
Retards psychomoteurs
Autres troubles névrotiques
Psychoses
Ensemble des troubles mentaux
Généralistes
10 236
8 905
1 130
9 120
119
97
4 546
1 722
35 874
Psychiatres
4 977
864
86
3 348
305
127
7 958
2 343
20 008
Total
15 213
9 769
1 216
12 468
424
224
12 504
4 065
55 882
%
27
17
2
22
1
0
22
7
Source CREDES. Données EPPM 1992/1997 IMS Health
globale en population générale est de 9,4 % pour
les troubles dépressifs, 0,5 % pour la schizophrénie et 2,7 % pour l’anxiété généralisée. Les
enquêtes montrent que 12 % de la population de
plus de 16 ans souffrent de dépressions diverses.
En 1997, on estimait à 57 millions le nombre de
motifs de recours aux soins pour troubles de la
santé mentale. Entre 1992 et 1997, les consultations chez les psychiatres en ville sont passées de
13,4 millions à 15,7 millions, soit une augmentation de 17 %. Entre 1989 et 1997, les demandes
de soins ont augmenté de 46 % pour les adultes
et de 43 % pour la psychiatrie infanto-juvénile.
On notera enfin une progression importante des
soins relatifs aux enfants, adolescents et personnes âgées entre 1989 et 1995, soit une augmentation de 102 % pour les moins de 15 ans,
de 50 % pour les 15-24 ans et de 52 % pour les
plus de 85 ans.
Rémy Isnard
Infirmier général, Laragne (05)
* D’après le rapport de la DREES “Bilan de la sectorisation psychiatrique”. Ministère de la Santé, juin 2000.
L’accès au dossier
L’illusion de la transparence
Les certitudes sont à prendre pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des vérités
éphémères. Si nous avions parlé de l’accès au dossier il y a quelques
années, nul doute que c’eut été en des termes sensiblement différents.
ans notre pays, les pratiques en psychiatrie
évoluent souvent par à-coups, trop vite ou
D
pas assez selon que l’on se trouve en position de
soignant ou de patient, ou bien encore de proche...
En 1996, à l’occasion d’un colloque sur l’assurance qualité et l’accréditation qui se tenait à
Gérone où étaient évoquées les diverses expériences européennes, j’avais été surpris par la
participation côte à côte d’un psychiatre d’un
pays nordique et d’un usager représentant d’une
association. Leurs exposés respectifs, harmonieux et complémentaires, proposaient pour
nous, psychiatres français, un chemin à découvrir et à explorer.
Un travail d’équipe
En quelques années, des associations du même
ordre se sont développées en France, en même
temps qu’apparaissait un changement dans la nature des relations soignant-soigné. Le soin, aujourd’hui, ne s’envisage plus comme subi passivement, mais il s’ouvre sur une dimension
participative croissante du patient. Parallèlement,
les interactions au sein même de l’équipe soignante se sont modifiées en profondeur. Le médecin apprend à partager les fonctions hiérarchiques et de responsabilité avec ses pairs, mais
également avec d’autres acteurs du soin qui
prennent une part grandissante dans une ●●●
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
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Psychiatrie
●●● approche véritablement pluriprofessionnelle.
La place de la médecine dans la société change.
Il n’est plus question de soigner uniquement des
maladies mais de promouvoir la santé : “état de
complet bien-être physique, mental et social”,
selon la définition de l’OMS. En santé mentale,
l’objet de la psychiatrie reste difficile à circonscrire. On parle moins aujourd’hui de maladies
mentales que de souffrance psychique. Tout de
même, les traitements plus précoces, plus efficaces, les nouvelles connaissances en neurobiologie, en génétique ou en sociologie n’ont pas fait
disparaître la psychose. La prévalence en reste
remarquablement constante. Par ailleurs, les
troubles anxieux, les états dépressifs, les troubles
de la personnalité occupent une place croissante.
D’après le CREDES, qui cite l’OMS, les troubles
psychiatriques sont au troisième rang des maladies dans le monde et devraient dépasser les maladies cardio-vasculaires d’ici 2020. En 1997, le
rapport Joly au Conseil économique et social
retenait que 20 % des Français souffrent de
troubles psychiques et du comportement.
Mais, au-delà de cette dimension quantitative,
les troubles psychopathologiques occupent une
place à part au sein de la médecine et pas seulement en termes de représentation sociale. En
effet, comme nous le dit Alain Ehrenberg (1) :
« La psychiatrie concerne une classe particulière de
pathologie : la capacité du sujet d’évaluer correctement le “lui-même” qui souffre. La psychiatrie est
à la fois médecine comme une autre et autre que la
médecine... »
Une forte spécificité
De fait, la psychiatrie garde une spécificité forte
malgré une relative banalisation ces vingt dernières années, notamment dans ses lieux de
soins, désormais ouverts et à proximité des
autres services médicaux. Mais là où la médecine
s’appuie trop souvent sur une vision d’organe et
sur des principes de causalité linéaire, la psychiatrie demeure (encore ?) référée à une approche holistique qui transcende la partie. Le
propre de l’appareil psychique est justement de
ne pas renvoyer une image de fonctionnement
réflexe, “organique”. L’esprit habille sa souffrance
de formes autrement plus masquées, plus complexes à décoder, que le corps. Les verrous se
multiplient pour fausser les pistes, barrières filtrant l’accès à l’inconscient. Alors que la maladie
somatique est ressentie comme étrangère au sujet, la souffrance psychique renvoie à l’intimité
de la personne et, plus qu’ailleurs, la frontière
entre le normal et le pathologique est quelquefois difficile à situer...
20
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
La demande est également de nature différente.
Elle apparaît parfois étrangement absente dans
des situations de souffrance extrême. Mais inintelligible serait plus juste qu’absente. C’est le cas
chez beaucoup de psychotiques bien sûr, mais
également chez certains sujets en situation de
précarité. Le symptôme ne peut alors être compris qu’en regard d’une histoire personnelle.
Cette ambiguïté quant à la demande révèle en
écho l’ambivalence des soignants. Soigner en psychiatrie, c’est s’efforcer de restaurer la part de liberté perdue, d’aider à recouvrer un libre arbitre.
Nul mieux que Henri Ey n’a su décrire la maladie mentale comme une pathologie de la liberté.
Nous nous trouvons ainsi, en permanence, écartelés entre deux tentations :
– celle de ne pas continuer à stigmatiser les malades, de couper avec des siècles d’exclusion et
de rejet en rapport avec une représentation de la
maladie mentale renvoyant à des stéréotypes
plus qu’aux réalités ;
– celle de reconnaître une spécificité et d’entretenir des réponses de natures différentes. La maladie mentale n’est pas toujours perçue par les
proches, ou elle l’est parfois avec un certain retard. Mais lorsqu’elle l’est, elle entraîne dans certains cas crainte et méfiance plutôt que compassion. Les relations intersubjectives, au sein de la
cellule familiale, sur le plan socioprofessionnel,
mais également avec les soignants, s’en trouvent
profondément modifiées.
Pour Robert Misrahi : « la personnalité malade et
souffrante est atteinte dans sa liberté réflexive, cette
liberté de second niveau qui correspond à la maîtrise
de soi et à la conscience redoublée que tout individu
peut conquérir par sa volonté et son travail. Le “malade”, le “patient”, semble ne plus pouvoir accomplir
ce travail. Il ne dispose plus que de la liberté spontanée, anarchique, qui certes fait de lui un sujet, mais
un sujet soumis à tous les dérèglements et à toutes les
dépressions passionnelles de la spontanéité » (2).
Que cela nous plaise ou pas, la psychiatrie occupe une place à part au sein de la médecine.
Même l’avènement fantasmatique de l’homme
neuronal de Jean-Pierre Changeux n’y change
rien. Certes, il nous dit que les conduites humaines peuvent être décrites en termes d’activité
neuronale. Certes, les connaissances nouvelles
en psychopharmacologie s’appliquent à décrire
les molécules du bonheur, de la dépression ou
du délire, mais nous souscrivons pleinement à
l’analyse de Jean Maisondieu : « Donner toute la
place à la biologie comme explication ultime du fonctionnement humain, c’est transformer le progrès
scientifique en défaite pour l’humanité de l’homme.
Certes, les conduites de ce dernier peuvent être dé-
crites “en termes d’activité neuronale” mais rien
n’autorise à affirmer qu’elles ne sont que cela... Dans
ce cas, l’enchaînement sans nuance de l’homme à la
matière qui lui permet d’exister réalise sournoisement le meurtre de l’homme libre, capable de dépasser les limites de son enracinement biologique
pour s’affirmer comme sujet... » (3).
Bannir la contrainte
On continue de présenter les soins en psychiatrie par rapport à la notion de contrainte – avec
ou sans – or, la vraie question est celle du discernement plus que de la contrainte...
Cette spécificité de la maladie mentale est
d’ailleurs reconnue dans la loi : indirectement,
dans celle de 1968 relative aux mesures de protection des biens, plus directement, dans la loi
du 27 juin 1990 sur les différents modes d’hospitalisation en psychiatrie.
Il n’est donc pas étonnant que les réponses soignantes en psychiatrie se singularisent quelque
peu au sein de la médecine. Principe fort d’une
globalisation des prises en charge en des temps
différents de prévention, de cure, de postcure,
de réhabilitation et de réinsertion, dans un
continuum permis par l’organisation d’un dispositif de santé publique sectorisé auquel participent d’ailleurs, à différents niveaux, les psychiatres libéraux.
Ce principe de réponse globale visant à accompagner et à restaurer le sujet implique une multiplication de réponses différentes dans le temps,
apportées par des intervenants dont chaque action s’inscrit en complémentarité. Cela impose
une réflexion partagée pour définir un projet de
soins personnalisé et évolutif mais également
des outils communs, parmi lesquels le dossier
du patient tient une place essentielle. Sa conception même, le partage d’informations mais aussi
d’un questionnement diagnostique, s’inscrivent
dans une vision dynamique et tiennent lieu de
mémoire collective précieuse tant sur le moment
qu’à distance. Il apparaît très difficile d’y séparer artificiellement les informations relatives au
patient et celles concernant la cellule familiale,
le milieu professionnel, les tiers en général. Il
est tout aussi difficile de vouloir séparer les informations liées à un temps (ou à un mode
d’hospitalisation, sous contrainte par exemple)
défini. Ce qui compte en effet, c’est la compréhension de cette souffrance qui habite l’autre, et
la possibilité de le soulager. Ce qui compte, c’est
le film avec tous ses acteurs si on veut comprendre l’histoire et non une succession de photos dont certaines parties, qui plus est, devraient
être cachées...
Cet outil, le projet de loi de modernisation de la
santé, prévoit d’en rendre possible la communication directe au patient, à l’exception des informations concernant les tiers, en dehors des patients hospitalisés sous contrainte.
N’est-ce pas un paradoxe, au moment où l’accent
est mis sur une information définie comme parfaitement intelligible, que d’imaginer une mise à
disposition brute, sans envisager comment elle
peut être perçue ? Un accompagnement peut être
proposé, mais sera-t-il toujours accepté ? Comment les informations touchant au plus profond
de son intimité psychique pourront-elles être reçues sans une grille de lecture adaptée ?
La linguistique nous apprend que le sens du
discours s’élabore non à partir d’une abstraction
mais d’un travail impliquant à la fois le sujet de
l’énonciation et l’autre, interlocuteur, tous deux
situés dans un contexte. Ce que Paul Ricœur
traduit à sa façon : « La fonction narrative correspond à une forme particulière de production de sens
mettant en jeu actions, pensées et sentiments dans
un ordre particulier. Cet ordre est reconstruit par
celui qui parle (ou écrit) et par celui qui écoute
(ou lit) » (4).
On peut imaginer les dérives potentielles en matière de revendications pathologiques. Mais on
imagine également la quête d’une “vérité supposée” sur son fonctionnement psychique, bouleversant douloureusement le patient confronté
à une réalité à laquelle il n’était pas préparé.
L’accès au dossier devrait être, comme les soins,
personnalisé. Il ne s’agit pas d’en discuter le principe mais plutôt de le revendiquer. Toutefois,
cette revendication doit s’appuyer sur les éléments du réel, du souhaitable et du possible en
fonction de chaque cas particulier. La démarche
du patient qui cherche à comprendre son mal
est légitime, tout comme celle visant à connaître,
pour les transmettre éventuellement à de nouveaux thérapeutes, les données nécessaires à
sa prise en charge. Pourquoi, dès lors, ne pas
imaginer différents “niveaux de dossier”, avec des
informations directement communicables et
d’autres appelant un accompagnement, une explication par un tiers soignant ?
Mais si la transmission directe et sans limite du
dossier devait se généraliser, on peut craindre, à
très court terme, une modification radicale des
usages en appauvrissant singulièrement le
contenu avec le recours à un vocabulaire et des
référentiels de plus en plus généraux et standardisés. L’égalité revendiquée dans la relation soignant-soigné ne doit pas aboutir à une dérive
dans la position du thérapeute qui, demain,
pourrait d’abord songer à ne pas risquer ●●●
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
21
Psychiatrie
●●● de poursuites judiciaires avant de déterminer la nature des réponses qu’il peut proposer.
Comme le souligne Jean-Claude Pénochet : « Le
dossier psychiatrique représente le support des cas
cliniques qui sont la base même de la réflexion, de la
pensée théorique de la discipline et de la recherche.
A court terme, il faudrait raisonnablement s’attendre
à une modification des pratiques avec retentissement
sur les prises en charge et renouvellement des modes
d’élaboration théorique, vers une dé-subjectivisation
toujours plus grande et une assimilation du modèle
psychiatrique au modèle somatique, ouvrant largement la voie aux causalités linéaires, à la dimension
physico-chimique et aux traitements pharmacologiques des troubles. Sur ce point, l’exemple américain
est tout à fait explicite... ».
Sur un plan plus général, s’il demeure essentiel
de ne pas stigmatiser les patients souffrant de
troubles psychiques, prenons garde à ce que le
sentiment dominant vis-à-vis des soignants ne
devienne la méfiance. Or, la méfiance suscite
plutôt des réactions défensives et agressives que
réparatrices, ce qui est difficilement compatible
avec la notion même de soin.
Charles Alezrah
psychiatre, chef de service, CH de Thuir (64)
(1) La maladie mentale en mutation. Odile Jacob. Paris, 2001.
(2) La signification de l’éthique. Les empêcheurs de penser en
rond. Le Plessis-Robinson. 1995, p. 141.
(3) Liberté, égalité... psychiatrie. Bayard. Paris, 2000, p. 243.
(4) De l’interprétation. Le Seuil. Paris, 1965.
Toute personne a le droit de prendre connaissance de l’ensemble des informations concernant sa santé
détenue par des professionnels et établissements de santé, ensemble formalisé et ayant contribué à l’élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou ayant fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels...
à l’exception des interventions mentionnant qu’elles ont été recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans
la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers :
– accès direct ou par l’intermédiaire d’un praticien désigné par l’intéressé ;
– la présence d’une tierce personne peut être recommandée ;
– à titre exceptionnel, en cas d’hospitalisation sous contrainte, cette consultation peut être subordonnée à
la présence d’un médecin désigné par le demandeur ;
– en cas de refus du demandeur : C.D.H.P.
• Délai de 8 jours à compter du dépôt de la demande, après expiration d’un délai de réflexion de 48 heures.
• Pour les informations établies depuis plus de 5 ans ou si C.D.H.P. saisie, le délai est porté à 2 mois.
Spécialisation en soins infirmiers
Une nécessité incontournable
Un Français sur quatre sera confronté à des troubles de la santé mentale
au cours de l’année (rapport Piel-Roelandt, juillet 2001). La demande de soins
en psychiatrie a augmenté de 50 % depuis 1989 (Rapport DREES n° 2,
juin 2000). Les professionnels accompagnent environ 1 200 000 patients.
D
e l’avis de l’ensemble des professionnels,
toutes fonctions confondues, la qualité des
soins en psychiatrie est de plus en plus menacée
pour plusieurs raisons. D’une part, une pénurie
grandissante de professionnels, d’autre part, un
attrait relatif pour le travail en psychiatrie. Enfin,
un problème de qualification et de compétences
directement lié aux conséquences de la réforme
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Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
des études, en 1992. Cette situation ne permet plus
de garantir des soins pertinents à la population.
La question de la formation des infirmiers est
cruciale, ceux-ci étant les plus représentés dans
la discipline, en première ligne dans les prises
en soins et présents 24 heures sur 24 auprès des
malades. Mais quelle formation peut pallier les
difficultés constatées ?
La réforme des études
La nouvelle formation infirmière mise en place
en 1993 a réuni les deux anciens cursus de
36 mois chacun, psychiatrique et soins généraux,
en un seul diplôme sans allongement de la durée des études. Pour ce faire, il a donc fallu opérer des coupes franches dans plusieurs disciplines dont la psychiatrie. L’évaluation de ce
nouveau diplôme effectuée par le ministère de
la Santé et particulièrement par le CEFI (Comité
d’entente des formations infirmières) et l’ASCISM
(Association des cadres et infirmiers en santé
mentale) montre de façon objective et quantifiée
les carences sur le plan psychopathologique, sur
l’approche de la relation à la souffrance psychique et sur toutes les techniques de soins infirmiers en psychiatrie, notamment le travail individuel avec un patient, aspect fondamental de
la pratique professionnelle.
Ces carences peuvent mettre les jeunes professionnels en difficulté face aux malades sans
qu’ils soient responsables en rien de ces difficultés, mais non pas sans effets secondaires sur la
qualité des soins.
Les solutions envisagées
Certains établissements ont tenté de mettre en
place des compléments de formation dans le
cadre de la formation continue. Mais nous savons
tous, d’une part, que les contenus et durées peuvent être très variables d’un hôpital à l’autre, que
tous les soignants n’y ont pas accès, que tous les
secteurs de psychiatrie n’adoptent pas cette solution et, d’autre part, que les budgets de la for-
mation continue sont de plus en plus captés par
les problèmes de restructuration hospitalière.
Une autre solution a consisté à compter sur le
compagnonnage des anciens ISP, mais leur
nombre diminue régulièrement et ils peuvent de
moins en moins assurer cette mission. Les services de psychiatrie “tournent” donc de plus en
plus avec une majorité, voire une totalité de nouveaux diplômés.
Une seule possibilité pertinente et fiable est la
spécialisation. En effet, seule une spécialisation
officielle, diplômante, fondée sur des normes
européennes, c’est-à-dire 1 500 heures de formation, peut permettre de garantir à la population des soins d’égale qualité sur l’ensemble du
territoire. Cette spécialisation devra favoriser
un approfondissement du contexte psychopathologique des situations de soins ainsi qu’un
approfondissement des représentations sociales
des maladies mentales, des techniques de soins
infirmiers en psychiatrie, et elle devra insister
sur l’importance du travail d’équipe. Car soigner en psychiatrie ne dépend pas uniquement
d’une bonne connaissance des maladies. Cela
nécessite de comprendre et d’analyser les failles
des situations de vie qui ont engendré la souffrance psychique. Cela nécessite de comprendre
aussi nos propres modes de fonctionnement
pour appréhender ceux des patients. La qualité
de l’aide que l’on peut apporter est à ce prix et
ne peut se développer que dans le cadre d’une
spécialisation unanimement et officiellement
reconnue.
Marc Livet
Centre médico-psychologique
Le travail infirmier
Historiquement, les soins aux malades mentaux se déroulaient
exclusivement dans les hôpitaux psychiatriques. Depuis les années 60,
ces soins se sont peu à peu déplacés vers l’espace social habituel
des patients, jusqu’à représenter actuellement 70 % des prises en charge.
es infirmiers ont naturellement suivi cette
évolution et occupent désormais une place
Lprépondérante
dans les structures ambulatoires. Cette évolution a amené les professionnels à modifier leurs pratiques afin de répondre
aux besoins de la population au sein même de
la cité.
La vocation du CMP
Dans les années 60, les dispensaires d’hygiène
mentale (CMP actuel) sont des lieux de consultation médicaux et sociaux. Rares sont les infirmiers
qui y travaillent et ce sont très souvent les assistants sociaux qui sont la référence, effectuant l’accueil ainsi que les entretiens d’orientation. ●●●
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
23
Psychiatrie
●●● Ces structures sont très peu implantées
dans la cité, peu connues des habitants du
secteur. Leur fonction est de permettre une
prise en charge des patients, par un suivi médical et social sur leur lieu de vie après une
hospitalisation.
Au fil des années, on a vu leur vocation s’élargir et leur personnel se diversifier avec l’arrivée
des infirmiers de secteur psychiatrique dans les
années 70. Ceux-ci ont dû se positionner, parfois en rivalité avec les assistants sociaux référents des lieux.
C’est véritablement dans les années 90 avec l’arrêté du 14 mars 1986 et la circulaire de 1990,
que la vocation du CMP (centre médico-psychologique) devient claire et définie.
Un CMP est une unité de coordination et d’accueil en milieu ouvert, sectorisée, qui organise
des actions de prévention, de diagnostic, de soins
ambulatoires, d’interventions à domicile et de
consultations médicales, psychologiques et sociales. Il a une vocation d’accueil, d’écoute et
d’orientation. Il regroupe des professionnels tels
que : médecins psychiatres, psychologues, infirmiers, assistants sociaux, secrétaires et psychomotriciens. Le CMP est en relation étroite avec
les autres structures du secteur, tant celles extrahospitalières tels les CATTP, les hôpitaux de jour,
les centres de crise, que celles intrahospitalières
où un lien permanent doit être mis en place.
La connaissance des besoins de la population est
indispensable.
La prévention primaire
Elle consiste à :
– proposer aux différents acteurs de la cité un
travail de partenariat à partir de différents thèmes
comme la connaissance de la maladie mentale ;
– proposer aux structures sociales, médicosociales et administratives de la cité, et à partir
de situations qui y ont été ont vécues, d’explorer les symptômes de la maladie mentale et les
comportements qui en découlent. Cela dans le
but de permettre aux divers partenaires de
reconnaître la souffrance des individus qu’ils côtoient et de reconnaître leurs propres difficultés
lorsqu’ils travaillent de près ou de loin avec la
maladie mentale ;
– prévenir les comportements à risques comme :
consommation d’alcool, de tabac, de drogue, de
médicaments, suicide, sexualité non protégée,
violence et maltraitance ;
– utiliser les journées à thèmes comme les Journées SIDA, les Journées Suicide, etc. ;
– exposer les risques liés à une sexualité non protégée (MST, sida) ;
– permettre de parler de la maltraitance et aider
un adulte ayant été maltraité à être non maltraitant ;
– expliquer les phénomènes de répétition mais
aussi les solutions pour s’en sortir ;
– parler du suicide et expliquer que c’est parfois
la seule façon d’appeler au secours ;
– apporter une aide à l’entourage, à la famille et
au patient afin de leur permettre de gérer ces périodes de crise ;
– aider à anticiper les difficultés de périodes de
vie telles que l’adolescence et la vieillesse.
Le CMP du Figuier travaille en intersectorialité
avec le CAPPC (Centre d’accueil permanent) du
secteur voisin. Avec la mise en commun des
moyens, une partie de l’urgence est prise en
charge directement par le CAPPC ouvert
24 heures sur 24, dégageant du temps infirmier
pour le CMP. Le CMP est considéré comme le pivot du dispositif de soin au sein de la cité. Un
important travail d’information quant aux fonctions et aux missions est indispensable auprès
des différents partenaires sociaux comme le
Centre d’action sociale de la mairie, le Centre
d’urgence, les services de soins à domicile, les
médecins généralistes et spécialistes privés, les
infirmières du travail et les infirmières scolaires,
les centres de protection maternelle et infantile,
les maisons de retraites et foyers-logements, etc.
Les missions infirmières se déclinent à partir de
trois axes :
– la prévention primaire ;
– la prévention secondaire ;
– la prévention tertiaire.
24
© V. Burger/Phanie
Les missions infirmières au CMP du Figuier
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
La prévention secondaire
La prévention secondaire permet au “sujetpatient” de garder une vie personnelle, sociale et
professionnelle la plus correcte possible malgré
des troubles psychiques parfois invalidants et
d’utiliser les ressources familiales s’il y en a, en
mettant en œuvre :
– des entretiens infirmiers de soutien, d’orientation, voire des entretiens à vocation psychothérapique ;
– une présence infirmière au CMP afin de permettre une prise médicamenteuse si nécessaire,
ou un accueil plus informel durant les heures
d’ouverture ;
– des psychothérapies diversifiées (auxquelles
participent les infirmiers avec l’équipe pluridisciplinaire) ou un accompagnement social (assistants sociaux).
La prévention tertiaire
Elle a pour objectif d’éviter la rechute :
– en adaptant, pour chaque personne, un suivi
et une prise en charge individualisés en lien avec
le secteur social et médico-social ;
– en organisant des rencontres et échanges
réguliers entre l’équipe infirmière de l’hospitalisation et celle de l’ambulatoire ;
– en organisant des réunions cliniques pluridisciplinaires.
Organisation des pratiques
L’exercice infirmier s’appuiera sur le rôle propre infirmier, et sur les règles professionnelles et
déontologiques.
Actuellement, l’équipe infirmière peut faire valoir ses compétences professionnelles, certes
grâce aux textes réglementaires, mais aussi en
raison de sa présence continue permettant un
lien entre les différents acteurs de soins, et assurant un point de repère pour le patient. L’infirmier, de ce point de vue, est “permanence”.
Au CMP, chaque nouvelle demande de consultation est orientée vers un infirmier qui fera un
“entretien de signalement” et orientera le patient soit vers un médecin, soit vers un psychologue. Chaque infirmier est formé aux
conduites d’entretien.
Ces “signalements” se font à deux si possible,
afin d’avoir une évaluation de la situation la plus
pertinente possible.
●●●
Les textes réglementaires définissant le secteur
Le secteur est défini et réglementé depuis 1960 par la circulaire du 15 mars 1960.
Cette circulaire proposait :
– de traiter les troubles mentaux à un stade précoce en développant la prévention primaire ;
– de séparer le moins possible le malade de son milieu en mettant en place des structures de soins ambulatoires comme les dispensaires d’hygiène mentale ;
– d’assurer une postcure évitant l’hospitalisation par des soins ambulatoires réalisés par une même équipe
pluridisciplinaire.
Les principes de la création du secteur prônent le refus de la ségrégation du malade mental et la continuité
des soins par une même équipe pluridisciplinaire.
L’arrêté du 14 mars 1972
Il définit le secteur géographique avec des modalités de financement différentes entre l’intrahospitalier et
l’extrahospitalier. Ce dernier est financé par les collectivités locales qui doivent assurer la prévention primaire.
L’intrahospitalier est financé par l’hôpital, créant des dysfonctionnements et des difficultés de recrutement
dans le secteur extrahospitalier car les salaires sont alors inférieurs aux salaires de l’hospitalisation, ainsi que
les moyens mis à disposition.
La loi de finances de 1985
Elle confère une autonomie financière au secteur extrahospitalier.
Le décret du 14 mars 1986 définit la prise en charge des soins par l’assurance maladie : c’est la dotation globale, et l’arrêté du 14 mars 1986 relatif aux équipements et structures définit les différentes structures ambulatoires. Dans cet arrêté apparaît la première notion de réseau. Il est précisé qu’il est fait appel à tous les
potentiels existant sur le secteur comme le public, le privé, les associations et les familles.
C’est la circulaire du 14 mars 1990, relative aux orientations de la politique de santé mentale, qui donne un
nouvel élan au développement des secteurs.
Elle définit les buts et principes de la politique nationale de santé mentale.
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
25
Psychiatrie
© L.D.
●●● Chaque signalement est discuté en interéquipe et l’infirmier évalue le degré d’urgence,
la nature de la demande et propose ainsi l’orientation, vers un psychologue pour une prise en
charge psychothérapeutique, ou vers un médecin s’il y a nécessité d’un traitement médicamenteux. En cas de délais d’attente trop longs,
il est proposé d’autres entretiens infirmiers permettant ainsi de créer un lien avec le patient et
de différer sa demande.
Un système de “référents” est mis en place. Ceuxci font ensemble un projet de soins infirmiers écrit
et détaillé dans le dossier de soins du patient. Lisible et accessible au reste de l’équipe, il sera discuté lors de réunions infirmières hebdomadaires.
Dans le projet, sera précisé la nécessité ou non de
visites à domicile, la date des entretiens infirmiers
et leur fréquence, en fait tout ce qui concerne le
suivi infirmier. Il paraît nécessaire que ces prises
en charge soient bien connues de toute l’équipe
dans un souci de transparence, afin d’éviter
que celles-ci ne deviennent routinières, voire
chroniques et, du coup, inintéressantes pour
les soignants, dommageables pour les patients.
Les visites à domicile, si possible et selon les
26
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
nécessités liées à la prise en charge, sont effectuées par deux infirmiers.
Dans ce contexte centré sur l’équipe, l’urgence est
prioritaire et le soutien de l’équipe nécessaire pour
accompagner un infirmier dans des démarches
parfois douloureuses (deuil, suicide, etc.).
L’activité infirmière dans un CMP nécessite
qu’elle soit organisée, repérée par tous les intervenants du lieu pour qu’elle soit efficace en
termes d’avantage thérapeutique pour le patient.
Plus les prises en charge sont discutées en
équipe, moins il existe de patients captifs du
pouvoir des soignants, tout comme des soignants
captifs du pouvoir de certains patients, entre
autres du fait de la psychose.
A cette fin, l’organisation du travail est la
suivante :
– tous les matins un staff de 10 minutes permet de s’organiser, de poser les problèmes de
répartition des temps de présence et VAD,
d’aborder les éventuelles urgences, de parler des
signalements ;
– une réunion institutionnelle hebdomadaire
permet de parler des prises en charge et des signalements en équipe pluridisciplinaire ;
– une réunion infirmière hebdomadaire de
deux heures se déroule en deux parties : une heure
consacrée aux problèmes d’organisation, de planning, de vacances, de formation continue, le reste
de la réunion étant consacré à l’étude d’un cas
concret présenté par les référents et discuté en
équipe.
La participation aux réunions hebdomadaires
des unités d’hospitalisation est nécessaire afin de
faire le lien avec les patients hospitalisés, de préparer leur sortie dans de bonnes conditions et de
rapporter des informations concernant les patients sortis depuis un certain temps, ceci afin
qu’ils puissent mesurer l’importance du travail
en hospitalisation et donc l’importance de leur
fonction à cette étape du parcours du patient.
Le développement des actions de formation
continue, réfléchies dans le cadre d’un projet de
formation propre au CMP permettra aux nouveaux infirmiers de se former aux conduites
d’entretien et à diverses pratiques cliniques, mais
aussi à tous les membres de l’équipe de développer des compétences spécifiques dans des
domaines particuliers (thérapie familiale, psychodrame) pour répondre aux besoins de la
population.
Enfin, les infirmiers peuvent s’engager dans des
projets de recherche sur l’évolution des pratiques
et de la discipline.
Michelle Livet
Cadre infirmière en psychiatrie
Soins en milieu carcéral
De profondes disparités
Sur les 187 établissements pénitentiaires que compte le territoire national,
26 seulement sont pourvus de SMPR (Service médico-psychologique régional,
auparavant CMPR, jusqu’en 1986). C’est une structure participante
de la sectorisation psychiatrique et abritant une équipe pluridisciplinaire.
C
haque SMPR est rattaché à un centre hospitalier (à l’exemple de Fleury-Mérogis) ou à
un établissement public de santé de tutelle.
Les SMPR complètent le dispositif sanitaire par
leur implantation conjointe aux Unités de
consultations et de soins ambulatoires (UCSA),
pour les soins généraux, dont la présence est systématisée. Rappelons que ces UCSA ont remplacé les anciennes infirmeries de détention dès
1994, date de la réforme décidant de l’affiliation
des prisonniers au régime général de la Sécurité
sociale. Les personnels soignants qui, jusque-là,
dépendaient du ministère de la Justice, sont passés sous la tutelle de celui de la Santé. Une amélioration qualitative et quantitative des prestations a pu être observée. Les SMPR, eux, ont
toujours connu une indépendance de fonctionnement. Cette réforme a donc peu bouleversé
leurs pratiques. Malheureusement, en dépit de
cette réunification sous un même ministère, le
clivage persiste entre ces deux services.
Les SMPR n’existent qu’en maisons d’arrêt.
Celles-ci abritent une majorité de prévenus
(sujets en attente de jugement) ainsi que des
condamnés à des peines inférieures à trois ans.
La population ciblée et le nombre d’entrants y
sont donc plus importants que dans les établissements pour peines. Les soins connaissent ainsi
de profondes disparités, la spécificité psychiatrique infirmière restant absente des centres de
détention (CD) et des maisons centrales (MC).
Un SMPR répond aux besoins en santé mentale
de la population pénale du site où il est implanté,
cette activité s’élargissant à un secteur pénitentiaire auquel sont rattachés des établissements
pour peines (CD et MC) et des maisons d’arrêt
de moindre importance. Néanmoins, les équipes
de soins ne sont pas mobiles, ce sont les détenus
qui sont transférés au SMPR par transport pénitentiaire, lequel nécessite parfois une escorte policière. Dans ce cas, le signalement est saisi à distance, l’évaluation est plus grossière et donne
parfois lieu à des erreurs d’indication. Nous in-
tervenons s’il y a nécessité d’hospitalisation sur
les lits du SMPR [encore faut-il que ce dernier
soit équipé de lits... ; à titre d’exemple, le SMPR
de Fresnes (94) soulage depuis de nombreuses
années celui de Bois-d’Arcy (78)]. Les missions
d’un SMPR sont au nombre de trois : le dépistage, la prévention et les soins psychiatriques
proprement dits.
En amont des soins, une connaissance de l’épidémiologie spécifique au milieu carcéral et de
la symptomatologie en rapport avec l’enfermement s’impose, de même que la prise en compte
du quotidien du détenu (voir Le guide du prisonnier, publication de l’Observatoire international des prisons, l’OIP) et des circuits pénal et
judiciaire.
Épidémiologie
En prison, les pathologies de la transgression
sont sur-représentées. Les sociopathies regroupent inévitablement toxicomanes (20 % de la
population) et personnalités antisociales (nouvelle dénomination des psychopathies dont l’appellation prête au fantasme). La prison figure
l’ultime lieu de soins pour ces états limites que
leur symptomatologie “bruyante et colorée”
rend souvent indésirables en milieu hospitalier.
La prison représente pour ces sujets le lieu de
confrontation terminale avec l’autorité, limite
non transgressible. Ils vont néanmoins tirer sur
ce cadre :
– dépersonnalisation du psychopathe en prison,
parfois sujet à des hallucinations induites par le
confinement (sensation que les murs l’écrasent) ;
– automutilations multiples comme moyen de
réassurance et d’expression privilégiée, sachant
qu’ici les prises d’alcool et de toxiques sont
aléatoires ;
– hétéro-agressivité dirigée contre les personnels de surveillance, le personnel soignant ayant
ici fonction de “bon objet” et non plus de “mauvais objet” comme c’est encore le cas en milieu
hospitalier ;
●●●
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
27
Psychiatrie
– persistance de conduites à risque dans le
cas d’injections “par système D” ;
– chantages divers, tentatives imaginatives et ingénieuses de manipulation ;
– détournement de l’usage médicamenteux (sujets alcooliques réclamant du Givalex® ou de l’alcool modifié à des fins d’ingestion, sous prétexte
de soigner des “petits bobos”, comprimés réduits
en poudre et mélangés à du tabac...).
La paranoïa constitue un autre réservoir, la prison recueillant les paranoïas à thèmes de jalousie ou de processus érotomaniaques en phase de
rancune ayant décompensé sur le mode homicide. Ces pathologies sont les plus lourdement
responsabilisées (ne bénéficiant pas en cela – ou
exceptionnellement – de l’article L.122.1 du
Code pénal). Pourquoi ? Parce que le sujet ne
ressent aucune culpabilité, n’exprime pas de remords et dit souvent que « si c’était à refaire... »,
attestant ainsi de sa dangerosité patente. Disonsle autrement : ces sujets font peur, à juste titre,
et l’option retenue est sécuritaire avant d’être soignante, dans le cadre d’une pathologie dont le
pronostic reste sombre et les stratégies thérapeutiques inefficaces. Il va sans dire que la prison, de par sa nature “persécutive”, ne fait que
les aggraver...
On observe une augmentation dans des proportions alarmantes du nombre de malades mentaux
identifiés et écroués. D’une part des malades sacrifiés par un système de santé en pleine mutation, et dont le destin sera de transgresser la loi
pour obtenir des soins. La prison fait encore trop
figure de réponse à la précarité sociale et affective. Citons pour mémoire l’exemple du clochard
qui vient aux portes de la prison demander à être
“admis” pour l’hiver et qui est renvoyé vers un
“circuit correctionnel” (manière d’inciter à la délinquance). D’autre part, depuis une vingtaine
d’années, la tendance en matière d’expertise psychiatrique va vers la responsabilisation des sujets
en matière correctionnelle et criminelle (aujourd’hui sont prononcées seulement 0,17 % de
peines relevant de l’article L.122.1 du Code
pénal, contre 16 % au début des années 80,
du temps de l’article 64 de l’ancien Code pénal).
Cette population nouvelle met de plus en
plus en difficulté les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire qui se
trouvent désemparés face aux troubles comportementaux ainsi qu’à une violence pour eux irrationnelle, notamment celle s’exprimant lors
d’accès délirants.
Enfin, les agresseurs sexuels ou auteurs de délits
sexuels (ADS) sont au nombre de 5 000 environ
à être incarcérés (sur une population totale de
●●●
28
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
58 000 détenus). A titre indicatif, les chimiothérapies “castratrices” et réversibles, nécessitant le
consentement du sujet, sont peu utilisées dans
un milieu suffisamment “contenant” par définition. Elles sont davantage prônées en milieu ouvert, dans le cadre d’un suivi post-pénal. Par
ailleurs, cette chimiothérapie inhibitrice de la libido sera indiquée avec le plus de pertinence
chez des sujets souffrant d’un trop-plein pulsionnel (se traduisant par une masturbation
compulsive, un envahissement fantasmatique) et
à faible potentiel de mentalisation. Mais ce recours aux anti-androgènes et l’alourdissement
des peines en matière de violences sexuelles demeurent des réponses partielles, isolées du tout,
et insuffisantes à prévenir la récidive. L’opinion
publique n’y changera rien. A la réponse répressive doit être associée une réponse thérapeutique. Le souci des professionnels de terrain n’est
pas tant la souffrance de ces agresseurs que de
trouver les solutions pour enrayer leurs agissements et briser les chaînes d’agression. Car une
violence fondamentale est au cœur de cette problématique, la sexualité n’étant que l’instrument
de cette violence, elle-même déniée par ses auteurs (pour illustrer mon propos, une phrase stéréotypée d’un agresseur sexuel : « Je serais incapable de faire du mal... »). En milieu carcéral, le
soignant exerçant en SMPR se retrouve en première ligne au moment où le patient fait tomber
son masque (fait de miel et d’obséquiosité).
Il serait faux de dire qu’aucun traitement n’est
entrepris en prison : une unité s’inspirant du
modèle canadien (l’Institut Pinel), à Fresnes, a
transposé chez nous un certain nombre de méthodes en précisant le profil des sujets accessibles à une prise en charge (sujets condamnés,
demandeurs de soins et en fin de peine). L’essentiel de ce travail, dévolu à une équipe infirmière, repose sur des thérapies de groupe englobant des approches plurielles : systémiques,
comportementalistes et cognitives. L’infirmière
est ici promue au rang de co-thérapeute. Mais
l’extension de sa fonction, parfois contestée par
le corps médical ou d’autres membres de
l’équipe pluridisciplinaire, pose un véritable
problème de reconnaissance.
Symptomatologie liée à l’enfermement
Ces effets concernent tout sujet sain au-delà
d’un temps d’enfermement variable selon les
individus. Hyperacousie, rétrécissement du
champ visuel, déperdition et appauvrissement
sensoriels, somatisation massive (des sphères digestive, anale et thoracique), perturbation majeure du sommeil (rythmes inversés, troubles de
l’endormissement, hypersomnie) du fait de l’ennui, de l’anxiété et de la longueur des nuits (de
18 h, heure de fermeture des cellules à 7 h, le
lendemain matin), autant de symptômes dont la
liste reste loin d’être exhaustive. Dans ce tableau,
la sexualité du détenu n’est pas épargnée. La
plupart se plaignent de troubles de la libido
après une année d’incarcération : impuissance
fonctionnelle, éjaculation précoce, anéjaculation
douloureuse, perte d’intensité des fantasmes...
L’étude de la sexualité en prison mériterait à elle
seule tout un article (esclavage sexuel, homosexualité de substitution s’appuyant sur des fantasmes hétérosexuels, pratiques sexuelles au
parloir faisant l’objet de tolérance ou de rapports
disciplinaires...). Le projet de parloirs intimes
existant déjà dans d’autres pays n’est toujours
pas finalisé. Ces troubles s’inscrivent dans un
contexte d’appauvrissement généralisé allant
de la perte d’identité et d’intimité, de la rupture
brutale avec l’environnement familier, au nivellement des relations et à la raréfaction des liens
avec l’extérieur, dont l’expression se réduit à la
correspondance (soumise à la censure) et aux
parloirs.
Les manifestations psychologiques quant à elles
sont de deux ordres : perturbatrices et non perturbatrices de l’homéostasie carcérale.
Manifestations perturbatrices
En premier lieu, le suicide. Les études les plus
récentes confirment un taux de suicide près de
vingt fois supérieur à la moyenne nationale. En
chiffre, cela se traduit par 120 suicides annuels.
La pendaison, mode radical s’il en est, et quasiment imparable, intervient dans 90 % des cas.
Avec une particularité : la pendaison horizontale
(au pied du lit). Nous recenserons, dans les 10 %
restants, les auto-égorgements ou autres phlébotomies graves ainsi que les suicides par asphyxie
provoquée par un incendie (c’est ainsi que Sid
Mohamed Rezala a mis fin à ses jours dans sa prison au Portugal).
Les délais rapprochés de surveillance mettent en
échec les intoxications médicamenteuses consécutives au stockage et au trafic de médicaments.
Les tentatives, elles, sont inchiffrables... Les moments à risque sont identifiés. Sans les mentionner tous, nous retiendrons : les quinze premiers
jours d’incarcération, les veilles et retours de
procès d’Assises, les périodes des fêtes, les dates
anniversaires, les vacances d’été, et, pour les
longues peines, les jours précédant la libération.
La réponse pénitentiaire face au suicide, par
manque de moyens, se limite au doublage en
cellule des détenus suicidaires, afin que le codé-
tenu veille sur le suicidant (!), inhibe son geste
ou donne l’alerte... Nous évoquerons dans une
autre partie les réponses sanitaires.
Autres manifestations
• Les automutilations (celles du “psychopathe”
et celles, plus étranges et gravissimes, du sujet
psychotique s’énucléant ou se tranchant les parties génitales...).
• Les grèves de la faim : elles doivent faire l’objet d’une déclaration officielle et conduiront le
détenu au quartier gréviste où une surveillance
médicale quotidienne est de rigueur.
• Les violences sur le personnel.
• Les ingestions de corps étrangers (nosographiquement, les “avaleurs”) : de plus en plus, on privilégie l’évacuation de ces corps (lames de rasoir,
couverts, piles, briquets...) par voie naturelle en
y associant des traitements antalgiques tels que
Spasfon®, Viscéralgine® Forte en IM...
• La bouffée délirante aiguë (BDA).
• L’accès maniaque (prééminence au printemps ;
son expression la plus fréquente en prison est
l’inondation de la cellule, voire de tout un
étage...).
Manifestations non perturbatrices
• L’apragmatisme et la clinophilie du psychotique déficitaire.
• Les syndromes dépressifs (et sa forme majeure, la mélancolie), le repli sur soi.
La relation au milieu
La prison n’est pas un territoire hospitalier : les
acteurs de santé exercent sur un territoire étranger régi par ses propres lois et repères. De fait,
toute relation est triangulaire, engageant le détenu (ou sujet), le surveillant et le soignant.
Nous ne pouvons par ailleurs négliger – dans
une optique systémique – les divers autres intervenants en relation avec le détenu : juge, avocat, famille, aumônier, visiteur, CIP (conseiller
d’insertion et de probation), lesquels peuvent
avoir à tout moment une incidence sur le psychisme, sachant que le moindre événement produit un retentissement énorme ou qu’une nouvelle insignifiante peut avoir des conséquences
désastreuses pour quelqu’un qui est enfermé, fragilisé et ne peut agir. Ainsi, une simple extraction (dans le cadre d’une audience, d’une
confrontation ou d’une reconstitution des
faits...), par son mécanisme anxiogène, peut déclencher un passage à l’acte avant ou après. Le
personnel soignant ne peut avoir accès aux détenus et encore moins aux cellules, lieux de vie
provisoires de la population pénale, sans ●●●
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
29
Psychiatrie
●●● l’intervention d’un surveillant. D’où la nécessité d’entretenir des rapports professionnels
fondés sur l’échange de données et le respect mutuel. Une exception : l’Établissement pénitentiaire de santé national de Fresnes (EPSNF) disposant d’une capacité d’accueil de 450 lits
environ. Encore qu’à partir de 18 h 30, toute ouverture ne se fera qu’à titre exceptionnel. En
unité de soins psychiatriques, la présence de
deux surveillants (voire plus) est parfois requise
pour des raisons de sécurité que ne perçoivent
pas toujours les soignants, lesquelles primeront
toujours sur les questions de santé d’un strict
point de vue pénitentiaire. Ainsi, durant la prise
d’otages du 27 au 28 mai 2001, à la MA de
Fresnes, aucun repas ni traitement n’ont pu être
distribués aux détenus avant que la situation de
crise ne soit contrôlée puis résolue. La question
des clés se pose de façon centrale et récurrente
comme un enjeu de pouvoir et de territoire entre
personnels de surveillance et personnels sanitaires. L’entretien des murs et des sols revient à
l’administration pénitentiaire, tandis que celui
des cellules revient à la population incarcérée.
D’où l’impasse pour justifier les emplois d’agents
de soins hospitaliers (ASH) dans un lieu autre
qu’hospitalier. Cependant, sur certains sites, des
négociations sont en cours.
Organisation des soins
bases sur lesquelles ont pu se créer des Unités
de soins psychiatriques. Nous avons reproduit
sans le savoir un schéma intra/extra-hospitalier.
Pourtant, il ne faut pas se fier à cette image et
mettre de côté tout parallèle avec les visites à
domicile (VAD) : les visites en cellule sont le
fait d’exceptions, quand le détenu refuse d’en
être extrait pour nous rencontrer. Les détenus
sont reçus par les soignants, soit dans un bureau du SMPR, soit dans un parloir destiné initialement aux avocats, situé en division ou en
tripale (en fonction de l’organisation spatiale de
l’établissement où l’on se situe). Le ou les intervenants feront attention à se placer du côté
de la porte, afin de ne pas être pris en otages
dans un parloir (situation qui s’est produite). En
revanche, la visite de visu prend tout son sens
au quartier disciplinaire, lieu d’intervention par
excellence.
Certaines unités disposent de chambres d’isolement. Dans le cadre de la prévention du suicide,
les objets dangereux (rasoirs, lacets, allumettes,
objets en verre) seront retirés, les lacets rendus
le temps de la promenade, les cordons de poste
radio remplacés par des piles ; ils seront ensuite
restitués progressivement.
Les soins psychiatriques en milieu carcéral s’inscrivent de plain-pied dans le champ du médicolégal, dans celui de la psychiatrie mais aussi de
la santé mentale.
Les soins en prison se sont développés à partir
de la pratique ambulatoire. Celle-ci a jeté les
Pierre Jaeger
Infirmier du secteur psychiatrique
Rapport Roelandt et Piel
De la psychiatrie
à la santé mentale
En juillet 2000, le ministère de la Santé confie au Dr J.L. Roelandt
et au Dr E. Piel une mission de réflexion et prospectives dans le domaine
de la santé mentale. Un rapport a été remis à Bernard Kouchner,
secrétaire d’État à la Santé, en juillet 2001.
es objectifs de cette mission étaient de :
– redéfinir une politique de sectorisation
Lpsychiatrique
fondée sur un fonctionnement en
réseau et intégrée dans le tissu sanitaire, médicosocial et social ;
30
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
– proposer les étapes d’un déploiement de la
psychiatrie telle qu’elle est organisée aujourd’hui
vers le champ plus global de la santé mentale ;
– proposer des modalités d’intégration de la
santé mentale dans des soins de santé primaires ;
– proposer, sur la base du constat fait par Pierre
Pradier dans son rapport relatif à l’organisation
des soins en milieu carcéral, les voies d’améliorations du dispositif de prise en charge en santé
mentale pour la population placée sous main de
justice.
De septembre 2000 à juin 2001, des visites sur
le terrain en France et à l’étranger (Allemagne,
Angleterre, Italie, Québec, Portugal, Suède) ont
été effectuées.
De nombreuses réunions de travail ont été organisées avec des responsables politiques, des professionnels des champs sanitaires et sociaux, les
associations d’usagers et les représentants des
familles.
adaptés. La politique de sectorisation n’est pas
menée à son terme et les fonctionnements hospitalocentriques sont encore très présents au détriment des pratiques ambulatoires. Ainsi, une
des difficultés majeures concerne la “survivance
des concentrations psychiatriques hospitalières”.
Le système de soins fonctionne à plusieurs vitesses, avec une offre libérale pour les classes
moyennes et aisées et une offre publique plus
orientée vers les catégories les moins favorisées.
A ceci il faut ajouter une prise en compte trop ténue de la souffrance psychique des “exclus”.
Les soins psychiatriques en prison
Cette année un Français sur 4 souffrira d’un
trouble mental. Plus d’un million de personnes
sont actuellement suivies en psychiatrie générale, dont plus de 85 % en ambulatoire. Il y a
15 % de dépressions déclarées dans la population (six fois plus en 30 ans). Les demandes de
soins ont augmenté d’environ 50 % depuis 1989.
Actuellement, la souffrance psychique constatée
en prison n’obtient pas de réponses satisfaisantes
en raison du manque de moyens, d’une trop
grande étanchéité des SMPR au sein du milieu
carcéral et de la confusion des rôles affectés aux
soignants, à savoir garder et soigner. Enfin, l’irresponsabilité pénale des patients (article 122-1
du Code de procédure pénale), défendue par
un certain nombre de psychiatres, ne paraît pas
faire œuvre utile pour les soins et la réhabilitation de ces patients.
L’offre de soins
Les professionnels
L’offre de soins psychiatriques est assez importante, prépondérante dans le secteur public
en termes de structures mais mal répartie sur
le territoire national. En effet, les écarts de capacité en lits et places varient de 1 à 9 selon les
départements.
Concernant la démographie professionnelle, il
existe plus de 12 000 psychiatres dont 46 % de
salariés, 58 000 infirmiers dont 94 % exercent
dans le secteur public et environ 4 000 psychologues qui travaillent à 80 % dans le public.
Les formations sont inadaptées aux évolutions sociales et aux pratiques. Les psychiatres n’ont aucune formation concernant l’animation, la gestion
d’équipe pluridisciplinaire, la santé publique et le
partenariat avec le secteur médico-social. Pour les
psychologues, on constate une inégalité dans les
contenus de formation et les validations de stages
ainsi que peu de préparation au travail d’équipe.
Les travailleurs sociaux, en situation de pénurie
importante, ont considérablement varié leurs
rôles, fonctions et missions et ont largement
contribué à ce que les patients hospitalisés depuis
de nombreuses années sortent des asiles et récupèrent leurs droits. Les médecins généralistes,
souvent en première ligne, sont peu préparés à la
psychiatrie dans le cadre de leur formation initiale.
Les personnels de direction n’ont aucune formation particulière aux aspects spécifiques de l’organisation des soins en psychiatrie.
Les infirmiers DE sont à ce jour inégalement
formés selon les IFSI, sur le plan de la santé
mentale.
Ils assurent, en soins à temps plein ou en ambulatoire, un travail spécifique dans le cadre de suivis individuels ou de groupe, basés sur des techniques d’entretiens (accueil, accompagnement
dans la vie quotidienne, soutien et suivi à visée
thérapeutique et psychothérapique.)
Mais force est de constater que :
●●●
Constats
La situation de la population
Les usagers et les familles
Les usagers réclament le respect de leurs droits.
A cette fin, ils ont publié deux documents. D’une
part, une “Charte de l’usager en santé mentale”
signée par la secrétaire d’État à la Santé et aux
Handicapés, la FNAP-Psy et la conférence nationale des présidents de CME et de CHS ; d’autre
part, un “Livre blanc des partenaires de Santé
Mentale France” regroupant des patients, des soignants et des familles. Ces deux documents sont
destinés à informer la population, à faire reconnaître la place des usagers et leur participation à
l’organisation des soins.
Les administrations
La planification de l’offre de soins est complexe
et les outils d’aide à la décision sont souvent in-
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
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Psychiatrie
– la réforme des études, en 1993, a considérablement diminué le volume horaire de formation en psychiatrie : actuellement 400 heures
pour 4 715 heures de formation ;
– le réaménagement en cours des contenus de
la formation initiale prévoit de diminuer les
stages en psychiatrie (ainsi qu’en médecine et en
chirurgie) ;
– le peu de connaissance et de reconnaissance de
leurs pratiques professionnelles ;
– l’augmentation significative des demandes
faites aux infirmiers, qu’il devient de plus en plus
difficile d’assumer avec la qualité requise ;
– le manque d’attractivité de plus en plus flagrant de la psychiatrie pour les jeunes infirmiers.
En moyenne, moins d’un étudiant sur 30 choisit
cette voie à la fin de ses
études ;
– la pénurie d’infirmiers
constatée dans certains
services de psychiatrie,
qui s’aggrave constamment, suivant en cela la
tendance générale française et européenne ;
– la diminution progressive des “anciens” infirmiers psychiatriques,
due aux départs naturels,
limitant ainsi le compagnonnage et le tutorat
qu’ils pouvaient mettre
en place pour résoudre
une partie des difficultés
constatées ;
– les difficultés d’adaptation actuelles en psychiatrie des jeunes infirmiers DE.
De fait, de nombreux membres de la profession
revendiquent la mise en place d’une spécialisation en santé mentale pour les infirmiers :
– évoquant une recommandation européenne
des 15 et 16 avril 1986 qui demandait la promulgation d’une directive européenne visant à la
mise en place d’une spécialisation pour les soins
infirmiers en psychiatrie ;
– affirmant que “tous les pays de l’UE qui avaient
une spécialisation et l’ont abandonnée le regrettent et tous ceux qui n’en ont pas en souhaitent
la mise en place”.
© V. Burger/Phanie
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Propositions
• Assurer une représentativité réelle des usagers,
avec, entre autres, une aide financière nationale à
leurs associations et une organisation de leur participation aux politiques de soins et à leur mise en
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Professions Santé Infirmier Infirmière - No 29 - septembre 2001
œuvre. Il s’agira également de promouvoir les
droits des usagers en santé mentale.
• Lutter contre la stigmatisation des personnes
souffrant de troubles mentaux par une plus large
information du public.
• Réviser et rapprocher les cartes sanitaire, psychiatrique, sociale, judiciaire et scolaire au niveau national.
• Passer de la psychiatrie à la santé mentale
en allant vers les malades, là où ils sont, en privilégiant une logique de réseau plutôt qu’une
logique institutionnelle. Pour ce faire, nous proposons de créer un “Service territorial de psychiatrie” couvrant un bassin de vie défini qui
aura pour mission d’assurer, en lien avec les
autres acteurs sanitaires, l’organisation des soins.
Dans le même esprit, création d’un “Réseau territorial de santé mentale” qui, lui, sur le même territoire, permettra d’identifier et de mettre en relation, dans le cadre d’un projet, les champs
psychiatrique, somatique, social et médico-social.
• Prévoir la fermeture progressive des hôpitaux
psychiatriques, remplacés par de petites structures implantées en ville.
• Réformer les modalités de l’obligation de soins
et de l’organisation des soins en milieu carcéral.
• Réformer les formations initiales des professionnels en :
– déspécifiant la formation des psychiatres à l’intérieur de leur spécialité ;
– en augmentant fortement la formation en psychiatrie des médecins généralistes ;
– en aménageant l’organisation et la validation
des stages pour les psychologues ;
– en intégrant la formation infirmière dans les
enseignements universitaires et en mettant en
œuvre une formation complémentaire spécifique
dont les modalités restent à définir ;
– en développant des enseignements complémentaires pour les travailleurs sociaux, voire
conjoints avec les soignants.
• Structurer la recherche en santé mentale sur un
plan régional.
Les constats et propositions de ce rapport ne visent qu’à une meilleure intégration de la santé
mentale et des patients dans la communauté.
Mais ceci ne pourra se mettre en place qu’au prix
d’une réelle impulsion politique engagée et par
le biais d’une loi cadre issue d’un débat parlementaire dont l’objectif premier, essentiel et indispensable, sera de reconnaître, enfin, un statut
de citoyen ordinaire à toute personne souffrant
de troubles mentaux.
Dr Éric Piel
Chef de service, 1er et 4e arrondissements de Paris
Chargé de mission au ministère de la Santé
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