La Bioéthique au Japon : aspects actuels Alors qu`est organisée en

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La Bioéthique au Japon : aspects actuels
Alors qu'est organisée en France une vaste consultation nationale sur les enjeux de la
bioéthique et l'opportunité d'une révision de la loi actuelle, il nous a paru intéressant d'examiner les
différents volets des problèmes bioéthiques au Japon.
Le chantier bioéthique actuel dans ce pays est celui de la neuro-éthique, en raison de la
fascinante évolution des neuro-sciences ces dernières années. Il est toutefois encore trop tôt pour en
dresser un bilan objectif.
Sur les questions plus spécifiques du diagnostic prénatal et de la procréation médicalement
assistée, on peut retenir en premier lieu que, bien qu'il ne fasse encore l'objet d'aucun cadre légal, le
diagnostic prénatal est admis et largement pratiqué dans ses indications strictement médicales, à
savoir mère âgée de plus de 35 ans pour diagnostiquer une éventuelle trisomie 21 et en cas de risque
de transmission d'une maladie génétique. Il n'est pas autorisé, et exceptionnellement réalisé dans les
autres cas, mais certains établissements privés le pratiqueraient dans d'autres indications et à des
tarifs très élevés. Toutefois, dans ce domaine, les problèmes semblent être maintenant d'ordre plus
juridique qu'éthique : on assiste, semble-t-il, à une recrudescence des procès intentés contre des
médecins pour erreurs diagnostiques et /ou méconnaissance de malformations, seulement
découvertes à la naissance.
En second lieu, il n'y a pas à proprement parler de débat éthique au Japon autour de la
procréation médicalement assistée "classique'' : l'insémination artificielle (rappelons que les
premières banques de sperme ont été créées en 1963 au Japon) et la fécondation in vitro avec
implantation embryonnaire dans l'utérus de la mère biologique sont des pratiques admises,
autorisées et aidées par les systèmes d'assurance médicale.
Tout différent est le problème des mères porteuses ; cette méthode est absolument illégale;
d'ailleurs, un rapport publié en avril 2008 par le Science Council of Japan recommande clairement
de sanctionner sévèrement les médecins qui encourageraient et aideraient la réalisation de ce type
de procréation assistée. Proscrite par le conseil de l'ordre des gynécologues japonais et également
mal vécue par la population japonaise, cette méthode est seulement admise dans les cas
exceptionnels où la mère porteuse a des liens de parenté avec la mère biologique ou non. Ainsi, en
août 2005, une femme d'une cinquantaine d'années a donné naissance à l'enfant de sa fille qui avait
subi une hystérectomie pour cancer et qu'elle ''voulait aider'' (ce sont ses termes) ; elle s'était fait
implanter un embryon provenant de la fécondation d'un ovule de sa fille par le sperme de son
gendre; Il est intéressant d'apprendre que l'enfant ainsi conçu a d'abord été reconnu par sa
grandmère, puis adopté par ses (véritables) parents. De même,le Science Council of Japan estime
que cette pratique peut être autorisée en cas d'absence congénitale d'utérus chez la femme désireuse
d'avoir un enfant ou en cas d'antécédent d'hystérectomie totale.
Ces restrictions dans la pratique des mères porteuses semblent encourager, dans une certaine
mesure, le "tourisme procréatif", principalement en Corée et aux Etats-Unis; mais celui-ci reste ,
malgré l'absence de statistiques précises, un recours encore limité à la procréation.
Le diagnostic pré-implantatoire lors d'une fécondation in vitro est autorisé, effectué sur un
embryon de 3 jours, pour détecter une éventuelle anomalie chromosomique; il concerne les couples
chez lesquels on a identifié une maladie grave, incurable, qui risquerait d'être transmise à l'enfant. Il
est réalisé sous le contrôle du comité d'éthique.
Les travaux du Pr Yamanaka en particulier, son extraordinaire découverte sur les cellules
souches pluripotentes qui permettent de facto d'éviter la recherche sur le matériel embryonnaire ont
rélégué à l'arrière-plan toutes les questions de bioéthique relatives aux recherches sur les cellules
souches embryonnaires humaines.
La pratique des tests génétiques, très large, est également très encadrée, bien qu'elle ne soit
encore soumise à aucune loi. Elle se fait dans le cadre d'un ''consentement éclairé'' : après avoir
obtenu l'accord du patient concerné et là aussi, sous le contrôle du comité d'éthique. En 2003, des
recommandations officielles pour la pratique des tests génétiques, rédigées par le Ministère de
l'Education (MEXT), le Ministère de la Santé et le Ministère de l'Economie ont été publiées sous le
titre "Recommandations des trois Ministères". Dans ces guidelines, apparemment appliquées à la
lettre, toutes les indications non médicales, mais sociales des tests génétiques sont clairement
réfutées, voire interdites.
Ces recommandations se sont trouvées complétées et ainsi confirmées par des guidelines
rédigées par la Human Genetic Commission, groupant plusieurs sociétés savantes médicales, dont la
Japan Society of Human Genetics, la Japan Society of Obstetrics and Gynecology la Japan Society
for Pediatric Genetics. On peut en retenir les points suivants: lorsque les tests génétiques sont
indiqués et finalement pratiqués, les droits du patient et des membres de sa famille doivent
absolument être respectés et protégés; ces tests ne peuvent être effectués que par des institutions
médicales spécialisées et après avoir obtenu le consentement du patient selon les règles éthiques en
vigueur, celles du "consentement éclairé" ; toutes les informations ainsi obtenues sont absolument
protégées par le secret médical et ne peuvent en aucun cas être divulguées à des non-médecins et, à
fortiori, au grand public.
Il ne semble donc pas y avoir de dérive, ni de détournement dommageable pour le patient et
sa famille, de ces tests.
Les greffes d'organes à partir de donneur en état de mort cérébrale sont encore mal acceptées
au Japon : on considère en effet dans la population que tant qu'il y a une activité cardiaque et
respiratoire, on vit ; donc, si le concept de mort cérébrale est admis par la communauté scientifique
et médicale, ce type de greffe d'organe reste encore bien moins pratiqué au Japon qu'en Europe ou
aux Etats-Unis en raison de sa perception dans la population (pas d'autorisation du donneur
potentiel ni de sa famille).Ainsi, entre 1997, date à laquelle la mort cérébrale a été légalisée et fin
2007, soit en 10 ans, seuls 49 cas de transplantations d'organes ont été rapportés.
A titre indicatif, en France, pour la seule année 2007, l'Agence de la Biomédecine a rapporté
1562 donneurs prélevés.
Les autres greffes, provenant de donneurs vivants, comme les greffes rénales sont, elles,
admises et pratiquées. Ainsi, on peut retenir à titre d'exemple, que, depuis 20 ans, plus de 1000 cas
de greffes d'organes de donneurs vivants ont été recensés à la Faculté de médecine de Kyoto
Par ailleurs, il faut souligner un obstacle majeur dans ce chapitre des greffes d'organes: elles
ne sont légalement admises que pour un receveur âgé de 15 ans au moins, rendant impossible toute
greffe d'organe chez un enfant qui en aurait besoin; cette limitation légale amène les familles qui le
peuvent à aller à l'étranger (statistiquement plus particulièrement aux USA, au Canada, en Australie
et en Allemagne) pour faire greffer leur enfant.. Il est actuellement question de réviser cette loi et si
certains proposent de l'abolir, d'autres n'en sont encore qu'à préconiser d'abaisser l'âge légal du
receveur à 12 ans.
Il convient encore de signaler qu'au Japon aussi, certains adultes en attente de greffe,
impatients de ne pouvoir être rapidement greffés, vont à l'étranger, plus particulièrement aux
Philippines, en Chine, en Corée du Sud, "acheter" des organes.
Ce type particulier de "tourisme" risque fort d'être entravé par une stricte application de la
circulaire d'Istanbul.
Il ne semble pas qu'il y ait de dérive d'ordre éthique des applications médicales des
nanotechnologies. Le Japon est l'un des pays leaders dans le développement des nanotechnologies,
notamment, dans le domaine médical. Il a très vite compris l'intérêt thérapeutique de telles
innovations comme en témoignent les travaux pionniers de la compagnie NEC en cancérologie,
menés en collaboration avec le JST et le JFCR. Il est cependant vrai que les questions d'ordre
éthique ne peuvent pas ne pas être posées ici : les nanotechnologies permettent en effet déjà la
reconnaissance d'un grand nombre de caractéristiques génétiques et biologiques propres à chacun ;
le risque est grand de voir ces données détournées à l'insu du patient et/ou de sa famille pour être
transmises à un assureur, un employeur, voire être largement diffusées par les moyens de
communication actuels portant ainsi atteinte à la vie privée.
La prise de conscience de ce risque a conduit des experts à débattre de ce sujet au Japon dès
2004; le Science Council of Japan s'est ainsi associé à la Royal Society britannique pour traiter ce
problème de façon efficace; ces 2 organismes ont publié un rapport énonçant très clairement les
impacts environnementaux et sociétaux du développement des nanotechnologies.
Depuis, tous les organismes impliqués dans ce domaine sont très vigilants et s'accordent sur
l'absolue nécessité de prendre rapidement des mesures éthiques efficaces assurant la protection des
personnes.
A ce sujet, retenons pour conclure qu'il n'y a pas, au Japon, de comités de protection des
personnes, comme il en existe déjà en France. Il y a principalement, à l'heure actuelle dans les
hôpitaux et les facultés de médecine, des comités d'éthique.
Enfin, un comité de neuroéthique a officiellement été créé au Japon en 2004, composé de
spécialistes de neurosciences, biologie et éthique, de philosophes et de psychologues; il tente
d'apprécier et de limiter les conséquences d'ordre éthique et moral du développement des
neurosciences et leurs implications sociétales
En conclusion, "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" écrivait déjà Rabelais: les
progrès de la science conduisent en effet inévitablement à des questions d'éthique et de bioéthique
et le Japon n'échappe pas à cette règle.
Toutefois, on ne peut pas ne pas être interpellé par une attitude parfois résolument
conservatrice comme celle qui appréhende le problème des transplantations d'organes, dans un pays
pourtant à la pointe du progrès scientifique qui a notamment permis la spectaculaire découverte du
Pr Yamanaka sur les cellules souches.
Dr Andrée Piekarski
Attachée Sciences de la Vie
Ambassade de France au Japon
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