Rev. Ivoir. Odonto-Stomatol., vol. 8, n° 1, 2006, pp. 40-44 © EDUCI 2006 METASTASES CRANIO-MAXILLO-FACIALES DU CANCER DU SEIN A PROPOS D’UN CAS. REVUE DE LA LITTERATURE Auteurs KOUAKOU K. R. AKA G.K DJEMO B.R OUATTARA B. ANGOH Y J.J. GADEBGEKU SA RESUME Les auteurs rapportent un cas de métastases maxillofaciales et crâniennes d’un cancer du sein chez une jeune dame en pleine activité génitale, admise pour des odontalgies diffuses et une altération de l’état général survenues après des extractions dentaires. En outre, ils posent le problème de la conduite à tenir devant une dent douloureuse, mobile et apparemment saine chez une patiente ayant des antécédents récents de chirurgie mammaire pour une tumeur. Mots-clés : Métastases crânio-maxillo-faciales - Sein Adénocarcinome - Odontalgies Service SUMMARY Authors bring back a case of maxillo - facial and cranial Service de Stomatologie et de metastasis of breast cancer at a young lady in full genital Chirurgie maxillo-faciale activity, admitted for the dental painful diffuse and a change CHU Cocody-Abidjan of the general state occurred after the dental extractions. Côte d’Ivoire. Besides, they pose the problem of the management before a painful, mobile and apparently healthy tooth at a patient having the recent antecedents of mammary surgery for a tumor. Keys words : Cranial - Maxillofacial Metastasis - Breast Adenocarcinoma - Dental pain Correspondance Pr. AKA GBLANH KASSY F.P. UFR Sciences médicale d’Abidjan BP V166 Abidjan 01 e-mail : [email protected] / [email protected] INTRODUCTION Le cancer du sein est l’ensemble des tumeurs malignes développées aux dépens du tissu mammaire . Il s’agit du deuxième cancer de la femme après le cancer du col de l’utérus dans les pays en voie de développement. En Côte d’Ivoire selon les travaux effectués par ECHIMANE5 et coll. en 1997, ce cancer est fréquent et représentait la première tumeur maligne de la femme avec un taux de 25,2% alors qu’en France, MOUSSEAU10 rapportait une incidence de 77/100000 habitants par an et dans la Somme ce taux est de 32 % selon PENG3. Le type histologique le plus fréquent de ces tumeurs malignes du sein est le carcinome dans plus de 90% des cas dans une étude réalisée par EFFI6 en 1995 à Abidjan. Son pronostic est effroyable du fait de son caractère hormono-dépendant, hautement lymphophile et ostéophile. En France ce cancer est la première cause de mortalité par cancer chez la femme avec un taux de 19, 7 % selon MOUSSEAU10 et Coll. Les localisations secondaires vertébrale, sternale, au niveau du bassin et des autres os longs sont bien connues selon BONICHON2. Nous rapportons un nouveau cas de métastase crânio-mandibulaire d’un adénocarcinome mammaire. Ce cas clinique dont le motif de consultation a été marqué par des douleurs dentaires et osseuses survenues après des extractions dentaires chez une jeune patiente en activité génitale ayant un passé récent de chirurgie mammaire et révélatrices d’une tumeur mammaire bilatérale. L’intérêt de ce travail réside dans le fait que tout praticien quel qu’il soit (stomatologiste, médecin généraliste) devrait savoir devant une telle symptomatologie : - mener correctement un examen clinique le plus complet possible chez toute patiente en pleine activité génitale ; - demander une radiographie des maxillaires à la recherche d’une lésion osseuse primitive chez une patiente se plaignant d’odontalgies sur dents saines et de céphalées afin d’éliminer les causes habituelles. I- CAS CLINIQUE Le 26-11-2001, est hospitalisée dans notre service Dame A.T.E., âgée de 31 ans, nigériane, commerçante, pour des odontalgies diffuses qui évoluaient depuis 3 mois dans un contexte d’altération de l’état général. Ses antécédents ont révélé une intervention chirurgicale sur le sein droit pour un nodule mammaire. L’examen clinique général de la patiente a noté une altération modérée de l’état général. L’examen stomatologique a mis en évidence en exobuccal : - une exophtalmie bilatérale sans trouble visuel, - de multiples nodules osseux de taille variable disséminés sur la voûte crânienne sensible, - une hyperesthésie périmaxillaire, mandibulaire et labiale entraînant une insomnie diurne et nocturne, - une absence d’adénopathie satellite. L’examen endobuccal a montré : - une hygiène bucco-dentaire moyenne, - des gencives inflammatoires, - une mobilité et une sensibilité de toutes les dents, - une absence de 36 et 37 extraites auparavant car mobiles avec une mauvaise cicatrisation gingivale ayant un aspect bourgeonnant. Le reste de l’examen physique a mis en évidence : - une cicatrice chirurgicale au sein droit, - un envahissement des deux seins par une masse tumorale ligneuse, irrégulière, aux limites imprécises, sensible, adhérant au plan superficiel sans lésion cutanée, mobile par rapport au plan profond. Cet examen a permis de classer cette tumeur mammaire bilatérale selon la classification TNM. Il s’agit d’une tumeur T4 N1 M1. 42 KOUAKOU K R & al. : Métastases cranio-maxillo-faciles du cancer du seins... Le bilan radiologique local (panoramique des maxillaires et crâne en incidences face et profil) a mis en évidence outre une raréfaction diffuse des maxillaires et du crâne, des foyers radio-clairs de la voûte crânienne, aux limites imprécises, disséminés et une clarté homogène arrondie, d’environ 1,5cm de diamètre siégeant à l’angle mandibulaire gauche. La radiographie pulmonaire standard de face a montré une image radio-opaque homogène peu dense grossièrement arrondie au sommet du champ pulmonaire droit. L’échographie mammaire a révélé un aspect hétérogène, multinodulaire des deux seins. La mammographie a objectivé un envahissement des deux seins par des opacités denses, polycycliques, confluentes et hétérogènes. Les examens biologiques ont exploré successivement les fonctions : - hématopoïétique qui a montré une anémie modérée à 10g/l, hypochrome microcytaire et une hyperleucocytose à 12,4.10/mm ; - rénal qui était normale ; - métabolique qui montré une glycémie normale(0,83g/l), une calcémie normale à 4,1mg/l ; - thyroïdienne qui est normale. La cytologie après cytoponction des seins a mis en évidence des cellules tumorales évoquant un adénocarcinome du sein. La biopsie gingivale en regard des alvéoles de 36 et 37 a été faite et l’histologie a révélé une infiltration de la muqueuse gingivale par du tissu tumorale caractéristique d’un adénocarcinome mammaire. La patiente n’ayant bénéficié que de traitement symptomatique, a été adressée en cancérologie au CHU de Treichville, d’où elle est finalement sortie contre avis médical. II- DISCUSSION De ce cas clinique, se dégage la problématique de l’attitude du médecin stomatologiste face à des symptômes maxillo-faciaux chez une patiente porteuse de tumeur du sein avec des antécédents récents de chirurgie mammaire et d’extraction dentaire. Les données épidémiologiques imposentelles une corrélation entre la symptomatologie maxillo-faciale et la pathologie tumorale mammaire ? 1- Au plan pathogénique L’apparition des métastases osseuses des tumeurs malignes ostéophiles et surtout au niveau mandibulaire est connue de longue date. Ces métastases siègent fréquemment à l’angle mandibulaire au voisinage du canal dentaire. Leur présence serait favorisée par la voie hématogène, non seulement par la présence de vaisseaux nourriciers au sein de la mandibule mais aussi par sa relative richesse en moelle osseuse et préférentiellement au niveau de l’angle, des condyles et de la région des prémolaires car mieux vascularisés et également le siège d’un ralentissement circulatoire selon ZACHARIADES12 et Coll. CADENAT4 citant d’autres auteurs fait intervenir un facteur vasculaire notamment la thromboses des vaisseaux mandibulaires avec un ralentissement circulatoire dû à la division ou à l’angulation des vaisseaux lors de la pénétration à l’angle de la mandibule décrit par HERSLOP et la théorie de la voie sanguine qui essaime des emboles métastatiques signalé par VON RECKLINGHAUSEN. Ainsi pour confirmer ces hypothèses ZACHARIADES12 et PAPANICOLAOU12, ont effectué 167 autopsies sur des sujets décédés de carcinome mammaire et ont constaté trois fois plus de métastases au niveau maxillo-facial qu’ailleurs. Dans notre cas clinique, l’illustration en est l’image d’ostéolyse homogène, monogéodique de l’angle mandibulaire gauche et polygéodique hétérogène au niveau du crâne. 2- Au plan clinique Selon BOYCZUK3 et Coll., les métastases maxillo-faciales des tumeurs malignes primitives qui ne sont pas des phénomènes rares. Rev. Ivoir. Odonto-Stomatol., Vol. 8, n° 1, 2006, pp. 40-44 Cliniquement, les symptômes sont très variés. Les signes cliniques de métastases maxillo-faciales sont variés et se résument, pour certains auteurs 1, 7, 9, 10, 12 à une tuméfaction douloureuse, à des troubles de la sensibilité bucco-faciale et à des signes dentaires (douleur et mobilité) pouvant conduire à l’extraction d’une dent apparemment saine. Dans notre cas, à ces signes se sont ajoutés une mobilité dentaire diffuse, un aspect bourgeonnant de la gencive au site alvéolaire de 36 et 37 vides, et qui trouvent leur explication dans l’infiltration des tissus gingival et osseux sous-jacent. Par ailleurs, l’exophtalmie dans notre cas serait liée un envahissement du tissu adipeux périorbitaire. ANICETO1 et Coll. 9, affirment que 1 à 8 % des tumeurs malignes de la cavité buccales est considéré comme des métastases. Ce taux relativement bas est du au fait que comparativement aux os longs, les os de la face sont moins riche en moelle osseuse, laquelle serait propice au développement des cellules tumorales selon ZACHARIADES12. Parmi ces tumeurs métastatiques, le carcinome du sein vient au premier rang chez la femme par son incidence élevée dans le sexe féminin. Chez l’homme, le cancer du sein est rare, du fait d’une faible imprégnation hormonale oestro-progestative. Un seul cas de métastase maxillofaciale de cancer du sein chez l’homme a été rapporté par MORRIS9 et Coll. Quant à l’aspect radiologique, l’image d’ostéolyse retrouvée dans notre observation est en conformité avec celle décrite dans la littérature. En effet, selon ZACHARIADES et PAPANICOLAOU12, l’image de métastase de carcinome du sein est, dans 80% des cas, est celle d’une ostéolyse mal limitée ; c’est-à-dire une image radio-claire sur des clichés standards. La tomodensitométrie, si elle avait été faite, nous montrerait un ou plusieurs foyers hypodenses. L’image de métastase pulmonaire est la classique image en lâcher de ballon. Celle retrouvée dans notre cas est suspecte 43 d’une localisation secondaire de cet adénocarcinome du sein. Les modifications hématologiques observées sont classiques dans le syndrome inflammatoire biologique provoqué par la tumeur. 3- Au plan thérapeutique La présence des métastases maxillofaciales signent déjà une diffusion systémique du carcinome mammaire et correspond à la phase avancée ne relevant plus d’un traitement locorégional où les traitements systémiques sont prépondérants. BOYCZUK3 et Coll. s’accordent sur le fait que le but du traitement est palliatif. Celui-ci passe par la mise en œuvre d’une approche multidisciplinaire faisant appel à l’oncologiste, au chirurgien. Le pronostic est redoutable et effroyable à ce stade la survie est de 24 mois3 et est par contre à deux ans avec un taux de survie à 11% selon les travaux ZACHARIADES et PAPANICOLAOU 10 . Dans notre cas la patiente est décédée 8 mois plus tard après son transfert dans le service d’oncologie. CONCLUSION L’adénocarcinome du sein, cancer hautement ostéophile donne des métastases maxillo-faciales siégeant fréquemment à la mandibule; c’est la raison pour laquelle il est licite devant des signes d’appels maxillofaciaux tels que les troubles de la sensibilité cutanéo-muqueuse à type d’hyperesthésie, la douleur et la mobilité sur une dent apparemment saine, de suspecter un processus malin surtout s’il existe un antécédent récent de tumeur ou de chirurgie mammaire. Cependant, il faut éliminer d’autres lésions inflammatoires nerveuses ou infectieuses devant une telle symptomatologie. 44 KOUAKOU K R & al. : Métastases cranio-maxillo-faciles du cancer du seins... REFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1- ANICETO G. S., PENIN A.G., PAGES R.M., MORENO J.J.M. Tumors metastastic to the mandible: analysis of nine cases and review of literature. J.Oral Maxillofac. Surg. 48: 246-251, 1990. 2- BONICHON ET COLL. Métastases de cancer du sein. 9ème journées de la société Française de Sénologie, Avignon, 3-11, 1987. 11- PENG J., DUBREUIL A., RAVERDY N., GANRY O., LORRIAUX A. Epidémiologie des cancers des sein dans la Somme : période 1990 - 1993. Chir, 51, 9 : 974 –980, 1997. 12. Zachariades N, Papanicolaou S. Breast cancer metastatic to the mandible J. Oral Maxillofac. surg., 40 (12) : 8138, 1982. ANNEXES 3- BOYCZUK EM, SOLOMON MP, GOLD BD. Unremitting pain of the mandible secondary to metastatic breast cancer : a case report. 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