Prise en charge médicamenteuse de la douleur L’évaluation de la douleur

Prise en charge médicamenteuse de la douleur
en médecine d’urgence pré- et intrahospitalière
Agnès Ricard-Hibon*, Jean Marty*
L’oligo-analgésie paraît souvent liée
à un défaut d’enseignement des per-
sonnels soignants, reléguant le trai-
tement de la douleur au second plan
(6-8),ainsi qu’à des préjugés erro-
nés : peur des effets secondaires liés
aux morphiniques, fatalité de la
douleur en situation d’urgence (2),
nécessité de préserver le symptôme
douleur pour établir un diagnostic,
notion de priorité aux détresses vi-
tales et, surtout, sous-estimation de
l’importance de la douleur évaluée
par le personnel soignant (6). Pour-
tant, les conséquences néfastes de
la douleur sur l’organisme ont été
largement démontrées, toujours et
à tout moment susceptibles de pré-
cipiter un état clinique déjà précaire
et justifiant largement l’instauration
précoce d’une analgésie (9). En de-
hors de la nécessité éthique évidente
de soulager toute douleur pour le
confort du patient, la mise en œuvre
d’une analgésie facilite la prise en
charge du patient sans compro-
mettre l’analyse diagnostique (10,
11). Le soulagement de la douleur
doit donc faire partie des priorités
thérapeutiques. De même, la médi-
calisation préhospitalière des se-
cours d’urgence autorise l’utilisa-
tion de médicaments et de techniques
efficaces dans des conditions de sé-
curité parfaitement respectées (12).
La fréquence et l’intensité de la dou-
leur en situation d’urgence sont très
nettement sous-estimées, soit parce
que la question n’est pas posée au
patient, soit parce que sa réponse
est sujette à interprétation par les
soignants, qui jugent la douleur
moindre que celle réellement res-
sentie (2, 6, 13). Pareillement, l’ad-
ministration des antalgiques ne peut
être guidée sur la seule réclamation
spontanée des patients qui, souvent
et même pour des douleurs intenses,
ne verbalisent pas spontanément
leur douleur et ne réclament que ra-
rement l’administration d’antal-
giques (2).
L’évaluation de la douleur
en situation d’urgence
L’évaluation systématique de la dou-
leur est donc un objectif prioritaire,
permettant de reconnaître le patient
algique, d’instaurer le traitement et
de suivre son efficacité. Le dépistage
de la douleur repose sur l’interroga-
toire du patient. La question “Avez-
vous mal ?” doit être systématique-
ment posée dès la prise en charge et
suivie d’une évaluation quantitative
de la douleur. La quantification de
l’intensité douloureuse repose sur
l’emploi d’outils objectifs, repro-
ductibles et adaptés à la pratique de
la médecine d’urgence. Il existe deux
catégories d’outils d’évaluation : les
outils d’hétérévaluation, avec les-
quels une tierce personne évalue la
douleur du patient, et les outils d’au-
toévaluation, avec lesquels seul le pa-
tient évalue sa douleur. La percep-
tion de la douleur étant multifacto-
rielle et incluant diverses compo-
santes émotionnelles, culturelles et
affectives, la sévérité de la douleur
ne peut être réellement estimée,
lorsque cela est possible, que par ce-
lui qui souffre. L’autoévaluation est
souvent considérée à tort comme dif-
ficile à réaliser dans le contexte de
l’urgence. En fait, l’utilisation des
échelles d’autoévaluation a été esti-
mée en médecine d’urgence intra-
et extrahospitalière, avec un taux
de faisabilité dépassant 80 % après
une période d’adaptation des per-
sonnels soignants (7, 13, 14). Le
choix d’une échelle est déterminé par
plusieurs critères : objectivité, faisa-
bilité, reproductibilité et adhésion
du personnel soignant à l’échelle
choisie (15).
Les échelles d’hétérévaluation man-
quent d’objectivité et ne sont pas re-
* Département d’anesthésie-réanimation et
SMUR, hôpital Beaujon, Clichy.
A
lors que de nombreux progrès ont été réalisés pour le traitement
de la douleur postopératoire, la douleur en situation d’urgence
reste encore trop souvent sous-estimée et insuffisamment traitée, abou-
tissant au concept d’“oligo-analgésie(1), observé aussi bien en situation
extrahospitalière (2, 3) qu’intrahospitalière (4, 5). De nombreuses bar-
rières, psychologiques et éducatives, contribuent à cette insuffisance
d’analgésie et aboutissent à des inégalités thérapeutiques en fonction de
l’âge, du sexe, de l’origine ethnique et/ou du niveau intellectuel (6).
Mots-clés : Médecine d’urgence – Douleur aiguë – Analgésie – Autoévaluation –
Morphine titrée.
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Le Courrier de l’algologie (2), no1, janvier/février/mars 2003
Mise au point
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tenues pour l’évaluation de première
intention car elles sous-estiment le
plus souvent la douleur ressentie par
le patient (13). En revanche, elles peu-
vent être utiles chez les patients pré-
sentant des difficultés de compréhen-
sion ou de langage. L’évaluation des
échelles unidimensionnelles montre
un taux de réussite très satisfaisant
pour les trois échelles EVS (échelle
verbale simple), EN (échelle numé-
rique) et EVA (échelle visuelle ana-
logique), avec une bonne corrélation
entre elles (2,13,14).Si l’EVS ne pa-
raît pas devoir être utilisée en pre-
mière intention en raison de sa faible
sensibilité, l’EN et l’EVA peuvent en
revanche être utilisées indifféremment
dans le contexte de l’urgence.
L’adhésion du personnel soignant à
l’échelle d’évaluation de la douleur
est un facteur déterminant de réussite
de la procédure. En effet, si le per-
sonnel n’adhère pas à la méthode
choisie, l’amélioration du traitement
de la douleur ne pourra pas être pé-
rennisée. Il semble que les services
d’urgence intrahospitaliers aient une
préférence pour l’EN, et les services
d’urgence extrahospitaliers, une pré-
férence pour l’EVA (12, 14, 16).
Comment améliorer
la prise en charge
de la douleur en situation
d’urgence ?
La prise en charge de la douleur aiguë
en situation d’urgence fait partie des
priorités thérapeutiques et peut être
améliorée (7, 17) par la mise en place
de procédures d’assurance-qualité et
de programmes d’enseignement ci-
blés sur cette problématique (18).
L’étude de Jones et al. (17) compare
l’intensité des douleurs observées
dans un service de médecine d’ur-
gence intrahospitalier avant et après la
mise en place d’un programme d’édu-
cation sur 4 heures des résidents et
montre une amélioration significative,
d’une part, des scores de douleur sur
l’EVA et, d’autre part, du pourcen-
tage de patients soulagés. L’étude réa-
lisée en préhospitalier a évalué l’effi-
cacité d’une procédure d’assurance-
qualité fondée sur la mise en place de
protocoles thérapeutiques utilisant la
morphine titrée associée à un pro-
gramme éducatif. La mise en place
de cette procédure a permis une amé-
lioration significative des scores de
douleur évalués sur l’EVA et sur
l’EVS, le pourcentage de patients cor-
rectement soulagés passant de 49 % à
67 %. L’amélioration de la prise en
charge de la douleur en situation d’ur-
gence est donc possible et repose sur
une meilleure sensibilisation des
équipes, sur une évaluation rigoureuse
par des échelles d’autoévaluation, sur
la mise en place de protocoles théra-
peutiques adaptés à l’urgence et sur
des procédures régulières d’audit de
pratique et d’efficacité (18). Deux
conférences d’experts organisées par
la SFAR (Société française d’anes-
thésie et de réanimation) et la SFMU
(Société française de médecine d’ur-
gence) ont établi des recommanda-
tions pour la sédation et l’analgésie
en urgence afin de favoriser l’unifor-
misation des pratiques (12,19). L’éva-
luation répétée de l’intensité doulou-
reuse au cours du transport et l’uti-
lisation large de la morphine titrée
pour des douleurs significatives sont
des éléments déterminants d’amélio-
ration de la qualité de la prise en
charge de la douleur aiguë en méde-
cine d’urgence préhospitalière.
Les techniques
analgésiques
Il n’existe pas de contre-indication à
l’analgésie, qui s’impose chaque fois
que le patient exprime une douleur
sur les échelles d’autoévaluation.
Ainsi, la douleur abdominale non en-
core diagnostiquée n’est en aucun cas
une contre-indication à l’utilisation
de morphiniques, puisque le soula-
gement par des morphiniques n’hy-
pothèque en rien l’analyse diagnos-
tique (10, 11). La stratégie théra-
peutique est basée sur des protocoles
thérapeutiques établis selon l’inten-
sité de la douleur, la pathologie et les
éventuelles contre-indications spéci-
fiques liées au terrain ou à la patho-
logie (12). Des algorithmes déci-
sionnels doivent être enseignés et
validés au sein de chaque service,
avec un suivi organisé de l’efficacité
de ces traitements dans un pro-
gramme d’assurance-qualité (7, 18).
L’analgésie médicamenteuse (12)
Le paracétamol est un antalgique
central qui peut être administré par
voie intraveineuse. La dose unitaire
est d’un gramme, administré en i.v.
lent sur 15 minutes (pour éviter les
douleurs à l’injection), à renouveler
toutes les 6 heures chez l’adulte (soit
4g/24 h). Son délai d’action est
d’environ 30 minutes, avec un effet
maximal entre 60 et 120 minutes,
d’où la nécessité de l’administrer très
précocement. Les seules contre-in-
dications sont l’insuffisance hépa-
tique sévère et l’allergie. La toxicité
hépatique du paracétamol survient
pour des doses largement supérieures
aux doses thérapeutiques. C’est un
analgésique mineur, utilisé pour des
douleurs faibles à modérées ou en
association avec des analgésiques
puissants pour le traitement des dou-
leurs intenses (20). Le paracétamol
est également efficace par voie orale
(gélules, comprimés secs ou effer-
vescents…) et peut être administré
très précocement par l’infirmière
d’accueil et d’orientation (IAO) des
urgences selon un protocole théra-
peutique institué dans le service.
Les anti-inflammatoires non sté-
roïdiens (AINS) agissent en inhi-
bant la synthèse des prostaglandines
par les cyclo-oxygénases 1 et 2 (res-
pectivement constitutives et induc-
tibles). Un certain nombre d’effets
secondaires sont liés à l’inhibition
des cyclo-oxygénases constitutives :
ulcérations et hémorragies diges-
tives, inhibition de l’agrégation pla-
quettaire, diminution de la filtration
glomérulaire, rétention hydrosodée,
bronchoconstriction et des réactions
allergiques croisées avec l’aspirine.
Les effets secondaires sont d’autant
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plus fréquents que l’administration
est prolongée, que les patients sont
âgés, que la dose administrée est im-
portante et qu’il existe une patholo-
gie sous-jacente (insuffisance rénale,
cardiaque, cirrhose hépatique, anté-
cédents d’ulcère gastroduodénal).
Les AINS sont contre-indiqués chez
les patients hypovolémiques, chez
ceux qui présentent des anomalies
de l’hémostase, chez les insuffisants
rénaux ou cardiaques, chez les cir-
rhotiques, chez les patients ayant des
antécédents d’hémorragie digestive
ou d’ulcère gastroduodénal et chez
les asthmatiques. Ils sont principa-
lement indiqués en cas de pathologie
avec réaction inflammatoire (co-
liques néphrétiques, douleurs articu-
laires aiguës, douleurs osseuses, pa-
thologie stomatologique et ORL,
etc.). De nombreuses molécules exis-
tent et, dans le contexte de l’urgence,
la molécule la plus adaptée reste le
kétoprofène à la dose de 100 mg
toutes les 8 heures en intraveineux
lent sur 10 minutes. Le délai d’ac-
tion est d’environ 15 à 20 minutes,
avec une durée d’action de 4 à
6heures. Il peut être associé à
d’autres antalgiques (effet additif
avec le paracétamol et synergique
avec les morphiniques). Un nouvel
AINS, plus spécifiquement anti-cy-
clo-oxygénase 2, est depuis peu dis-
ponible pour l’administration intra-
veineuse : le parécoxib, prodrogue
du valdécoxib, n’est pas encore éva-
lué dans le contexte de l’urgence, no-
tamment traumatique.
Le mélange équimoléculaire pro-
toxyde d’azote (N2O)-oxygène
(MEOPA) contient 50 volume-% de
chaque gaz. Son administration est
contre-indiquée lorsque la tempéra-
ture extérieure est inférieure à 5 °C.
En effet, en dessous de -7 °C, le N2O
se liquéfie, d’où le risque d’adminis-
trer un mélange appauvri en oxygène.
Le N2O est un analgésique d’action
centrale dont les effets dépresseurs
hémodynamiques sont très modérés.
Beaucoup plus diffusible que l’azote,
le N2O pénètre plus rapidement dans
les cavités aériennes closes que
l’azote n’en sort. Il augmente donc le
volume des gaz quand les parois des
cavités sont distensibles ou augmente
la pression intracavitaire quand les
parois sont rigides. Son action anal-
gésique est rapide et ses effets dispa-
raissent en 2 minutes environ, même
après une administration prolongée
(effet on-off). Du fait du passage ra-
pide sang-alvéole, le N2O diminue la
concentration des autres gaz présents
dans l’alvéole, pouvant entraîner une
hypoxie de diffusion. L’oxygénation
du patient doit donc être systématique
pendant au moins 15 minutes après
utilisation de Kalinox®. Kalinox®est
contre-indiqué dans les situations sui-
vantes : traumatisme crânien avec
troubles de la conscience, trauma-
tisme maxillo-facial, présence d’une
cavité aérienne close dans l’orga-
nisme (pneumothorax spontané ou lié
à un traumatisme thoracique, embo-
lie gazeuse, distension gastrique ou
intestinale), température ambiante in-
férieure à 5 °C et risque d’hypoxie de
diffusion (patient hypoxémique). Son
utilisation intensive et prolongée ex-
pose le personnel aux risques des ef-
fets indésirables du N2O liés à l’inac-
tivation de la vitamine B12. Il est très
utilisé pour l’analgésie préhospita-
lière dans les pays où la prescription
de morphinomimétiques n’est pas au-
torisée (21). Il est particulièrement
utile en traumatologie préhospitalière,
en association à d’autres antalgiques,
à la fois pour des gestes courts tels
que la réduction de fractures, mais
également pour l’analgésie continue
pendant le transport. Son utilisation
s’étend progressivement dans les ser-
vices d’urgences, chez l’enfant
comme chez l’adulte, notamment en
traumatologie pour la réalisation de
gestes douloureux brefs.
Le néfopam est un analgésique non
morphinique d’action centrale prédo-
minante qui agit par inhibition de la
recapture de la dopamine, de la nora-
drénaline et de la sérotonine et n’a au-
cune action anti-inflammatoire. Il est
contre-indiqué en cas d’antécédents
de convulsions, de risque de rétention
urinaire ou de glaucome à angle fermé
et chez l’enfant de moins de 15 ans. Il
est surtout utilisé par voie intravei-
neuse lente à la dose de 20 mg sur
45 minutes toutes les 4 à 6 heures.
L’administration trop rapide est mar-
quée par une incidence accrue d’effets
indésirables à type de sueurs, somno-
lence, nausées et vomissements, ma-
laises et réactions atropiniques. Un
travail récent sur la douleur aiguë
postopératoire montre une efficacité
supérieure de l’association néfopam-
morphine par comparaison à la mor-
phine seule et à l’association mor-
phine-propacétamol (20).
Le chlohydrate de tramadol est un
analgésique de mécanisme d’action
centrale complexe lié, d’une part, à
sa capacité d’augmenter la libération
ou de diminuer la recapture de la sé-
rotonine et de la noradrénaline et,
d’autre part, à une action opioïder-
gique faible. Il est métabolisé dans le
foie par le système enzymatique du
cytochrome P450 et les métabolites
ont une élimination rénale. Le pro-
duit est administré par voie intravei-
neuse lente à la dose initiale de
100 mg suivie par une titration en
bolus de 50 mg toutes les 15 à 20 mi-
nutes, sans dépasser la dose de
250 mg. La dose d’entretien est de 50
à 100 mg toutes les 4 à 6 heures. Le
pic analgésique est atteint en 60 mi-
nutes, la demi-vie d’élimination est
de l’ordre de 5 heures et la durée
d’action d’environ 6 heures. Cer-
taines contre-indications en limitent
l’utilisation : l’insuffisance respira-
toire, l’insuffisance rénale et/ou hé-
patique, l’épilepsie non contrôlée, le
sevrage toxicomaniaque, l’associa-
tion aux IMAO et l’hypersensibilité
au tramadol ou aux opiacés. Le tra-
madol peut induire des effets colla-
téraux tels que nausées, vomisse-
ments, vertiges, sédation, prurit. Ces
effets paraissent d’autant plus fré-
quents que le produit est administré
rapidement. La survenue d’une dé-
pression respiratoire est exception-
nelle. Son action analgésique est di-
minuée mais non abolie par la
naloxone. La place du tramadol en
médecine d’urgence préhospitalière,
notamment par comparaison à la
morphine titrée intraveineuse, reste à
démontrer.
18
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La nalbuphine est un morphinique
agoniste-antagoniste (agoniste κet
antagoniste µ). Un effet plafond pour
l’analgésie limite son efficacité pour
des douleurs modérées à intenses.
L’effet sédatif est supérieur à celui
des agonistes pleins et la fréquence
des nausées et des vomissements est
identique à celle de la morphine. Le
risque de dépression respiratoire est
identique à celui de la morphine aux
doses équi-analgésiques (22,23). La
dose est de 0,25 à 0,30 mg/kg toutes
les 4 à 6 heures. Le délai d’action est
rapide (5 à 7 mn en i.v.) et la durée
d’action, de 3 à 6 heures. Il peut être
utilisé par voie intrarectale chez l’en-
fant dont l’abord veineux est diffi-
cile. Sa place en situation d’urgence
par rapport à la morphine titrée reste
à démontrer en raison de l’effet pla-
fond limitatif et de l’absence de
preuve d’une meilleure sécurité par
rapport à la morphine en situation
d’urgence. Cette molécule est prin-
cipalement utilisée dans les pays et
les zones où le système préhospita-
lier n’est pas médicalisé et interdit
l’utilisation d’agonistes purs (22).
La buprénorphine est un agoniste
partiel des récepteurs µ, qui présente
de nombreux inconvénients le contre-
indiquant formellement en médecine
d’urgence : dépression respiratoire
non exceptionnelle et non antagoni-
sable par la naloxone, effet plafond
limitant l’efficacité analgésique, anta-
gonisme avec les agonistes morphi-
niques rendant leur utilisation diffi-
cile, fréquence des nausées, des vo-
missements et de la sédation.
Le chlorhydrate de morphine est un
agoniste pur produisant une analgésie
puissante, dose-dépendante et sans ef-
fet plafond. Analgésique de référence
pour les douleurs intenses en situation
d’urgence (7, 12),son efficacité et sa
sécurité ont été largement démontrées
pour l’analgésie postopératoire (23)
comme pour l’analgésie préhospita-
lière dans un système médicalisé (7).
L’analgésie morphinique doit être ti-
trée afin d’obtenir l’analgésie suffi-
sante en limitant le risque d’effets se-
condaires. La dépression respiratoire
est rare mais potentiellement grave et
les effets indésirables les plus fré-
quents sont les nausées et les vomis-
sements, la rétention aiguë d’urines, le
prurit et le ralentissement du transit
intestinal. À l’instar de l’analgésie, la
dépression respiratoire, dose-dépen-
dante, est à l’origine d’apnées cen-
trales et obstructives et doit être pré-
venue par l’utilisation de la méthode
de titration. La voie intraveineuse est
la seule recommandée en urgence, les
voies parentérales (intramusculaires
et sous-cutanées) n’étant pas adaptées
du fait d’une résorption plasmatique
aléatoire et d’un délai d’action long.
La titration intraveineuse débute par
un bolus de 0,05 mg/kg suivi de bolus
itératifs de 1 à 4 mg toutes les 5 mi-
nutes (7, 12). Le délai d’obtention
d’une analgésie efficace est d’environ
12 mn lorsque le protocole de titration
est respecté (24). Face à un événement
indésirable majeur, la morphine peut
être antagonisée par la naloxone, éga-
lement en titration (bolus itératifs de
0,04 mg). L’utilisation de la morphine
titrée en situation d’urgence impose
une surveillance rapprochée du pa-
tient, clinique et paraclinique, incluant
la surveillance régulière de la cons-
cience et de la sédation éventuelle, du
niveau de douleur (échelles d’auto-
évaluation), de la fréquence respira-
toire et de la saturation en oxygène,
ainsi que de la pression artérielle et de
la fréquence cardiaque (12). La sur-
veillance médicalisée est poursuivie
aux urgences intrahospitalières, en
particulier lors des transferts pour in-
vestigations complémentaires, en rai-
son du risque de dépression respira-
toire retardé.
Les autres agonistes morphiniques
ne sont pas, à ce jour, recommandés
pour l’analgésie du patient laissé en
ventilation spontanée en médecine
d’urgence extrahospitalière. Bien
que le fentanyl et le sufentanil aient
été proposés en utilisation intravei-
neuse dans cette indication, ils n’ont
jamais été évalués dans ce contexte
et ne peuvent, de ce fait, être recom-
mandés. Aucune étude n’a démon-
tré leur supériorité par rapport à la
morphine titrée en situation d’ur-
gence, que l’on considère l’effica-
cité analgésique ou le délai d’obten-
tion de l’analgésie. Le risque d’ef-
fets adverses, notamment hémody-
namiques et respiratoires, n’est pas
négligeable, en particulier chez les
patients hypovolémiques. Ces agents
peuvent également générer une rigi-
dité thoracique et une fermeture des
cordes vocales rendant la ventilation
difficile, voire impossible. En re-
vanche, les agonistes purs tels que le
fentanyl ou le sufentanil restent les
morphiniques de choix pour la séda-
tion et l’analgésie continue du pa-
tient intubé et ventilé (12),notam-
ment lors des transports secondaires
ou des transferts intrahospitaliers.
La kétamine entraîne une analgésie et
une sédation sans effet secondaire ma-
jeur lorsqu’elle est injectée à faibles
doses (0,1 à 0,3 mg/kg) par voie in-
traveineuse lente (10 à 15 mn). La ké-
tamine respecte le statut hémodyna-
mique et n’entraîne ni dépression
respiratoire ni altération des réflexes
de protection du carrefour aérodiges-
tif. Une évaluation prospective reste
cependant nécessaire pour l’utilisa-
tion préhospitalière. La kétamine est
fréquemment proposée pour l’analgé-
sie du patient incarcéré (12).
L’analgésie locorégionale
(ALR) (25, 26)
Bien que sous-utilisées, les anesthé-
sies locorégionales périphériques ont
une place dans la prise en charge de
la douleur en situation d’urgence (12,
27) et font l’objet d’une conférence
d’experts qui sera prochainement pu-
bliée (26) et diffusée aux profes-
sionnels. Dans tous les cas, afin
d’éviter toute contestation ultérieure,
un examen neurologique préalable à
la réalisation du bloc est indispen-
sable et doit être consigné par écrit.
Le bloc fémoral est sans nul doute la
technique d’ALR la plus répandue en
urgence extrahospitalière (25-27).
Cette ALR, dont l’indication majeure
est la fracture de la diaphyse fémo-
rale, procure de manière prévisible une
analgésie d’excellente qualité sans ef-
fet adverse notable. Sa simplicité, no-
tamment par la technique ilio-fasciale,
en fait un procédé tout à fait adapté à
Mise au point
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Mise au point
Mise au point
l’urgence extrahospitalière. La tech-
nique du bloc ilio-fascial, qui ne né-
cessite pas de neurostimulateur, est la
technique recommandée en médecine
d’urgence (26). L’anesthésique local
recommandé est la lidocaïne adréna-
linée à 1 %, qui présente le meilleur
rapport bénéfice/risque. Les autres
anesthésiques locaux ne sont pas
conseillés en raison de leurs effets se-
condaires potentiels (toxicité car-
diaque, en particulier). Les indications
de bloc doivent être larges, car il per-
met le ramassage et le transport, la ré-
duction du foyer fracturaire et la réa-
lisation des examens d’imagerie dans
des conditions optimales d’analgésie.
La technique présente des limites, en
particulier lors de fractures des extré-
mités supérieures et inférieures du fé-
mur. Une fois le bloc installé, le
membre doit être soigneusement im-
mobilisé afin de ne pas risquer un dé-
placement intempestif du foyer, cause
potentielle de fracture et de lésion vas-
culonerveuse secondaire.
Le bloc du plexus brachial n’est pas
recommandé en urgence extrahospi-
talière et ne peut être réalisé en ur-
gence intrahospitalière que par un
opérateur entraîné. Les blocs tron-
culaires distaux du membre supé-
rieur sont de réalisation simple, qua-
siment dénués de risques et peuvent
être utiles pour les plaies des mains
et des pieds (26). Les blocs de la face
sont sous-utilisés en situation d’ur-
gence et devraient remplacer les
classiques anesthésiques locaux par
infiltration pour les sutures des plaies
étendues de la face (26).
Faut-il associer
une sédation à l’analgésie
en situation d’urgence ?
L’agitation et l’anxiété sont fré-
quentes, souvent liées à la douleur, et
elles sont, dans la majorité des cas,
calmées par une analgésie bien
conduite associée à un contact verbal
adapté. L’association d’une sédation
par benzodiazépines ne se justifie
qu’en cas de persistance de l’agitation
malgré une analgésie bien conduite.
En effet, le risque lié à l’utilisation
conjointe de benzodiazépines et de
morphiniques est important en raison
du cumul des effets secondaires. Les
benzodiazépines entraînent une dé-
pression cardiovasculaire avec dimi-
nution du retour veineux, de la pres-
sion artérielle et du débit cardiaque.
Ces effets restent modérés chez les pa-
tients normovolémiques mais peuvent
être importants chez les sujets hypo-
volémiques. La benzodiazépine la
plus adaptée au contexte de l’urgence
est le midazolam, en utilisation titrée
en raison d’une variabilité interindi-
viduelle importante, par bolus de
1mg, éventuellement répétés (12).
Conclusion
La douleur aiguë en situation d’ur-
gence est encore trop fréquemment
sous-traitée, voire négligée. L’amé-
lioration de la prise en charge dans ce
contexte passe par une amélioration
de la sensibilisation et de la forma-
tion des personnels soignants, par
une autoévaluation de l’intensité
douloureuse par les patients et par la
réalisation de protocoles thérapeu-
tiques favorisant l’utilisation large
des morphiniques. Cette démarche
doit s’intégrer dans un processus
d’assurance-qualité permettant une
amélioration progressive et continue
de la prise en charge de la douleur
dans ce contexte.
La prise en charge médicamenteuse de la douleur en médecine d’urgence pré-
et intrahospitalière
L’oligo-analgésie en situation d’urgence est encore trop fréquente. Les causes en sont
identifiées et sont souvent liées à des dogmes erronés. Il n’existe aucune contre-indi-
cation à l’analgésie en urgence. L’amélioration de la prise en charge de la douleur
passe par une meilleure sensibilisation des équipes et par des protocoles de prise en
charge thérapeutiques. La douleur aiguë en urgence doit être mesurée de manière sys-
tématique par une échelle d’autoévaluation (échelle numérique ou échelle visuelle
analogique). Le mélange équimoléculaire de protoxyde d’azote et d’oxygène, le pro-
pacétamol et le kétoprofène sont les antalgiques recommandés pour les douleurs
faibles à modérées. Les douleurs intenses nécessitent d’emblée l’administration d’un
morphinique. Le morphinique de choix en ventilation spontanée est la morphine in-
traveineuse par titration. Le bloc du nerf fémoral doit être plus largement diffusé. La
sédation complémentaire par benzodiazépines n’est justifiée qu’en cas de persistance
d’une agitation malgré une analgésie bien conduite. L’efficacité analgésique doit être
contrôlée par des évaluations répétées de l’intensité douloureuse au cours du trans-
port et consignée par écrit sur les comptes-rendus d’intervention.
Acute pain treatment in out-of-hospital emergency medicine
Oligo-analgesia is a common feature in the emergency department (ED), most fre-
quently resulting from misconceptions of pain and analgesia. There is no contra-indi-
cation to analgesia in emergency conditions. Improvement of our practice needs ade-
quate theoretical and practical teaching to both medical and nursing personnel and also
implementation of specific quality-insurance programs. Pain measurement must be sys-
tematic, using visual analogic scale (VAS), numerical scales. Most popular analgesics
in use in french EDs to treat low to moderate pain are oral/injectable acetaminophen,
oral/injectable ketoprofene and inhaled mixture of nitrous oxide in oxygen. Severe pain
must be treated with intravenous titrated morphine. Regional anesthesia should be de-
velopped as several peripheral blocks proved very efficient in this setting (femoral
block, peripheral blocks of the upper limb, face...). Supplementary sedation (i.e. with
benzodiazepines) is sometimes useful but care must be taken to avoid any potentia-
tion of opioid adverse effects.
Key-words : Emergency medicine – Out-of-hospital medicine – Acute pain – Analgesia
– Intravenous morphine.
Résumé/Summary
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