L Traitement des mouvements anormaux hyperkinétiques par la tétrabénazine : le retour… M

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Mise au point
M ise au point
Traitement des mouvements anormaux hyperkinétiques
par la tétrabénazine : le retour…
Treatment of hyperkinetic movement disorders: tetrabenazine is back…
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P. Derkinderen1, E. Broussolle 2, P. Burbaud 3, M. Gonce 4, F. Viallet 5
▶ POINTS FORTS
▶ La tétrabénazine a récemment obtenu l’autorisation de
mise sur le marché pour le traitement des mouvements choréiques de la maladie de Huntington et de l’hémiballisme.
▶ Une étude contrôlée publiée récemment a en effet montré
qu’elle diminuait significativement l’intensité des mouvements choréiques chez les patients atteints de maladie de
Huntington.
▶ Contrairement aux neuroleptiques, la tétrabénazine agit
essentiellement au niveau présynaptique, et aucun cas de
dyskinésies tardives sous tétrabénazine n’a été rapporté.
▶ Elle pourrait être intéressante dans la prise en charge
thérapeutique d’autres mouvements anormaux hyperkinétiques, et plus particulièrement des dyskinésies tardives
provoquées par les neuroleptiques. Des études contrôlées
seront toutefois nécessaires pour démontrer formellement
son action dans ce cadre.
Mots-clés : Mouvements anormaux involontaires – Chorée –
Maladie de Huntington – Tétrabénazine – Hémiballisme.
SUMMARY
The treatment of hyperkinetic movement disorders represents
a challenge for the practicing clinician. A controlled study has
recently demonstrated that tetrabenazine is effective in reducing
the intensity of chorea in patients with Huntington’s disease.
Tetrabenazine acts at the presynaptic level by depleting monoamines. Beyond its effects in Huntington’s disease, it is likely
that tetrabenazine is an interesting and promising drug in the
management of hyperkinetic movement disorders. Nevertheless,
further controlled studies should be performed to confirm its
efficiency in other hyperkinetic movement disorders.
Keywords: Movement disorders – Chorea – Huntington’s
disease – Tetrabenazine – Ballism.
1 Service de neurologie, centre d’investigations cliniques et Inserm U 539, CHU de Nantes.
2 Service de neurologie C, hôpital neurologique Pierre-Wertheimer, Lyon.
3 Fédération de neurosciences cliniques, CHU de Bordeaux.
4 Hôpital de la Citadelle, Liège, Belgique.
5 Service de neurologie, CH d’Aix-en-Provence.
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L
a tétrabénazine (TBZ) a été développée, puis prescrite au
début des années 1960 comme antipsychotique. Toutefois,
elle n’a été que peu utilisée dans cette indication, alors
qu’elle a gagné ses lettres de noblesse au cours des vingt dernières
années dans la prise en charge des mouvements anormaux.
Jusqu’à présent, la TBZ n’était disponible en France qu’en autorisation temporaire d’utilisation, mais elle a désormais obtenu
l’autorisation de mise sur le marché pour le traitement de la
chorée de Huntington et de l’hémiballisme (prescription sur
ordonnance de médicament d’exception). Cette reconnaissance
de la TBZ justifie une mise au point actualisée sur ses propriétés
pharmacologiques originales et sur ses effets dans différentes
pathologies du mouvement.
UN MÉCANISME D’ACTION ORIGINAL
Les médicaments proposés pour le traitement des mouvements
anormaux involontaires “hyperkinétiques” agissent principalement
sur les systèmes dopaminergiques. Deux classes de médicaments
sont disponibles : il s’agit, d’une part, des antagonistes des récepteurs dopaminergiques, dont l’action est postsynaptique, et, d’autre
part, des médicaments capables de diminuer les concentrations
présynaptiques de dopamine. Les neuroleptiques appartiennent à
la première classe, tandis que la TBZ appartient à la seconde catégorie. Dans une synapse dopaminergique (et monoaminergique en
général), la dopamine est synthétisée, concentrée et stockée dans
des vésicules synaptiques grâce aux transporteurs vésiculaires des
monoamines. Ces transporteurs ont un rôle clé en physiologie
neuronale, car ils régulent, en fonction de leur type, la quantité
et la localisation subcellulaire des neurotransmetteurs en vue de
leur libération. Le transporteur vésiculaire de la dopamine et des
autres monoamines dans le système nerveux central (sérotonine,
noradrénaline, histamine) est le VMAT2 (vesicular monoamine
transporter subtype 2) [1]. Un autre transporteur vésiculaire,
VMAT1, est présent dans les cellules de la médullosurrénale. La
TBZ agit en inhibant de façon réversible et spécifique VMAT2 ;
par cette inhibition, la quantité de dopamine au sein des vésicules
synaptiques est diminuée, alors que la quantité de dopamine
cytoplasmique “extravésiculaire” augmente, cette dopamine étant
dégradée par les monoamines oxydases (figure). En inhibant
VMAT2, la TBZ diminue la concentration de dopamine au sein du
système nerveux central. La réserpine, qui est un autre inhibiteur
de VMAT2, a une action moins spécifique que la TBZ, puisqu’elle
bloque de façon irréversible à la fois VMAT2 et VMAT1 (2).
La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 5 - mai 2007
Récepteur
dopaminergique
DAT : dopamine transporter
VMAT : vesicular monoamine transporter
DA : dopamine
TBZ : tetrabenazine
Figure. Mécanisme d’action de la TBZ au niveau d’une synapse
dopaminergique. La dopamine (DA) est stockée dans des vésicules
synaptiques. Une fois libérée dans l’espace synaptique après un
potentiel d’action, elle se fixe sur le récepteur dopaminergique
postsynaptique. Ce récepteur, activé, libère la dopamine, qui est
recapturée par le neurone présynaptique grâce à un transporteur
(DAT, pour dopamine transporter), puis dégradée. Le neurone
synthétise alors de nouveau de la dopamine, qui est stockée dans
les vésicules synaptiques grâce à un transporteur vésiculaire
(vesicular monoamine transporter). La TBZ est un inhibiteur
spécifique et réversible des transporteurs vésiculaires centraux.
En inhibant ce transporteur, elle provoque une déplétion en
monoamine, base de ces effets thérapeutiques.
QUELLES INDICATIONS ?
La TBZ a été utilisée par quelques spécialistes dans une large
gamme de mouvements anormaux hyperkinétiques, tels que
chorée, tics, dystonie, dyskinésies tardives des neuroleptiques et
myoclonies. Elle souffre cependant du manque d’études contrôlées évaluant son efficacité. Par exemple, une série de 400 patients
traités par TBZ pour des mouvements anormaux hyperkinétiques
a, certes, été rapportée, mais elle était rétrospective, les patients
souffraient de mouvements anormaux très hétérogènes et les
échelles d’évaluation utilisées étaient pour le moins succinctes
(3). Toutefois, une étude récente et contrôlée vient d’être publiée,
et démontre l’efficacité de la TBZ dans le traitement des mouvements choréiques de la maladie de Huntington (4).
TBZ et chorée
Une publication préliminaire suggérait que la TBZ était efficace
pour le traitement des mouvements choréiques de la maladie de
Huntington. Dix-neuf patients atteints de maladie de Huntington
La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 5 - mai 2007
ont été traités par TBZ (dose moyenne de 62,5 mg/j), et la sévérité de leurs mouvements choréiques a été évaluée en utilisant
l’échelle Abnormal Involuntary Movement Scale (AIMS). Quinze
patients avaient une diminution de l’intensité de leurs mouvements choréiques (5). L’étude contrôlée plus récente a confirmé
ces résultats. Quatre-vingt-quatre patients atteints de maladie
de Huntington ont été traités par TBZ (54 patients) ou placebo
(30 patients) pendant 12 semaines. La posologie maximale de
TBZ utilisée était de 100 mg/j et était augmentée progressivement jusqu’à obtention d’un effet satisfaisant sur les mouvements
anormaux. L’évaluation était réalisée en double aveugle, le sousscore de chorée de la Unified Huntington’s Disease Rating Scale
(UHDRS) étant utilisé comme critère d’évaluation primaire. Les
patients traités par TBZ avaient une amélioration significative
du sous-score “chorée” de l’UHDRS et d’une échelle d’évaluation
clinique globale. Cinq patients traités par TBZ et un seul patient
traité par placebo sont sortis de l’étude. Cinq effets indésirables
graves sont survenus chez 4 patients sous TBZ (suicide par
noyade, chutes traumatiques avec fracture, idées suicidaires
et cancer du sein). Les autres effets indésirables plus fréquents
sous TBZ que sous placebo étaient une sensation d’instabilité
à la marche et une insomnie. Seuls deux patients ont présenté
un syndrome dépressif et un syndrome parkinsonien.
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TBZ et dyskinésies tardives
Aucun traitement n’est actuellement validé pour les dyskinésies
tardives provoquées par les neuroleptiques. La plupart des neurologues spécialisés dans les mouvements anormaux utilisent la
TBZ dans les dyskinésies tardives, et ce traitement est souvent
considéré comme la référence (6). Toutefois, peu de données se
fondant sur l’evidence based medicine (la médecine fondée sur les
preuves) sont disponibles. Dans l’étude rétrospective de Jankovic,
175 patients présentant des dyskinésies tardives (dyskinésies
bucco-linguo-faciales et dystonie) ont reçu un traitement par TBZ.
Près de 90 % des patients avec dyskinésies bucco-linguo-faciales
et 80 % des patients avec dystonies présentaient une amélioration
très satisfaisante de leurs mouvements anormaux (3). Une étude
de la même équipe a été réalisée chez 20 patients atteints de
dyskinésies tardives. Des vidéos de ces patients étaient enregistrées avant et après traitement par TBZ et soumises à un neurologue “cotateur”, qui quantifiait l’importance des mouvements
anormaux grâce à l’échelle AIMS sans connaître le traitement
des patients (7). Dix-neuf patients sur 20 ont terminé l’étude, un
patient étant sorti d’essai en raison d’une sédation trop importante sous traitement. Une amélioration du score AIMS de plus
de 50 % était rapportée en moyenne, et 11 patients présentaient
une amélioration notable de leurs mouvements anormaux sur
une échelle d’autoévaluation.
TBZ, syndrome de Gilles de la Tourette et dystonies
La TBZ serait efficace dans le contrôle des tics du syndrome
de Gilles de la Tourette et dans les dystonies généralisées (3).
Elle pourrait être, dans ces pathologies, une alternative intéressante aux neuroleptiques, qui sont fréquemment prescrits
à de jeunes patients.
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LA TBZ EN PRATIQUE
Instauration du traitement et posologie
La TBZ est actuellement disponible sous la forme de comprimés
sécables à 25 mg. La posologie initiale est le plus souvent de
12,5 mg/j. L’augmentation de la posologie se fait progressivement, selon la tolérance et l’efficacité du traitement. Dans
la prise en charge des mouvements anormaux, la TBZ est
utilisée à des posologies qui vont de 25 à 150 mg/j. Dans l’étude
contrôlée récente sur la chorée de la maladie de Huntington,
la dose moyenne de TBZ utilisée était de 62,5 mg, la posologie
maximale de 100 mg/j. La quasi-totalité des travaux sur les
dyskinésies tardives utilisait des posologies moyennes de 50 à
75 mg/j. En règle générale, le traitement est réparti en deux ou
trois prises quotidiennes. Pour certains patients vus dans notre
propre recrutement, il a parfois été nécessaire de monter à une
posologie nettement supérieure, jusqu’à 200 mg/j, répartis en
5 prises, avec, curieusement, des fluctuations des mouvements
anormaux en fonction des heures de prise de la TBZ.
Effets indésirables
Il est difficile de connaître la fréquence réelle des effets indésirables sous TBZ. Ceux-ci étaient fréquents (82 % des patients en
rapportaient au moins un) dans l’étude rétrospective de Jankovic
portant sur 400 patients (3). Cela pourrait être expliqué par la
stratégie d’utilisation, qui était d’augmenter la posologie jusqu’à
un contrôle optimal des symptômes et/ou jusqu’à la survenue
des effets indésirables. L’effet indésirable le plus fréquent est une
sensation de fatigue et de faiblesse. Vient ensuite la survenue
d’un syndrome parkinsonien et d’un syndrome dépressif, très
vraisemblablement en rapport avec la déplétion en monoamine
provoquée par la TBZ. Celle-ci peut provoquer des réactions
dystoniques aiguës, et quelques rares cas évocateurs de syndrome
malin des neuroleptiques ont été rapportés. Toutefois, il est
important de souligner que, jusqu’à présent, aucun cas de dyskinésies tardives n’a été rapporté sous TBZ.
Contre-indications et précautions d’emploi
L’existence d’un syndrome parkinsonien contre-indique en
principe la prescription de TBZ. Bien que l’existence d’un
syndrome dépressif ne soit pas une contre-indication formelle,
la prescription de TBZ doit être prudente dans ce cadre. Un
traitement par inhibiteur de la monoamine oxydase contreindique la prescription de TBZ, avec nécessité de respecter une
fenêtre thérapeutique de deux semaines. Il est recommandé de
ne pas prescrire de neuroleptique en même temps que la TBZ
(risque accru de syndrome malin) et de ne pas dépasser une
posologie quotidienne de 200 mg/j.
CONCLUSION
La TBZ, jusque-là utilisée de façon confidentielle par quelques
neurologues spécialisés dans les mouvements anormaux, a fait
son retour sur le devant de la scène en 2005 avec l’établissement
d’une AMM en France pour la chorée de Huntington et
l’hémiballisme. La TBZ est donc appelée à un développement de
son utilisation dans ces indications. Cependant, il sera nécessaire
de réaliser de nouvelles études contrôlées pour confirmer la place
de la TBZ comme médicament de référence dans le traitement
des autres mouvements anormaux hyperkinétiques, et plus
particulièrement les dyskinésies tardives.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Eiden LE. The vesicular neurotransmitter transporters: current perspectives
and future prospects. FASEB J 2000;14:2396-400.
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molecule for dopaminergic function, locomotion, and parkinsonism. Mov Disord
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3. Jankovic J, Beach J. Long-term effects of tetrabenazine in hyperkinetic
movement disorders. Neurology 1997;48(2):358-62.
4. Huntington Study Group. Tetrabenazine as antichorea therapy in Huntington
disease. Neurology 2006;66:366-72.
5. Ondo, WG et al. Tetrabenazine treatment for Huntington’s disease-associated
chorea. Clin Neuropharmacol 2002;25(6):300-2.
6. Gayraud D, Bonnefoi-Kyriacou B, Viallet F. Tetrabenazine as first line drug
for tardive dyskinesia. Mov Disord 2000;15(Suppl. 3):168.
7. Ondo WG, Hanna PA, Jankovic J. Tetrabenazine treatment for tardive
dyskinesia: assessment by randomized videotape protocol. Am J Psychiatry
1999;156(8):1279-81.
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