mise au point VIH et vieillissement accéléré : aspects immunologiques et neurologiques HIV and accelerated aging: immunological and neurological aspects A. Dulioust, J. Gasnault* L’ * UF de suites et de réadaptation, service de médecine interne, CHU Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre. allongement de l’espérance de vie lié à la prise prolongée d’antirétroviraux (ARV) place au premier plan les préoccupations actuelles sur l’influence de l’infection chronique à VIH sur le processus du vieillissement normal, notamment au niveau immunologique et neurocognitif. La ligne de partage épidémiologique au-delà de laquelle une personne vivant avec le VIH est “âgée” est actuellement fixée à 50 ans, ce qui reflète en partie le profil d’une épidémie encore récente qui a d’abord affecté des sujets jeunes. Dans la Base de données hospitalière française (FHDH-ANRS CO4), cette population âgée de 50 ans et plus représentait en 2005 21,9 % des sujets ayant eu au moins un recours dans l’année et 15,8 % de ceux dont le premier recours avait eu lieu au cours de la même période. Dans cette tranche d’âge, le diagnostic de séropositivité est posé plus tardivement que chez les sujets plus jeunes et l’accès aux soins est significativement retardé (1). De plus, après 50 ans, l’infection à VIH a un profil évolutif plus sévère sous traitement. Malgré une meilleure réponse virologique, due à une meilleure observance thérapeutique (2), la réponse immunologique sous ARV est plus lente qu’avant 50 ans, probablement en raison de la sénescence du système immunitaire. Le risque de progression clinique est 1,5 fois plus élevé après 50 ans qu’avant, et le risque de survenue d’une encéphalopathie VIH 2,8 fois plus élevé (3). Le concept de fragilité désigné sous le terme de frail elderly par des gériatres américains, décrit comme un état d’équilibre précaire avec risque de déstabilisation vers la dépendance, pourrait être un outil intéressant pour dépister chez les personnes infectées par le VIH une plus grande vulnérabilité (4). C’est ce que suggère l’étude de L. Desquilbet et al., qui ont montré 68 | La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009 que la prévalence du phénotype de fragilité était augmentée avec l’âge et la durée de l’infection (5). Cette revue est l’occasion d’examiner en parallèle les effets du vieillissement normal ou pathologique et ceux de l’infection par le VIH sur le système immunitaire et les fonctions neurocognitives. Immunosénescence Immunosénescence et vieillissement normal Chez les personnes âgées, on observe de nombreuses modifications du système immunitaire, en particulier au sein des populations lymphocytaires et dans la production des cytokines proinflammatoires (6, 7). Ces altérations seraient impliquées non seulement dans les pathologies infectieuses liées à l’âge (pneumonie, grippe, zona, etc.) et la diminution des réponses vaccinales mais aussi dans un certain nombre de cancers, dans les modifications du métabolisme de l’os et dans les altérations neurocognitives. Plusieurs études ont montré que la longueur des télomères des lymphocytes T humains diminue progressivement en fonction de l’âge des individus. Les télomères les plus courts sont rencontrés chez les octogénaires et notamment au sein de leur population de lymphocytes T CD8+ mémoires reflétant l’histoire des infections répétées. Cette diminution des télomères se traduit par une diminution des capacités prolifératives et des fonctions suppressives. Une autre des principales caractéristiques du système immunitaire chez les personnes âgées Résumé Avec l’allongement, lié à la prise prolongée d’antirétroviraux (ARV), de l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH, l’influence de cette infection virale chronique sur le processus du vieillissement normal, notamment au niveau du système immunitaire et des fonctions neurocognitives, est devenue une préoccupation très actuelle. Au cours de l’infection chronique par le VIH – et notamment au stade sida – comme au cours du vieillissement, on observe de nombreuses modifications du système immunitaire, et en particulier des altérations cellulaires caractéristiques des lymphocytes sénescents non fonctionnels. L’infection à VIH pourrait conférer une vulnérabilité cérébrale supplémentaire au cours du vieillissement et accélérer l’apparition de désordres cognitifs. Malgré la généralisation des combinaisons antirétrovirales virologiquement efficaces, des troubles neurocognitifs liés au VIH peuvent persister, voire s’aggraver. De plus, le phénotype neuropsychologique de l’atteinte cognitive liée au VIH, habituellement de type sous-cortical, a tendance à se rapprocher, notamment chez les sujets plus âgés, du tableau néocortical observé au cours de la. maladie d’Alzheimer, ce qui conduit à s’interroger sur l’influence à long terme de l’infection chronique à VIH sur le cerveau. est l’augmentation importante de la souspopulation CD8+ CD28- (42 % à 20 ans, 70 % à 70 ans), corrélée avec une réponse médiocre aux vaccinations, avec certaines maladies auto-immunes et avec certains cancers. Cette diminution de l’expression de la molécule CD28 sur les lymphocytes T CD8+ est d’ailleurs un des paramètres inclus dans le “phénotype de fragilité immunologique” associé à une augmentation de la mortalité dans une population d’octogénaires. Le CD28 augmente la transduction du signal de réponse spécifique via le récepteur T pour l’antigène. De plus, le CD28 serait également impliqué, par la liaison avec son ligand B7 présent sur les cellules présentatrices d’antigène, dans le maintien de l’activité télomérase. La présence de la télomérase permettrait la prolongation du potentiel réplicatif des lymphocytes T humains et donc l’augmentation de leur durée de vie. L’analyse des lymphocytes ex vivo a montré que c’est au sein de la population CD8+ CD28- que l’on retrouve les télomères les plus courts, témoins d’un plus grand nombre de divisions. Enfin, on observe également chez les personnes âgées une sécrétion accrue des cytokines proinflammatoires impliquées dans les processus liés au vieillissement. Par exemple, il existe une corrélation entre les taux d’IL-1β et de TNFα d’une part et l’athérosclérose d’autre part ; de plus, l’IL-6 a été associée à l’ostéoporose, au déclin cognitif et au syndrome de fragilité (8, 9). Immunosénescence au cours de l’infection par le VIH Schématiquement, il est possible de décrire trois phases au cours de l’infection par le VIH. La phase initiale (primo-infection) est caractérisée par une intense réplication virale dans les cellules cibles du système immunitaire constituant, avant l’induction d’une réponse immunitaire spécifique au VIH cellulaire et humorale, un réservoir de cellules infectées, essentiellement les lymphocytes T CD4+ mémoires. Mais les réponses immunes, défense innée et immunité acquise spécifique, sont, dans la très grande majorité des cas, incapables d’éradiquer le virus, qui continue à se répliquer faiblement. Il s’établit alors une phase chronique, d’une dizaine d’années environ, d’équilibre entre le virus et le système immunitaire. En l’absence de traitement, on constate une baisse progressive des cellules T CD4+ et tout particulièrement de celles qui sont spécifiques du VIH, due à l’augmentation de la charge virale. Le dernier stade est caractérisé par une baisse du nombre de lymphocytes T CD4+ au-dessous de 200/­µl, une augmentation importante de la charge virale et le développement d’infections opportunistes. Il est bien établi que la perte progressive des lymphocytes T CD4+ circulants et la déplétion massive des lymphocytes T CD4+ mémoires au cours de la maladie, en particulier au niveau du tractus gastrointestinal, sont une composante essentielle du déficit immunitaire observé dans l’infection par le VIH, mais on insiste actuellement sur le rôle joué par l’établissement d’une infection chronique et persistante (10). Plusieurs mécanismes sont mis en jeu dans l’échappement du VIH au contrôle immunitaire : l’infection préférentielle des lymphocytes T CD4+ spécifiques du VIH, conduisant à l’altération de la réponse auxiliaire dans le contrôle de la réplication virale ; la sélection rapide de virus mutants résistants qui échappent au contrôle immunologique par les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques et les anticorps ; l’épuisement des clones T CD8+ spécifiques du VIH de haute affinité ; le rétrocontrôle négatif des molécules HLA de classe I à la surface des cellules infectées, qui rend les cellules T CD8+ incapables de les reconnaître et de les tuer ; l’existence de sites sanctuaires ou “réservoirs latents” comme le système nerveux central. Les causes précises de la survenue, en une douzaine d’années, d’un déficit immunitaire majeur ne sont toujours pas complètement éclaircies. Actuellement, il semble admis que l’activation chronique du système immunitaire (tableau I, p. 70), liée en particulier à la réplication virale persistante, est à l’origine de son épuisement (11, 12). Premièrement, l’activation cellulaire induit la réplication du virus dans les cellules infectées de façon latente. Deuxièmement, la réémergence de virus latents, comme l’EBV ou le CMV, favorisée par la déplétion massive en T CD4+, contribue à la persistance de stimulations antigéniques. Troisièmement, le système immunitaire systémique serait également activé de façon chronique par des translocations Mots-clés VIH Vieillissement Système immunitaire Cognition Highlights The lengthening of HIV+ subjects’ life expectancy, due to long term-sustained combination antiretroviral therapy (cART), puts the focus on the influence of this chronic viral infection on the process of normal aging, especially regarding the immune system and neurocognitive abilities. During chronic HIV infection – most importantly at the AIDS stage – as well as during aging, there are many changes in the immune system, including cellular impairment of senescent lymphocytes (decrease of proliferative capacities and of IL-2 secretion, shortening of telomeres and loss of CD28 co-stimulation receptors, especially within CD8 + T lymphocytes). During aging, HIV infection could confer an additional vulnerability of the brain and accelerate the emergence of cognitive disorders. Despite the widespread use of virologically effective cART, HIV-associated neurocognitive disorders (HAND) may persist and even worsen. In addition, the neuropsychological phenotype of HAND, usually subcortical, tends to change, especially among older subjects, into a neocortical pattern as observed during Alzheimer’s disease. Recent meeting points between these two diseases have been identified, leading to consider the influence of longterm HIV chronic infection on the brain. Keywords HIV Aging Immune system Cognition La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009 | 69 mise au point VIH et vieillissement accéléré : aspects immunologiques et neurologiques Tableau I. Mécanismes d’activation du système immunitaire au cours de l’infection par le VIH. Réplication virale persistante Réponses immunitaires innées et acquises dirigées contre le VIH et les antigènes viraux Activation directe par les protéines virales (gp120, Nef) Infections concomitantes Réémergence d’infections virales latentes (EBV, CMV) Translocation microbienne à partir de l’intestin Sécrétion de cytokines pro-inflammatoires (IL-6, TNFα et IL-1β) microbiennes depuis l’intestin liées à la déplétion massive des T CD4+ muqueux (13). Cette activation constante du système immunitaire diminuerait non seulement sa capacité à répondre à une large variété d’antigènes, mais induirait aussi une augmentation de la sécrétion des cytokines pro-inflammatoires (IL-6, TNFα et IL-1β en particulier), ce qui aboutirait en fin de compte à son épuisement. Malgré sa grande plasticité, les capacités de régénération du système immunitaire ne sont en effet pas inépuisables : l’aptitude des organes hématopoïétiques et du thymus à renouveler les lymphocytes diminue au fur et à mesure que la maladie progresse (fibrose), et les lymphocytes T humains ont par ailleurs des capacités réplicatives limitées (limite de Hayflick). Chez les personnes infectées par le VIH, notamment au stade sida, on peut mettre en évidence des altérations cellulaires caractéristiques des lymphocytes sénescents non fonctionnels (diminution des capacités prolifératives et de la sécrétion d’IL-2) : raccourcissement des télomères (14) et perte du récepteur CD28 de costimulation, en particulier au sein de la population lymphocytaire T CD8+ (8). L’équilibre fragile qui existait entre le virus et son contrôle même imparfait par le système immunitaire est alors rompu. La réplication virale n’est plus contrôlée, ce qui entraîne la déplétion rapide des lymphocytes T CD4+ restants et l’effondrement du système immunitaire. Enfin, s’ajoutant à cet état d’immunosénescence, la production accrue de cytokines pro-inflammatoires est à l’origine de nombreuses altérations fonctionnelles chez les sujets infectés par le VIH, comparables à celles retrouvées chez les personnes âgées (ostéopénie et ostéoporose, troubles neuro-cognitifs, athérosclérose). Des données récentes, comme celles issues de la FHDH (3), ont confirmé l’impact de l’âge sur la reconstitution du système immunitaire sous traitement ARV. Cliniquement, on observe une progression vers le sida plus fréquente chez les sujets de plus de 50 ans. On retrouve en particulier une augmentation 70 | La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009 significative des troubles neurocognitifs liés au VIH, des infections à CMV et de la maladie de Kaposi. Biologiquement, bien qu’on retrouve une meilleure réponse virologique (définie par l’obtention d’une charge virale VIH inférieure à 500 copies/­m l à 6 mois) chez les patients âgés de 50 ans et plus (76,6 %) que chez les moins de 50 ans (70,6 %), le gain moyen en T CD4+ observé après 6 mois de traitement ARV est significativement moins élevé dans la population âgée (36,9 cellules/ml/mois) que chez les plus jeunes (42,9 cellules/ml/mois). L’involution thymique liée à l’âge semble impliquée dans cette reconstitution moins marquée du système immunitaire, et notamment des cellules T CD4+. Mais d’autres facteurs, comme la dénutrition de type protidique, pourraient également être impliqués (15). VIH et vieillissement cognitif Épidémiologie L’incidence des syndromes démentiels (maladie d’Alzheimer et apparentés) dans la population générale est encore très faible à 65 ans, mais, au-delà, elle ne cesse d’augmenter avec l’âge. À l’heure actuelle, les troubles cognitifs liés au vieillissement sont plutôt considérés comme un continuum du vieillissement normal jusqu’au syndrome démentiel, ce qui a permis de faire émerger il y a une dizaine d’années le concept de trouble cognitif léger (TCL). Le TCL est un syndrome d’installation progressive caractérisé par une plainte mnésique, la préservation des activités de la vie quotidienne ou des difficultés cantonnées aux activités complexes, un trouble amnésique de type hippocampique et l’absence de démence. Le principal intérêt de ce concept est d’avoir permis d’identifier une population présentant un risque d’évolution vers la forme démentielle de la maladie d’Alzheimer. En ce qui concerne les troubles neurocognitifs associés au VIH, leurs critères diagnostiques ont été récemment révisés par un comité international (16) qui a proposé une classification reposant sur une évaluation neuropsychologique et fonctionnelle, très proche de celle des troubles cognitifs en population générale (tableau II, p. 71). Chez les sujets infectés par le VIH, il est établi depuis longtemps que le risque de survenue d’une démence associée au VIH (DAV) est corrélé à l’âge. À l’ère préthérapeutique, une étude de cohorte réalisée auprès de patients européens suivis avant 1989 avait montré que le risque mise au point Tableau II. Critères diagnostiques des troubles neurocognitifs (TNC) liés au VIH (d’après Antinori, 2007). Déficit acquis dans au moins 2 champs cognitifs* Interférence avec les activités de la vie quotidienne Déficit cognitif asymptomatique (DCA) ≥ 1 écart type Aucune Trouble neuro-cognitif léger (TNL) ≥ 1 écart type Légère Démence associée au VIH (DAV) ≥ 2 écart type Marquée TNC * Performance évaluée par des tests neuropsychologiques standardisés avec normes de référence ajustées sur l’âge et le niveau socioculturel (ET : écart type). de survenue d’une DAV comme événement classant augmentait de 14 % par tranche de 5 ans d’âge et de 19 % en cas de survenue après le diagnostic de sida (17). Dans la cohorte Hawaii Aging with HIV, une analyse transversale montre que la fréquence des TCL et des DAV est significativement plus élevée après 50 ans (18). Plus récemment, un travail réalisé par la collaboration européenne CASCADE (19), qui est dédiée à l’observation des patients VIH+ à contage daté, a établi qu’un âge plus élevé à la séroconversion (considéré par tranche d’âge de 10 ans) augmentait significativement le risque de développer une DAV et que ce risque avait été multiplié par 2,6 pour la période calendaire 2003-2006 (RR = 3,24) comparativement à la période précédant 1997 (RR = 1,23). Un risque de déclin cognitif plus précoce Une des caractéristiques du vieillissement normal est l’érosion progressive de la réserve cognitive, que l’on peut concevoir comme un processus dynamique de plasticité neuronale permettant d’optimiser les performances cognitives par le recrutement d’autres circuits neuronaux et par l’utilisation de stratégies cognitives alternatives. L’infection à VIH pourrait conférer une vulnérabilité cérébrale supplémentaire au cours du vieillissement et accélérer l’apparition de désordres cognitifs (20). C’est ce que suggère, par exemple, une comparaison des performances à des tests cognitifs dans deux groupes de sujets non déments : des sujets séronégatifs (âge moyen : 70 ans) d’une part, et des sujets infectés par le VIH au stade C (âge moyen : 36 ans) d’autre part. Il existe un déclin remarquablement similaire dans les deux groupes en ce qui concerne les fonctions sensibles au vieillissement (rapidité psychomotrice, mémoire verbale et fonctions exécutives) et la préservation de celles qui sont épargnées par l’âge (21). Démence associée au VIH et maladie d’Alzheimer : des points de convergence Dans le contexte d’une utilisation généralisée des combinaisons d’ARV, des troubles neurocognitifs liés au VIH peuvent persister – voire s’aggraver – malgré une efficacité virologique confirmée tant dans le plasma que dans le LCR (22). Des modifications du phénotype clinique de l’atteinte cognitive, évoluant sur un mode néocortical évoquant plutôt un tableau de démence du type Alzheimer (DTA) [tableau III] que celui, désormais classique, de la démence souscortico-frontale liée au VIH, ont récemment été rapportées (23). Une étude, réalisée en tomographie à émission de positrons, semble confirmer cette Tableau III. Maladie d’Alzheimer. Épidémiologie La plus fréquente des maladies neurodégénératives Incidence annuelle en France : 225 000 cas Étiologie Inconnue Clinique Atteinte précoce de la mémoire (de type hippocampique) Déficits cognitifs progressifs de type néocortical dans au moins 2 domaines cognitifs (langage, praxie, gnosie, fonctions exécutives, etc.) Altération marquée des activités de la vie quotidienne Neuropathologie Plaques amyloïdes : dépôts extra-cellulaires de peptide β-amyloïde principalement localisés dans le néocortex Dégénérescence neurofibrillaire : accumulation dans les neurones de neurofilaments anormaux dont le principal constituant est la protéine microtubulaire τ anormalement phosphorylée Biomarqueurs LCR : diminution du peptide β-amyloïde 1-42 et augmentation de la protéine τ Neuro-imagerie morphologique et fonctionnelle (hippocampe) La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009 | 71 mise au point VIH et vieillissement accéléré : aspects immunologiques et neurologiques impression clinique en montrant la présence d’un hypermétabolisme localisé dans le lobe temporal interne plutôt que dans les noyaux gris, ce qui était la marque habituelle des DAV (24). Chez des patients infectés par le VIH, une perte neuronale précoce a également pu être observée dans la région temporale interne au niveau de l’hippocampe – une zone lésée précocement au cours des DTA (25). Plus qu’une association fortuite qui mettrait le clinicien au défi de faire la part entre une DAV prenant le masque d’une maladie d’Alzheimer et une authentique maladie d’Alzheimer, ces observations posent le problème de l’influence à long terme de l’infection chronique à VIH sur le cerveau. Par ailleurs, on constate que les facteurs de risque vasculaire, dont on connaît l’implication dans la survenue de la DTA, sont devenus fréquents chez les personnes vivant avec le VIH traitées pendant longtemps par ARV. Dans la cohorte hawaïenne, la présence d’un diabète de type 2 multiplie par 5,7 le risque de démence après ajustement sur les autres facteurs de risque vasculaire (HTA, hypercholestérolémie, tabagisme) [26]. Comme l’a montré une des sous-études associées au projet DAD (Data Collection on Adverse Events of Anti-HIV Drugs), le risque d’événements cérébrovasculaires augmente avec l’âge chez les patients infectés par le VIH (27). Cet accroissement de la prévalence des affections vasculaires est en partie lié à l’allongement de la survie sous multithérapie antirétrovirale. Si l’on manque encore d’études prospectives pour apprécier le rôle du tabagisme, facteur de risque vasculaire classique fréquent dans la population infectée par le VIH, celui de l’exposition prolongée aux ARV, qui pourrait favoriser une accélération de l’athérogenèse, est ardemment débattu actuellement (28, 29). L’étude SMART, en montrant, contrairement à ce qui était attendu, l’existence d’un surrisque d’événements cardiovasculaires graves dans le groupe d’épargne thérapeutique par rapport à celui contrôlé virologiquement sous traitement, plaide en faveur d’un risque vasculaire directement associé au VIH (30). De plus, plusieurs points de convergence entre infection à VIH et maladie d’Alzheimer peuvent être identifiés. Ainsi, la présence précoce de plaques amyloïdes a été observée dans des cerveaux de patients infectés par le VIH (31) et semble plus fréquente depuis l’utilisation des combinaisons antirétrovirales (32). Certains marqueurs biologiques impliqués dans la pathogénie de la maladie d’Alzheimer peuvent être détectés chez les patients infectés par le VIH. Dans la population générale, 72 | La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009 15 % des individus sont porteurs du phénotype ε4 de l’apolipoprotéine E (APOE4), un marqueur de susceptibilité génétique qui serait impliqué dans la formation des plaques amyloïdes et associé à une prévalence plus élevée de maladie d’Alzheimer. Dans une petite cohorte de patients infectés par le VIH à risque de troubles cognitifs, les sujets porteurs de l’APOE4 étaient 2 fois plus souvent atteints de démence (33). Ce résultat a été confirmé dans la cohorte hawaïenne, mais seulement dans le sousgroupe des patients âgés de plus de 50 ans (34). La baisse du taux de peptide β-amyloïde 1-42 et l’élévation de celui de la protéine τ (totale et phosphorylée) dans le LCR semblent maintenant être des marqueurs prédictifs fiables pour le diagnostic de maladie d’Alzheimer. Une diminution du taux du peptide β-amyloïde 1-42 a également été observée chez des patients porteurs d’une démence associée au VIH (35, 36). Par ailleurs, la protéine TAT du VIH serait capable d’inhiber in vitro la neprilysine, l’enzyme qui dégrade la protéine β-amyloïde dans l’espace extra-cellulaire (37). L’activation du système macrophage-microglie sous l’effet des protéines virales (principalement TAT et gp120) et la cascade cytokinique qui lui est associée jouent un rôle de premier plan au cours des atteintes cérébrales liées au VIH (25). Elles sont directement impliquées dans la raréfaction dendritique et la mort neuronale. Il est intéressant de constater qu’une activation microgliale, témoignant d’une inflammation chronique du système nerveux central, est également impliquée dans la pathogénie de la maladie d’Alzheimer (38, 39). Dans une hypothèse uniciste, on pourrait finalement envisager que les lésions cérébrales constatées au cours de la maladie d’Alzheimer constituent une voie finale commune à divers processus d’agression chronique du cerveau, parmi lesquels figure l’infection à VIH. En conclusion, l’allongement de l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH traitées pendant longtemps par ARV ouvre de nouvelles perspectives de réflexion et d’investigation. Si l’hypothèse d’un lien entre infection chronique à VIH et maladie d’Alzheimer se confirme, la prise en charge des patients va devoir être réévaluée suivant trois axes prioritaires : mettre en place un dépistage des troubles neurocognitifs le plus tôt possible, promouvoir la recherche clinique sur les molécules neuroprotectrices afin de limiter la neurotoxicité du VIH et développer des programmes d’aides à la personne pour les patients présentant des syndromes démentiels. mise au point La mise en évidence de changements similaires, dans la population lymphocytaire T CD8+, au cours du vieillissement et au cours de l’infection chronique à VIH, incite à étudier cette population cellulaire chez les sujets infectés par le VIH, en particulier après 50 ans. La constatation d’un processus accéléré d’immunosénescence chez ces personnes pourrait conduire à de nouvelles recommandations et à un suivi spécifique, notamment aux niveaux immunologique et nutritionnel. Un traitement ARV introduit précocement et poursuivi longtemps semble être, avant et après 50 ans, la proposition la plus raisonnable pour tenter de limiter l’émergence de complications liées à un vieillissement prématuré. Le sujet mérite un débat car, si, à l’évidence, le traitement ARV reste le meilleur frein à l’activation chronique du système immunitaire par le VIH, son utilisation prolongée doit prendre en compte les comorbidités existantes et les modifications pharmacocinétiques liées à l’âge. Comme l’a évoqué R. Effros lors de la dernière CROI, des recherches doivent être conduites pour enrichir notre arsenal thérapeutique afin de prévenir le vieillissement du système immunitaire (40). Des pistes commencent à s’ouvrir : activateurs de la télomérase (TAT2), inhibiteurs des cytokines proinflammatoires, etc. Enfin, il faut insister sur l’extrême nécessité de dépister plus tôt l’infection à VIH dans les tranches d’âge plus élevées, au sein desquelles le diagnostic est encore trop souvent fait au stade sida, afin de préserver les chances d’obtenir, chez ces personnes plus vulnérables, un succès clinique et immunologique. ■ Références bibliographiques 1. Lanoy E, Mary-Krause M, Tattevin P et al.; ANRS C004 French Hospital Database on HIV Clinical Epidemiological Group. Frequency, determinants and consequences of delayed access to care for HIV infection in France. Antivir Ther. 2007;12:89-96. 2. Hinkin CH, Hardy DJ, Mason KI et al. Medication adherence in HIV-infected adults: effect of patient age, cognitive status, and substance abuse. AIDS 2004;18(Suppl. 1):S19-S25. 3. Grabar S, Kousignian I, Sobel A et al. 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