La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009 | 69
Résumé
Avec l’allongement, lié à la prise prolongée d’antirétroviraux (ARV), de l’espérance de vie des personnes vivant avec
le VIH, l’influence de cette infection virale chronique sur le processus du vieillissement normal, notamment au niveau
du système immunitaire et des fonctions neurocognitives, est devenue une préoccupation très actuelle. Au cours
de l’infection chronique par le VIH – et notamment au stade sida – comme au cours du vieillissement, on observe
de nombreuses modifications du système immunitaire, et en particulier des altérations cellulaires caractéristiques
des lymphocytes sénescents non fonctionnels. L’infection à VIH pourrait conférer une vulnérabilité cérébrale supplé-
mentaire au cours du vieillissement et accélérer l’apparition de désordres cognitifs. Malgré la généralisation des
combinaisons antirétrovirales virologiquement efficaces, des troubles neurocognitifs liés au VIH peuvent persister,
voire s’aggraver. De plus, le phénotype neuropsychologique de l’atteinte cognitive liée au VIH, habituellement de
type sous-cortical, a tendance à se rapprocher, notamment chez les sujets plus âgés, du tableau néocortical observé
au cours de la. maladie d’Alzheimer, ce qui conduit à s’interroger sur l’influence à long terme de l’infection chronique
à VIH sur le cerveau.
Mots-clés
VIH
Vieillissement
Système immunitaire
Cognition
Highlights
The lengthening of HIV+
subjects’ life expectancy, due
to long term-sustained combi-
nation antiretroviral therapy
(cART), puts the focus on
the influence of this chronic
viral infection on the process
of normal aging, especially
regarding the immune system
and neurocognitive abilities.
During chronic HIV infection –
most importantly at the AIDS
stage – as well as during aging,
there are many changes in the
immune system, including
cellular impairment of senes-
cent lymphocytes (decrease
of proliferative capacities
and of IL-2 secretion, short-
ening of telomeres and loss
of CD28 co-stimulation recep-
tors, especially within CD8 + T
lymphocytes). During aging, HIV
infection could confer an addi-
tional vulnerability of the brain
and accelerate the emergence of
cognitive disorders. Despite the
widespread use of virologically
effective cART, HIV-associated
neurocognitive disorders (HAND)
may persist and even worsen. In
addition, the neuropsychological
phenotype of HAND, usually
subcortical, tends to change,
especially among older subjects,
into a neocortical pattern as
observed during Alzheimer’s
disease. Recent meeting points
between these two diseases
have been identified, leading to
consider the influence of long-
term HIV chronic infection on
the brain.
Keywords
HIV
Aging
Immune system
Cognition
est l’augmentation importante de la sous-
population CD8+ CD28- (42 % à 20 ans, 70 % à
70 ans), corrélée avec une réponse médiocre aux
vaccinations, avec certaines maladies auto-immunes
et avec certains cancers. Cette diminution de l’ex-
pression de la molécule CD28 sur les lymphocytes T
CD8+ est d’ailleurs un des paramètres inclus dans le
“phénotype de fragilité immunologique” associé à
une augmentation de la mortalité dans une popula-
tion d’octogénaires. Le CD28 augmente la transduc-
tion du signal de réponse spécifique via le récepteur T
pour l’antigène. De plus, le CD28 serait également
impliqué, par la liaison avec son ligand B7 présent
sur les cellules présentatrices d’antigène, dans le
maintien de l’activité télomérase. La présence de la
télomérase permettrait la prolongation du poten-
tiel réplicatif des lymphocytes T humains et donc
l’augmentation de leur durée de vie. L’analyse des
lymphocytes ex vivo a montré que c’est au sein de
la population CD8+ CD28- que l’on retrouve les
télomères les plus courts, témoins d’un plus grand
nombre de divisions. Enfin, on observe également
chez les personnes âgées une sécrétion accrue des
cytokines proinflammatoires impliquées dans les
processus liés au vieillissement. Par exemple, il
existe une corrélation entre les taux d’IL-1β et de
TNFα d’une part et l’athérosclérose d’autre part ; de
plus, l’IL-6 a été associée à l’ostéoporose, au déclin
cognitif et au syndrome de fragilité (8, 9).
Immunosénescence au cours de
l’infection par le VIH
Schématiquement, il est possible de décrire trois
phases au cours de l’infection par le VIH. La phase
initiale (primo-infection) est caractérisée par une
intense réplication virale dans les cellules cibles du
système immunitaire constituant, avant l’induction
d’une réponse immunitaire spécifique au VIH cellu-
laire et humorale, un réservoir de cellules infectées,
essentiellement les lymphocytes T CD4+ mémoires.
Mais les réponses immunes, défense innée et immu-
nité acquise spécifique, sont, dans la très grande
majorité des cas, incapables d’éradiquer le virus, qui
continue à se répliquer faiblement. Il s’établit alors
une phase chronique, d’une dizaine d’années environ,
d’équilibre entre le virus et le système immunitaire.
En l’absence de traitement, on constate une baisse
progressive des cellules T CD4+ et tout particuliè-
rement de celles qui sont spécifiques du VIH, due
à l’augmentation de la charge virale. Le dernier
stade est caractérisé par une baisse du nombre de
lymphocytes T CD4+ au-dessous de 200/ µl, une
augmentation importante de la charge virale et le
développement d’infections opportunistes.
Il est bien établi que la perte progressive des lympho-
cytes T CD4+ circulants et la déplétion massive
des lymphocytes T CD4+ mémoires au cours de la
maladie, en particulier au niveau du tractus gastro-
intestinal, sont une composante essentielle du déficit
immunitaire observé dans l’infection par le VIH, mais
on insiste actuellement sur le rôle joué par l’éta-
blissement d’une infection chronique et persistante
(10). Plusieurs mécanismes sont mis en jeu dans
l’échappement du VIH au contrôle immunitaire :
l’infection préférentielle des lymphocytes T CD4+
spécifiques du VIH, conduisant à l’altération de la
réponse auxiliaire dans le contrôle de la réplication
virale ; la sélection rapide de virus mutants résistants
qui échappent au contrôle immunologique par les
lymphocytes T CD8+ cytotoxiques et les anticorps ;
l’épuisement des clones T CD8+ spécifiques du VIH
de haute affinité ; le rétrocontrôle négatif des molé-
cules HLA de classe I à la surface des cellules infec-
tées, qui rend les cellules T CD8+ incapables de les
reconnaître et de les tuer ; l’existence de sites sanc-
tuaires ou “réservoirs latents” comme le système
nerveux central.
Les causes précises de la survenue, en une douzaine
d’années, d’un déficit immunitaire majeur ne sont
toujours pas complètement éclaircies. Actuelle-
ment, il semble admis que l’activation chronique
du système immunitaire (tableau I, p. 70), liée en
particulier à la réplication virale persistante, est
à l’origine de son épuisement (11, 12). Première-
ment, l’activation cellulaire induit la réplication du
virus dans les cellules infectées de façon latente.
Deuxièmement, la réémergence de virus latents,
comme l’EBV ou le CMV, favorisée par la déplé-
tion massive en T CD4+, contribue à la persistance
de stimulations antigéniques. Troisièmement, le
système immunitaire systémique serait également
activé de façon chronique par des translocations