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approche véritablement pluriprofessionnelle.
La place de la médecine dans la société change.
Il n’est plus question de soigner uniquement des
maladies mais de promouvoir la santé : “état de
complet bien-être physique, mental et social”,
selon la définition de l’OMS. En santé mentale,
l’objet de la psychiatrie reste difficile à circons-
crire. On parle moins aujourd’hui de maladies
mentales que de souffrance psychique. Tout de
même, les traitements plus précoces, plus effi-
caces, les nouvelles connaissances en neurobio-
logie, en génétique ou en sociologie n’ont pas fait
disparaître la psychose. La prévalence en reste
remarquablement constante. Par ailleurs, les
troubles anxieux, les états dépressifs, les troubles
de la personnalité occupent une place croissante.
D’après le CREDES, qui cite l’OMS, les troubles
psychiatriques sont au troisième rang des mala-
dies dans le monde et devraient dépasser les ma-
ladies cardio-vasculaires d’ici 2020. En 1997, le
rapport Joly au Conseil économique et social
retenait que 20 % des Français souffrent de
troubles psychiques et du comportement.
Mais, au-delà de cette dimension quantitative,
les troubles psychopathologiques occupent une
place à part au sein de la médecine et pas seu-
lement en termes de représentation sociale. En
effet, comme nous le dit Alain Ehrenberg (1) :
«La psychiatrie concerne une classe particulière de
pathologie : la capacité du sujet d’évaluer correcte-
ment le “lui-même” qui souffre. La psychiatrie est
à la fois médecine comme une autre et autre que la
médecine... »
Une forte spécificité
De fait, la psychiatrie garde une spécificité forte
malgré une relative banalisation ces vingt der-
nières années, notamment dans ses lieux de
soins, désormais ouverts et à proximité des
autres services médicaux. Mais là où la médecine
s’appuie trop souvent sur une vision d’organe et
sur des principes de causalité linéaire, la psy-
chiatrie demeure (encore ?) référée à une ap-
proche holistique qui transcende la partie. Le
propre de l’appareil psychique est justement de
ne pas renvoyer une image de fonctionnement
réflexe, “organique”. L’esprit habille sa souffrance
de formes autrement plus masquées, plus com-
plexes à décoder, que le corps. Les verrous se
multiplient pour fausser les pistes, barrières fil-
trant l’accès à l’inconscient. Alors que la maladie
somatique est ressentie comme étrangère au su-
jet, la souffrance psychique renvoie à l’intimité
de la personne et, plus qu’ailleurs, la frontière
entre le normal et le pathologique est quelque-
fois difficile à situer...
La demande est également de nature différente.
Elle apparaît parfois étrangement absente dans
des situations de souffrance extrême. Mais inin-
telligible serait plus juste qu’absente. C’est le cas
chez beaucoup de psychotiques bien sûr, mais
également chez certains sujets en situation de
précarité. Le symptôme ne peut alors être com-
pris qu’en regard d’une histoire personnelle.
Cette ambiguïté quant à la demande révèle en
écho l’ambivalence des soignants. Soigner en psy-
chiatrie, c’est s’efforcer de restaurer la part de li-
berté perdue, d’aider à recouvrer un libre arbitre.
Nul mieux que Henri Ey n’a su décrire la mala-
die mentale comme une pathologie de la liberté.
Nous nous trouvons ainsi, en permanence, écar-
telés entre deux tentations :
–celle de ne pas continuer à stigmatiser les ma-
lades, de couper avec des siècles d’exclusion et
de rejet en rapport avec une représentation de la
maladie mentale renvoyant à des stéréotypes
plus qu’aux réalités ;
–celle de reconnaître une spécificité et d’entre-
tenir des réponses de natures différentes. La ma-
ladie mentale n’est pas toujours perçue par les
proches, ou elle l’est parfois avec un certain re-
tard. Mais lorsqu’elle l’est, elle entraîne dans cer-
tains cas crainte et méfiance plutôt que compas-
sion. Les relations intersubjectives, au sein de la
cellule familiale, sur le plan socioprofessionnel,
mais également avec les soignants, s’en trouvent
profondément modifiées.
Pour Robert Misrahi : «la personnalité malade et
souffrante est atteinte dans sa liberté réflexive, cette
liberté de second niveau qui correspond à la maîtrise
de soi et à la conscience redoublée que tout individu
peut conquérir par sa volonté et son travail. Le “ma-
lade”, le “patient”, semble ne plus pouvoir accomplir
ce travail. Il ne dispose plus que de la liberté sponta-
née, anarchique, qui certes fait de lui un sujet, mais
un sujet soumis à tous les dérèglements et à toutes les
dépressions passionnelles de la spontanéité » (2).
Que cela nous plaise ou pas, la psychiatrie oc-
cupe une place à part au sein de la médecine.
Même l’avènement fantasmatique de l’homme
neuronal de Jean-Pierre Changeux n’y change
rien. Certes, il nous dit que les conduites hu-
maines peuvent être décrites en termes d’activité
neuronale. Certes, les connaissances nouvelles
en psychopharmacologie s’appliquent à décrire
les molécules du bonheur, de la dépression ou
du délire, mais nous souscrivons pleinement à
l’analyse de Jean Maisondieu : «Donner toute la
place à la biologie comme explication ultime du fonc-
tionnement humain, c’est transformer le progrès
scientifique en défaite pour l’humanité de l’homme.
Certes, les conduites de ce dernier peuvent être dé-
Psychiatrie
Professions Santé Infirmier Infirmière - No29 - septembre 2001
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