La psychiatrie est une discipline charnière où
se rejoignent les connaissances en neuro-
sciences et en psychologie, enrichies par les ap-
ports de la psychanalyse. L’activité est médicale
mais ne peut ignorer aujourd’hui le social, voire
l’administratif, le dispositif de soins des malades
mentaux étant aussi régi par un ensemble de
textes juridiques. L’interférence du non médical,
notamment du culturel, est forte, ne serait-ce que
par la définition donnée, selon les pays, du ma-
lade mental. Pendant longtemps les troubles
mentaux n’ont-il pas relevé du surnaturel ? Au
fil de l’histoire, le fou a perdu son caractère ma-
gique et il est devenu incompréhensible, dange-
reux, malade enfin, avec la naissance de la psy-
chiatrie. Alors, par l’intermédiaire de l’hôpital, la
société a enfermé l’irresponsable pour se proté-
ger de son désordre.
Nouvelles politiques en Europe
A partir des années 60, les pays européens ont dé-
fini de nouvelles politiques de santé mentale gé-
néralement fondées sur les soins communau-
taires. Sont alors constatés un déclin progressif du
nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques
et la diminution progressive de la dimension des
hôpitaux. Parallèlement, l’internement est de-
venu moins nécessaire du fait des nouvelles thé-
rapeutiques. L’hospitalisation des malades dans
les hôpitaux généraux constitue une autre évolu-
tion et concerne surtout les hospitalisations de
courte durée. La ségrégation du malade mental
s’atténue. Chaque pays a développé des efforts
particuliers. La France a été l’un des premiers
pays à mettre sur pied une politique de change-
ment en adoptant, dans les années 60, les prin-
cipes de la psychiatrie de secteur : une équipe
pluridisciplinaire est responsable de la santé men-
tale des habitants d’une zone géographique.
Le débat semble évoluer vers un consensus qui
porte notamment sur le caractère bio-psycho-
social de la maladie mentale, sur l’évolution
vers la psychiatrie communautaire et la ferme-
ture progressive des grandes institutions
Sommaire
• Demande de soins :
des évolutions
certaines
• L’accès au dossier :
l’illusion
de la transparence
• Spécialisation
en soins infirmiers :
une nécessité
incontournable
• Centre
médico-psychologique :
le travail infirmier
• Soins
en milieu carcéral :
de profondes
disparités
• Rapport
Rœlandt et Piel :
de la psychiatrie
àlasanté mentale
Psychiatrie
Une discipline charnière
La frontière entre le normal et le pathologique étant loin
d’être linéaire, les limites de la psychiatrie ne sont pas faciles
àétablir. La vocation des soignants dans cette discipline
est de soulager les souffrances psychiques. Pourtant
ces dernières ne relèvent pas toutes de la pathologie,
et à l’extrême du psychologique, les démences rejoignent,
elles, dans l’organique, le champ de la neurologie.
17
●●●
Professions Santé Infirmier Infirmière - No29 - septembre 2001
Les psychiatres et les infirmiers psychiatriques
dans les régions OMS (médians).
0
5
10
15
20
25
30
26
0,05 0,19
Afrique Les
Amériques
Méditerranée
orientale
Europe Asie
du Sud-est
Pacifique
occidental
Source : OMS
1,9 2,7
1
9
0,75 0,2 0,06 0,28 0,9
Psychiatres
Infirmiers
psychiatriques
18
psychiatriques. L’effort dans le champ de la
réhabilitation sociale et de la formation profes-
sionnelle, désormais possibles pour des malades
considérés jadis comme chroniques, connaît une
intensification certaine. Restent des problèmes
non négligeables qui font naître des contro-
verses : la sélection public/privé, le développe-
ment des entreprises sociales, l’administration
croissante de psychotropes dans la pratique psy-
chiatrique mais aussi dans la population en gé-
néral et, bien entendu, la formation de person-
nels compétents.
Dans le monde
L’OMS a lancé le projet ATLAS pour mieux cer-
ner les ressources consacrées pour la santé men-
tale dans le monde. La première analyse des don-
nées montre la faiblesse disproportionnée des
ressources et des services consacrés aux troubles
mentaux et comportementaux par rapport à la
charge de morbidité, que ce soit dans les pays dé-
veloppés ou dans ceux en voie de développe-
ment. Ainsi, parmi les pays étudiés : 43 % n’ont
pas de politique de santé mentale, 23 % n’ont pas
de législation sur la santé mentale, 38 % n’ont
pas de services communautaires de soins, 41 %
ne proposent pas de traitements des troubles
mentaux sévères dans le cadre de soins de santé
primaire. Plus de la moitié des lits réservés aux
soins de santé mentale se trouvent dans des hô-
pitaux psychiatriques. Tout en observant une
grande diversité à ce niveau, on s’aperçoit que le
nombre moyen de lits disponibles pour les soins
de santé mentale s’établit à 1,54/10 000 habitants
à l’échelle mondiale (0,33/10 000 habitants en
Asie du Sud-Est contre 9,3 pour l’Europe). Les
ONG comblent souvent les lacunes. Selon
l’OMS, le constat est sombre : de graves pénuries
le disputent à la négligence et à l’apathie. L’espoir
vient de certains pays qui établissent des em-
bryons de programmes, notamment grâce aux
ONG. Mais il faudra encore beaucoup d’efforts
de la part des gouvernements, des professionnels
et des communautés pour améliorer la situation
en matière de santé mentale dans le monde.
Andrée-Lucie Pissondes
Psychiatrie
Professions Santé Infirmier Infirmière - No29 - septembre 2001
●●●
La recrudescence des troubles psychiques, ou vécus comme tels, et les efforts
des professionnels pour faire connaître leurs pratiques sont vraisemblablement
pour beaucoup dans l’amélioration du regard porté sur la psychiatrie.
Demande de soins
Des évolutions certaines
Force est de constater que les soins relevant
de la souffrance psychique prennent une part
de plus en plus importante dans notre système
de santé. Cette augmentation est régulière et
constante depuis plusieurs années.
Offre de soins diversifiée mais disparate
La psychiatrie représente 21 % de l’ensemble
des lits de courts séjours et 74 % des places
d’hospitalisation de jour et de nuit et des places
d’hospitalisation à domicile. Il existe 70 000 lits
d’hospitalisation complète dont 80 % en établis-
sements spécialisés. 30 % des effectifs sont af-
fectés aux soins de courte durée. 85 % des psy-
chologues et 13 % des médecins spécialistes sont
salariés ou libéraux. Les infirmiers exerçant en
psychiatrie sont au nombre de 58 000 équiva-
lents temps plein environ pour 4 000 psycho-
logues et 13 200 psychiatres. Quatre-vingts pour
cent des CMP (centres médico-psychologiques)
sont ouverts au moins 5 jours par semaine
(contre 83 % en 1989).
De grandes disparités géographiques persistent
dans cette offre de soins. Ainsi, l’offre est exclu-
sivement publique dans plus du quart des dé-
partements et il existe des écarts de capacités
qui varient de 1 à 9 sur tout le territoire. Les
centres d’accueil thérapeutique à temps partiel
(CATTP) favorisant l’insertion des personnes sui-
vies se sont développés. Soixante-neuf pour cent
des secteurs en sont désormais dotés contre 41 %
en 1989.
Entre 1989 et 1997, il y a eu une progression de
90 % des patients suivis à domicile.
Évolution significative des besoins
Les troubles de la santé mentale concernent 23 %
des femmes et 13 % des hommes. La prévalence
globale en population générale est de 9,4 % pour
les troubles dépressifs, 0,5 % pour la schizo-
phrénie et 2,7 % pour l’anxiété généralisée. Les
enquêtes montrent que 12 % de la population de
plus de 16 ans souffrent de dépressions diverses.
En 1997, on estimait à 57 millions le nombre de
motifs de recours aux soins pour troubles de la
santé mentale. Entre 1992 et 1997, les consulta-
tions chez les psychiatres en ville sont passées de
13,4 millions à 15,7 millions, soit une augmen-
tation de 17 %. Entre 1989 et 1997, les demandes
de soins ont augmenté de 46 % pour les adultes
et de 43 % pour la psychiatrie infanto-juvénile.
On notera enfin une progression importante des
soins relatifs aux enfants, adolescents et per-
sonnes âgées entre 1989 et 1995, soit une aug-
mentation de 102 % pour les moins de 15 ans,
de 50 % pour les 15-24 ans et de 52 % pour les
plus de 85 ans.
Rémy Isnard
Infirmier général, Laragne (05)
* D’après le rapport de la DREES “Bilan de la sectorisation psy-
chiatrique”. Ministère de la Santé, juin 2000.
19
Professions Santé Infirmier Infirmière - No29 - septembre 2001
Nombre de motifs de recours en milliers en 1997
Généralistes Psychiatres Total %
Dépressions 10 236 4 977 15 213 27
Troubles du sommeil 8 905 864 9 769 17
Nervosité 1 130 86 1 216 2
Angoisse, anxiété 9 120 3 348 12 468 22
Troubles de l'enfance 119 305 424 1
Retards psychomoteurs 97 127 224 0
Autres troubles névrotiques 4 546 7 958 12 504 22
Psychoses 1 722 2 343 4 065 7
Ensemble des troubles mentaux 35 874 20 008 55 882
Source CREDES. Données EPPM 1992/1997 IMS Health
Les certitudes sont à prendre pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des vérités
éphémères. Si nous avions parlé de l’accès au dossier il y a quelques
années, nul doute que c’eut été en des termes sensiblement différents.
L’accès au dossier
L’illusion de la transparence
Dans notre pays, les pratiques en psychiatrie
évoluent souvent par à-coups, trop vite ou
pas assez selon que l’on se trouve en position de
soignant ou de patient, ou bien encore de proche...
En 1996, à l’occasion d’un colloque sur l’assu-
rance qualité et l’accréditation qui se tenait à
Gérone où étaient évoquées les diverses expé-
riences européennes, j’avais été surpris par la
participation côte à côte d’un psychiatre d’un
pays nordique et d’un usager représentant d’une
association. Leurs exposés respectifs, harmo-
nieux et complémentaires, proposaient pour
nous, psychiatres français, un chemin à décou-
vrir et à explorer.
Un travail d’équipe
En quelques années, des associations du même
ordre se sont développées en France, en même
temps qu’apparaissait un changement dans la na-
ture des relations soignant-soigné. Le soin, au-
jourd’hui, ne s’envisage plus comme subi passi-
vement, mais il s’ouvre sur une dimension
participative croissante du patient. Parallèlement,
les interactions au sein même de l’équipe soi-
gnante se sont modifiées en profondeur. Le mé-
decin apprend à partager les fonctions hiérar-
chiques et de responsabilité avec ses pairs, mais
également avec d’autres acteurs du soin qui
prennent une part grandissante dans une ●●●
20
approche véritablement pluriprofessionnelle.
La place de la médecine dans la société change.
Il n’est plus question de soigner uniquement des
maladies mais de promouvoir la santé : “état de
complet bien-être physique, mental et social”,
selon la définition de l’OMS. En santé mentale,
l’objet de la psychiatrie reste difficile à circons-
crire. On parle moins aujourd’hui de maladies
mentales que de souffrance psychique. Tout de
même, les traitements plus précoces, plus effi-
caces, les nouvelles connaissances en neurobio-
logie, en génétique ou en sociologie n’ont pas fait
disparaître la psychose. La prévalence en reste
remarquablement constante. Par ailleurs, les
troubles anxieux, les états dépressifs, les troubles
de la personnalité occupent une place croissante.
D’après le CREDES, qui cite l’OMS, les troubles
psychiatriques sont au troisième rang des mala-
dies dans le monde et devraient dépasser les ma-
ladies cardio-vasculaires d’ici 2020. En 1997, le
rapport Joly au Conseil économique et social
retenait que 20 % des Français souffrent de
troubles psychiques et du comportement.
Mais, au-delà de cette dimension quantitative,
les troubles psychopathologiques occupent une
place à part au sein de la médecine et pas seu-
lement en termes de représentation sociale. En
effet, comme nous le dit Alain Ehrenberg (1) :
«La psychiatrie concerne une classe particulière de
pathologie : la capacité du sujet d’évaluer correcte-
ment le “lui-même” qui souffre. La psychiatrie est
à la fois médecine comme une autre et autre que la
médecine... »
Une forte spécificité
De fait, la psychiatrie garde une spécificité forte
malgré une relative banalisation ces vingt der-
nières années, notamment dans ses lieux de
soins, désormais ouverts et à proximité des
autres services médicaux. Mais là où la médecine
s’appuie trop souvent sur une vision d’organe et
sur des principes de causalité linéaire, la psy-
chiatrie demeure (encore ?) référée à une ap-
proche holistique qui transcende la partie. Le
propre de l’appareil psychique est justement de
ne pas renvoyer une image de fonctionnement
réflexe, “organique”. L’esprit habille sa souffrance
de formes autrement plus masquées, plus com-
plexes à décoder, que le corps. Les verrous se
multiplient pour fausser les pistes, barrières fil-
trant l’accès à l’inconscient. Alors que la maladie
somatique est ressentie comme étrangère au su-
jet, la souffrance psychique renvoie à l’intimité
de la personne et, plus qu’ailleurs, la frontière
entre le normal et le pathologique est quelque-
fois difficile à situer...
La demande est également de nature différente.
Elle apparaît parfois étrangement absente dans
des situations de souffrance extrême. Mais inin-
telligible serait plus juste qu’absente. C’est le cas
chez beaucoup de psychotiques bien sûr, mais
également chez certains sujets en situation de
précarité. Le symptôme ne peut alors être com-
pris qu’en regard d’une histoire personnelle.
Cette ambiguïté quant à la demande révèle en
écho l’ambivalence des soignants. Soigner en psy-
chiatrie, c’est s’efforcer de restaurer la part de li-
berté perdue, d’aider à recouvrer un libre arbitre.
Nul mieux que Henri Ey n’a su décrire la mala-
die mentale comme une pathologie de la liberté.
Nous nous trouvons ainsi, en permanence, écar-
telés entre deux tentations :
celle de ne pas continuer à stigmatiser les ma-
lades, de couper avec des siècles d’exclusion et
de rejet en rapport avec une représentation de la
maladie mentale renvoyant à des stéréotypes
plus qu’aux réalités ;
celle de reconnaître une spécificité et d’entre-
tenir des réponses de natures différentes. La ma-
ladie mentale n’est pas toujours perçue par les
proches, ou elle l’est parfois avec un certain re-
tard. Mais lorsqu’elle l’est, elle entraîne dans cer-
tains cas crainte et méfiance plutôt que compas-
sion. Les relations intersubjectives, au sein de la
cellule familiale, sur le plan socioprofessionnel,
mais également avec les soignants, s’en trouvent
profondément modifiées.
Pour Robert Misrahi : «la personnalité malade et
souffrante est atteinte dans sa liberté réflexive, cette
liberté de second niveau qui correspond à la maîtrise
de soi et à la conscience redoublée que tout individu
peut conquérir par sa volonté et son travail. Le “ma-
lade”, le “patient”, semble ne plus pouvoir accomplir
ce travail. Il ne dispose plus que de la liberté sponta-
née, anarchique, qui certes fait de lui un sujet, mais
un sujet soumis à tous les dérèglements et à toutes les
dépressions passionnelles de la spontanéité » (2).
Que cela nous plaise ou pas, la psychiatrie oc-
cupe une place à part au sein de la médecine.
Même l’avènement fantasmatique de l’homme
neuronal de Jean-Pierre Changeux n’y change
rien. Certes, il nous dit que les conduites hu-
maines peuvent être décrites en termes d’activité
neuronale. Certes, les connaissances nouvelles
en psychopharmacologie s’appliquent à décrire
les molécules du bonheur, de la dépression ou
du délire, mais nous souscrivons pleinement à
l’analyse de Jean Maisondieu : «Donner toute la
place à la biologie comme explication ultime du fonc-
tionnement humain, c’est transformer le progrès
scientifique en défaite pour l’humanité de l’homme.
Certes, les conduites de ce dernier peuvent être dé-
Psychiatrie
Professions Santé Infirmier Infirmière - No29 - septembre 2001
●●●
crites “en termes d’activité neuronale” mais rien
n’autorise à affirmer qu’elles ne sont que cela... Dans
ce cas, l’enchaînement sans nuance de l’homme à la
matière qui lui permet d’exister réalise sournoise-
ment le meurtre de l’homme libre, capable de dé-
passer les limites de son enracinement biologique
pour s’affirmer comme sujet... » (3).
Bannir la contrainte
On continue de présenter les soins en psychia-
trie par rapport à la notion de contrainte – avec
ou sans – or, la vraie question est celle du dis-
cernement plus que de la contrainte...
Cette spécificité de la maladie mentale est
d’ailleurs reconnue dans la loi : indirectement,
dans celle de 1968 relative aux mesures de pro-
tection des biens, plus directement, dans la loi
du 27 juin 1990 sur les différents modes d’hos-
pitalisation en psychiatrie.
Il n’est donc pas étonnant que les réponses soi-
gnantes en psychiatrie se singularisent quelque
peu au sein de la médecine. Principe fort d’une
globalisation des prises en charge en des temps
différents de prévention, de cure, de postcure,
de réhabilitation et de réinsertion, dans un
continuum permis par l’organisation d’un dis-
positif de santé publique sectorisé auquel parti-
cipent d’ailleurs, à différents niveaux, les psy-
chiatres libéraux.
Ce principe de réponse globale visant à accom-
pagner et à restaurer le sujet implique une mul-
tiplication de réponses différentes dans le temps,
apportées par des intervenants dont chaque ac-
tion s’inscrit en complémentarité. Cela impose
une réflexion partagée pour définir un projet de
soins personnalisé et évolutif mais également
des outils communs, parmi lesquels le dossier
du patient tient une place essentielle. Sa concep-
tion même, le partage d’informations mais aussi
d’un questionnement diagnostique, s’inscrivent
dans une vision dynamique et tiennent lieu de
mémoire collective précieuse tant sur le moment
qu’à distance. Il apparaît très difficile d’y sépa-
rer artificiellement les informations relatives au
patient et celles concernant la cellule familiale,
le milieu professionnel, les tiers en général. Il
est tout aussi difficile de vouloir séparer les in-
formations liées à un temps (ou à un mode
d’hospitalisation, sous contrainte par exemple)
défini. Ce qui compte en effet, c’est la compré-
hension de cette souffrance qui habite l’autre, et
la possibilité de le soulager. Ce qui compte, c’est
le film avec tous ses acteurs si on veut com-
prendre l’histoire et non une succession de pho-
tos dont certaines parties, qui plus est, devraient
être cachées...
Cet outil, le projet de loi de modernisation de la
santé, prévoit d’en rendre possible la communi-
cation directe au patient, à l’exception des infor-
mations concernant les tiers, en dehors des pa-
tients hospitalisés sous contrainte.
N’est-ce pas un paradoxe, au moment où l’accent
est mis sur une information définie comme par-
faitement intelligible, que d’imaginer une mise à
disposition brute, sans envisager comment elle
peut être perçue ? Un accompagnement peut être
proposé, mais sera-t-il toujours accepté ? Com-
ment les informations touchant au plus profond
de son intimité psychique pourront-elles être re-
çues sans une grille de lecture adaptée ?
La linguistique nous apprend que le sens du
discours s’élabore non à partir d’une abstraction
mais d’un travail impliquant à la fois le sujet de
l’énonciation et l’autre, interlocuteur, tous deux
situés dans un contexte. Ce que Paul Ricœur
traduit à sa façon : «La fonction narrative corres-
pond à une forme particulière de production de sens
mettant en jeu actions, pensées et sentiments dans
un ordre particulier. Cet ordre est reconstruit par
celui qui parle (ou écrit) et par celui qui écoute
(ou lit) » (4).
On peut imaginer les dérives potentielles en ma-
tière de revendications pathologiques. Mais on
imagine également la quête d’une “vérité sup-
posée” sur son fonctionnement psychique, bou-
leversant douloureusement le patient confronté
à une réalité à laquelle il n’était pas préparé.
L’accès au dossier devrait être, comme les soins,
personnalisé. Il ne s’agit pas d’en discuter le prin-
cipe mais plutôt de le revendiquer. Toutefois,
cette revendication doit s’appuyer sur les élé-
ments du réel, du souhaitable et du possible en
fonction de chaque cas particulier. La démarche
du patient qui cherche à comprendre son mal
est légitime, tout comme celle visant à connaître,
pour les transmettre éventuellement à de nou-
veaux thérapeutes, les données nécessaires à
sa prise en charge. Pourquoi, dès lors, ne pas
imaginer différents “niveaux de dossier”, avec des
informations directement communicables et
d’autres appelant un accompagnement, une ex-
plication par un tiers soignant ?
Mais si la transmission directe et sans limite du
dossier devait se généraliser, on peut craindre, à
très court terme, une modification radicale des
usages en appauvrissant singulièrement le
contenu avec le recours à un vocabulaire et des
référentiels de plus en plus généraux et standar-
disés. L’égalité revendiquée dans la relation soi-
gnant-soigné ne doit pas aboutir à une dérive
dans la position du thérapeute qui, demain,
pourrait d’abord songer à ne pas risquer
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Professions Santé Infirmier Infirmière - No29 - septembre 2001
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