L’ VIH et vieillissement accéléré : aspects immunologiques et neurologiques

68 | La Lettre de l’Infectiologue Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009
MISE AU POINT
VIH et vieillissement accéléré :
aspects immunologiques
et neurologiques
HIV and accelerated aging: immunological
and neurological aspects
A. Dulioust, J. Gasnault*
* UF de suites et de réadaptation,
service de médecine interne, CHU
Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
L’
allongement de l’espérance de vie lié à la
prise prolongée d’antirétroviraux (ARV) place
au premier plan les préoccupations actuelles
sur l’influence de l’infection chronique à VIH sur le
processus du vieillissement normal, notamment au
niveau immunologique et neurocognitif. La ligne de
partage épidémiologique au-delà de laquelle une
personne vivant avec le VIH est “âgée” est actuelle-
ment fixée à 50 ans, ce qui reflète en partie le profil
d’une épidémie encore récente qui a d’abord affecté
des sujets jeunes. Dans la Base de données hospita-
lière française (FHDH-ANRS CO4), cette population
âgée de 50 ans et plus représentait en 2005 21,9 %
des sujets ayant eu au moins un recours dans l’année
et 15,8 % de ceux dont le premier recours avait eu
lieu au cours de la même période. Dans cette tranche
d’âge, le diagnostic de séropositivité est posé plus
tardivement que chez les sujets plus jeunes et l’accès
aux soins est significativement retardé (1). De plus,
après 50 ans, l’infection à VIH a un profil évolutif
plus sévère sous traitement. Malgré une meilleure
réponse virologique, due à une meilleure observance
thérapeutique (2), la réponse immunologique sous
ARV est plus lente qu’avant 50 ans, probablement en
raison de la sénescence du système immunitaire. Le
risque de progression clinique est 1,5 fois plus élevé
après 50 ans qu’avant, et le risque de survenue d’une
encéphalopathie VIH 2,8 fois plus élevé (3).
Le concept de fragilité désigné sous le terme de frail
elderly par des gériatres américains, décrit comme un
état d’équilibre précaire avec risque de déstabilisation
vers la dépendance, pourrait être un outil intéressant
pour dépister chez les personnes infectées par le
VIH une plus grande vulnérabilité (4). C’est ce que
suggère l’étude de L. Desquilbet et al., qui ont montré
que la prévalence du phénotype de fragilité était
augmentée avec l’âge et la durée de l’infection (5).
Cette revue est l’occasion d’examiner en parallèle les
effets du vieillissement normal ou pathologique et
ceux de l’infection par le VIH sur le système immu-
nitaire et les fonctions neurocognitives.
Immunosénescence
Immunosénescence et vieillissement
normal
Chez les personnes âgées, on observe de nombreuses
modifications du système immunitaire, en particulier
au sein des populations lymphocytaires et dans la
production des cytokines proinflammatoires (6, 7).
Ces altérations seraient impliquées non seule-
ment dans les pathologies infectieuses liées à l’âge
(pneumonie, grippe, zona, etc.) et la diminution
des réponses vaccinales mais aussi dans un certain
nombre de cancers, dans les modifications du méta-
bolisme de l’os et dans les altérations neurocogni-
tives. Plusieurs études ont montré que la longueur
des télomères des lymphocytes T humains diminue
progressivement en fonction de l’âge des individus.
Les télomères les plus courts sont rencontrés chez
les octogénaires et notamment au sein de leur popu-
lation de lymphocytes T CD8+ mémoires reflétant
l’histoire des infections répétées. Cette diminution
des télomères se traduit par une diminution des
capacités prolifératives et des fonctions suppres-
sives.
Une autre des principales caractéristiques du
système immunitaire chez les personnes âgées
La Lettre de l’Infectiologue Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009 | 69
Résumé
Avec l’allongement, lié à la prise prolongée d’antirétroviraux (ARV), de l’espérance de vie des personnes vivant avec
le VIH, l’influence de cette infection virale chronique sur le processus du vieillissement normal, notamment au niveau
du système immunitaire et des fonctions neurocognitives, est devenue une préoccupation très actuelle. Au cours
de l’infection chronique par le VIH – et notamment au stade sida – comme au cours du vieillissement, on observe
de nombreuses modifications du système immunitaire, et en particulier des altérations cellulaires caractéristiques
des lymphocytes sénescents non fonctionnels. L’infection à VIH pourrait conférer une vulnérabilité cérébrale supplé-
mentaire au cours du vieillissement et accélérer l’apparition de désordres cognitifs. Malgré la généralisation des
combinaisons antirétrovirales virologiquement efficaces, des troubles neurocognitifs liés au VIH peuvent persister,
voire s’aggraver. De plus, le phénotype neuropsychologique de l’atteinte cognitive liée au VIH, habituellement de
type sous-cortical, a tendance à se rapprocher, notamment chez les sujets plus âgés, du tableau néocortical observé
au cours de la. maladie d’Alzheimer, ce qui conduit à s’interroger sur l’influence à long terme de l’infection chronique
à VIH sur le cerveau.
Mots-clés
VIH
Vieillissement
Système immunitaire
Cognition
Highlights
The lengthening of HIV+
subjects’ life expectancy, due
to long term-sustained combi-
nation antiretroviral therapy
(cART), puts the focus on
the influence of this chronic
viral infection on the process
of normal aging, especially
regarding the immune system
and neurocognitive abilities.
During chronic HIV infection –
most importantly at the AIDS
stage – as well as during aging,
there are many changes in the
immune system, including
cellular impairment of senes-
cent lymphocytes (decrease
of proliferative capacities
and of IL-2 secretion, short-
ening of telomeres and loss
of CD28 co-stimulation recep-
tors, especially within CD8 + T
lymphocytes). During aging, HIV
infection could confer an addi-
tional vulnerability of the brain
and accelerate the emergence of
cognitive disorders. Despite the
widespread use of virologically
effective cART, HIV-associated
neurocognitive disorders (HAND)
may persist and even worsen. In
addition, the neuropsychological
phenotype of HAND, usually
subcortical, tends to change,
especially among older subjects,
into a neocortical pattern as
observed during Alzheimer’s
disease. Recent meeting points
between these two diseases
have been identified, leading to
consider the influence of long-
term HIV chronic infection on
the brain.
Keywords
HIV
Aging
Immune system
Cognition
est l’augmentation importante de la sous-
population CD8+ CD28- (42 % à 20 ans, 70 % à
70 ans), corrélée avec une réponse médiocre aux
vaccinations, avec certaines maladies auto-immunes
et avec certains cancers. Cette diminution de l’ex-
pression de la molécule CD28 sur les lymphocytes T
CD8+ est d’ailleurs un des paramètres inclus dans le
“phénotype de fragilité immunologique” associé à
une augmentation de la mortalité dans une popula-
tion d’octogénaires. Le CD28 augmente la transduc-
tion du signal de réponse spécifique via le récepteur T
pour l’antigène. De plus, le CD28 serait également
impliqué, par la liaison avec son ligand B7 présent
sur les cellules présentatrices d’antigène, dans le
maintien de l’activité télomérase. La présence de la
télomérase permettrait la prolongation du poten-
tiel réplicatif des lymphocytes T humains et donc
l’augmentation de leur durée de vie. Lanalyse des
lymphocytes ex vivo a montré que c’est au sein de
la population CD8+ CD28- que l’on retrouve les
télomères les plus courts, témoins d’un plus grand
nombre de divisions. Enfin, on observe également
chez les personnes âgées une sécrétion accrue des
cytokines proinflammatoires impliquées dans les
processus liés au vieillissement. Par exemple, il
existe une corrélation entre les taux d’IL-1β et de
TNFα d’une part et l’athérosclérose d’autre part ; de
plus, l’IL-6 a été associée à l’ostéoporose, au déclin
cognitif et au syndrome de fragilité (8, 9).
Immunosénescence au cours de
l’infection par le VIH
Schématiquement, il est possible de décrire trois
phases au cours de l’infection par le VIH. La phase
initiale (primo-infection) est caractérisée par une
intense réplication virale dans les cellules cibles du
système immunitaire constituant, avant l’induction
d’une réponse immunitaire spécifique au VIH cellu-
laire et humorale, un réservoir de cellules infectées,
essentiellement les lymphocytes T CD4+ mémoires.
Mais les réponses immunes, défense innée et immu-
nité acquise spécifique, sont, dans la très grande
majorité des cas, incapables d’éradiquer le virus, qui
continue à se répliquer faiblement. Il s’établit alors
une phase chronique, d’une dizaine d’années environ,
d’équilibre entre le virus et le système immunitaire.
En l’absence de traitement, on constate une baisse
progressive des cellules T CD4+ et tout particuliè-
rement de celles qui sont spécifiques du VIH, due
à l’augmentation de la charge virale. Le dernier
stade est caractérisé par une baisse du nombre de
lymphocytes T CD4+ au-dessous de 200/ µl, une
augmentation importante de la charge virale et le
développement d’infections opportunistes.
Il est bien établi que la perte progressive des lympho-
cytes T CD4+ circulants et la déplétion massive
des lymphocytes T CD4+ mémoires au cours de la
maladie, en particulier au niveau du tractus gastro-
intestinal, sont une composante essentielle du déficit
immunitaire observé dans l’infection par le VIH, mais
on insiste actuellement sur le rôle joué par l’éta-
blissement d’une infection chronique et persistante
(10). Plusieurs mécanismes sont mis en jeu dans
l’échappement du VIH au contrôle immunitaire :
l’infection préférentielle des lymphocytes T CD4+
spécifiques du VIH, conduisant à l’altération de la
réponse auxiliaire dans le contrôle de la réplication
virale ; la sélection rapide de virus mutants résistants
qui échappent au contrôle immunologique par les
lymphocytes T CD8+ cytotoxiques et les anticorps ;
l’épuisement des clones T CD8+ spécifiques du VIH
de haute affinité ; le rétrocontrôle négatif des molé-
cules HLA de classe I à la surface des cellules infec-
tées, qui rend les cellules T CD8+ incapables de les
reconnaître et de les tuer ; l’existence de sites sanc-
tuaires ou “réservoirs latents” comme le système
nerveux central.
Les causes précises de la survenue, en une douzaine
d’années, d’un déficit immunitaire majeur ne sont
toujours pas complètement éclaircies. Actuelle-
ment, il semble admis que l’activation chronique
du système immunitaire (tableau I, p. 70), liée en
particulier à la réplication virale persistante, est
à l’origine de son épuisement (11, 12). Première-
ment, l’activation cellulaire induit la réplication du
virus dans les cellules infectées de façon latente.
Deuxièmement, la réémergence de virus latents,
comme l’EBV ou le CMV, favorisée par la déplé-
tion massive en T CD4+, contribue à la persistance
de stimulations antigéniques. Troisièmement, le
système immunitaire systémique serait également
activé de façon chronique par des translocations
70 | La Lettre de l’Infectiologue Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009
VIH et vieillissement accéléré :
aspects immunologiques et neurologiques
MISE AU POINT
microbiennes depuis l’intestin liées à la déplétion
massive des T CD4+ muqueux (13). Cette activation
constante du système immunitaire diminuerait non
seulement sa capacité à répondre à une large variété
d’antigènes, mais induirait aussi une augmentation
de la sécrétion des cytokines pro-inflammatoires
(IL-6, TNFα et IL-1β en particulier), ce qui abouti-
rait en fin de compte à son épuisement. Malgré sa
grande plasticité, les capacités de régénération du
système immunitaire ne sont en effet pas inépui-
sables : l’aptitude des organes hématopoïétiques et
du thymus à renouveler les lymphocytes diminue au
fur et à mesure que la maladie progresse (fibrose),
et les lymphocytes T humains ont par ailleurs des
capacités réplicatives limitées (limite de Hayflick).
Chez les personnes infectées par le VIH, notam-
ment au stade sida, on peut mettre en évidence des
altérations cellulaires caractéristiques des lympho-
cytes sénescents non fonctionnels (diminution des
capacités prolifératives et de la sécrétion d’IL-2) :
raccourcissement des télomères (14) et perte du
récepteur CD28 de costimulation, en particulier au
sein de la population lymphocytaire T CD8+ (8).
Léquilibre fragile qui existait entre le virus et son
contrôle même imparfait par le système immu-
nitaire est alors rompu. La réplication virale nest
plus contrôlée, ce qui entraîne la déplétion rapide
des lymphocytes T CD4+ restants et l’effondrement
du système immunitaire. Enfin, s’ajoutant à cet
état d’immunosénescence, la production accrue
de cytokines pro-inflammatoires est à l’origine de
nombreuses altérations fonctionnelles chez les sujets
infectés par le VIH, comparables à celles retrouvées
chez les personnes âgées (ostéopénie et ostéoporose,
troubles neuro-cognitifs, athérosclérose).
Des données récentes, comme celles issues de la
FHDH (3), ont confirmé l’impact de l’âge sur la
reconstitution du système immunitaire sous traite-
ment ARV. Cliniquement, on observe une progression
vers le sida plus fréquente chez les sujets de plus de
50 ans. On retrouve en particulier une augmentation
significative des troubles neurocognitifs liés au VIH,
des infections à CMV et de la maladie de Kaposi.
Biologiquement, bien qu’on retrouve une meilleure
réponse virologique (définie par l’obtention d’une
charge virale VIH inférieure à 500 copies/ ml à
6 mois) chez les patients âgés de 50 ans et plus
(76,6 %) que chez les moins de 50 ans (70,6 %),
le gain moyen en T CD4+ observé après 6 mois de
traitement ARV est significativement moins élevé
dans la population âgée (36,9 cellules/ml/mois)
que chez les plus jeunes (42,9 cellules/ml/mois).
L’involution thymique liée à l’âge semble impli-
quée dans cette reconstitution moins marquée du
système immunitaire, et notamment des cellules
T CD4+. Mais d’autres facteurs, comme la dénutri-
tion de type protidique, pourraient également être
impliqués (15).
VIH et vieillissement cognitif
Épidémiologie
L’incidence des syndromes démentiels (maladie
d’Alzheimer et apparentés) dans la population géné-
rale est encore très faible à 65 ans, mais, au-delà, elle
ne cesse d’augmenter avec l’âge. À l’heure actuelle,
les troubles cognitifs liés au vieillissement sont
plutôt considérés comme un continuum du vieillisse-
ment normal jusqu’au syndrome démentiel, ce qui a
permis de faire émerger il y a une dizaine d’années le
concept de trouble cognitif léger (TCL). Le TCL est un
syndrome d’installation progressive caractérisé par
une plainte mnésique, la préservation des activités
de la vie quotidienne ou des difficultés cantonnées
aux activités complexes, un trouble amnésique de
type hippocampique et l’absence de démence. Le
principal intérêt de ce concept est d’avoir permis
d’identifier une population présentant un risque
d’évolution vers la forme démentielle de la maladie
d’Alzheimer.
En ce qui concerne les troubles neurocognitifs
associés au VIH, leurs critères diagnostiques ont
été récemment révisés par un comité international
(16) qui a proposé une classification reposant sur une
évaluation neuropsychologique et fonctionnelle, très
proche de celle des troubles cognitifs en population
générale (tableau II, p. 71). Chez les sujets infectés
par le VIH, il est établi depuis longtemps que le risque
de survenue d’une démence associée au VIH (DAV)
est corrélé à l’âge. À l’ère préthérapeutique, une
étude de cohorte réalisée auprès de patients euro-
péens suivis avant 1989 avait montré que le risque
Tableau I. Mécanismes d’activation du système immunitaire
au cours de l’infection par le VIH.
Réplication virale persistante
Réponses immunitaires innées et acquises dirigées
contre le VIH et les antigènes viraux
Activation directe par les protéines virales (gp120, Nef)
Infections concomitantes
Réémergence d’infections virales latentes (EBV, CMV)
Translocation microbienne à partir de l’intestin
Sécrétion de cytokines pro-inflammatoires (IL-6, TNFα et IL-1β)
La Lettre de l’Infectiologue Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009 | 71
MISE AU POINT
de survenue d’une DAV comme événement classant
augmentait de 14 % par tranche de 5 ans d’âge et
de 19 % en cas de survenue après le diagnostic de
sida (17). Dans la cohorte Hawaii Aging with HIV, une
analyse transversale montre que la fréquence des TCL
et des DAV est significativement plus élevée après
50 ans (18). Plus récemment, un travail réalisé par
la collaboration européenne CASCADE (19), qui est
dédiée à l’observation des patients VIH+ à contage
daté, a établi qu’un âge plus élevé à la séroconversion
(considéré par tranche d’âge de 10 ans) augmentait
significativement le risque de développer une DAV
et que ce risque avait été multiplié par 2,6 pour la
période calendaire 2003-2006 (RR = 3,24) compara-
tivement à la période précédant 1997 (RR = 1,23).
Un risque de déclin cognitif plus précoce
Une des caractéristiques du vieillissement normal
est l’érosion progressive de la réserve cognitive, que
l’on peut concevoir comme un processus dynamique
de plasticité neuronale permettant d’optimiser les
performances cognitives par le recrutement d’autres
circuits neuronaux et par l’utilisation de stratégies
cognitives alternatives. L’infection à VIH pourrait
conférer une vulnérabilité cérébrale supplémentaire
au cours du vieillissement et accélérer l’apparition
de désordres cognitifs (20). C’est ce que suggère,
par exemple, une comparaison des performances
à des tests cognitifs dans deux groupes de sujets
non déments : des sujets séronégatifs (âge moyen :
70 ans) d’une part, et des sujets infectés par le VIH
au stade C (âge moyen : 36 ans) d’autre part. Il existe
un déclin remarquablement similaire dans les deux
groupes en ce qui concerne les fonctions sensibles
au vieillissement (rapidité psychomotrice, mémoire
verbale et fonctions exécutives) et la préservation
de celles qui sont épargnées par l’âge (21).
Démence associée au VIH et maladie
d’Alzheimer : des points de convergence
Dans le contexte d’une utilisation généralisée des
combinaisons d’ARV, des troubles neurocognitifs liés
au VIH peuvent persister voire s’aggraver – malgré
une efficacité virologique confirmée tant dans le
plasma que dans le LCR (22). Des modifications du
phénotype clinique de l’atteinte cognitive, évoluant
sur un mode néocortical évoquant plutôt un tableau
de démence du type Alzheimer (DTA) [tableau III]
que celui, désormais classique, de la démence sous-
cortico-frontale liée au VIH, ont récemment été
rapportées (23). Une étude, réalisée en tomographie
à émission de positrons, semble confirmer cette
Tableau II. Critères diagnostiques des troubles neurocognitifs (TNC) liés au VIH (d’après Antinori, 2007).
TNC
Déficit acquis
dans au moins
2 champs cognitifs*
Interférence avec
les activités de la vie
quotidienne
Déficit cognitif asymptomatique (DCA) ≥ 1 écart type Aucune
Trouble neuro-cognitif léger (TNL) ≥ 1 écart type Légère
Démence associée au VIH (DAV) ≥ 2 écart type Marquée
* Performance évaluée par des tests neuropsychologiques standardisés avec normes de référence ajustées sur l’âge et le niveau
socioculturel (ET : écart type).
Tableau III. Maladie d’Alzheimer.
Épidémiologie La plus fréquente des maladies neurodégénératives
Incidence annuelle en France : 225 000 cas
Étiologie Inconnue
Clinique Atteinte précoce de la mémoire (de type hippocampique)
Déficits cognitifs progressifs de type néocortical dans au moins 2 domaines cognitifs (langage,
praxie, gnosie, fonctions exécutives, etc.)
Altération marquée des activités de la vie quotidienne
Neuropathologie Plaques amyloïdes : dépôts extra-cellulaires de peptide β-amyloïde principalement localisés dans le
néocortex
Dégénérescence neurofibrillaire : accumulation dans les neurones de neurofilaments anormaux dont
le principal constituant est la protéine microtubulaire τ anormalement phosphorylée
Biomarqueurs LCR : diminution du peptide β-amyloïde 1-42 et augmentation de la protéine τ
Neuro-imagerie morphologique et fonctionnelle (hippocampe)
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VIH et vieillissement accéléré :
aspects immunologiques et neurologiques
MISE AU POINT
impression clinique en montrant la présence d’un
hypermétabolisme localisé dans le lobe temporal
interne plutôt que dans les noyaux gris, ce qui
était la marque habituelle des DAV (24). Chez des
patients infectés par le VIH, une perte neuronale
précoce a également pu être observée dans la région
temporale interne au niveau de l’hippocampe – une
zone lésée précocement au cours des DTA (25). Plus
qu’une association fortuite qui mettrait le clinicien
au défi de faire la part entre une DAV prenant le
masque d’une maladie d’Alzheimer et une authen-
tique maladie d’Alzheimer, ces observations posent
le problème de l’influence à long terme de l’infection
chronique à VIH sur le cerveau.
Par ailleurs, on constate que les facteurs de risque
vasculaire, dont on connaît l’implication dans la
survenue de la DTA, sont devenus fréquents chez
les personnes vivant avec le VIH traitées pendant
longtemps par ARV. Dans la cohorte hawaïenne,
la présence d’un diabète de type 2 multiplie par
5,7 le risque de démence après ajustement sur les
autres facteurs de risque vasculaire (HTA, hypercho-
lestérolémie, tabagisme) [26]. Comme l’a montré
une des sous-études associées au projet DAD (Data
Collection on Adverse Events of Anti-HIV Drugs), le
risque d’événements cérébrovasculaires augmente
avec l’âge chez les patients infectés par le VIH (27).
Cet accroissement de la prévalence des affections
vasculaires est en partie lié à l’allongement de la
survie sous multithérapie antirétrovirale. Si l’on
manque encore d’études prospectives pour apprécier
le rôle du tabagisme, facteur de risque vasculaire
classique fréquent dans la population infectée par
le VIH, celui de l’exposition prolongée aux ARV,
qui pourrait favoriser une accélération de l’athéro-
genèse, est ardemment débattu actuellement (28, 29).
Létude SMART, en montrant, contrairement à ce
qui était attendu, l’existence d’un surrisque d’évé-
nements cardiovasculaires graves dans le groupe
d’épargne thérapeutique par rapport à celui contrôlé
virologiquement sous traitement, plaide en faveur
d’un risque vasculaire directement associé au
VIH (30).
De plus, plusieurs points de convergence entre
infection à VIH et maladie d’Alzheimer peuvent
être identifiés. Ainsi, la présence précoce de plaques
amyloïdes a été observée dans des cerveaux de
patients infectés par le VIH (31) et semble plus
fréquente depuis l’utilisation des combinaisons anti-
rétrovirales (32). Certains marqueurs biologiques
impliqués dans la pathogénie de la maladie
d’Alzheimer peuvent être détectés chez les patients
infectés par le VIH. Dans la population générale,
15 % des individus sont porteurs du phénotype ε4
de l’apolipoprotéine E (APOE4), un marqueur de
susceptibilité génétique qui serait impliqué dans la
formation des plaques amyloïdes et associé à une
prévalence plus élevée de maladie d’Alzheimer. Dans
une petite cohorte de patients infectés par le VIH
à risque de troubles cognitifs, les sujets porteurs
de l’APOE4 étaient 2 fois plus souvent atteints de
démence (33). Ce résultat a été confirmé dans la
cohorte hawaïenne, mais seulement dans le sous-
groupe des patients âgés de plus de 50 ans (34).
La baisse du taux de peptide β-amyloïde 1-42 et
l’élévation de celui de la protéine τ (totale et phos-
phorylée) dans le LCR semblent maintenant être
des marqueurs prédictifs fiables pour le diagnostic
de maladie d’Alzheimer. Une diminution du taux du
peptide β-amyloïde 1-42 a également été observée
chez des patients porteurs d’une démence asso-
ciée au VIH (35, 36). Par ailleurs, la protéine TAT du
VIH serait capable d’inhiber in vitro la neprilysine,
l’enzyme qui dégrade la protéine β-amyloïde dans
l’espace extra-cellulaire (37).
L’activation du système macrophage-microglie
sous l’effet des protéines virales (principalement
TAT et gp120) et la cascade cytokinique qui lui est
associée jouent un rôle de premier plan au cours
des atteintes cérébrales liées au VIH (25). Elles
sont directement impliquées dans la raréfaction
dendritique et la mort neuronale. Il est intéressant
de constater qu’une activation microgliale, témoi-
gnant d’une inflammation chronique du système
nerveux central, est également impliquée dans la
pathogénie de la maladie d’Alzheimer (38, 39). Dans
une hypothèse uniciste, on pourrait finalement
envisager que les lésions cérébrales constatées au
cours de la maladie d’Alzheimer constituent une
voie finale commune à divers processus d’agres-
sion chronique du cerveau, parmi lesquels figure
l’infection à VIH.
En conclusion, l’allongement de l’espérance de vie
des personnes vivant avec le VIH traitées pendant
longtemps par ARV ouvre de nouvelles perspectives
de réflexion et d’investigation.
Si l’hypothèse d’un lien entre infection chronique
à VIH et maladie d’Alzheimer se confirme, la prise
en charge des patients va devoir être réévaluée
suivant trois axes prioritaires : mettre en place
un dépistage des troubles neurocognitifs le plus
tôt possible, promouvoir la recherche clinique sur
les molécules neuroprotectrices afin de limiter la
neurotoxicité du VIH et développer des programmes
d’aides à la personne pour les patients présentant
des syndromes démentiels.
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