Euthanasie Quelles législations pour la Belgique et les Pays-Bas ? Les Pays-Bas et la Belgique, tous deux parmi les États membres les plus anciens de l’Union européenne ont légalisé, sous conditions, l’euthanasie. Les deux textes de loi ont été adoptés au terme de longs mois de débats dans les hémicycles nationaux, souvent prolongés dans la rue. L es opposants belges et néerlandais ont fait feu de tout bois. Les deux textes ont été accueillis diversement dans une Europe politique réservée, pour ne pas dire “frileuse”, sur le thème épineux de l’euthanasie. Les législations belges et néerlandaises se ressemblent mais ne s’assemblent pas. Les deux pays n’ont pas retenu la même formule juridique pour légaliser l’euthanasie. Les deux textes traitent différemment le cas particulier des mineurs. “La bonne mort” Euthanasie signifie littéralement “la bonne mort”. Cela dit, dans tous les esprits, l’euthanasie est associée à un acte grave, celui de donner la mort, notamment par injection de substances létales. La bonne mort, délivre de la souffrance, mais “sent le souffre” également. L’euthanasie divise, oppose, suscite l’émotion, bien plus que de raison pour les personnels qui s’occupent de malades incurables. Doit-on légaliser l’euthanasie ou, au moins, légiférer ? L’interrogation reste en suspens. Les partisans de la légalisation saluent une démarche progressiste, les opposants craignent les dérives et stigmatisent la boîte de Pandore. Nos voisins néerlandais furent les premiers à franchir le pas, non sans remous, en avril 2001. Les Pays-Bas deviennent alors la seule nation au monde à légaliser l’euthanasie sous certaines conditions. La loi néerlandaise entre en vigueur le 1er avril 2002, suivie de près par la loi belge en septembre 2002 (après 17 mois de 12 débats). Ainsi, depuis le 1er avril 2002, les médecins néerlandais sont autorisés à pratiquer aussi bien l’acte d’euthanasie que le suicide assisté en toute légalité, à condition de respecter certains “critères de minutie”. La loi belge légalise aussi, sous certaines conditions légales, l’euthanasie, tout en mettant l’accent sur le développement des soins palliatifs. Critères de minutie ou conditions légales, les législations belge et néerlandaise présentent des similitudes, dont les Commissions de contrôle, mais aussi des différences notables. A titre d’exemple, les deux pays n’ont pas retenu la même formule juridique pour dépénaliser l’euthanasie. Les deux législations s’opposent aussi sur le cas particulier des mineurs. Aux Pays-Bas La loi néerlandaise vient de légaliser une pratique déjà tolérée aux Pays-Bas depuis 1985, date depuis laquelle les médecins ne sont plus poursuivis pour ces actes à condition de respecter certaines règles. La nouvelle loi précise les “critères de minutie” qui s’imposent aux médecins amenés à pratiquer l’euthanasie ou le suicide assisté. Tout d’abord, le médecin doit avoir acquis la conviction qu’il s’agit d’une demande délibérée et bien réfléchie du patient. Celui-ci est dans une situation médicale sans issue et endure des souffrances insupportables. Après avoir informé le malade de son état et des autres possibilités thérapeutiques, dont les soins palliatifs, le médecin doit consulter Professions Santé Infirmier Infirmière - No 50 - novembre 2003 au moins un autre confrère au jugement indépendant. Il peut ensuite procéder à l’acte d’interruption de vie ou d’aide au suicide avec toute la rigueur médicalement requise. Chaque cas d’euthanasie pratiqué est signalé à une Commission régionale de contrôle des interruptions de vie, appelée à vérifier le respect des critères de minutie. Ces Commissions, composées d’un juriste, d’un médecin et d’un spécialiste en éthique, peuvent, le cas échéant, engager des poursuites, judiciaires à l’encontre des médecins par l’intermédiaire du Collège des médecins. En 2000, les Commissions de contrôle ont enregistré 2 123 cas d’euthanasie puis 2 054 en 2001 et 1 882 cas en 2002, année de la législation. « Cette tendance à la baisse se poursuit », indique un porte-parole du ministère néerlandais de la Santé, Richard Lancee. Selon lui, cette baisse s’explique principalement par la croissance continue du recours aux soins palliatifs. Par ailleurs, la loi prévoit l’obligation d’une “relation de confiance” entre le patient et son médecin traitant afin d’éviter l’éventuel afflux de “touristes mourants”. Autre précision digne d’intérêt : avec cette loi néerlandaise, seuls les médecins sont autorisés à pratiquer sous conditions l’acte d’euthanasie ou le suicide assisté ; tout autre citoyen se verrait infliger une peine de 3 à 12 ans de prison pour les mêmes actes. En Belgique La Belgique est le second État membre de l’Union européenne à avoir légalisé partiellement l’euthanasie. Les députés belges ont adopté le texte de loi le 16 mai 2002. Comme dans la loi néerlandaise, le texte belge énumère une série de conditions légales. Le patient doit être “dans une situation médicale sans issue” et faire état “d’une souffrance physique ou psychique constante ou insupportable” résultant “d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable”. La loi ne limite donc pas la possibilité de recourir à l’euthanasie aux seuls malades en phase terminale. De plus, le texte belge fait la part belle aux soins palliatifs. Les auteurs de la loi se refusent à opposer soins palliatifs et euthanasie. Des dispositions légales sont adoptées parallèlement afin que chaque patient puisse bénéficier de ces soins. L’objectif était d’éviter que des personnes isolées ou pauvres réclament que l’on abrège leurs jours pour des raisons d’ordre économique. « La loi belge est remarquable, estime Édith Deyris, secrétaire générale de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), car elle fait figurer côte à côte l’exigence officielle du développement des soins palliatifs et la possibilité d’entendre et de répondre à une demande réitérée et lucide d’euthanasie ». Le texte belge encadre très précisément la procédure à suivre par le médecin appelé à pratiquer l’acte d’euthanasie. Le médecin doit informer le patient de son état et évoquer avec lui toutes les autres possibilités thérapeutiques, notamment les soins palliatifs. Le praticien, en étroite concertation avec son patient, doit avoir acquis la conviction que la situation médicale est sans issue avant d’envisager en ultime recours l’euthanasie. Il doit auparavant consulter l’un de ses confrères sur le caractère grave et incurable de la maladie. Un mois devra obligatoirement s’écouler entre la demande écrite du patient et l’acte. Le praticien envoie ensuite un rapport à une Commission de contrôle et d’évaluation. Cette Commission est une copie conforme de sa devancière néerlandaise. Elle veille également au respect des conditions légales et peut, le cas échéant, alerter la justice. L’euthanasie illégale serait toujours sanctionnée de 12 ans de prison au maximum. Selon le Dr Marc Englert, membre de cette Commission, 170 dossiers ont déjà été reçus et le total devrait être d’environ 200 pour cette première année d’existence de la loi (2002). Similitudes et différences Les législations belge et néerlandaise seraient donc “bonnet blanc et blanc bonnet”, selon l’expression consacrée. Certes, on retrouve dans les deux textes des dispositions communes, à savoir les conditions légales ou critères de minutie, la Commission de contrôle des euthanasies, la validité des demandes anticipées d’euthanasie, formulées par écrit. Cependant, il existe aussi des différences remarquables. Tout d’abord, les deux pays n’ont pas retenu la même formule juridique pour dépénaliser l’euthanasie. Les législateurs néerlandais ont modifié les deux articles du Code pénal relatifs à l’homicide commis sur demande de la victime et à l’assistance au suicide. Cette législation permet aussi bien la demande d’euthanasie que le suicide assisté. En revanche, le texte belge ne modifie pas le Code pénal et ne vise pas explicitement l’assistance au suicide. De plus, en Belgique, la demande d’euthanasie doit obligatoirement être formulée par écrit, ce qui n’est pas le cas aux Pays-Bas. Les deux lois traitent différemment le cas particulier des mineurs. La loi belge interdit formellement l’euthanasie pour les enfants mineurs. Cela étant dit, la loi assimile les mineurs émancipés (mineurs d’au moins 15 ans) à des personnes “majeures”. Aux Pays-Bas, les mineurs de 12 à 15 ans peuvent obtenir l’euthanasie avec le consentement de leurs parents, tandis que les 16-17 ans ne doivent qu’“associer” leurs parents à la décision. Il est urgent de prendre son temps En France, selon un sondage IFOP (décembre 2002), 88 % des Français interrogés se déclarent favorables à la légalisation de l’euthanasie. Le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, s’est déjà exprimé sur le sujet. Ainsi, il déclarait en décembre dernier : « il n’y a pas lieu de légiférer sur l’euthanasie quand l’urgence est de mieux répondre à la nécessité d’accompagner le départ. Autoriser l’euthanasie ouvrirait la voie à des dérives et à des abus qui mettraient en danger les fondements mêmes de notre société ». Et d’ajouter : « Si notre société accordait toute leur importance (...) aux soins palliatifs et à l’accompagnement des mourants, nul doute que la demande d’euthanasie perdrait de sa légitimité pour disparaître ». A ce jour, l’affaire Vincent Humbert a accéléré le débat et suscite des polémiques dans le monde politique, médical et de la justice. Le médecin anesthésiste qui a aidé le tétraplégique à mourir en lui injectant un barbiturique puis du chlorure de potassium est chargé par la justice : le parquet a requis sa mise en examen pour empoisonnement. Le Conseil de l’Ordre défend le médecin et le ministre de la Justice pense désormais qu’il serait bon de débattre, mais en toute sérénité. Le Dr Aubry, vice-président de la S FAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs) apporte la précision suivante : « il ne faut pas oublier que la culture et le développement des soins palliatifs dans des pays comme les Pays-Bas ou la Belgique n’ont rien à voir avec la situation de la France. Il ne me semble pas logique de parler de loi avant que l’on ait réfléchi. Il y a donc urgence à prendre son temps ». En un mot comme en cent, il faut donner du temps au temps. F.C. Professions Santé Infirmier Infirmière - No 50 - novembre 2003 13